J'ai pour voisin et compagnon
Un vaste et puissant paysage
Qui change et luit comme un visage
Devant le seuil de ma maison.
(...)
Emile Verhaeren, Mon ami, le paysage
(Les Flammes hautes, 1917)
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J'ai pour voisin et compagnon
Un vaste et puissant paysage
Qui change et luit comme un visage
Devant le seuil de ma maison.
(...)
Emile Verhaeren, Mon ami, le paysage
(Les Flammes hautes, 1917)
Un article enthousiaste de Guy Duplat m’a fait prendre il y a peu la route de Saint-Amand (Sint-Amands) : c’est juste à côté de la maison natale de Verhaeren que le Musée provincial, au premier étage de la bibliothèque communale, propose une exposition sur « Emile Verhaeren & Le Caillou-qui-bique », « lieu mythique lié à Verhaeren comme Combray à Proust ou les Marquises à Gauguin » (Duplat). Le nom du hameau vient d’un rocher saillant « à la silhouette d’un diable, (…) sujet d’innombrables contes et légendes » (Petit guide bilingue de l’exposition).
Sur la rive de l’Escaut, Saint-Amand vaut d’abord la visite pour ce site exceptionnel : la tombe de Verhaeren, où la dépouille de son épouse est venue le rejoindre, domine le fleuve. Tout près, l’église et une brasserie, De Veerman (Le Passeur), et l’embarcadère où un bac transporte promeneurs et cyclistes (très nombreux) d’une rive à l’autre toutes les demi-heures pendant l’été).
Sous les noms d’Emile et Marthe Verhaeren, cette inscription : « Ceux qui vivent d’amour vivent d’éternité. »
Tableaux, sculptures, livres, manuscrits, photos, gravures, textes et lettres font revivre ces années 1899 à 1914 où les Verhaeren aimaient passer le printemps et l’automne dans leur résidence secondaire. La muséographie est chaleureuse : tables en bois de différentes hauteurs et dans tous les sens, avec des tiroirs à ouvrir par les visiteurs, comme y invite aimablement le conservateur du musée, tentures aux motifs végétaux, mur sous-bois (photographie). Toutes les légendes sont en français et en flamand.
De Degouve de Nuncques, deux peintures de l’auberge du Caillou-qui-bique. La maison des Verhaeren (installés alors dans un appartement de Saint-Cloud près de Paris), Marthe Verhaeren (Massin) la représente avec les poules devant une barrière en bois verte. Au départ, ce n’étaient que des étables. Léon Laurent, le propriétaire de la Crémerie, les a réaménagées pour eux. D’anciennes cartes postales et photos rappellent l’atmosphère de l’endroit, à l’époque fort fréquenté pour un bain de nature (vers 1900). « Je ne distingue plus le monde de moi-même, je suis le sol (…) et l’herbe des fossés où soudain je m’affale… » (Verhaeren, La multiple splendeur)
Marthe Verhaeren, La ferme du Caillou-qui-bique (détail)
Stefan Zweig a souvent séjourné au Caillou et y appréciait la vie simple et naturelle de ses hôtes : « Est-ce bien une maison ? Pas même une maisonnette, ce n’est qu’une grange en briques, sans autre décor que les guirlandes de verdure et de roses qui s’accrochent sur le rouge brunâtre de la brique. C’est un ouvrier qui se tient sous les arbres : veston de velours gris, culotte bouffante, sans col ni cravate, des sabots aux pieds, plutôt laboureur, fermier d’Amérique que bourgeois bourgeoisant. » (Stefan Zweig, Souvenirs sur Emile Verhaeren)
Zweig entre Emile et Marthe Verhaeren sur le banc
devant leur maison (Photo sur le site du musée)
De Montald, autre visiteur régulier, les dessins à l’encre de Chine sont autant de portraits vivants. En 1907, dans une lettre à Charles Bernier, ami graveur et aquafortiste, Verhaeren confie avec humour ne pas toujours goûter le calme souhaité dans sa maison de campagne : on lui rend visite, beaucoup d’artistes, d’écrivains, de traducteurs ; on le sollicite – « Mon Dieu, que c’est embêtant d’être quelque chose ! »
Les poèmes de Verhaeren abondent dans l’exposition, on peut aussi en écouter dans une vidéo, comme « Toute la mer va vers la ville » (Le port) et « Je ne puis voir la mer sans rêver de voyage… » (Le voyage). La nature inspire le grand promeneur qu’était Verhaeren – « Je t’apporte, ce soir, comme offrande, ma joie / D’avoir plongé mon corps dans l’or et dans la soie / Du vent joyeux et franc et du soleil superbe… » (Les Heures d’après-midi) – et aussi les hommes « Il n’importe d’où qu’il me vienne / S’il est quelqu’un qui aime et croit / Et qu’il élève et qu’il soutienne / La même ardeur qui règne en moi » (strophe ajoutée à la main par le poète au tapuscrit de Flammes hautes).
Parmi les portraits, en voici deux de Verhaeren avec sa grande cape, son chapeau et sa canne, le plus petit, de dos, inspiré par celui de Montald, comme en recto verso ; ils sont l’un à côté de l’autre, non loin d’un tableau de Marthe Verhaeren montrant son époux à son bureau. Marthe Massin, que le poète considérait comme son « Saint Georges », est très présente dans l’exposition : oeuvres, photos, portraits, textes qui lui sont dédiés. Plusieurs artistes ont sculpté le buste de Verhaeren : César Schroevens (une copie en bronze près de l’accueil), Buleslaw Biegas (ci-dessous), Zadkine (à gauche sur la vue d'ensemble)…
On accède au petit salon adjacent par un palier où l’on peut lire près d’un haut relief cette phrase de Zweig : « Par-dessus la terre de ses pères son amour allait vers l’Europe, vers le monde tout entier, plus que le passé il aimait l’avenir ». On y voit un Portrait en redingote rouge de 1907 par Georges Henri Tribout, une belle illustration de Van Rysselberghe pour « Les errants », entre autres.
Lettre de L. Laurent à Verhaeren
J’ai d’abord cru que cette exposition (jusqu’au 11 novembre 2012) se tenait au Caillou-qui-bique à Roisin (Honnelles), près de la frontière française. Après avoir visité l’exposition de Saint-Amand (un village dont je vous reparlerai bientôt), je suis bien sûr toute prête à prendre la route en direction de ce coin du Hainaut où le grand poète francophone de Flandre, le Belge, l’Européen, qui aurait pu décrocher le Nobel en 1911 à la place de Maeterlinck, se sentait vivre « double et triple ». Là aussi, nul doute, je sentirai la présence de celle qui m’a fait apprendre par cœur, et pour la vie, « Au passant d’un soir ».