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armée

  • Vrille

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    Complètement affolé, j’arrache la poignée de largage du « hood » – qui me reste dans la main – j’essaye de me dresser sur mon siège pour sauter en parachute en oubliant de me détacher – je ne parviens qu’à me cogner atrocement la tête...
    Je sors du nuage en vrille – la terre est là, à moins de mille mètres. Je pousse à fond sur le manche tout en ouvrant plein gaz. Le moteur tousse et reprend d’un seul coup, à en arracher le bâti du fuselage. La vrille se transforme en spirale ; je tâte doucement ma profondeur qui accroche – les champs arrivent cependant vite dans mon pare-brise...
    Je rétablis à moins de cinquante mètres.
    J’ai eu chaud. Je relève mon casque, et je sens mes cheveux trempés de sueur. »

    Pierre Clostermann, Le Grand Cirque

    *Abat(t)ée : Chute en piqué à la suite d’une perte de vitesse qui rompt l’équilibre horizontal de l’avion (TLF)
     Couverture de la réédition en 2008

  • Pilote de chasse

    Quand un jeune pilote de chasse de la Force Aérienne belge offre à sa fiancée Le Grand Cirque de Pierre Clostermann, en 1948, c’est sans nul doute pour partager une passion – celle de voler – et une admiration. Les « Souvenirs d’un pilote de chasse français dans la R. A. F. » témoignent de quatre années de guerre, de 1942 à 1945, et de l’héroïsme de ces combattants jamais sûrs de rentrer vivants d’une mission, si nombreux à y avoir laissé leur vie. Dédié à son vieux coéquipier, à ses camarades de France et de la Royal Air Force, son récit fait revivre ces années d’action et d’engagement aux côtés de ses camarades « morts pour la France » et « sur qui l’oubli tombe si vite », écrit-il.

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    Enfant unique, Pierre Clostermann (à Londres) voulait raconter à ses parents (à Brazzaville) « cette vie nouvelle, si pleine d’émotions, d’imprévu – ingrate, mais très belle » plus largement que par « la carte-lettre aérienne mensuelle autorisée » ; tous les soirs, il décrivait sa journée dans un gros cahier d’ordonnance (trois en tout). Lui a survécu à quatre cent vingt missions de guerre et ce sont les pilotes survivants qui ont dû visiter les familles de leurs amis qui n’étaient pas revenus – évoquer ce vécu était une raison de plus pour publier une sélection de pages significatives. Pas une œuvre littéraire, mais « au jour le jour, des impressions, des instantanés photographiques, des images gravées au passage dans [sa] mémoire. » (Avant-propos)

    « Pilote au groupe Alsace », la première partie, commence à la sortie des élèves pilotes du Royal Air Force College de Cranwell : fiers de leur uniforme français bleu marine aux boutons d’or, Pierre C. et un camarade arrivent en train à Rednal un jour de neige « pour un cours de conversion sur Spitfire avant de partir en escadrille » – « Le grand jour est arrivé ! » Quelle excitation à son premier contact avec le Spitfire, « les lignes racées du fuselage, le moteur Rolls Royce finement caréné ; un vrai pur-sang… »

    Manœuvres de préparation au vol, autorisation à décoller, le cœur qui bat la chamade : « Soudain, comme par miracle, le souffle coupé, je me trouve en l’air. » Il dispose d’une heure pour faire connaissance avec l’avion. Pendant deux mois pénibles d’hiver, les cours se succèdent, les heures de vol sur Spitfire s’accumulent, les séances de tir aérien… Premiers accidents, premiers deuils. Et enfin, le jour des affectations : « Trois jeunes sergents pilotes débarquent à Edimbourg. Le monde est à eux. » Avec Marquis, déjà sur place, ils forment le « 341 squadron » au sein du groupe de chasse « Alsace ».

    « Puis les pilotes arrivent un par un des quatre coins de l’Angleterre, après s’être arrachés des quatre coins de la France occupée pour venir se battre. Une sélection naturelle imposée par la volonté, le patriotisme. Toutes classes sociales – mais une élite. » Les Croix de Lorraine peintes sur les fuselages des Spitfires, le groupe « Alsace » est affecté à l’escadre de Biggin Hill, au sud de Londres, « la base qui compte le plus de victoires, et qui est réservée aux groupes les plus sélectionnés de la R. A. F. »

    Allergiques à Top Gun s’abstenir. Clostermann utilise le jargon anglais des aviateurs (traductions et explications en bas de page) pour détailler les dispositifs et les procédures de vol, le « briefing » (exposé des buts et des méthodes de la mission), l’attente, les communications, le tout mis dans l’ambiance avec la météo, la tenue du jour, etc. Il nous décrit le ciel, les nuages, la terre vue d’en haut. Il faut scruter l’air sous tous les angles pour repérer les avions ennemis – Messerschmitt ou Focke Wulf –, les surprendre et les attaquer, leur échapper par des manœuvres de haute voltige, pousser l’appareil et son propre corps jusqu’aux limites.

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    Royal Air Force- 2nd Tactical Air Force, 1943-1945.
    Le
    Sous-Lieutenant Pierre Clostermann (à gauche) félicite le Flight Lieutenant K L Charney dans le cockpit de son Supermarine Spitfire Mark IXB, à leur retour à B11/Longues, Normandie, après une sortie en soirée où chacun d'eux a abattu un Focke Wulf Fw 190.
    Les deux pilotes servaient dans le 602 Squadron RAF.

    Il y a l’exaltation des victoires, la peur dans la bagarre contre la Luftwaffe, la joie de se sortir des situations qui semblent perdues, les bons et les mauvais pressentiments, la panique noire, les atterrissages forcés, l’épuisement. Et, mission après mission, les terribles bilans au retour à la base : autant d’avions perdus, autant de pilotes « manquants ».

    Le 28 septembre 1943, Pierre Clostermann quitte Biggin Hill : « Détaché à la Royal Air Force » (deuxième partie). La R. A. F. a besoin d’escadrilles pour appuyer l’invasion du Continent « en étroite coopération avec l’armée ». Les pilotes de chasse volent aussi en protection des bombardiers, en escorte de « Forteresses Volantes américaines ». Un des objectifs est de détruire les lieux de construction des redoutés V-1. Puis c’est le débarquement en Normandie et les premières nuits en France, en juin 44.

    En troisième et dernière partie, l’auteur relate ses « Commandements dans la R. A. F. » D’abord sur Typhoon, « d’une instabilité latérale effarante », puis sur Hawker Tempest V, « le chasseur le plus moderne ». Tandis que les services d’information alliés prétendent que l’Allemagne n’a plus d’avions ni de pilotes, la R. A. F. les combat sans relâche, les usines allemandes se montrant terriblement efficaces pour continuer la production d’avions, jusqu’à plus de deux mille par mois en novembre 1944 et cela, malgré les bombardements. Les usines ciblées sont rapidement remises en état et les usines souterraines se multiplient.

    Quand viennent l’armistice, les jours de fête de la Libération, « la porte se ferme ». Sur les aéroports tombe un silence « inaccoutumé, épais, pesant », le sentiment d’une page qui se tourne. « C’était trop vrai, on n’avait plus besoin de nous et on nous le fit sentir vite. »

    Le Grand Cirque – le « Cirque » ou le « show » était le nom donné par la R. A. F. aux missions importantes – a été « publié à 3 millions d’exemplaires, et traduit dans plus de 30 langues. Il rencontre un succès mondial et est adapté en bande dessinée et au cinéma à plusieurs reprises. Selon l’auteur américain William Faulkner, « Le Grand Cirque est le meilleur livre qui soit sorti de la guerre. »» (Wikipedia)

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    Les adieux de Pierre Clostermann au "Grand Charles" (Tempest) le 27 août 1945 (illustration du livre)

    La dédicace de la main de mon père sur la page de garde, à celle qui n’était pas encore ma mère, m’a poussée à lire le témoignage de Pierre Clostermann. J’imagine mieux les exercices périlleux, l’état d’esprit et les sensations des jeunes pilotes de chasse formés à la R. A. F. juste après la guerre, comme mon père qui a volé sur Spitfire, mais n’a jamais dû combattre dans les airs, heureusement (même si sa vie a été trop courte). Un livre à conserver précieusement dans ma bibliothèque.

     

  • Pas seuls

    llop,josé carlos,parle-moi du troisième homme,roman,littérature espagnole,1949,franquisme,armée,famille,culture« Mon père et moi n’étions pas seuls parce que nous avions ma mère, mais parfois je doutais que notre famille fût une famille. Lorsque nous restions seuls à la maison, j’avais l’impression que nous étions deux fantasmagories silencieuses dont la vie aurait été en latence, et que cette vie n’acquerrait de sens qu’au moment où ma mère franchirait le seuil de la maison et où nous entendrions le tintement de ses clefs et le son de son parapluie dans le porte-parapluies de métal, le culot d’un obus d’une guerre ancienne et oubliée, les arbalètes et les heaumes de la tapisserie. Pendant les heures que durait son absence, chacun d’entre nous vivait au milieu de ses affaires comme un animal en état d’hibernation. »

    José Carlos Llop, Parle-moi du troisième homme 

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    Textes & prétextes,
    9 ans

     

  • Un garçon en hiver

    Premier roman traduit en français de José Carlos Llop, Parle-moi du troisième homme (2001, traduit de l’espagnol par Edmond Railland, comme Le rapport Stein) est le récit d’un garçon, le fils du capitaine Eduardo Balmoral affecté durant l’hiver 1949 dans une garnison du Nord de l’Espagne. La première image qu’il en garde, c’est celle de ses parents dansant au milieu de la rue en revenant du cinéma où ils avaient vu Le troisième homme. « Depuis lors ma vie a été un long épilogue à la vie de Harry Lime. Depuis lors ma vie a été une suite d’accords de cithare à la poursuite de Harry Lime. »

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    Ils ont d’abord habité à l’hôtel Bristol, d’où il pouvait voir, de la fenêtre de sa chambre, son père revenir de la batterie sur ses skis. « Toute vie s’appuie sur la mémoire et la mémoire est pure fantasmagorie. » Luis Duncan, le seul civil de l’hôtel – « Don Luis Duncan de Rivera » sur ses cartes de visite – fumait de gros cigares ; propriétaire du cinéma et du café Mundial, il était toujours au courant de tout à propos du gouvernement ou de Franco.

    Dans la garnison dirigée par le colonel Montero, flanqué d’une épouse hautaine et de deux caniches, O’Callaghan, son ordonnance (poste refusé par Balmoral) élève seul ses trois filles, Leonor, Claudia et Irene. Quand les premières lettres anonymes contre Franco apparaissent, plus que d’éventuels maquisards, elles deviennent le premier souci dans la place, sauf pour l’épouse du commandant – « Moi, ma fille, c’est Balenciaga qui m’habille ou rien ».

    Les mots anonymes se multiplient, circulent bientôt sur des billets de banque chinois. Madrid envoie deux hommes, dont le capitaine Alberto Horsch avec qui Eduardo Balmoral avait été au front, « et ensemble ils avaient connu ma mère à Madrid, au cours d’un voyage que mon grand-père lui avait promis lorsque la guerre serait finie. » On soupçonne Luis Duncan.

    Parle-moi du troisième homme raconte cette affaire et surtout la vie de garnison, les familles des militaires, les rencontres troublantes – Claudia sera pour le narrateur « l’impératrice de l’hiver » – et les changements dus aux arrivées ou aux départs. Le garçon est seul avec sa mère à la villa Edelweiss, son père parti en manœuvres pour dix jours, lorsqu’arrive son oncle Jaime Doval, lieutenant d’infanterie, le mari de la sœur de sa mère. Celui-ci l’emmène avec lui en France dans une Duesenberg réquisitionnée.

    L’adolescent a les yeux bien ouverts, qui enregistrent tout comme une caméra. Dans la boîte à gants, il voit le même carnet de moleskine noir que celui où son père prend des notes, un appareil photo, un pistolet. A la frontière française, l’autre passeport montré par son oncle et la croix de Lorraine qu’il épingle à sa veste. Au retour, surtout, il observe l’homme muet installé sur le siège devant lui, qu’il doit ramener à Barcelone – son oncle ne remarque pas qu’en lui touchant accidentellement la tête, son neveu l’a sentie froide comme la mort. Malaise.

    Changement d’atmosphère : sa mère l’emmène chez elle pour Noël, c’est-à-dire dans la maison des grands-parents sur l’île (Majorque), « la maison des femmes ». Sa grand-mère Amélia, qui a vécu aux Indes, y dirige tout de son fauteuil, les tantes, l’oncle Ramón qui vit seul à l’entresol, le grand-père qui travaille à son encyclopédie de l’art militaire, Nani la servante et sa propre mère, si différente quand elle est dans cette maison.

    « Tout le monde choisit pour vivre un endroit situé à mi-chemin entre ce qu’il sait et ce qu’il peut, c’est inévitable » lui avait dit son père. Ici, c’est sa grand-mère qui l’éduque : « apprends, plus tu apprendras tôt, mieux cela vaudra, comme ça tu pourras tout comprendre, et celui qui comprend tout pardonne tout et rien ne peut lui faire de mal. » Pour elle, il importe d’être craint et de garder les apparences.

    Le dîner de Noël avancé à la veille de leur départ est l’occasion pour José Carlos Llop de peindre un grand tableau de famille, et la vision inoubliable qu’en gardera le narrateur, notamment de sa mère radieuse comme jamais il n’en a été témoin : « et je sus que ma vie serait une vie parmi les ombres, une vie à poursuivre des ombres ».

    Le romancier a l’art de choisir pour ses chapitres des titres qui titillent l’imaginaire du lecteur, du premier, « Ascendance viennoise », au dernier, « Le sabre de mon père ». Différentes choses vont se préciser, parfois dramatiquement, au retour à la garnison : ce qui se passe entre ses parents, les rivalités politiques et militaires, sa relation avec Claudia, l’affaire des billets anonymes. Huit ans plus tard, le garçon devenu jeune homme choisira son camp.

    Parle-moi du troisième homme est un roman d’atmosphère et une succession d’images vues ou réinventées. José Carlos Llop y déploie son talent de conteur, son œil, son sens du rythme. On y croise plus d’un trio, mais pour le jeune Balmoral, c’est dans le triangle familial que tout prend racine. Dans un entretien paru au Figaro en 2006, le romancier déclarait : « La famille est le vrai roman de l’individu. Aux chapitres qui se succèdent en lui répondront les chapitres de sa relation au monde. Et quand je dis monde, ici, je veux parler de la littérature. »

  • Différents

    yates,richard,un destin d'exception,roman,littérature américaine,1944-1946,seconde guerre mondiale,armée,art,mère,fils,culture« « Nous sommes différents, Bobby », expliquait-elle à son fils, qui n’avait cependant jamais eu besoin d’explication. Peu importait la ville : il était toujours l’unique nouveau, l’unique pauvre, l’unique enfant dont la maison empestait le moisi, les excréments de chats où la pâte Plastiline, et dont le garage faisait office de statuaire. L’unique garçon sans père.
    Pourtant, il lui vouait un amour romantique et il avait une foi quasi religieuse dans sa bravoure et dans sa bonté. En s’en prenant à elle, le propriétaire, l’épicier, le charbonnier et Georges Prentice devenaient ses ennemis personnels : il était son allié, son protecteur face au matérialisme grossier et brutal du monde. Il aurait volontiers cherché toutes sortes de manières d’offrir sa vie pour elle, mais c’était d’un genre d’aide bien différent dont ils avaient besoin, d’un genre moins mélodramatique, et cette aide-là, elle ne venait pas. »
     

    Richard Yates, Un destin d’exception

    ***

    Deux mois plus tard que prévu, je m’envole enfin pour d’autres horizons. Aussi ne vous étonnez pas d’un léger décalage de saison dans le florilège programmé pour les jours qui viennent.
    Je vous l'avais préparé au début du printemps - et ce n'est pas encore l'été. 

    Prenez bien soin de vous.

    Tania