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Textes & prétextes - Page 55

  • Visions

    Woolf Mrs._Dalloway couverture originale par Vanessa Bell.jpg« Such are the visions which proffer great cornucopias full of fruit to the solitary traveller, or murmur in his ear like sirens lolloping away on the green sea waves, or are dashed in his face like bunches of roses, or rise to the surface like pale faces which fishermen flounder through floods to embrace. »

    « Visions du promeneur solitaire ; visions qui sont pour lui de grandes cornes d’abondance pleines de fruits, le murmure des sirènes qui chevauchent les vagues de la mer verte, des gerbes de roses qu’on lui lance au visage, les pâles figures que, pour les étreindre, les pêcheurs cherchent dans les flots. »

    Woolf Mrs D poche 1968.jpg« Such are the visions which ceaselessly float up, pace beside, put their faces in front of, the actual thing ; often overpowering the solitary traveller and taking away from him the sense of the earth, the wish to return, and giving him for substitute a general peace, as if (so he thinks as he advances down the forest ride) all this fever of living were simplicity itself ; and myriads of things merged in one thing ; and this figure, made of sky and branches as it is, had risen from the troubled sea (he* is elderly, past fifty now) as a shape might be sucked up out of the waves to shower down from her magnificent hands compassion, comprehension, absolution. »

    « Visions qui sans cesse flottent devant le réel, l’entourent, le cachent ; qui suivent le promeneur solitaire, s’emparent de lui, lui enlèvent le goût de la terre, le désir de rentrer chez lui, et lui donnent en échange une paix profonde, comme si (c’est ce qu’il pense en avançant le long de l’allée de la forêt) toute cette fièvre de la vie était la simplicité même, comme si ces myriades de choses ne faisaient au fond qu’une seule chose et que cette figure, faite de ciel et de branches, se fût élevée de la mer agitée de la vie (il* est âgé, il a plus de cinquante ans), forme née de l’écume des vagues, pour répandre, de ses mains magnifiques, la pitié, la bonté, le pardon. »

    Virginia Woolf, Mrs. Dalloway

    [*Peter Walsh]

    Jaquette originale de Vanessa Bell (soeur de V. Woolf) / Couverture du Livre de Poche 1968

  • Lire "Mrs Dalloway"

    Loin des conventions du récit d’intrigue avec ses péripéties, Virginia Woolf explore la personnalité humaine à travers les impressions et les émotions de ses personnages, auxquelles se mêlent leurs souvenirs. En 1925, quand Mrs. Dalloway est publié, le renouvellement du roman moderne est en cours :  Proust a écrit les premiers tomes d’A la recherche du temps perdu ; Joyce a fait sensation avec Ulysse.

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    En couverture de l'édition Penguin Books 1992, un détail de 
    Stanley Cursiter, The Sensation of Crossing the Street, 1913 

    « Mrs. Dalloway said she would buy the flowers herself. » (« Mrs. Dalloway dit qu’elle irait acheter les fleurs elle-même. ») Le récit commence par cette phrase, le matin, et se terminera à la fin de la soirée que Clarissa donne chez elle. Virginia Woolf raconte cette journée du mercredi 13 juin 1923 à travers différents personnages. On suit d’abord Clarissa Dalloway dans les rues de Londres, grisée par la fraîcheur matinale : celle-ci lui rappelle l’air de Bourton (elle a grandi à la campagne) qu’elle respirait par la fenêtre ouverte, à dix-huit ans, et une remarque de son ami Peter Walsh sur la terrasse, disant qu’il préférait les gens aux choux-fleurs. Il lui a écrit d’Inde qu’il doit revenir bientôt.

    Une voisine l’aperçoit de loin – Clarissa ne l’a pas vue –  et lui trouve le charme d’un oiseau, même à plus de cinquante ans et très blanche depuis sa maladie. Clarissa regarde tout ce qui se passe autour d’elle : « […] what she loved ; life ; London ; this moment of June. » Elle le dit à un ami qu’elle rencontre, Hugh Whitbread : « I love walking in London. Really, it’s better than walking in the country. »

    Depuis quelques années, Mrs. Dalloway attendait sur l’étagère : pas la traduction française par S. David (Livre de poche), lue et relue (chaque fois qu’une de mes élèves de rhéto choisissait Virginia Woolf sur la liste de littérature étrangère pour un exposé oral), mais l’exemplaire en anglais (Penguin Books) de la bibliothèque de maman, excellente polyglotte, qui s’était inscrite une année à un cours de littérature anglaise dans sa commune.

    En marge de la description des mouvements d’un aéroplane qui va tracer des lettres publicitaires dans le ciel, ma mère a noté « Voilà ce que Papa faisait (…) » – mon père était pilote à la Force aérienne belge. Elle a écrit « Papa » et non son prénom, comme si cette note m’était destinée – elle connaissait mon amour pour Virginia Woolf. J’ai toujours pensé que ma faible connaissance de l’anglais mettait hors de portée mon rêve de la lire un jour dans sa langue originale. Cet été, je me suis attelée à ce défi, quelques pages par jour, d’abord en anglais puis en français, avec des allers-retours pour vérifier la compréhension et en cas de blocage. Quelques recours au dictionnaire, pas trop. Je ne cherchais pas à traduire mot à mot, mais à entrer dans le texte et à sentir son mouvement.

    C’est fabuleux. Jamais je n’avais imaginé pouvoir me mettre au diapason d’une langue aussi rythmée, musicale, d’une narration plus fluide dans l’original que dans la traduction, avec des répétitions, des anaphores… Encore mieux qu’en français, j’ai ressenti ce que ressentent tour à tour Clarissa, puis Rezia, la femme de Septimus, puis Septimus lui-même, traumatisé par la guerre – une sorte de double inversé de Clarissa tournée vers la vie, alors que lui pense à la mort. Ce n’est qu’à la fin que leurs destins se croiseront. Tous les thèmes (vie publique, vie privée) sont présents dans ce roman génial.

    Présent, passé et futur cohabitent dans la conscience. Se souvenant de sa grande amie Sally Seton, Clarissa pense à l’amour entre elles, un doux souvenir qu’elle oppose à la relation entre sa fille Elizabeth et Miss Kilman, censée l’éduquer aux bonnes manières, une femme fanatique et sectaire. De retour chez elle, Mrs Dalloway est en train de féliciter Lucy pour le brillant de l’argenterie quand on sonne à la porte – à onze heures du matin, le jour où on prépare une soirée ! Peter Walsh, son ancien amoureux, vient la voir dès son arrivée à Londres.

    Il est à Londres pour régler des affaires personnelles. Il est amoureux d’une femme indienne, mariée, deux enfants. Clarissa l’invite à sa soirée, puis on le suit, lui, dans ses pensées, ses visions, ses souvenirs, ses activités du jour. Le flux de conscience, dans Mrs. Dalloway, est rendu aussi pour d’autres personnages qu’elle : Peter, le couple Rezia-Septimus, et d’autres dont nous découvrons les préoccupations au fur et à mesure de la journée dont Big Ben sonne les heures.

    Durant la soirée, Clarissa joue son rôle d’hôtesse à la perfection. Peter et Sally, à qui elle a promis de revenir près d’eux, pensent à leur jeunesse. Virginia Woolf fait dire à Sally Seton qu’il n’y a « qu’une chose qui vaille la peine d’être dite : ce que l’on sent ». Une seule fois dans la traduction. Or il y a deux phrases de plus dans l’original : « For she had come to feel that it was the only thing worth saying : what one felt. Cleverness was silly. One must say simply what one felt. » (« L’intelligence est/était stupide. On doit dire simplement ce que l’on sent. »)

    Lire Mrs. Dalloway, cest le bonheur inépuisable de la redécouverte, la marque dun chef-d'œuvre.

  • Perspective

    canal,schaerbeek,vilvorde,promenade,aménagements,espaces verts,nature,mobilité,salangaanbrugOn est parfois surpris de découvrir des endroits bien connus dans une tout autre perspective, comme ici, depuis la rive droite du canal à Vilvorde où nous étions en balade.

    Quel ne fut pas mon étonnement, en observant la structure métallique du pont de Buda, pour l’instant sans tablier, de la voir encadrer dans le lointain un gratte-ciel bruxellois à la silhouette très reconnaissable. La photo est un peu floue (prise en zoomant avec le téléphone).

    Visible à sa gauche, le dôme du Palais de Justice le confirme : c’est bien la Tour des Finances au Botanique !

  • Le canal à Vilvorde

    Pour les Schaerbeekois, se rendre à Vilvoorde en région flamande, c’est d’abord passer devant de nombreux sites industriels implantés le long du canal. Je vous ai déjà montré les abords du pont Van Praet et le Yacht Club où on peut prendre un repas agréable en regardant les bateaux. C’est de ce côté qu’on emprunte en voiture l’avenue de Vilvorde (un « o » de moins en français) un peu en retrait du canal : elle change de nom à la limite entre la région bruxelloise et Vilvoorde, pour devenir « Schaarbeeklei » (avenue de Schaerbeek).

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    Minoterie Ceres, avenue de Vilvorde (Photo : Inventaire du patrimoine)

    Une importante minorité francophone  (37,7 %, selon Wikipedia) habite Vilvorde où est né l’actuel premier ministre belge, Alexander De Croo. Beaucoup d’anciens Bruxellois s’installent dans cette ville flamande où les prix de l’immobilier sont plus accessibles, à proximité de la capitale. Vilvorde fut longtemps associée au nom de Jean-Luc Dehaene, un ancien premier ministre, qui en fut le bourgmestre au début du siècle et encouragea son développement. Dix mille habitants de plus depuis l’an 2000 !

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    L'arrêt du Waterbus à Vilvoorde-centrum

    En allant nous balader, dans les derniers jours de juin, à l’arrière du quartier de la Schaarbeeklei, nous ne nous attendions pas à nous retrouver si près de grands espaces verts près du canal. Nous découvrons d’abord le point de départ du Waterbus qui circule entre Vilvorde et Bruxelles-centre (tous les jours durant l’été, c’est noté) : « un transport en commun interrégional agréable, confortable et hors embouteillages qui permet de se déplacer sans stress dans la zone fortement encombrée du ‘canal de la Senne’ entre Bruxelles, Schaerbeek, Neder-over-Heembeek et Vilvoorde » (Site du Waterbus).

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    Partout, des allées accueillent les promeneurs, piétons et cyclistes – on en croise qui passe à toute vitesse, visiblement des habitués de la mobilité dite douce. Sur la rive, d’anciens entrepôts sont à l’abandon, d’autres se reconvertissent en ateliers ou en logements. De nouveaux immeubles sont déjà habités, avec des terrasses donnant sur le canal. Il fait très calme au bord de l’eau en cette après-midi sans soleil, juste à la bonne température pour flâner et s’asseoir dehors.

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    Salangaanbrug : une nouvelle passerelle cyclo-piétonne 

    Nous découvrons une nouvelle passerelle réservée à ceux qui veulent passer d’une rive à l’autre du canal à pied ou à vélo, entre le domaine des Trois Fontaines sur la rive gauche et le quartier résidentiel Quatre Fontaines sur la rive droite. En plus des escaliers, des ascenseurs la rendent accessible à tous. Ouvert en février dernier, ce pont mobile, le « Salangaanbrug », porte le nom du « du totem scout de Frederik Vanclooster, jeune homme accidentellement décédé par noyade à quelques mètres de là » (la salangane est une sorte d’hirondelle), disparu dans la nuit du réveillon de 2020 (une chute accidentelle suivie d’une hydrocution).

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    Sur la passerelle, on n’entend heureusement pas le bruit de la circulation sur le viaduc de Vilvorde, bien connu de tous les automobilistes qui empruntent le ring de Bruxelles. Je n’imaginais pas du tout ce paysage en contrebas. La tranquillité du site contribue au charme d’une balade sur la rive. Rien à voir avec le trafic incessant des deux côtés du canal entre le pont Van Praet et le centre de Bruxelles, aux quais aménagés pour la promenade, mais trop bruyants et pollués pour que ce soit agréable d’y flâner.

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    On aperçoit de loin la silhouette du pont de Buda, un pont levant industriel qui relie Neder-Over-Heembeek à Haren, actuellement fermé pour travaux de réparation. Il a été percuté par une péniche à la fin de l’année dernière et on ignore encore quand il pourra être utilisé à nouveau. L’ouverture de la passerelle cyclo-piétonne de Vilvorde est donc tombée à point pour ceux qui se rendent au travail à vélo. (Un autre pont, celui qui enjambe le canal Bruxelles-Escaut à Humbeek (Grimbergen), vient d’être endommagé par une péniche – les bateliers seraient -ils aussi distraits par leur téléphone ?)

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    Nous sommes revenus sur nos pas par le quartier des Quatre Fontaines, « un nouveau quartier de la ville avec un espace pour vivre, travailler et se divertir » (4 Fonteinen). Ce développement mixte de la ville tout près du canal est plus sympathique qu’une zone industrielle ou qu’un quartier de bureaux, même si l’on craint, en voyant les bannières sur la berge, qu’on y construise une succession d’immeubles à appartements tout le long, au détriment des espaces verts.

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    Près d’immeubles très colorés, voici une fontaine à jets d’eau très attirante pour les enfants, un point de fraîcheur pour l’été. Nous passons le petit pont sur la Senne – la rivière de Bruxelles (voûtée dans le centre) est bien plus large ici que près du pont Van Praet où elle sort à l’air libre – et nous empruntons l’allée qui la longe. Un coup d’œil aux imprimés photographiques des façades d’une société qui s’est donné carrément comme objectif de créer du bonheur, il fallait oser.

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    Merci aux amis qui nous ont fait découvrir ce nouveau visage de Vilvorde tourné vers le futur. Ces aménagements le long de la Senne et du canal invitent à faire le plein de verdure, de calme et d’air frais. Qu’on y aille en vélo (fiets) par la Kanaalroute (fietsroute), en bateau avec le Waterbus ou à pied, tout simplement.

  • Empreinte

    claudie hunzinger,les grands cerfs,roman,littérature française,cerfs,nature,forêt,chasse,affût,observation,contemplation,désolation,livres,culture« Sous l’épicéa, dans la fine couche de givre, il restait l’empreinte d’un corps qui s’y était posé la nuit. Celle d’un grand cerf devenu mulet que l’absence du poids de sa ramure tombée déconcertait ? On dit que les cerfs sont parfois tellement troublés par la chute de leurs bois qu’ils s’isolent du clan. Je me suis couchée à même l’empreinte, sur mes jambes repliées. Je voulais ressentir la perte, porter ma tête comme si toute sa montée osseuse, tout son travail de l’année passée, chapitre après chapitre, était devenu inutile. Était tombé. Ce genre de méditation est assez vertigineux. On est vite pris d’une sorte d’ivresse. Celle du vide, de faire le vide. Tout y passe ? Jusqu’à notre statut d’humain. »

    Claudie Hunzinger, Les grands cerfs