On peut compter sur Denis Grozdanovitch (Petit traité de désinvolture, Rêveurs et nageurs, L’art difficile de ne presque rien faire) pour nous faire humer une atmosphère ou savourer la grâce d’un moment perdu. Son Petit éloge du temps comme il va, dans une collection que vous connaissez, s’ouvre avec Proust – « On dirait que le temps a changé. Ces mots me remplirent de joie (…) » – et les citations, les extraits plutôt ne manquent pas chez ce grand lecteur sous ses airs de dilettante, toujours à propos.
La sagesse d’une vieille Russe – « Il fait mauvais temps et nous attendons qu’il change. Mais il vaut mieux qu’il fasse mauvais temps que rien du tout et que nous attendions au lieu de ne rien attendre » – amorce une réflexion sur ce mot identique en français pour désigner « le temps qu’il fait et le temps qui passe ».
Comme beaucoup, il me semble, Grozdanovitch ressent un lien entre météo et humeur : « A vrai dire, il m’a toujours semblé que la météorologie climatique induisait en nous-mêmes, selon les variations de l’atmosphère, une météorologie plus subtile : celle de nos états d’âme. »
N’en déduisez pas qu’il privilégie une saison au détriment d’une autre, sa bienveillance accueille tous les éléments, avec une prédilection pour la pluie qu’il aime depuis l’enfance, reconnaissant à son père de lui avoir fait remarquer, lors d’une séance d’aquarelle sur le motif, « à quel point sous la pluie les couleurs s’approfondissaient alors qu’elles étaient aplanies par le grand soleil. »
Longues lectures des jours de pluie dans lesquelles ils s’embarquaient, sa sœur et lui, « chacun à un bout de la pièce », temps propice au recueillement, plaisir de regarder le ciel se transformer, la lumière changer, d’un endroit bien protégé, parfois en compagnie d’un chat complice « clignant doucement des yeux ». Jours pluvieux à écrire en rythme. Attente des éclaircies pour retourner sur le terrain de tennis, de quoi former « de fins météorologues amateurs, rompus à scruter et à interpréter les moindres variations du ciel. »
Observant les formes des nuages, décelant dans leurs incessantes transformations quelque signe révélateur sur le monde ou sur lui-même, il redécouvre sans le savoir la néphomancie, ancienne forme de divination. Excellent antidote, écrit-il, « à tout excès de rationalité, tant la matière vaporeuse, presque onirique, de ce que nous avons sous les yeux est propre à nous rappeler la consistance essentiellement impondérable de la plupart de nos aspirations, ambitions, prospectives et autres plans tirés sur la comète. »
Grozdanovitch évoque « l’adorable grisaille parisienne », des souvenirs pluvieux de Londres, New York, Venise… Puis viennent le vent et ses sortilèges, « l’heure soyeuse » des jours de neige – le soleil est peu présent, en réaction sans doute au diktat commercial d’éternel été. Quant au vieux rêve de l’humanité, « suspendre le temps », les poètes et les philosophes ne cessent de l’aborder, c’est l’occasion pour l’auteur de revenir à Proust et à d’autres qui ouvrent la voie à la « conquête du temps essentiel, synonyme de libération intérieure ».
Ernst Jünger, dans Le mur du temps (1963) : « L’homme qui n’a pas le temps, et c’est là une de nos caractéristiques, ne saurait guère avoir de bonheur. Nécessairement, de grandes sources se ferment à lui, de grandes forces comme celles du loisir, de la foi, de la beauté dans l’art et la nature. » Grozdanovitch s’exerce à « ralentir certains moments », ce qui requiert « stratégie et tactique » et nous vaut de belles pages sur la danse, le sport, l’écriture, la musique.
Petit éloge du temps comme il va distille mine de rien un appel à résister aux injonctions hyperactives de notre époque et à s’éloigner des lieux communs du bonheur médiatique. La lecture de cet essai porte à siffloter, quel que soit le temps qu’il fait, et ouvre des fenêtres dans le temps qui passe. C’est une question d’attitude, donc un choix, et si l’auteur explore des manières inédites de prendre le temps « comme il va », nous pouvons aussi y reconnaître certaines des nôtres – « Une intense décélération se produit invariablement lorsque je franchis la porte d’un musée. »
Commentaires
"Parler de la pluie et du beau temps" c'est ce qui reste de plus précieux aux humbles gens. Bouger, courir, s'agiter sont devenus les leitmotive d'une société qui se contente du superficiel .
Nous avons une chance inouïe, celle de connaître un ciel qui évolue au fil des saisons.
Les nuages de Colo arrivent jusque chez nous, un peu "déchirés" par le voyage, mais nous les reconnaissons entre mille !
Très bonne semaine Tania et pardonnez-moi de ne pas laisser plus de commentaires, même si je viens ici chaque jour. Mais devant votre érudition et celle de vos commentateurs je me sens un peu "handicapé" :)
Cher Gérard, comme vous, j'adore regarder le ciel changer à vue comme en cet instant où s'effacent peu à peu les traces de bleu. Dans le Midi, j'ai admiré des nuages d'encre splendides avant que l'orage nous rattrape et que la grêle nous fasse ranger la voiture sous un olivier protecteur. (Je n'ai pas encore eu le temps de charger mes photos, j'ai paré au plus pressé pour illustrer.)
Désolée, vraiment, que quelque chose sur ce blog vous dissuade de commenter, je suis toujours heureuse de lire vos remarques et apprécie beaucoup votre point de vue. Contente que le temps qu'il fait et le temps qui passe vous aient incité à reprendre la conversation. Si vous passez à Bruxelles, faites signe, nous pourrions la prolonger autour d'une tasse de thé ou de café. Bonne journée !
Je suis contente de te retrouver, j'espère que les vacances ont été réussies, sans incident fâcheux cette année. Gérard va me faire peur en évoquant l'érudition de certains commentateurs, il n'en faut pas tant que cela pour admirer les nuages et laisser courir son imagination. Chacun fait sa lecture, là où il est, n'est-ce-pas.
Ma bibli a invité cet auteur, ce fut un régal d'esprit (abordable) et lire ses livres est une jolie expérience. je suis contente de le retrouver ici.
Photo de vacances?
J'adore!
J'adore les écrits sur le temps, les nuages (merci pour le lien), la pluie..celui-ci m'a l'air super.
Ta photo, oui, est magnifique.
ah te voilà de retour :-)
je comprends Gérard, je pourrais dire exactement comme lui!
Vous n'avez pas à être désolée Tania ,ce n'était pas une critique, bien au contraire . J'admire celles et ceux qui prennent le temps et qui ont le goût de lire et surtout qui ont gardé en mémoire les auteurs et leurs histoires .
Je l'ai perdue ( la mémoire des livres) un jour de Novembre et depuis j'ai toujours beaucoup de mal à "tourner la page" . Merci beaucoup pour votre invitation. Je passerai volontiers à Bruxelles, j'en ai gardé d'excellents souvenirs.
Et merci pour le "repos" que me procure votre blog.
Petite photo qui incite fortement au "carpe idem" comme l'auteur qui est un rusé en la matière et fort drôle souvent
Soyons évidemment sensible à l'extrait de Jünger... la force du loisir, de l'ennui même.
Matérialisé par le quadrant solaire... du Midi, je parie ?
C'est toujours l'heure des amis, qui ne vous oublient pas.
@ Gérard : Ecrire donc, contre la mémoire traîtresse. Bonne journée, Gérard.
@ Aifelle : Merci de ta sollicitude. Les sentiers du littoral, le vert frais des pins parasols et les parfums du midi, la mer très changeante d'un jour à l'autre - tout cela m'a fait beaucoup de bien.
@ Keisha : J'aimerais beaucoup écouter Grozdanovitch, merci de partager cette lecture.
@ Marlyse : Photo d'autres vacances, oui, merci, dans la Drôme - une maxime irrésistible. A bientôt.
@ Colo : Ton blog est encore dans les nuages, et même en musique, j'arrive. Ah j'ai souvent pensé à toi en lisant ses pages sur la pluie.
@ Adrienne : Au retour, par ce temps si agréable, je me suis d'abord occupée de mon jardin en pots et du ménage, mais ce sera un plaisir de retrouver bientôt les blogs amis. J'ai sans doute beaucoup à découvrir chez toi.
@ Dominique : Bonjour, Dominique, j'ai pensé à toi en traversant Lyon. Un choc, ce nouveau musée aperçu de l'autoroute !
@ Christw : Merci d'apprécier cette citation de Jünger et d'être si attentif au "Semper amicis hora".
Comme j'aime venir par ici, apprendre des tas de choses, rencontrer de nouveaux livres, de nouveaux écrivains.
Merci pour ce dernier livre dont vous parlez, et qui me tente bien.
Bon week end.
Il me semble que Grozdanovitch & Bonheur du jour pourraient bien s'entendre. Bon week-end dans votre belle région.
Plaisir de te lire, de se laisser tenter par ce titre aux si jolies évocations de saisons, de ciels et d'auteurs.
Merci, Marilyne. Je viens de découvrir un autre titre de cette collection chez toi, que je lirai certainement.
Quel succès pour les petits éloges cette année ! Je ne cesse de les voir sur les blogs, et cette belle évocation chez vous (de celui-ci qui me reste à lire et de mon préféré, celui du sensible) me fait très plaisir (même si, comme Gérard, je ne sais pas toujours comment le dire). Je vais probablement me laisser entraîner par ces lignes, au gré du temps, prochainement.
Une collection qui repose a priori sur l'enthousiasme, c'est porteur ! 37 titres déjà, il me reste beaucoup à découvrir. Merci pour ton passage, Mina, et bon week-end.
J'aime beaucoup cette collection et cet auteur est un de mes favoris. Je vais donc m'empresser de le lire. Merci Tania pour cette précieuse veille.
Bonne lecture, Zoë. Un auteur à suivre les yeux ouverts.