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france - Page 8

  • Portrait de Paul

    Picasso Moma PR_8-Picasso-PR-print.jpg« Le portrait de Paul lui-même, un dessin dont la lumière du jour a, depuis 1919, fait pâlir le trait, est plus attachant aussi. Paul est élégant, moustaches, bottines et costume à gilet. Il est assis, décontracté, sur une chauffeuse, le bras gauche nonchalamment posé sur le dossier. La main droite, aux doigts fins, repose sur l’un de ses genoux, accompagnée de son éternelle cigarette. Ce petit tableau est dessiné, comme le grand portrait familial, à la manière d’Ingres, avec, en revanche, l’œil perçant et malicieux de mon grand-père, très Picasso. « Un mélange d’aise et de sophistication accompagné d’un regard intense qui était sa marque de fabrique. » (Michael FitzGerald)

    Anne Sinclair, 21, rue La Boétie

    Pablo Picasso, Portrait de Paul Rosenberg, Hiver 1918-1919, Collection particulière © Succession Picasso 
    (Reproduction du MoMA d'après une photo, de moindre qualité que le portrait sans ombre exposé à Liège)

  • Retour rue La Boétie

    21, rue La Boétie, le récit d’Anne Sinclair paru en 2012 est à l’origine de la belle exposition prolongée jusqu’au 19 février à Liège (avant le musée Maillol à Paris, de mars à juillet). Il commence par cette histoire ahurissante en 2010, dans une préfecture : la mention de sa naissance à l’étranger (New York) amène un employé à lui demander d’abord, vu « des directives nouvelles », l’extrait de naissance de ses parents et puis, carrément : « Vos quatre grands-parents sont-ils français ? »

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    Anne Sinclair et son grand-père Paul Rosenberg

    « La dernière fois qu’on a posé ce type de questions à ceux de leur génération, c’était avant de les faire monter dans un train à Pithiviers, à Beaune-la-Rolande ou au Vel d’Hiv ! » s’étrangle-t-elle. Rien à faire. « Pendant des années, je n’ai pas voulu écouter les histoires du passé ressassées par ma mère. » Micheline Rosenberg-Sinclair, à qui son livre est dédié, l’ennuyait « un peu » en lui racontant l’histoire de ses grands-parents maternels.

    « Ce que j’aimais, c’était la politique, le journalisme, le côté du père plus que celui de la mère. » Robert Sinclair (ex-Schwartz), d’abord simple soldat affecté à la météo en 1939, s’était engagé une fois démobilisé via les Etats-Unis dans la France Libre, combattant cette fois au Proche-Orient. On lui avait conseillé de changer de nom et il avait choisi dans le bottin téléphonique new-yorkais ce nom irlandais très commun, « Sinclair ». Après la guerre, il avait décidé de le garder, sans doute pour éviter à sa fille « les périls qu’un nom juif avait fait subir à sa famille. »

    La mort de sa mère a donné à Anne Sinclair l’envie de mieux connaître « ce monsieur qui s’appelait Paul Rosenberg et qui habitait à Paris, au 21 de la rue La Boétie. » Une façade que sa mère lui montrait chaque fois qu’elles passaient devant, où sa fille ne s’était jamais arrêtée. En avril 2010, elle téléphone à la société qui y a des bureaux, on lui permet d’y jeter un coup d’œil. Tout a été transformé mais elle repère certains éléments des photos d’archives familiales, imagine les lieux du temps de la fameuse galerie Paul Rosenberg.

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    Après la guerre, l’Etat français en a chassé les collaborateurs du sinistre Institut des questions juives et y a installé le siège de Saint-Gobain, avant de restituer l’immeuble à son propriétaire qui finit par le vendre en 1953 – impossible d’habiter là où les caves contenaient encore de la propagande antisémite. Anne Sinclair raconte ces « années noires », tandis qu’en Allemagne on opposait l’art « dégénéré » et l’art allemand, une idéologie si bien montrée à la Boverie. 

    Alors que l’exposition présente la vie de P. Rosenberg chronologiquement, le récit commence par « Le 21 à l’heure allemande » et par la saga des œuvres pillées par les nazis, évoquée dans le billet d’octobre dernier. Paul Rosenberg s’était réfugié un temps à Floirac, près de Bordeaux. Anne Sinclair s’y est rendue et rapporte les occupations de son grand-père en 40, avant qu’il ne quitte la France en catastrophe : les visites de Braque, « troublé et malheureux », les contacts avec Matisse installé à Nice, avec Picasso à Royan, « pas très loin ». Grâce à ses liens avec Alfred Barr, conservateur du MoMA, Rosenberg réussit à obtenir des visas pour toute sa famille qui débarque à New York en septembre 1940.

    Anne Sinclair relate ses recherches, et sa façon de remonter le temps, à la fois journalistique et personnelle, laisse les lecteurs témoins de ses impressions, de ses doutes, de ses émotions. Visite des archives dans les entrepôts du Centre Pompidou, visite du garde-meubles où se trouvent les caisses de France Forever dont sa mère a été la secrétaire générale – « une tâche exaltante, pour laquelle elle s’était dévouée tout entière, avec talent et imagination » – une exception dans sa vie « conventionnelle, conjugale et maternelle » qui a paru « archaïque », comme un « gâchis », un anti-modèle pour sa fille.

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    Au musée de la Boverie, une grand photo de la cage d'escalier au 21, rue La Boétie (source)

    A partir des papiers et des lettres de son grand-père obsédé par ses tableaux, soucieux pour son fils Alexandre et sa fille Micheline, tendre pour sa petite-fille (« ma cocotte chérie »), des photos, se dessine peu à peu le portrait d’un homme « anxieux » et « pudique » qui, dans les années 50, se plaignait « de sa santé, mauvaise, et de ses affaires, en fait prospères, mais qu’il trouvait exécrables ». « Il demeurait préoccupé de l’avenir, sans insouciance ou soulagement du cauchemar désormais fini. »

    Le mot « marchand » gênait Anne Sinclair, lui paraissait impur quand il s’agissait de tableaux et d’art. Mais en découvrant le parcours de son grand-père, à la suite de son propre père, elle découvre un « passionné » d’art, défenseur des modernes, qui écrivait : « Les peintres en avance sur leur époque n’existent pas. C’est le public qui est parfois à la traîne de l’évolution de la peinture. (…) Trop souvent, le spectateur cherche en lui-même des arguments contre leur art plutôt que de tenter de s’affranchir des conventions qui sont les siennes. »

    « C’est sans doute ce qui me réconcilia avec ce mot de marchand : parti de rien, mon arrière-grand-père fit sa propre éducation artistique, en se fiant à son goût audacieux. » Lui s’était passionné pour Manet, Monet, Renoir – « une passion, devenue un métier. » 21, rue La Boétie raconte le parcours de Paul Rosenberg, ses erreurs, ses intuitions, ses goûts, son œil « légendaire » pour reconnaître les œuvres de qualité exceptionnelle.

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    Pablo Picasso, Portrait de Mme Rosenberg et de sa fille (Micheline), 1918, musée Picasso, Paris (photo RMN)

    Anne Sinclair s’arrête sur le portrait que Picasso a peint pour son ami Paul, « Portrait de Mme Rosenberg et de sa fille » : « Je l’ai autrefois dédaigné, en le trouvant trop conventionnel, sorte de Vierge à l’enfant sur un fauteuil Henri II. Désormais, je viens méditer devant lui au musée Picasso, où j’ai toujours pensé qu’il avait sa place. » En 1918, il avait fait sensation, en rupture avec le cubisme. Tout un chapitre est consacré à l’amitié entre « Paul et Pic ».

    Enfin, Anne Sinclair évoque New York, ville refuge de sa famille, et la galerie PR & Co. « J’y ai passé tant de Noëls que jusqu’à une époque toute récente, New York avait pour moi un parfum envoûtant », écrit-elle discrètement. Les marches de la maison de la 79e Rue « étaient autrefois encadrées du Penseur de Rodin et de son camarade, L’Age d’airain. » C’était la neige, les vacances, les interminables discussions familiales sur la France, les gâteries des grands-parents, « le paradis pour l’enfant que j’étais ».

  • L'attente

    djavadi,négar,désorientale,roman,littérature française,iran,france,culture« Nos sociétés organisent habilement l’attente. Des gens font la queue des nuits entières pour le dernier modèle d’un ordinateur, des tickets de concert, des jeux vidéo, des articles soldés. Nous attendons le premier du mois devant les guichets de la RATP. Nous attendons devant les universités, à la caisse du supermarché, au téléphone, dans n’importe quelle administration. Au sud de la Méditerranée, devant les ambassades occidentales, les queues s’allongent dès le matin pour un visa. Ailleurs, c’est la pénurie ou la guerre qui fait son travail. L’attente est un phénomène progressif et sournois, une activité en soi. Et pendant que nous attendons, par nécessité, besoin, désir ou mimétisme, nous ne nous révoltons pas. La ruse consiste à détruire chez les individus leur énergie, leur capacité à réfléchir, à s’opposer. Les réduire à des objectifs instantanés, aussi fugaces qu’une jouissance. Quand je dis ce genre de choses, mes sœurs poussent un soupir agacé. « Tu exagères ! » Elles appuient sur le « x » comme sur une pédale de frein censée couper court à mon délire. Elles préfèrent que nous parlions le moins possible de société et de politique, que nous nous en tenions aux histoires de famille, aux études et activités culturelles des enfants. Mes parents ont épuisé leurs quotas de tolérance quant à ces sujets. »

    Négar Djavadi, Désorientale

  • Désorientale

    C’est en écoutant Négar Djavadi parler de Désorientale sur France Inter, un dimanche de septembre, sur la route, que m’est venue l’envie de lire ce roman. Je l’ai reçu il y a peu (merci encore), et une fois ouvert, je ne l’ai plus lâché. L’histoire d’une Iranienne réfugiée en France et de sa famille – comme celle de la romancière, « une famille d’intellectuels opposants au Shah puis à Khomeiny » – traverse tout le XXe siècle, avec des allers et retours constants entre la vie au présent de Kimiâ, la narratrice, une jeune femme d’aujourd’hui, et des épisodes de leur passé.

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    http://www.lci.fr/livre/avec-desorientale-negar-djavadi-jette-un-regard-persan-sur-la-litterature-francaise-2001890.html

    Kimiâ se rappelle la réponse de son père, Darius Sadr, la première fois qu’elle est descendue avec lui dans le métro parisien, en 1981, et s’étonne de ne pas le voir prendre l’escalator : « L’escalator, c’est pour eux. » Elle avait dix ans et ne comprenait pas tout, mais elle se souvient de son regard « désarmé ». Darius Sadr est le héros de cette famille qu’elle nous décrit par « soubresauts organiques », s’appuyant sur une mémoire « imparfaite, mais sincère », et postposant toujours le récit de « l’événement ».

    A présent, elle attend à l’hôpital Cochin une insémination artificielle, seule, alors que les autres patients sont en couple. « On écoute mieux avec les yeux qu’avec les oreilles. (…) Si tu as quelque chose à dire, écris-le », disait son père. « J’ai changé de pays et de langues, je me suis inventé d’autres passés, d’autres identités. J’ai lutté, oh oui, j’ai lutté, contre ce vent impétueux qui s’est levé il y a très longtemps, dans une province reculée de la Perse nommée Mazandaran. »

    Et voici la première de ces histoires gigognes qui jalonnent le récit, « La Fameuse Histoire d’Oncle Numéro 2 », telle que la contait Saddeq Sadr. Elle se termine à la naissance de Nour, la grand-mère paternelle que Kimiâ n’a pas connue. Tandis que son oncle racontait et pleurait, de l’autre côté de la fenêtre, « la Révolution était en marche », les habitants de Téhéran criaient « Mort au Shah » et « Allah Akbar ».

    Saddeq Sadr vient de mourir. Sa sœur aînée, Leïli, « sensible et fragile comme de la vieille dentelle », vient de le lui annoncer, sans oser le dire à leur mère, Sara. L’épouse de Darius, si drôle et si active, « débordante d’amour et d’anxiété pour l’humanité entière », n’est plus la même depuis « l’événement ». C’était l’oncle dont Kimiâ se sentait le plus proche. Elle se souvient de leur premier séjour chez lui en août 1978, quand « le mouvement de protestation contre le régime du Shah s’était radicalisé » : la police était à la recherche de leur père, « le Sakharov d’Iran », caché quelque part dans Téhéran, et leur mère, à la suite d’une violente altercation avec un haut gradé de l’armée, avait été hospitalisée.

    Leïli, Mina et Kimiâ, les trois filles de Darius et Sara, ont fréquenté l’école française. C’était cher, mais leur mère francophile, enseignante dans un lycée public, rêvait pour ses filles d’études supérieures à l’étranger (un très beau personnage). « Contrairement à mes sœurs, je n’aimais pas le français, une langue que je trouvais alambiquée/ampoulée et avec laquelle je refusais de nouer le moindre contact en dehors de l’école. » Kimiâ ne jugeait pas le français supérieur au persan et n’aimait pas la suffisance des lycéennes par rapport aux Iraniens.

    Tout tournait autour de Darius, dans leur famille, mais lui ne s’intéressait qu’à la politique et à la philosophie. « Nous vivions à côté de lui, grandissions, mangions, réussissions des examens, ouvrions la porte d’entrée, tombions malades, obtenions des diplômes, fermions la porte d’entrée sans qu’il s’en aperçoive. »

    Le silence de la salle d’attente autour de Kimiâ est aux antipodes de ce que serait la même scène en Iran où on n’aime «  ni la solitude, ni le silence », où tout se passe dans des bavardages sans fin – un besoin de communiquer étranger aux Français qui restent fermés sur eux-mêmes et leur espace vital.

    Je ne vous raconte rien de la suite. Après ces 50 premières pages sur 350, vous aurez compris l’allure du roman : Négar Djavadi, telle Shéhérazade, passe d’une histoire, d’une situation, d’un événement à l’autre, bousculant la chronologie, attisant le mystère, égrenant peu à peu les joies et les douleurs d’une jeune femme plutôt en rupture avec le modèle familial – qui aurait cru qu’elle aussi, un jour, comme ses sœurs, voudrait être mère ? – mais qui se sent dépositaire de tous ces récits de famille entrelacés à l’histoire d’un pays, d’une époque.

    Vie en société, choix politiques et libertés personnelles, condition de la femme, multiples sont les thèmes de réflexion qui nourrissent ce premier roman. Diplômée de l’INSAS à Bruxelles et scénariste, réalisatrice de documentaires, Négar Djavali le divise en « face A », les histoires d’une famille en Iran et en France, et « face B », la quête personnelle d’une jeune femme homosexuelle et passionnée de rock alternatif. Kimiâ, la petite fille « désorientée » pendant la fuite hors d’Iran n’est à présent plus tout à fait une Orientale ni une Occidentale, d’où ce joli titre : « Désorientale ».

  • Le grand escalier

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    « D’un dessin épuré, le grand escalier construit dans le belvédère est d’une simplicité remarquable. Traité en marbre noir et blanc et doté d’une rampe linéaire en marbre noir, il relève de l’esthétique dépouillée qu’affectionnait Mallet-Stevens. »

    La Villa Cavrois, Editions du Patrimoine, Centre des Monuments nationaux, Paris, 2015.