Anne-Cécile Maréchal nous attendait dimanche au square Vergote, pour une Estivale dans ce joli square, coupé en deux par le boulevard dans le bas (une voie à éviter depuis la démolition du viaduc Reyers, le chantier en cours provoque des embouteillages). Sur une vue aérienne, notre guide montre une autre division : le square Vergote se partage entre deux communes, Schaerbeek et Woluwe Saint Lambert.
Une bonne surprise : après la présentation des belles maisons de ce côté du square, nous visiterons une construction récente qui a reçu l’an dernier le prix d’architecture de Schaerbeek. Les premières demeures du square datent de 1906, à l’époque où le boulevard dit « militaire » menait au Tir National (actuellement site de la RTBF). Par la suite, d’autres boulevards l’ont prolongé.
Les maisons se voulaient élégantes dans ce quartier « chic » où vécut Henri-Marie La Fontaine, prix Nobel de la paix en 1913, un grand pacifiste, féministe et franc-maçon (il a créé la première loge mixte), au numéro 9. Comme à l’avenue Demolder, des architectes et des constructeurs y ont rivalisé de savoir-faire. L’immeuble moderniste au numéro 1, à l’angle du boulevard, a été dessiné par Georges France qui en occupait le penthouse, il date de 1936 (même époque que le paquebot Flagey).
Les façades que nous allons découvrir sont plus anciennes. Portails, fers forgés, ornements, chacune se distingue de sa voisine. Au 27, à l’angle de la rue Pelletier, voici la première de quatre maisons conçues par un tandem, Constant Bosmans et Henri Vandeveld, dans un style éclectique (1907). L’étage ajouté alourdit ses proportions, des transformations ont été réalisées, on a aménagé un garage.
La guide nous montre la façade d’origine sur une photo (ces photos anciennes sont disponibles en ligne : le chargement du site irismonument.be est lent, mais l’attente vaut la peine). Mêmes architectes au 29 et au 31, deux maisons élégantes en briques claires rehaussées de pierre blanche, de fausses jumelles (ci-dessus).
Mais c’est devant le numéro 33 que nous nous attardons, un superbe hôtel de maître (ci-dessus) construit en 1907 pour Émile Waxweiler, ingénieur, professeur à l’Université libre de Bruxelles et premier directeur de l’Institut de Sociologie Solvay. Bosmans et Vandeveld ont fait appel à Léon Sneyers pour lui donner, en 1908, une allure « sécession viennoise », sorte d’art nouveau géométrisé : des bas-reliefs floraux stylisés en correspondance avec les vitraux, des incises discrètes entre les fenêtres, des grilles d’un style soigné et d’une sobriété nouvelle pour l’époque.
Le commanditaire ne voulait ni de l’ostentation gratuite en façade ni des traditionnels salons inoccupés en dehors des réceptions, mais un vrai « living-room » au bel étage, lumineux et fonctionnel. Anne-Cécile Maréchal attire notre attention vers la frise en damier sous le dôme, qui se prolongeait sur toute la largeur à l’origine. Sneyers a aussi conçu la décoration intérieure (la description ici).
Au 39, années vingt, on reconnaît les motifs de pomme chers à l’architecte Vermeersch. Au 41, Georges Hobé a dessiné une maison d’angle de style beaux-arts, comme la suivante, toutes deux de 1909, en contraste avec la façade Art Déco du 45, de 1929 : la maison Fournier, signée Alfred Nyst, déjà admirée lors d’une Estivale dans le quartier des Cerisiers, est intégralement classée, extérieur et intérieur. Rigueur et simplicité ne nuisent en rien à la finesse du décor, des entrelacs sous le toit du porche (ci-dessous) jusqu’à l’admirable corniche de cette maison toute en verticales. (La maison qui la jouxte semble plus ancienne par le choix du style, mais elle est en réalité plus récente.)
Le 45 possède un jardin très profond qui se prolongeait vers la rue Frédéric Pelletier, en connexion avec un double garage surmonté d’un studio : c’est précisément à cet endroit, sur un petit terrain de forme trapézoïdale, qu’Emmanuel De Keersmaeker a conçu sa maison que nous allons visiter, un défi architectural, au 98 (ci-dessous) de cette rue bourgeoise qui porte le nom d’un papetier célèbre, non loin d’une maison art nouveau de Henri Jacobs (à gauche sur la photo).
maison unifamiliale, rue Frédéric Pelletier 98 © Emmanuel De Keersmaeker
Il lui a fallu de la persévérance pour faire accepter son parti-pris contemporain, rejeté par certains riverains et dérogeant à certaines règles urbanistiques : une architecture minimaliste où l’aspect décoratif est produit par l’agencement et le design des briques sans joint, surcuites, ce qui leur donne un aspect un peu émaillé et une couleur qui varie selon l’ensoleillement.
Le dépassement en hauteur par rapport aux maisons voisines est souligné sur le côté par un jeu de briques perpendiculaires. « La teinte gris/noir de la brique est un rappel de la maison de maître de style Art Déco qui se trouve au 45 du square Vergote dont la façade intègre des décors en briques vernissées noir et or. » (Site de Schaerbeek)
La maison est plus large côté rue que côté jardin. L’architecte a opté pour des matériaux apparents, des châssis en aluminium naturel. Le premier garage près de la porte a été transformé en bureau d’architecte, le rez-de-chaussée où nous pénétrons a gagné de la profondeur pour réaliser une salle de jeux donnant sur le minuscule jardin. Ici vit une famille avec trois enfants. Aux étages, des passerelles métalliques permettent de jouir de la verdure des jardins voisins à l’arrière.
On circule sur trois étages par un escalier central en chêne clair, doté d’une rampe métallique jaune vif, éclairé par une verrière. Les poutres de béton lissé répondent aux anciennes, plus brutes. Chaque plateau de soixante mètres carrés se déploie de part et d’autre, les pièces sur rue et sur jardin sont bien éclairées par de larges baies vitrées de bonne isolation. Les salles d’eau correspondent aux claustras de la façade.
Nous nous sommes divisés en deux groupes pour visiter les étages, tous pourvus de nombreux placards de rangement. La répartition des volumes est très ingénieuse et derrière cette façade un peu austère, on découvre de beaux espaces à vivre, malgré les contraintes. Les propriétaires nous ont reçu fort aimablement, merci encore à l’architecte « edk » d’avoir répondu à toutes les questions et d’avoir autorisé les photos dans cette maison unifamiliale qu’ils habitent depuis plus d’un an.
Commentaires
toutes ces belles demeures!
un truc moderne fait un peu tache parmi elles mais je ne vois pas non plus comme solution de faire du "faux 1906", alors allons-y pour du radicalement moderne, adapté aux normes écologiques et autres de notre époque...
En réalité, cette nouvelle maison prolonge bien les immeubles plus récents qui se trouvent à sa gauche et que ma photo ne montre pas : même alignement des briques, mêmes portes de garage.
Cela dit, tu poses la bonne question : vaut-il mieux construire du faux ancien ou du vrai contemporain ? Pour les participants à la promenade guidée, surtout motivés par la découverte du patrimoine, ces explications sur une nouvelle architecture en phase avec notre époque étaient bienvenues, pour mieux la comprendre, l'accepter, voire l'admirer.
un tout tout grand merci Anita pour ce compte rendu qui prolonge notre visite ensoleillée.
merci aussi pour ces belles photos qui rendent bien l'atmosphère élégante de ce square et l'accueil chaleureux reçu chez Emmanuel De Keersmaeker et sa famille.
bel été à vous
Merci à vous pour les explications, la documentation, les échanges toujours riches. Bonne continuation aux Estivales et bel été aussi.
Quelles superbes maisons! Un grand merci pour toutes ces belles photos, explications...je me verrais bien séjourner au nº33;-))
D'accord pour une colocation ? Bonne soirée, dame Colo.
Parfois un bâtiment qui paraît incompréhensible dans un environnement prend tout son sens avec des explications. claires. Il semblerait que ce soit le cas ici, je n'ai rien contre le contemporain quand il permet de beaux espaces de vie. Mais les constructions anciennes ont un cachet inimitable aujourd'hui.
La priorité des fonctions, l'abandon de l'ornement, la minimalisation des coûts aussi, tout cela conduit souvent aujourd'hui à des intérieurs plus confortables et à des façades plus impersonnelles. Cela me paraît en phase avec l'évolution des mentalités.
Mais tu as raison, ces façades et ces décors anciens nous fascinent pour la part accordée à l'esthétique, reflets d'un mode de vie, d'une certaine société qui en avait les moyens.
J'ai connu une concierge portugaise qui travaillait dans un de ces immeubles... Elle était au niveau des caves, fenêtres tout en haut, de sa cuisine-salle à manger on voyait les pieds des habitants entrant et sortant (elle avait son escalier "de service") et sa chambre à coucher était au bout du couloir des caves, avec sa salle de bain... :)
Il en existe encore beaucoup à Bruxelles, de ces cuisines-caves souvent équipées d'un monte-charges, parfois reconverties, parfois même mises en location. Les maisons dites "de maître" disposaient aussi d'une entrée séparée pour les domestiques. Vestiges d'une autre époque.
Et dire qu'à Londres, on construit maintenant en sous-sol, je me demande pour qui.
j'y suis souvent passée lorsque je conduisais encore, mais je ne m'y suis jamais arrêtée - merci pour ce reportage qui m'en apprend un peu plus
Comme toujours, c'est à pied qu'on découvre le mieux un quartier, j'y suis souvent passée aussi en voiture sans bien voir ces maisons remarquables.
Superbe quartier, quelle élégance !
J'avoue ne pas être attirée par cette couleur de brique, la forme contemporaine du n°98 se serait intégrée au quartier avec une façade en brique rouge ou alors une façade blanche... J'aime tellement l'harmonie, c'est bon pour le vivre ensemble, j'ai l'impression que trop souvent les architectes ne pensent qu'à eux, à leur projet, à leur nom... Bises. brigitte
J'ignore si le choix des briques gris noir est d'abord esthétique (plus graphique, plus actuel) ou lié aux économies d'énergie. Cela confirme une tendance typiquement bruxelloise de se différencier de ses voisins. Les constructions qui se trouvent de l'autre côté sont en briques rouges (de même alignement pour la continuité), la couleur et l'agencement de briques spéciales personnalisent cette maison, en comparaison. Personnellement, je partage ta préférence pour des façades claires, Brigitte. Les nouvelles constructions près de chez toi seront-elles blanches ?
C'est fascinant et un peu effrayant aussi ce contraste entre ces réalisations d'hier et celles d'aujourd'hui. J'avoue être toujours sous le charme des ornementations des immeubles anciens. J'ai une certaine aversion aussi pour le noir omniprésent aujourd'hui et goûte à l'inverse une certaine harmonie. Bref je suis un peu dubitative, mais la balade était superbe et bien intéressante ! Merci Tania.
Notre époque est si peu tournée vers l'ornementation, c'est vrai, l'architecture contemporaine est plus austère. Merci pour tes remarques, Annie.