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venise

  • Pays natal

    Rolin Dulle Griet 1977.jpg« J’étais enfin en mesure de m’arracher à eux par un serment solennel. A partir d’aujourd’hui je ne me servirais plus d’eux, je les détacherais de mon écriture, de mon cerveau, des rognons douillets de ma mémoire. Il ne serait plus question d’eux nulle part. Je n’évoquerais plus mon enfance : frère et sœur, maison, forêt, champs de betteraves et de choux, lac et bois seraient engloutis. Tout cela filait à toute allure et sans ordre d’entre mes lèvres dévorées par les sanglots. Cependant un singulier phénomène se produisait à mesure : Papa et maman – qui étouffaient des bâillements discrets – grandissaient, s’allégeaient. Quand je me suis tue, il était trop tard. Ils avaient profité de ma colère glacée pour me réinvestir. Lubriques, apaisés, ennuyés, ils reposaient de nouveau en moi.
    Je me suis levée avec difficulté. Pas de doute : j’étais une fois de plus enceinte de mon pays natal. »

    Dominique Rolin, Dulle Griet

  • Rolin l'enragée

    Dans La Libre, au début du mois, Guy Duplat présentait La femme sauvage, un nouveau roman historique de Jeroen Olyslaegers : « Il est parti du tableau Margot la folle (Dulle Griet) de Bruegel, du musée Mayer van den Bergh, pour raconter un moment de notre histoire, et d’abord de celle d’Anvers, autour de la « Furie iconoclaste » de 1566 qui vit des émeutiers calvinistes casser toutes les statues et tableaux de la cathédrale (…) ».

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    Bruegel l’Ancien, Dulle Griet, vers 1562, Anvers, musée Mayer van den Bergh

    Dulle Griet, dite Margot la Folle, est la figure éponyme d’un roman de Dominique Rolin (1977) que j’ai aussitôt retiré de ma bibliothèque. Le tableau de Bruegel y figure en noir et blanc, son titre traduit en « Margot l’Enragée ». Un mot repris pour un des récits les plus forts de Dominique Rolin, L’Enragé (1978), autobiographie imaginée du peintre Breughel qui, sur son lit de mort, revient sur sa vie entière.

    Quand j’ai lu Dulle Griet pour la première fois, et sa première phrase – « Je t’écris, donc je vis » –, j’ignorais à qui la narratrice s’adressait. L’amant qu’elle tutoie ainsi sera démasqué dans l’émission Bouillon de culture, en 2000, lorsque Bernard Pivot, qui les avait invités tous les deux, après l’avoir interrogée sur Journal amoureux, lui lança « Jim, cet homme tant aimé, il est assis à côté de vous, c’est Philippe Sollers » ! Dominique Rolin tenta de nier, de ramener Jim à son statut de personnage, en vain (vidéo). Sur la première page, encore : « Nous avons eu de nouveau l’impression de rentrer chez nous dans la ville étrangère ». Ainsi nommait-elle Venise, où ils allaient ensemble chaque année. Philippe Sollers lui a dédié son Dictionnaire amoureux de Venise.

    Sans transition, au troisième paragraphe de « Premier pas » (il y en aura douze en tout), Dominique Rolin parle du « vieil homme » qui vit avec ses dix-huit chiens dans la maison. Elle revoit son père au dernier Noël, « lent mais précis dans ses mouvements ». Par téléphone, sa sœur l’a avertie d’un malaise, de son hospitalisation ; son frère, insisté pour qu’elle vienne. « Alors j’ai senti sans hésitation possible que nous franchissions, mon frère, ma sœur et moi, le seuil d’un pays défendu. »

    A son chevet, elle ne voit que « sa tête hors des couvertures », le nez « plus courbé encore qu’avant, lisse, dur, pâle et nu comme une corne d’ivoire », l’oreille telle « une grande rose plate et blême », elle écoute son souffle affaibli. Ils n’échangent que quelques mots. Le soir, quand elle quitte le restaurant où ils sont allés manger, elle voit soudain se dresser entre son père « qui se mourait à l’écart » et elle-même la Dulle Griet de Breughel, la femme en marche au centre du tableau, « marcheuse que l’on devine infatigable, ganache étirée au poitrail cuirassé de fer » et « casquée d’une marmite d’où pendent les cheveux en désordre ». Sourde à ce qui l’entoure, somnambule.

    Comme son père qui « tournait le dos au monde ». « Dulle Griet – Margot l’Enragée – surgissait du fond d’une légende médiévale apocryphe pour intervenir dans le récit. Griet en flamand est le diminutif de Marguerite, laquelle était si chaste qu’au jour même de son mariage elle s’était enfuie sous des habits d’homme pour échapper à l’homme. » Son père meurt deux jours après son retour à Paris. Sa fille aînée n’a rien changé à ses projets, prévenu de son absence à l’enterrement – pour les siens « une formalité sans importance », dont sa sœur et son frère lui raconteront tout.

    Mais « le corps du vieil homme » est avec elle dans la ville étrangère, et les derniers mots qu’il a prononcés à son intention : « Repose-toi bien ». Elle écrit « à toute allure », se croit « sauvée » de sa disparition. Une nuit, réveillée en sursaut par un feu d’artifice, elle sent les battements de son cœur. « Vivre est beaucoup trop compliqué. » Son père est venu « pratiquement, pensivement » s’installer dans son intérieur, la confrontant à une femme qui est elle sans être elle, qui ne lui ressemble pas.

    « Les parents sont des météores, rien de moins, rien de plus. Sans raison et par hasard, ils surgissent tout à coup à la tangente de nos propres trajets. » Voici ses morts qui s’installent au cœur de l’écriture : « J’étais contrainte d’y aller voir de plus près à propos du passage vie-mort. » Avec gourmandise, avec brutalité, elle sent ceux qu’elle a aimés, morts avant eux, lui transmettre leur énergie pour écrire ses visions du passé et du présent, ses rêves, ses douleurs, ses plaisirs.

    L’œuvre de Dominique Rolin est très physique. Tous les organes, tous les sens participent de la vie, des rapports avec les autres, avec le monde. Le rire et la rage l’habitent, même au royaume des morts. Les pages de Dulle Griet fourmillent de détails monstrueux, comme le tableau de Breughel. C’est flamboyant et parfois sinistre. Ce roman que j’ai lu jeune, éblouie par l’écriture baroque, libre et inventive, par la dislocation du temps romanesque, j’avoue que je l’ai relu avec difficulté parfois, plus sensible aujourd’hui, sans doute, à la cruauté d’un imaginaire impitoyable.

  • Location privée

    Pfeijffer Grand-Hotel-Europa.jpg« […] la location de logements privés par des particuliers via Airbnb constitue un sérieux problème, tant pour les habitants que pour l’administration municipale. Cela cause un nombre inacceptable de désagréments aux riverains, il n’y a pas à polémiquer là-dessus. Lorsque la maison de vos voisins, toute l’année durant, été comme hiver, abrite de joyeux vacanciers qui traînent leurs valises à roulettes dans l’escalier et ne tiennent compte de rien d’autre que leur propre plaisir, vous avez un problème. Ces nuisances se traduisent en outre par une hausse exorbitante des prix de l’immobilier. Si un modeste bien au centre-ville peut rapporter de l’or en barre, les petits malins sautent sur l’occasion, avec pour corollaire qu’un logement en centre-ville, pour celui qui voudrait juste y vivre, est devenu inabordable. Résultat des courses, les Amstellodamois qui vivent encore ici tirent leurs marrons du feu, s’empressent d’empocher la plus-value de leur habitation, tournent le dos aux nuisances et à la ville, et c’est une maison de plus qui tombe définitivement aux mains du business du tourisme, devenant inaccessible en qualité de logement. Avec pour conséquence ultime un dépeuplement de la ville. Mais vous vivez à Venise. Vous connaissez ça par cœur. 
    Pfeijffer 10 18.jpgEn outre, la location privée constitue une concurrence déloyale vis-à-vis des hôtels. Vous pourriez objecter que c’est le problème des hôtels, mais je me devrais de vous corriger vivement. Pour ces hôtels, nous avons élaboré une kyrielle de permis, de normes anti-incendie, de règles d’hygiène, etc., et nous ne l’avons pas fait par sadisme ou parce que nous voulions pourrir la vie des hôteliers. Il y a de bonnes raisons à toutes ces règles qui, en fin de compte, servent à protéger le consommateur et les riverains. La location privée se soustrait à ces règles et peut donc pratiquer des tarifs inférieurs à ceux des hôtels.
    [...] L’argent ne va pas dans la poche des honnêtes citoyens qui ont une chambre d’amis. On estime que près des deux tiers des logements proposés à la location via Airbnb appartiennent à des multipropriétaires. L’argent va dans la poche des truands de l’immobilier et d’Airbnb lui-même. »

    Ilja Leonard Pfeijffer, Grand Hotel Europa

  • Grand Hotel Europa

    Grand Hotel Europa (sic, 2018) est le premier titre traduit en français (par Françoise Antoine) d’Ilja Leonard Pfeijffer (°1968). Cet écrivain néerlandais a beaucoup publié, dans divers genres, et a été souvent primé. Si son livre raconte une histoire d’amour pour une femme, vécue en grande partie à Venise, mêlée à une enquête sur Le Caravage, Grand Hotel Europa est aussi une réflexion sur le tourisme à notre époque, sur l’Europe, avec des pages pamphlétaires.

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    Place Saint-Marc, le 8 juin 2019 © Miguel Medina (Slate.fr)

    Le groom Abdul, « un jeune Noir maigre, vêtu de la nostalgique livrée rouge », est le premier personnage nommé dans cette histoire qui se déroule en alternance au Grand Hotel Europa où réside l’écrivain (ou le narrateur qui porte son nom) et à Venise, la ville où il a vécu avec Clio, historienne de l’art. M. Montebello, le majordome, heureux d’accueillir un nouvel hôte sensible au charme des décors anciens, lui confie son inquiétude quant aux changements que ne manquera pas d’y apporter le nouveau propriétaire chinois, pour attirer davantage de clients. L’écrivain trouve sa suite « parfaite, non parce que c’était une chambre d’hôtel parfaite, mais justement parce qu’elle ne l’était pas. »

    « Il n’est de plus belle ville que Venise pour retrouver un être cher qui vous attend. » Ilja s’est occupé de rendre leurs anciens logements à Gênes, Clio d’aménager leur nouvelle demeure. Dans le train, il a mémorisé l’itinéraire pour atteindre la calle nuova Sant’Agnese et en chemin, s’imprègne de l’atmosphère dorée de la ville. Sa bien-aimée l’attend dans une tenue élégante (robe, escarpins et boucles d’oreilles de marques citées par l’auteur, comme il le fera pour ses propres vêtements – placement de marque ?), prête à fêter son arrivée.

    Au Grand Hotel Europa, où l’écrivain rédige leur histoire (comme il avait promis de le faire quand elle serait finie), il rencontre d’autres résidents (un grand Grec, une poétesse française, un vieil érudit qui aime discuter de littérature, entre autres) et cherche en vain la chambre où l’ancienne propriétaire, une très vieille dame, vit entourée de livres et d’œuvres d’art ; elle n’a de contacts qu’avec le majordome.

    C’est à Gênes (où vit l’auteur) qu’Ilja a rencontré Clio. Elle travaillait, faute de mieux, pour une maison de vente aux enchères et déplorait que son pays soit devenu « une maison de repos pour vieux en phase de décomposition », « un beau jardin ensoleillé », « un pays sans avenir ». Ravie de rencontrer un poète, elle parlait beaucoup. Dès le premier soir chez lui, c’est elle qui a mené la danse et l’a surpris en sortant nue de la salle de bains, « statue de la Renaissance », « Daphné convoitée par Apollon », « Diane surprise au bain », telle une déesse grecque. Quand sa muse accepte un nouvel emploi plus intéressant à Venise, son amoureux décide de déménager pour y vivre avec elle.

    Clio est si élégante qu’Ilja se rhabille dans les meilleures boutiques tant il est fier, lui qui a quelques kilos à perdre, de s’afficher « avec une telle splendeur » à ses côtés. L’historienne connaît très bien l’art ancien. Devant ses opinions tranchées et son tempérament « volcanique », l’écrivain apprend à mesurer ses propos. Au Palazzo Bianco de Gênes, où ils étaient allés un jour admirer le célèbre Ecce homo du Caravage, Clio l’avait jugé « trop explicitement dans le style du Caravage pour être un Caravage ».

    Ainsi a commencé un jeu qu’ils vont pratiquer ensemble tout du long : rechercher sa dernière œuvre présumée, dont on a perdu la trace, grâce aux indices récoltés par Clio, spécialiste de Caravaggio. Quand Ilja a rendu visite à sa mère, une marquise, dans son palais génois plein d’œuvres d’art dont un authentique Caravage, Clio lui a expliqué avoir grandi « avec la tâche de perpétuer le passé ». Ses études l’y ont encore enlisée davantage. Elle déplore pourtant que « l’Europe se vautre dans la nostalgie ».

    Ilja Pfeijffer reprend les cinq critères par lesquels George Steiner a défini « l’idée d’Europe » : l’omniprésence de cafés, la nature domestiquée et accessible, la saturation par sa propre histoire, une civilisation née à Athènes et à Jérusalem, la conscience de son propre déclin. Leitmotiv de Grand Hotel Europa, l’identité européenne est parfaitement illustrée par l’Italie ou par Venise, vidée de ses habitants pour accueillir des vacanciers du monde entier. Pour l’auteur, l’Europe, c’est son passé, livré à l’exploitation commerciale.

    Ce récit « brillant », d’une érudition formidable, développe de nombreux thèmes : l’amour des villes anciennes et la critique très documentée du tourisme de masse et d’Airbnb ; la distinction, moins simple qu’il n’y paraît, entre le voyageur et le touriste, entre l’authentique et le faux ; la recherche de la distinction et le mépris des foules ; un dandysme qui frôle le cynisme et la mauvaise foi ; le sentiment amoureux et le rapport de force, avec des scènes de sexe crûment décrites ; l’égoïsme et l’empathie. Et bien sûr, la littérature, le rapport au temps, le charme des rencontres, la passion de l’art. Etonnant, inclassable, tout sauf politiquement correct.

  • Leïla la nuit

    Premier titre lu dans la collection « Ma nuit au musée », Le parfum des fleurs la nuit est un texte de Leïla Slimani plus personnel que Le pays des autres où elle raconte l’histoire de sa famille. Elle parle ici d’abord de l’écriture, sa passion, de son bureau où le besoin de s’isoler engendre refus (dire non aux sollicitations) et renoncement : « L’écriture est discipline. Elle est renoncement au bonheur, aux joies du quotidien. On ne peut chercher à guérir ou à se consoler. On doit au contraire cultiver ses chagrins comme les laborantins cultivent des bactéries dans des bocaux de verre. »

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    Felix Gonzalez-Torres, Untitled” (Blood), 1992 ; “Untitled” (7 Days of Bloodworks), 1991,
    Vue de l’exposition « Luogo e Segni », Punta della Dogana, Venise, 2019 : Collection Pinault.
    Courtesy Felix Gonzalez-Torres Foundation Cappelletti
    © Palazzo Grassi.
    Photo Delfino Sisto Legnani et Marco

    Elle a tout de même accepté de rencontrer une éditrice, en décembre 2018, se promettant d’être intraitable pour préserver l’écriture d’un roman en cours. Mais elle dit oui à sa proposition : être enfermée une nuit dans un musée à Venise. La Douane de mer est devenue un musée d’art contemporain, ce n’est pas ce qui l’intéresse, mais bien « l’idée d’être enfermée », sans doute « un fantasme de romancier ». Leïla Slimani cite les écrivains qu’elle aime et chez qui elle retrouve ses propres obsessions, comme Virginia Woolf écrivant dans son Journal : « J’ai posé à la malade imaginaire et tout le monde me laisse tranquille. »

    « Ce que l’on ne dit pas nous appartient pour toujours. Ecrire, c’est jouer avec le silence, c’est dire, de manière détournée, des secrets indicibles dans la vie réelle. La littérature est un art de la rétention. » Evoquant Le monde d’hier de Stefan Zweig, elle se demande ce qu’il aurait pensé de notre époque « où toute prise de position vous expose à la violence et à la haine, où l’artiste se doit d’être en accord avec l’opinion publique ».

    En avril 2019, Leïla Slimani, qui n’a rien à raconter sur l’art contemporain et ne tient pas à répéter tout ce qui a déjà été écrit sur Venise, observe les gens, l’afflux des touristes qui a réduit la population des Vénitiens de moitié en trente ans, « comme des Indiens dans une réserve, derniers témoins d’un monde en train de mourir sous leurs yeux ». Elle se souvient de ses voyages au Japon, en Inde. A la Douane de mer, le gardien la conduit au petit lit de camp installé dans « une salle où sont exposées des photographies de l’Américaine Berenice Abbott. » « Buena notte ».

    La voilà prise au piège dans un endroit où les fenêtres ne s’ouvrent pas, où il est interdit de fumer : pourquoi a-t-elle accepté ? A un ami qui jugeait l’exercice « assez snob », elle a parlé d’une « sorte de performance », d’une expérience. Mal à l’aise dans ce musée, elle écrit sur ses peurs, peut-être héritées de sa mère inquiète de tout, avoue sa peur des hommes « qui pourraient [la] suivre ». Dans le milieu où elle a grandi, les livres étaient plus présents que l’art, même si ses parents s’intéressaient aux peintres contemporains marocains et si son père peignait des toiles mélancoliques à la fin de sa vie. Elle se souvient de ses premières visites au musée à Paris, d’un voyage en Italie avec un ami.

    Avec le fascicule de l’exposition en cours, « Luogo e Segni » (« Lieu et signes »), elle regarde les œuvres, s’intéresse aux artistes, s’interroge sur l’art conceptuel. « Le rideau » en billes de plastique rouge sang de Felix Gonzales-Torres, mort du sida, lui rappelle celui de l’épicier de son enfance et la ramène à son obsession du corps, de la déchéance, de la douleur. Au centre du musée, voici l’installation de Hicham Berrada qui lui a inspiré le titre : un galant de nuit appelé aussi « mesk el arabi » qu’elle aperçoit dans des terrariums à travers des vitres teintées, « plante familière, chantée par les poètes et tous les amoureux », la plonge dans les réminiscences. « A Rabat, il y avait un galant de nuit près de la porte d’entrée de ma maison. » Son parfum, que son père respirait par la fenêtre ouverte le soir, « ne cessait de l’émerveiller. »

    « Je m’appelle la nuit. Tel est le sens de mon prénom, Leïla, en arabe. Mais je doute que cela suffise à expliquer l’attirance que j’ai eue, très tôt, pour la vie nocturne. » « Le galant de nuit c’est l’odeur de mes mensonges, de mes amours adolescentes, des cigarettes fumées en cachette et des fêtes interdites. C’est le parfum de la liberté. » Pourquoi s’être enfermée là ? Pour écrire sur sa jeunesse, sur son parcours, ses choix, ses lectures ?

    Les œuvres commentées par Leïla Slimani sont celles qui renvoient à quelque chose en elle, qui activent sa mémoire, qui réveillent des « fantômes du passé », celui de son père en particulier. « En disparaissant, en s’effaçant de ma vie, il a ouvert des voies que, sans doute, je n’aurais jamais osé emprunter en sa présence. » Elle évoque sans préciser sa déchéance sociale et son incarcération. « Ce qui est arrivé à mon père a été fondateur dans mon désir de devenir écrivain. » Il lisait beaucoup. « Il était ma famille mais il ne m’était pas familier. »

    Le parfum des fleurs la nuit, récit d’une nuit dans un musée d’art contemporain, est surtout l’histoire d’un rendez-vous de Leïla Slimani avec elle-même, un texte sur sa vie en même temps qu’une réflexion sur l’enfermement, la solitude, la création littéraire. J’ai aimé la franchise avec laquelle elle aborde son sujet, sans se soucier des conventions.