Un article enthousiaste de Guy Duplat m’a fait prendre il y a peu la route de Saint-Amand (Sint-Amands) : c’est juste à côté de la maison natale de Verhaeren que le Musée provincial, au premier étage de la bibliothèque communale, propose une exposition sur « Emile Verhaeren & Le Caillou-qui-bique », « lieu mythique lié à Verhaeren comme Combray à Proust ou les Marquises à Gauguin » (Duplat). Le nom du hameau vient d’un rocher saillant « à la silhouette d’un diable, (…) sujet d’innombrables contes et légendes » (Petit guide bilingue de l’exposition).
Sur la rive de l’Escaut, Saint-Amand vaut d’abord la visite pour ce site exceptionnel : la tombe de Verhaeren, où la dépouille de son épouse est venue le rejoindre, domine le fleuve. Tout près, l’église et une brasserie, De Veerman (Le Passeur), et l’embarcadère où un bac transporte promeneurs et cyclistes (très nombreux) d’une rive à l’autre toutes les demi-heures pendant l’été).
Sous les noms d’Emile et Marthe Verhaeren, cette inscription : « Ceux qui vivent d’amour vivent d’éternité. »
Tableaux, sculptures, livres, manuscrits, photos, gravures, textes et lettres font revivre ces années 1899 à 1914 où les Verhaeren aimaient passer le printemps et l’automne dans leur résidence secondaire. La muséographie est chaleureuse : tables en bois de différentes hauteurs et dans tous les sens, avec des tiroirs à ouvrir par les visiteurs, comme y invite aimablement le conservateur du musée, tentures aux motifs végétaux, mur sous-bois (photographie). Toutes les légendes sont en français et en flamand.
De Degouve de Nuncques, deux peintures de l’auberge du Caillou-qui-bique. La maison des Verhaeren (installés alors dans un appartement de Saint-Cloud près de Paris), Marthe Verhaeren (Massin) la représente avec les poules devant une barrière en bois verte. Au départ, ce n’étaient que des étables. Léon Laurent, le propriétaire de la Crémerie, les a réaménagées pour eux. D’anciennes cartes postales et photos rappellent l’atmosphère de l’endroit, à l’époque fort fréquenté pour un bain de nature (vers 1900). « Je ne distingue plus le monde de moi-même, je suis le sol (…) et l’herbe des fossés où soudain je m’affale… » (Verhaeren, La multiple splendeur)
Marthe Verhaeren, La ferme du Caillou-qui-bique (détail)
Stefan Zweig a souvent séjourné au Caillou et y appréciait la vie simple et naturelle de ses hôtes : « Est-ce bien une maison ? Pas même une maisonnette, ce n’est qu’une grange en briques, sans autre décor que les guirlandes de verdure et de roses qui s’accrochent sur le rouge brunâtre de la brique. C’est un ouvrier qui se tient sous les arbres : veston de velours gris, culotte bouffante, sans col ni cravate, des sabots aux pieds, plutôt laboureur, fermier d’Amérique que bourgeois bourgeoisant. » (Stefan Zweig, Souvenirs sur Emile Verhaeren)
Zweig entre Emile et Marthe Verhaeren sur le banc
devant leur maison (Photo sur le site du musée)
De Montald, autre visiteur régulier, les dessins à l’encre de Chine sont autant de portraits vivants. En 1907, dans une lettre à Charles Bernier, ami graveur et aquafortiste, Verhaeren confie avec humour ne pas toujours goûter le calme souhaité dans sa maison de campagne : on lui rend visite, beaucoup d’artistes, d’écrivains, de traducteurs ; on le sollicite – « Mon Dieu, que c’est embêtant d’être quelque chose ! »
Les poèmes de Verhaeren abondent dans l’exposition, on peut aussi en écouter dans une vidéo, comme « Toute la mer va vers la ville » (Le port) et « Je ne puis voir la mer sans rêver de voyage… » (Le voyage). La nature inspire le grand promeneur qu’était Verhaeren – « Je t’apporte, ce soir, comme offrande, ma joie / D’avoir plongé mon corps dans l’or et dans la soie / Du vent joyeux et franc et du soleil superbe… » (Les Heures d’après-midi) – et aussi les hommes « Il n’importe d’où qu’il me vienne / S’il est quelqu’un qui aime et croit / Et qu’il élève et qu’il soutienne / La même ardeur qui règne en moi » (strophe ajoutée à la main par le poète au tapuscrit de Flammes hautes).
Parmi les portraits, en voici deux de Verhaeren avec sa grande cape, son chapeau et sa canne, le plus petit, de dos, inspiré par celui de Montald, comme en recto verso ; ils sont l’un à côté de l’autre, non loin d’un tableau de Marthe Verhaeren montrant son époux à son bureau. Marthe Massin, que le poète considérait comme son « Saint Georges », est très présente dans l’exposition : oeuvres, photos, portraits, textes qui lui sont dédiés. Plusieurs artistes ont sculpté le buste de Verhaeren : César Schroevens (une copie en bronze près de l’accueil), Buleslaw Biegas (ci-dessous), Zadkine (à gauche sur la vue d'ensemble)…
On accède au petit salon adjacent par un palier où l’on peut lire près d’un haut relief cette phrase de Zweig : « Par-dessus la terre de ses pères son amour allait vers l’Europe, vers le monde tout entier, plus que le passé il aimait l’avenir ». On y voit un Portrait en redingote rouge de 1907 par Georges Henri Tribout, une belle illustration de Van Rysselberghe pour « Les errants », entre autres.
Lettre de L. Laurent à Verhaeren
J’ai d’abord cru que cette exposition (jusqu’au 11 novembre 2012) se tenait au Caillou-qui-bique à Roisin (Honnelles), près de la frontière française. Après avoir visité l’exposition de Saint-Amand (un village dont je vous reparlerai bientôt), je suis bien sûr toute prête à prendre la route en direction de ce coin du Hainaut où le grand poète francophone de Flandre, le Belge, l’Européen, qui aurait pu décrocher le Nobel en 1911 à la place de Maeterlinck, se sentait vivre « double et triple ». Là aussi, nul doute, je sentirai la présence de celle qui m’a fait apprendre par cœur, et pour la vie, « Au passant d’un soir ».
Commentaires
merci pour cette belle visite, tania
n'ayant plus de véhicule, je n'ai pas osé me hasarder vers sint-amands
n'étant guère certaine des communications
heureusement grâce à toi, je visite tout de même - encore merci
L'entendez-vous, l'entendez-vous
Le menu flot sur les cailloux ?
Il passe et court et glisse
Et doucement dédie aux branches,
Qui sur son cours se penchent,
Sa chanson lisse.
Là-bas,
Le petit bois de cornouillers
Où l'on disait que Mélusine
Jadis, sur un tapis de perles fines,
Au clair de lune, en blancs souliers,
Dansa ;
Le petit bois de cornouillers
Et tous ses hôtes familiers
Hugo, Verhaeren, José-Maria de Heredia, sont les poètes de mes années d'école qui m'ont le plus marqués. Ils parlent tellement bien de la nature !
J'aime beaucoup sa maison. Merci pour cette intéressante visite qui éclaire le sens de ses poèmes !:)
(PS : j'ai trouvé une vidéo en français sur l'affaire des agressions verbales de femmes dans la rue ; je l'ai donc ajoutée à mon dernier billet. En Belgique au moins, il semble que l'on prenne des mesures ! (pas comme en France)).
"Au passant d'un soir" = le plus beau poème du monde !!!
J'ai lu tout Verhaeren, suis allée deux fois sur cette tombe merveilleuse et Zweig est mon auteur favori !
Merci pour ce billet Tania, il remue bien des souvenirs. Cela me rend triste... mais voilà un sentiment à bannir quand on parle de Verhaeren, lui dont la poésie est d'abord tournée vers l'avenir et vers autrui ;-)
Il faudrait le lire davantage dans les écoles et au théâtre, son oeuvre est d'une force colossale, hallucinante !
@ Niki : Avec plaisir, Niki. Si tu savais combien d'expos j'ai visitées en imagination ;-)
@ Euterpe : Ces poèmes appris et retenus pour la vie, un cadeau précieux de ces années-là. (Je retourne bientôt chez toi pour prendre des nouvelles.)
P.S. J'ajoute une photo pour toi à mon prochain billet.
@ MH : Bonjour, MH. Votre/ton commentaire enthousiaste me fait chaud au coeur. La belle énergie poétique de Verhaeren est intacte, cette exposition permet de s'en rendre compte à nouveau. Une pensée pour tes souvenirs...
Quel travail tu as réalisé là Tania...pour notre plus grand plaisir, merci, merci!
Comme MH, tu remues tant de souvenirs; de la tombe surtout, enfin de cette berge de l'Escaut où jeune nous allions nous balader en famille. Et puis ces poèmes un peu oubliés mais que je relis/relirai avidement.
Illustrations magnifiques pour un billet qui ne l'est pas moins.
C'est en imagination que je vais visiter cette expo avec toi, ce qui est déjà tout un voyage ! Je me souviens bien aussi avoir appris des récitations de Verhaeren à l'école et j'y reviens de temps en temps. J'ignorais que Zweig séjournait chez eux.
Chère Tania,
Merci pour cet excellent et émouvant reportage. J'ai toujours regretté de ne pas pouvoir y aller. Emile Verhaeren est considéré, même par les Français, comme un des plus grands poètes, pourtant pas très connu chez nous sauf "Le passeur", si j'ai bon souvenir dans les livres d'école. Moi, j'aime surtout "Les heures d'après midi".
"Je t'apporte ce soir, comme offrande ma joie
D'avoir plongé mon corps dans l'or et dans la soie"
"Tout doucement, plus doucement encore,
Berce ma tête entre tes bras"
Et mon préféré, dans "Les heures du soir"
"Lorsque tu fermeras mes yeux à la lumière,
Baise-les longuement, car ils t'auront donné
Tout ce qui peut tenir d'amour passionné
Dans le dernier regard de leur ferveur dernière"
Je vais faire l'effort de ne pas recopier tout le poème.
Merci de ce compte-rendu très intéressant et de parler de ce poète qui me tient très à coeur. A bientôt Tania.
Le caillou-qui-bique, quel nom somptueux. Tu écris avec des mots qui touchent. Merci.
@ Colo : Chère Colo, heureuse de partager avec toi cette balade au plat pays qui est le nôtre - à lundi pour la suite.
@ Aifelle : Je n'ai pas encore lu le livre de Zweig sur Verhaeren, mais dans "Le monde d'hier", il y a de belles pages sur leur rencontre, dans le chapitre "Universitas vitae". Un passage : "Dès le premier mot, Verhaeren s'emparait des gens parce qu'il était ouvert à tout, accessible à toutes les nouveautés, ne rejetait rien et restait perpétuellement disponible. Immédiatement, il se jetait de tout son être à votre rencontre et, de même qu'au cours de cette première heure, j'ai eu cent et cent fois le bonheur de le voir se lancer ainsi, impétueux et irrésistible, au-devant de ses semblables. Il ne savait encore rien de moi, mais déjà il m'accordait sa confiance, simplement parce qu'il apprenait que je me sentais proche de son oeuvre."
@ Mado : Merci, chère Mado, de rappeler ces beaux vers, à lire, à relire, à dire... L'exposition m'a décidée à combler les manques de ma bibliothèque. En attendant, j'ai trouvé en ligne une belle édition ancienne des "Heures" : http://www.aml-cfwb.be/docs/previews/ELB-AML-FS16-00141.pdf
@ Un petit Belge : Les annonces de ton blog sur les écrivains belges me sont précieuses, salut à toi.
@ La bacchante : Somptueux - merci pour ce mot.
Votre blog intelligent et beau devrait être publié!
Merci, Dominique, je vais à la découverte du vôtre.
Et pourquoi pas une visite à l'Espace muséal Émile Verhaeren à Roisin et marcher ensuite dans les pas d’Émile et de Marthe Verhaeren sur le circuit des pierres dans le cadre enchanteur du Caillou qui bique le long de la rivière La grande honnelle. (Le chant de l'eau) .
Renseignements: www.emileverhaerenroisin.net Tf 065/52 92 90 Portable
0476/59 82 66 et aussi http://www.tourismegps.be/gps-fr/colonne-de-gauche/les-circuits/les-circuits-du-hainaut-publies-en-francais/sur-les-pas-de-verhaeren.html
René
Merci pour ce beau billet, très intérressant.
J'ai très envie d'aller voir cette exposition !
J'ignorais aussi que Sweig séjournait chez eux.
@ René : Bonsoir, René, bienvenue. La visite au Caillou-qui-bique est prévue pour cet été - merci beaucoup pour les liens.
@ Pâques : Merci, Pâques, heureuse de votre intérêt. A lundi pour la suite.
Ca fait du bien de lire que les visiteurs apprécient l'exposition. Merci pour tous vos commentaires.
Rik Hemmerijckx
Conservateur du Musée Verhaeren
Merci de laisser ici une trace de votre passage - et surtout pour cette belle exposition et pour l'accueil.
Bonjour Madame !
Puisque vous êtes une admiratrice d'Emile Verhaeren et de notre charmant petit coin des Honnelles, sachez que - dans le cadre du 2ème salon des auteurs et éditeurs - j'ai le plaisir de mener une promenade contée le dimanche 21 avril à 15 h. En cas de pluie, je conterai en salle.
Lieu : Centre provincial/ Espace muséal Verhaeren à Roisin
Peut-être aurai-je le plaisir de vous y rencontrer...
Bien à vous.
Danielle BAUDOUR, enseignante, conteuse
Bonsoir, Danielle. Je note l'invitation - pour le printemps 2013, c'est bien cela ?
Je me suis trompée... C'est ce dimanche 21 octobre... Mille excuses.
Oh... Dans ce cas, je ne pourrai y participer, désolée.
bonjour,
je possède un tableau de Verhaeren marchant vu de dos,signé Montald,pouvez-vous m'en dire plus
en vous remerciant
jean
Bonjour, Jean. En cliquant sur "Musée provincial", vous trouverez sur le site du musée un formulaire de contact, à toutes fins utiles.