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Prodiges de Zweig

Dans le premier recueil de nouvelles (L’amour d’Erika Wald) publié par Stefan Zweig en 1904, à vingt-trois ans, Les prodiges de la vie (traduit de l’allemand par Hélène Denis) raconte l’histoire d’un tableau commandé pour une église d’Anvers – Zweig venait de découvrir la Belgique et d’y faire connaissance avec Emile Verhaeren, qui sera le sujet de son premier essai biographique.

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Couverture originale du recueil

En 1566, époque où « l’hérésie étrangère s’était installée dans le pays » (le protestantisme se répand dans les Pays-Bas espagnols), par un dimanche brumeux, deux hommes entrent dans une église pendant le sermon. Un riche négociant veut montrer à son compagnon plus âgé, un peintre, la « Madone au cœur transpercé d’un glaive » qui orne une petite chapelle latérale : des traits fins, un visage tendre, une peinture lumineuse due à un artiste italien.

En se dirigeant vers le port près duquel il habite, le marchand raconte au peintre sa jeunesse dissipée à Venise, où il fréquentait les tavernes et les filles et avait négligé une lettre de son père qui le pressait de rentrer, sa mère étant gravement malade. A Saint-Marc, il avait prié la Vierge Marie pour qu’il puisse revoir sa mère vivante et promis de lui dresser un autel s’il obtenait son pardon. Engagé par la réalisation de son vœu, il a fait venir un jeune peintre italien recommandé par un ami. Comme il le soupçonnait d’avoir donné à la Madone poignardée placée dans la chapelle les traits d’une femme aimée, il lui a demandé de choisir un autre modèle pour le deuxième tableau.

L’Italien ayant disparu, le négociant n’y a plus pensé, mais vingt ans plus tard, devant sa femme pleurant au chevet de leur enfant malade, il a renouvelé son vœu et de nouveau obtenu une guérison inespérée. Aussi presse-t-il l’artiste de se mettre au travail.  Celui-ci, ébloui par le portrait merveilleux, « touché au plus profond de lui-même parce qu’elle lui avait un peu rappelé son destin personnel », peine à trouver une femme qui ressemble à cette Madone.

Un jour lumineux de printemps, il aperçoit une jeune fille pensive à une fenêtre : une beauté pâle, un air inquiet. « Mais ce qui le surprit, plus encore que la singularité, l’étrangeté de ce visage, ce fut ce miracle de la nature qui, dans les reflets de la fenêtre, faisait resplendir derrière la tête de la jeune fille les feux du soleil, ainsi qu’une auréole autour de ses cheveux noirs et bouclés, étincelants comme un métal noir. Et il crut voir la main de Dieu qui lui désignait ainsi le  moyen d’accomplir son œuvre d’une manière satisfaisante et honorable. »

Il se renseigne : c’est une jeune Juive recueillie par un aubergiste quand il était soldat en Italie puis en Allemagne. L’enfant, seule survivante de sa famille lors d’un pogrom, lui a été confiée par un vieillard, son grand-père, qui l’a supplié de l’emmener avec lui. Il lui a donné une lettre pour un changeur d’Anvers – une somme importante qui lui a permis d’acheter sa maison et sa taverne. L’aubergiste donne son accord au vieux peintre et Esther aussi, bien qu’à quinze ans, elle soit fort timide et peu sociable.

Devant son modèle, le peintre se pose beaucoup de questions. Peut-il honorer Marie en faisant poser une jeune Juive non convertie ? Suffira-t-il de lui raconter l’Annonciation et de lui parler de l’enfant Jésus pour obtenir de son visage l’expression de douceur nécessaire à son sujet ? Le travail sera très lent, le peintre saura se montrer patient et réussira à apaiser la jeune fille, non sans mal, en optant pour un portrait de Vierge à l’enfant. Des émotions fortes naissent de ces séances de pose. Quel en sera le résultat ?

La longue nouvelle de Zweig présente beaucoup de qualités : érudition pour reconstituer l’époque de la furie iconoclaste, complexité des caractères et des sentiments, avec cette part de surnaturel entre mysticisme et magie annoncée dans le titre. Les prodiges de la vie explore la tension intérieure de l’artiste dans la création, a fortiori dans l’art religieux.

Commentaires

  • Tiens, je n'avais jamais entendu parler ni vu ce livre de Zweig que j'admire tant.
    Un sujet tout à fait intéressant...et Anvers!
    Merci beauocup, bonne journée.

  • Je ne sais plus quel blog a attiré mon attention sur cette nouvelle, j'y ai appris cet épisode iconoclaste de l'histoire d'Anvers. Bonne lecture !

  • J'ai lu TOUT Stephan Zweig (quand j'aime un auteur, je lis tout de lui: tout Morand, tout Proust, tout saint- Exupéry, tout Conrad, tout...Stefan Zweig! J'aime l'analyse fine des sentiments pourtant complexes comme tu le soulignes, le style (épuré)qui ne vieillit pas. C'et magnifique.
    Celui- là, je compte bien le relire...Si Dieu me prête vie...

  • Oh, bravo, Anne ! Alors bonne relecture de cette nouvelle & bonne journée.

  • ce livre est parmi toute ma série de livres écrits par stefan zweig, je ne l'ai pas encore lu, mais comme j'aime zweig, je suis sûre qui'l va me plaire :-)

  • Inconditionnelle aussi de Zweig, je vais me précipiter sur ce livre. ! Pour ma part j'admire beaucoup son art de la biographie. Celle sur Montaigne est un hymne majeur à la liberté.

  • @ Niki : Il t'intéressera sûrement et j'espère qu'il te plaira.

    @ Ariane : La réputation de Zweig comme biographe n'est plus à faire, mais j'ai lu peu de ses biographies jusqu'à présent.

  • Je n'ai pas lu cette nouvelle, je ne me souviens même pas en avoir entendu parler. Je viens de voir une parution aujourd'hui sur un peintre que tu apprécies. Tu es sûrement au courant : https://www.arlea.fr/Etre-moi-toujours-plus-fort

  • Merci beaucoup de cette annonce qui m'avait échappée : un livre sur Spilliaert a tout pour me plaire et l'essai de Stéphane Lambert sur Nicolas de Staël m'avait beaucoup plu. Pour une prochaine visite en librairie.

  • Je ne connais pas non plus cette nouvelle de Zweig. Elle me tente, elle parait fouillée avec une étude fine de la création religieuse à cette époque. Merci Tania pour le conseil. Bises chaleureuses.

  • Sur ce blog, je me sens plus partageuse de mes lectures que conseillère. Merci, Claudie, à toi de prolonger si tu le désires.

  • Le contexte historique donne du relief à cette nouvelle, la relation entre le vieux peintre et son modèle n'est pas des plus classiques.

  • Je lis les commentaires au- dessus. Tu aimes Nicolas de Staël? J'adore! J'ai vu la dernière expo à Aix en Provence, vu et revu celles de Beaubourg; lu aussi le livre de Stéphane Lambert (autre Stéphane) et d'autres. C'est MAGNIFIQUE!

  • J'aurais bien voulu voir cette expo à Aix, mais je l'ai manquée. Nous avons bien des admirations communes, Anne.

  • je ne connais pas cette nouvelle de Zweig je vais regarder dans le volume de la pochothèque si je la trouve

  • Bon dimanche & bonne découverte, Dominique.

  • Titre inconnu pour moi aussi. Je viens de sortir des étagères "Les très riches heures de l'humanité" pour découvrir un peu plus Stefan Zweig. Merci pour ce conseil !

  • N'ayant pas lu ces "Très riches heures", j'espère en lire des échos bientôt. Bonne journée, Patrice.

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