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Textes & prétextes - Page 4

  • Ruine fantôme

    Goldman Di su nombre.jpg« Chaque jour est une ruine fantôme. Chaque jour est une ruine du jour qui aurait dû être. Chaque seconde qui passe, tout ce que je fais ou vois ou pense, tout est fait de cendres et de débris calcinés, les ruines de l’avenir. La vie que nous devions avoir ; l’enfant que nous devions avoir, les années que nous devions passer ensemble, c’était comme si cette vie avait déjà eu lieu des millénaires de cela, dans une ville secrète perdue dans la jungle, aujourd’hui en ruine, ensevelie sous la végétation, à la population éteinte, jamais découverte et dont l’histoire n’avait jamais été racontée par personne – une ville perdue au nom oublié que j’étais seul à me rappeler – Soobway. »

    Francisco Goldman, Dire son nom

    En couverture de l'édition espagnole, la photo qui figure à la fin du livre.

  • Dire son nom

    Sur la table de la bibliothèque, un beau titre : Dire son nom. De Francisco Goldman, dont je ne sais rien. Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Guillemette de Saint-Aubin, le livre porte plusieurs citations en quatrième de couverture dont celle-ci : « L’écriture de ce livre est pleine de beauté. […] Et, Dieu soit loué, il en est ainsi, car seule la beauté pouvait sauver une histoire aussi triste. » Signé Richard Ford. Je l’emporte.

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    « Aura est morte le 25 juillet 2007. Je suis revenu au Mexique pour le premier anniversaire parce que je voulais être là où c’est arrivé, sur cette plage de la côte du Pacifique. Maintenant, pour la deuxième fois en un an, je suis retourné à Brooklyn sans elle. 
    Deux mois avant sa mort, le 24 avril, Aura avait eu trente ans. Nous étions mariés depuis deux ans moins trente-six jours. »

    Ces deux premiers paragraphes, factuels, situent immédiatement le sujet. Francisco Goldman, né en 1954, a presque trente ans de plus que sa femme. Il raconte leur trop courte histoire, celle d’un couple passionné de lecture et d’écriture, et surtout il fait peu à peu, à travers son deuil, le portrait d’une femme. (Aura Estrada adorait lire Un Portrait de femme d’Henry James).

    A la page suivante, l’auteur se donne quelques directions : « Aura / Aura et moi / Aura et sa mère / Sa mère et moi / Un triangle amour-haine, ou, je ne sais pas / Mi amor, est-ce que c’est pour de vrai ? / Où sont les axolotls ? » Chaque fois qu’Aura et sa mère se quittaient, celle-ci « esquissait le signe de croix sur elle » et priait la Vierge de Guadalupe de la protéger.

    Peu à peu, les séquences du texte sont plus longues. On apprend que l’axolotl est une espèce de salamandre à l’état larvaire, quasi disparue, qu’on trouvait dans les lacs autour de l’ancienne Mexico. « Aura adorait la nouvelle de Julio Cortázar dont le héros est tellement fasciné par les axolotls du Jardin des Plantes à Paris qu’il se transforme en axolotl. » Quand Aura et lui étaient allés à Paris ensemble pour la première fois, elle tenait absolument à les voir. En apprenant leur transfert dans un laboratoire universitaire, Aura avait fondu en larmes. Puis noté dans son carnet : Où sont les axolotls ?

    Aura avait quitté Mexico où elle vivait avec sa mère depuis l’âge de quatre ans pour faire un doctorat en littérature à Columbia, dotée de plusieurs bourses. Six semaines plus tard, elle s’était installée avec Francisco à Brooklyn. Ils ont vécu ensemble presque quatre ans. Lui est né à Boston en 1954 d’une mère guatémaltèque catholique et d’un père juif américain. (Wikipedia)

    Quand ils allaient ensemble à pied jusqu’au métro, elle lui parlait « de ses cours, des professeurs, des étudiants, ou d’une idée de nouvelle, de roman, ou de sa mère. » Dans leur chambre au plafond très haut de l’appartement de Brooklyn (l’étage de réception d’une « brownstone »), la robe de mariée d’Aura est suspendue à un cintre accroché en haut d’un immense miroir en bois doré. Elle y reste. Leur vie était à New York, mais aussi au Mexique, ils y allaient souvent.

    Au pied du miroir, sur une tablette, des affaires d’Aura composaient à présent un petit autel, « comme un autel mexicain folklorique », où il posait des fleurs, allumait des bougies. Quiéreme mucho, mi amor. Aime-moi beaucoup, mon amour, c’étaient une des dernières choses qu’elle lui avait dites après avoir été sortie de l’eau, s’efforçant de respirer. Cela suffisait-il à le disculper ? Avant de rencontrer Aura, Francisco s’était senti plus seul qu’il ne l’avait jamais été, mais après sa mort, ce fut pire. D’autant plus que sa belle-mère le juge coupable.

    « Ou est-ce que quatre années peuvent tant signifier qu’elles l’emporteront à jamais sur toutes les autres mises ensemble ? » Dire son nom est pris tout entier dans ce va-et-vient entre le temps de leur vie commune, le temps d’après, le temps d’avant – le passé d’Aura et sa vie de famille compliquée mais intense, alors que Francisco a quasi rompu avec la sienne. Entre deux cultures aussi.

    Le récit (non linéaire) rapporte ce qu’il fait, comment ils se sont rencontrés, comment ils vivaient ensemble, avec les meubles, les objets, les vêtements, le « Fauteuil du Voyage d’Aura » (un fauteuil pliant en plastique laissé sur le palier de l’escalier de secours où elle aimait fumer, s’asseoir), le couvre-lit multicolore coûteux qu’elle avait absolument voulu acheter… Et bien sûr, ses carnets, ses écrits, son ordinateur, les mots qu’elle lui disait en espagnol.

    Assombri par la mort accidentelle d’Aura, Dire son nom est un hommage à sa personnalité fantaisiste, lumineuse, même si la nervosité ou l’angoisse la rongeaient parfois. Raphaëlle Rérolle a fait un beau compte rendu de ce Prix Femina Etranger 2011 dans Le Monde (si vous voulez en savoir plus), un récit bâti comme un roman d’amour : « L’amour était nouveau pour  moi, croyez-le ou non. Comment avais-je pu dépasser la quarantaine sans avoir jamais appris ou découvert cela ? »

  • En chemin

    jardinets,asters,fenêtre,oiseaux,arbres,square riga,scharbeekD’autres choses vues en chemin. D’abord cette fenêtre dans une avenue du quartier. La première fois que nous y avons vu un couple de mandarins sur la tringle du rideau, nous avons pensé qu’ils s’étaient échappés de leur cage. En repassant devant la fenêtre au joli éléphant, nous avons observé qu’ils y revenaient parfois. Et un jour, la gardienne des lieux, devant sa porte, nous a appris qu’elle avait bien plus de deux oiseaux, plus de dix même, et qu’elle les laissait voler en liberté à l’intérieur !

    jardinets,asters,fenêtre,oiseaux,arbres,square riga,scharbeekPour revenir de notre balade au parc Walckiers, nous avons pris l’avenue qui mène au square Riga, où se dresse le clocher de l’église de la Sainte Famille, déjà montrée ici. C’est une de ces agréables artères de Schaerbeek où les maisons ont conservé les grilles devant leur jardinet. Des asters, plus clairs que ceux de mon jardin suspendu, s’en échappent vers le trottoir – c’est si gai, ces feuillages, ces fleurs.

    jardinets,asters,fenêtre,oiseaux,arbres,square riga,scharbeekLes arbres du square Riga et leur survie (menacée par le projet du métro) me tiennent à cœur, je vous en ai déjà parlé. Presque chaque jour, quand je passe par là, je me réjouis de les voir vivre une année de plus. Comme d’autres vieux troncs du square, celui de ce vieux et majestueux marronnier porte des signes cabalistiques à la peinture rouge, je n’en ai pas l’explication. Mais je suis reconnaissante envers la personne qui prend fidèlement sa défense. Cette fois, elle y a posé une main amicale avec un slogan bien détourné : Touche pas à mon arbre.

  • Le parc Walckiers

    Quand nous allions vers le Moeraske en descendant la rue Walckiers, juste à côté de l’Institut de la Sainte Famille d’Helmet, nous jetions toujours un œil à notre gauche vers le parc bien clôturé derrière l’école, son actuel propriétaire. L’an dernier, le remplacement d’un portail annonçait des aménagements dans le bas du parc et bingo, après soixante ans de fermeture au public, revoilà le parc Walckiers accessible depuis ce mois d’octobre 2024.

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    En remarquant, dans le bas de l’avenue Zénobe Gramme, de l’autre côté du parc, la belle clôture qui le borde à présent, nous espérions trouver un portail ouvert et c’était bien le cas. Bruxelles environnement, qui gère l’endroit, affiche les heures d’ouverture : de 9h45 à 16h30 jusqu’en mars, puis de 8h15 à 18h15 en avril, etc.

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    Ce nouveau chemin balisé « situé à quelques coups de pédales de la gare de Schaerbeek » constitue « le dernier tronçon de la promenade verte, dernière pièce manquante de cette promenade très appréciée des flâneurs, flâneuses mais aussi d’un public actif en route vers le travail ou l’école ». Seuls deux des quatre hectares et demi sont ouverts au public, de manière à préserver la biodiversité dans le parc Walckiers, un parc classé (un des premiers jardins à l’anglaise d’Europe au XVIIIe siècle).

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    On y trouve des arbres remarquables, mais aussi, comme il est resté longtemps à l’abandon, des arbres fragiles. « Les zones à haute valeur biologique ont été clôturées afin de préserver la faune et la flore. Le lérot, ce petit rongeur masqué protégé en Région bruxelloise, y a notamment élu domicile depuis une douzaine d’années. » (Bruxelles environnement).

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    Cette première traversée nous a beaucoup plu. Nous aurons l’occasion de mieux découvrir les lieux à l’avenir, notamment près du chemin de fer. Ici de vieux troncs encore vigoureux, là des monticules de paille sans doute destinés à la faune locale… D’indécrottables tagueurs ont déjà laissé des traces sur le portail d’accès de l’autre côté – « des perles aux pourceaux », aurait dit une ancienne riveraine des lieux.

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    Cornouillers sanguins et aubépines colorent l’allée le long des potagers, bien jolie en automne ! Au bout, le marais complètement dégagé et la nouvelle clôture de châtaignier donnent une belle vue renouvelée du Moeraske dès l’entrée.

  • Aujourd'hui

    Murat en Poche.jpeg« Aujourd’hui, que peuvent bien signifier les codes du faubourg Saint-Germain pour des jeunes qui passent leur temps sur les réseaux sociaux ? Et quelle est leur capacité d’absorption de la phrase proustienne lorsque tout se tranche en cent quarante caractères ? Questions en réalité sans objet. Enseigner la Recherche à Los Angeles ou en Chine, c’est, pareillement, éprouver l’universalité d’un texte qui fait s’effriter tous les particularismes culturels, d’âge, de classe. Depuis vingt ans, un groupe se retrouve régulièrement dans un café de Buenos Aires  pour lire le même livre, indéfiniment : En busca del tiempo perdido. Ce book club d’un genre particulier a fait l’objet d’un documentaire, Le Temps perdu (2020), de Maria Alvarez. On y voit une dame élégante au regard vif déclarer : « Tout ce qui se passe dans ce roman, à un moment donné de ma vie, je l’ai ressenti. Tout. » Cette phrase, n’importe qui, dans le monde entier, peut la prononcer. »

    Laure Murat, Proust, roman familial