Sixième et dernier album d’une belle série, Blanc. Histoire d’une couleur de Michel Pastoureau s’ouvre sur une citation d’un auteur anonyme du XVe siècle : « La couleur blanche est la première des couleurs (…). » Oui, rappelle l’auteur, le blanc est une véritable couleur, statut qui lui a été un temps contesté après qu’« en 1666 Isaac Newton découvrit le spectre » et « proposa au monde savant un nouvel ordre chromatique au sein duquel il n’y avait plus de place ni pour le blanc, ni pour le noir. »
Si cette conception n’est plus de mise, il reste une tendance à mettre le noir et blanc (N&B) d’un côté et les couleurs de l’autre dans certains domaines comme la photographie, le cinéma, l’édition. Le papier blanc servant de support à l’impression, on a pu le considérer « sans couleur », mais le blanc n’est pas incolore pour autant. Le noir et le blanc nous paraissent aujourd’hui opposés, ils ne l’ont pas toujours été – « le vrai contraire médiéval du blanc n’est pas tant le noir que le rouge. »
Comme Bleu, Noir, Vert, Rouge, Jaune, l’essai de Pastoureau est chronologique et se limite aux sociétés européennes : « La couleur concerne tout le monde et touche à tous les problèmes de la société. » Comme les précédents, cet album est très bien illustré – mieux vaut le découvrir en édition originale. Pour définir le blanc, on le caractérise le plus souvent comme « la couleur du lait, du lis, de la neige ».
Main dans la grotte Cosquer, Marseille
(Dans l’art rupestre et pariétal, les mains blanches (« talc, craie, kaolin »)
sont les plus nombreuses et les trois quarts sont des mains gauches.)
Le blanc a toujours été présent dans la nature, même si l’on ignore depuis quand on range dans la même catégorie certaines fleurs, les pelages de certains animaux, des coquillages, des dents, des os, des nuages… Les autres couleurs y sont aussi, insiste Pastoureau, mais « ces colorations ne sont pas encore des couleurs à proprement parler, du moins pour l’historien. » Les couleurs sont une construction culturelle et non un phénomène naturel. En Europe, la première triade établie socialement regroupe le rouge, le blanc et le noir.
Chez les Anciens, le blanc est la couleur des dieux et des cultes : cultes lunaires, vêtements des divinités célestes (Zeus se métamorphose en taureau blanc pour enlever Europe, en cygne blanc pour séduire Léda). Pastoureau rappelle que la Grèce antique n’était pas blanche, « image fausse » longtemps diffusée malgré les traces de polychromie signalées par les archéologues.
Kylix attique à figures noires, vers 540-530 aCn, Munich, Staatliche Antiquensammlungen
(Dionysos, victime de pirates qui cherchent à le vendre, fait pousser des vignes sur le navire.
Effrayés, les pirates se jettent à l'eau et sont transformés en dauphins.)
On portait d’abord de la laine ou du lin dans leur teinte naturelle pour se vêtir de blanc. La laine des toges romaines étant blanchie à l’aide de sels ou de plantes qui les abîmait, on les saupoudrait de craie pour masquer les imperfections. Le vocabulaire latin distinguait les blancs d’après leur éclat, leur intensité : « albus » et « candidus » n’ont pas la même valeur, ni « ater » et « niger » pour le noir. Il a fallu du temps pour arriver à bien teindre en blanc.
Du IVe au XIVe siècle, le « blanc biblique », surtout présent dans le Nouveau Testament, est la couleur du Christ, des anges, des pratiques liturgiques. Aux notions de « pureté, beauté, sagesse, pouvoir » s’ajoutent « gloire, victoire, jubilation, sainteté ». Pastoureau évoque la querelle, au XIIe siècle, entre moines de Cluny habillés de noir et moines cisterciens qui optent pour une étoffe de laine non teinte, plutôt grise, puis blanche, ce qui entraîne « un affrontement dogmatique et chromatique ».
© Sandro Botticelli, Annonciation, 1489-1490, New York, The Metropolitan Museum of Art
Outre le bestiaire blanc du Moyen Age (l’agneau, le cygne, la colombe et la licorne), le blanc apparaît comme une couleur plus féminine que masculine, pas seulement pour la blancheur du teint, critère de beauté, mais aussi dans les prénoms : Blanche, Blandine, Marguerite et ses variantes. A partir du XVIe siècle, le luxe des vêtements « vraiment blancs et non plus blanchâtres » devient l’apanage des rois, des princes, de l’aristocratie.
Spécialiste de l’héraldique, Michel Pastoureau y étudie aussi la place du blanc et ses associations avec d’autres couleurs. Il relate la symbolique du blanc liée à la naissance, à la mort (jusqu’à la fin du XVIIe siècle, quand le noir lui succède), à la Résurrection. Il passe en revue le blanc vestimentaire (fraise, dentelle, chemise), le blanc politique (monarchique), le nouveau couple noir & blanc de l’imprimerie.
© Marco Giacomelli, Jeunes prêtres dansant sur la neige, photographie, 1961
« La couleur de la modernité » (XIXe – XXIe s.), aborde le blanc dans la peinture, la photographie, l’hygiène, la mode, le sport, le design, le langage (en particulier les expressions)… Si on a lu les précédents ouvrages de Michel Pastoureau, on retrouve dans Blanc des éléments déjà évoqués dans la série « Histoire d’une couleur », mais chacune des couleurs y amène son propre cortège d’exemples, de faits, de symboles. Ce que j’aime beaucoup dans sa façon de raconter l’histoire, ce sont toutes les observations concrètes des choses et des personnes qui la rendent particulièrement vivante.