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temps - Page 4

  • La lecture

    « Passé le temps de celles qui sont imposées par l’enseignement – de moins en moins imposées d’ailleurs –, la lecture ne peut plus être que la pratique que nous avons adoptée avec le dessein de nous meubler l’esprit, dans l’ambition d’enrichir nos connaissances et notre mémoire, dans le désir d’entretenir les jardins de l’affectif et de découvrir le théâtre de nos émotions. »

     

    Hubert Nyssen, Lira bien qui lira le dernier, Lettre libertine sur la lecture, Labor / Espaces de liberté (Babel), 2004.

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  • Le temps de lire

    « De toute manière, le temps, et en particulier le temps de lire, dites-vous bien qu’on ne le trouve pas, on ne le trouve jamais qui, tout à coup disponible, vous attendrait. Le temps, ça se prend ou ça se perd ! Si vous voulez en disposer, vous ne pouvez que l’attraper, le choper, le ravir. C’est un choix à faire dans les priorités que vous vous donnez. Oui, voilà bien une autre des conditions dont l’avenir de la lecture dépend : l’attitude à l’endroit du temps.

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    Réfléchissez tout de même… Le désir et la capacité d’arrêter le temps n’ont jamais trouvé à se réaliser que dans les œuvres. Un tableau, une symphonie, un poème ou un roman sont autant de cages dans lesquelles le temps se trouve soudainement immobilisé. Et avec lui, vous, pour tout le temps où vous regardez, écoutez, lisez. Ce qui revient à dire que ne pas lire, ce serait perdre deux fois votre temps, le temps de lire et le temps à lire.

     

    Pour avoir organisé de nombreuses lectures publiques, bonnes pages lues par de belles voix, l’occasion m’a maintes fois été fournie de constater que les premières réflexions auxquelles se livrent les auditeurs en s’égaillant ne sont pas seulement pour les textes qu’ils viennent d’entendre, ou pour le talent des acteurs, mais aussi, et parfois même en premier, pour le plaisir qu’ils ont eu de « prendre le temps » d’écouter. Un peu comme s’ils découvraient soudain le sens de l’expression et se rendaient compte qu’à ne pas prendre assez souvent le temps de lire parce qu’ils sont victimes d’empressements auxquels les invitent les sirènes de la société ils laissaient passer la chance de profiter des petites éternités que l’on trouve dans les oasis de la durée. »

     

    Hubert Nyssen, Lira bien qui lira le dernier, Lettre libertine sur la lecture, Labor / Espaces de liberté (Babel), 2004.

  • Jamais assez

    « Mais ce n’était jamais assez, tous deux le sentaient : jamais assez. Et ils s’écrivaient donc des billets brûlants, ils se faisaient passer en secret, comme des écoliers, des lettres folles, enflammées ; le soir, il les trouvait froissées derrière l’oreiller de ses insomnies, elle, de son côté, trouvait les siennes dans les poches de son manteau, et toutes s’achevaient sur le même cri désespéré, cette question fatale : comment supporter une mer, un monde, d’innombrables semaines, deux ans, entre leurs sangs, entre leurs regards ? »

    Stefan Zweig, Le voyage dans le passé

     

  • Revisiter le passé

    Nouvelle inédite de Zweig (1881-1942), écrite en 1929, Le voyage dans le passé (titre conservé bien que raturé dans le tapuscrit) a été publié en 2008 dans une édition bilingue, texte original allemand et traduction française (par Baptiste Touverey), qui a remporté un beau succès. Aujourd’hui, il est disponible au Livre de poche, dans les deux langues, suivi de Stefan Zweig et le monde d'hier, une étude d'Isabelle Hausser (une trentaine de pages).

     

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    Jean Laudy (1877-1956)

     

    « Te voilà ! » : premiers mots des retrouvailles entre un homme et une femme qui ne se sont plus vus depuis neuf ans. Lui, d’origine modeste, travailleur consciencieux,
    devenu l’homme de confiance d’un riche entrepreneur, revient du Mexique où il n’était censé passer que deux ans mais où il a été retenu à cause de la première guerre mondiale. Il y a fait fortune. Elle, l’épouse de l’entrepreneur, s’est éprise de lui secrètement quand il a accepté, à son corps défendant, de s’installer dans leur
    élégante villa, la santé de son employeur ne lui permettant plus de se déplacer.

     

    A la gare de Francfort, ils prennent enfin ensemble l’express du soir pour Heidelberg, déçus du monde qui les prive d’intimité même en première classe où ils espéraient être seuls. « Mon Dieu, comme c’était long, comme c’était vaste, neuf ans, quatre mille jours, quatre mille nuits, jusqu’à ce jour, jusqu’à cette nuit ! Que de temps, que de temps perdu et, malgré cela, surgissait en eux une seule pensée, qui les ramenait au tout début de leur histoire. »

     

    La pauvreté, les railleries des domestiques dans les maisons où il a travaillé comme précepteur, ont rendu le jeune assistant du Conseiller G. farouchement attaché à la liberté d’un chez soi, fût-ce une chambre meublée. Le luxe le blesse, le rend conscient de sa nullité dans « ce monde de l’argent plein de morgue et d’ostentation » où on l’a traité comme un « larbin, valet, pique-assiette, meuble humain, qu’on vend
    et qu’on prête ».
    Mais le malaise ressenti en s’installant dans la chambre d’amis s’évanouit quand il se trouve pour la première fois en présence de la femme du Conseiller. Sa gratitude, ses paroles de réconfort très respectueuses, son souci de tout faire pour qu’il se sente chez eux comme chez lui, lui vont droit au cœur. Délicate « madone bourgeoise », elle lui demande surtout la franchise dans leurs rapports, pacte conclu.

     

    Le voyage dans le passé remonte donc le temps vers ces débuts, cette maison dont il va apprendre à goûter l’harmonie, ces attentions à son égard pour rendre sa chambre « plus confortable, plus colorée et chaleureuse », l’agrément de tenir compagnie à cette femme et à son enfant de onze ans au théâtre ou au concert. « Dès leur première rencontre, il l’avait aimée », mais il faudra du temps pour qu’il se l’avoue et des circonstances très particulières pour qu’il l’exprime ouvertement. Le Conseiller lui donne pleins pouvoirs pour une mission de deux ans au Mexique, où gisent de grandes quantités d’un minerai nécessaire au développement de l’usine de Francfort. « Partir, c’était façonner, créer, c’était les hautes charges », le jeune ambitieux ne peut refuser. Mais partir, c’est quitter cet endroit familier, c’est surtout la quitter, elle, et cette perspective le déchire. Elle aussi, qui se décompose en apprenant la nouvelle et dans un long baiser lui révèle à quel point son amour est partagé.

    Les années mexicaines, le retour en Allemagne, les retrouvailles avec une femme devenue veuve entre-temps, alors que lui s’est marié et est maintenant père de famille, Zweig les raconte avec son art habituel de tisser une atmosphère, d’effleurer les sentiments de plus en plus près jusqu’à leur donner une intensité palpable. Revisiter le passé, c’est, comme elle le dit à son amour d’autrefois, découvrir que « on change, mais on reste la même personne. »

  • Frontière obscure

    « Tout propos d’ailleurs, même le plus ridicule, prononcé peu avant la mort de quelqu’un, frôle la frontière obscure de la prophétie, mais il ne faut jamais oublier que le temps ne s’écoule que dans un sens, et que ce qu’on voit en le remontant est trompeur. Le temps n’est pas un palindrome : en partant de la fin et en le parcourant à l’envers dans son entier, il semble prendre d’autres significations, inquiétantes, toujours, et il ne faut pas se laisser impressionner. »

     

    Sandro Veronesi, Chaos calme 

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