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Sarabande d'amitié

Premier roman de Laure Adler, publié en 2013, Immortelles « est surtout un hymne à l’amitié féminine » (couverture). Un extrait d’Annie Ernaux en épigraphe – « (…) et pourtant je n’aime que retrouver ce temps où rien n’était arrivé » (Ecrire la vie) – suggère une autre formule : Immortelles est un hymne à la jeunesse.

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La narratrice, à qui sa famille reproche « de vivre dans le passé », reconnaît vivre avec ses « disparues », trois amies : « Florence, Suzanne, Judith. Elles forment une sarabande dans ma tête. Leur force m’a construite et m’a rendue différente. Avec elles, j’ai ressenti ce à quoi nous ne pensions jamais, ce que vivre signifie. »

Ces trois-là, connues en moins de six mois, séparément, elle va raconter leur histoire telle qu’elle en a eu connaissance, par séquences qui portent leur nom, de l’enfance jusqu’à leur rencontre et jusqu’à ce que leurs routes se séparent. En cinq parties : « Le sentiment de l’innocence », « la perception de l’existence », « Le sentiment sexuel », « Le surgissement du réel », « L’apprentissage de la désillusion ».

Florence avait « le goût de disparaître » : son visage changeait, elle n’était plus là. Fugueuse dès l’adolescence, et cela, même avant l’alcool, « les substances ». Sa mère, « fille de bourgeois déclassés », avait choisi le secrétariat comme voie d’émancipation, avant de se marier et d’avoir deux filles – Florence était l’aînée. Son père parti travailler au Brésil, elle se souciait de sa mère, de ses crises d’absence quand son regard se figeait.

Suzanne aussi était en manque de gestes d’amour maternel ; sa mère était infirmière en Indochine, envoyait des cartes postales. Elle vivait avec sa grand-mère. Judith, en 1960, à un cours privé de français à Buenos Aires, se faisait traiter de « youpine » par les autres filles et découvrait un passé dont elle ne savait rien en interrogeant sa mère, Ethel, qui avait quitté la France pour l’Argentine après la seconde guerre mondiale.

Immortelles suit ces trois filles de milieux différents, dont le père est peu présent, dans leur famille d’abord, puis au lycée, avec leurs lectures, les musiques qu’elles écoutent, leur corps à apprivoiser, maquiller, vêtir. Puis, avec l’université, ce sont les rencontres qui deviennent les temps forts, les amitiés, les amours. Elles découvrent la vie dans les années d’ébullition de Mai 68, vont au festival d’Avignon, font de petits boulots, voyagent. Leurs trajectoires n’ont rien de lisse ni de prévisible. Elles racontent une époque.

Laure Adler, née en 1950, a attendu la soixantaine pour parler d’un temps qu’elle a vécu intensément. On y croise Vilar, Béjart, Deleuze, Kristeva, Lacan, Jankélévitch… Même si son roman n’est pas autobiographique, cette époque-là, avec sa grande liberté, les changements de la société, est vécue avec passion. Laure Adler restitue bien les hasards et les accrocs de la vie pour chacune de ses héroïnes « et la manière qu’elles ont eue de devenir femme : sans facilité » (Anne Diatkine, dans Elle).

Immortelles est un roman de souvenirs. Ces trois femmes ont disparu de la vie de la narratrice, mais tout au long du récit, on les sent présentes, indissociables de sa propre trajectoire. Et la fin insiste là-dessus : « Pour moi, elles sont immortelles. »

Commentaires

  • J'écoute Laure Adler tous les soirs. je n'aime pas beaucoup sa voix (ne sais pourquoi) mais elle reçoit des gens intéressants. Hier soir Rony Brauman et en début d'émission, Patrick Boucheron rendant hommage à Mathieu Riboulet qui vient de mourir. Ce livre m'intéresse, j'accorde une grande importance à l'amitié des femmes. Bonne journée Tania

  • Le seul livre que j'ai lu de Laure Adler est l'album magnifique " Les femmes qui lisent sont dangereuses ". J'avais noté également son titre sur Marguerite Duras. Ce roman souvenirs doit être intéressant, pour la période de cette jeunesse.

  • C'est son seul roman,je crois ? Comme je n'écoute pas la radio, je ne peux avoir un avis mais je vois qu'elle ne fait pas l'unanimité si j'en juge par Zoé et Louise Michel.

  • Je ne la connais pas du tout, ni sa voix d'ailleurs :) Mais je ferais bien une incursion quand même... J'avais entendu parler Des femmes qui lisent sont dangereuses....

  • @ Zoë Lucider : Bonsoir, Zoë. Je ne connais pas ses émissions, mais j'ai lu sa biographie de Duras. Son roman n'est pas exceptionnel, j'y ai surtout accroché par son évocation d'une époque où les femmes ont pu s'émanciper de bien des contraintes.

    @ Mouise Lichel : Je ne pourrais en juger.

    @ Marilyne : J'ai vu qu'elle a aussi publié "Les femmes qui écrivent vivent dangereusement" (pas lu).

    @ Claudialucia : Oui, le seul roman, à ma connaissance, à côté de ses biographies de Duras, Françoise Giroud, Hannah Arendt, entre autres.

    @ Edmée De Xhavée : Bonne lecture si tu te lances dans cette voie, Edmée.

  • Mais le passé est -aussi- notre maison.
    Et je le crois de plus en plus présent en nous -surtout le passé lointain- au fur et à mesure que nous vieillissons.
    Peut-être, a fortiori, les femmes des années 50, nous qui avons vécu tant de changements, et si rapidement !

  • @ Pâques : Laisse-toi tenter, Marcelle, c'est un roman agréable à lire.

    @ Nikole : Cette empreinte du passé est en nous, c'est la richesse de l'âge de s'appuyer sur toutes ces périodes de la vie. La jeunesse est peut-être celle qui nous a le plus "constituées".

  • Il faut dire que l'époque est formidable, ces femmes et leur libération, elles osent ! Quand on pense que certains veulent revenir (et reviennent d'ailleurs) en arrière, c'est fou. Bien-sûr il y a toujours des excès dans ces libérations, mais il suffit de poncer par ci par là, pas d'effacer ce qui est. Les souvenirs de ces femmes sont certainement très forts... Doux week end Tania. brigitte

  • J'ignorais qu'elle avait écrit un roman. Je vois le commentaire sur elle à France-Culture ; je n'ai pas aimé ce qu'elle a fait quand elle en était la directrice, par contre je l'apprécie toujours autant en intervieweuse. Et j'ai lu et aimé "les femmes qui lisent sont dangereuses".

  • @ Plumes d'Anges : Certains ou certaines ? Ces libertés, ces nouveaux droits des femmes après la deuxième guerre mondiale me semblent des acquis solides, en tout cas en Europe occidentale. Et tous les signes en faveur de plus de droits pour les femmes dans les pays qui les maintiennent encore dans l'infériorité sont encourageants, même si ces progrès sont trop lents. Bon week-end, Brigitte, il neigeote ici.

    @ Aifelle : Ravie de te l'apprendre. J'ignore quels changements lui sont dus ou reprochés à la radio française, je ne la connais qu'à travers quelques-uns de ses livres.

  • je la connais très mal, car de loin.
    Ceci étant, superbe épigraphe d'Annie Ernaux.
    Je serais tenté de dire "évidemment" ;-)

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