« Dans une des nombreuses maisons où j’ai vécu, jeune, un rejet de câprier poussait à chaque saison sur le mur exposé à l’est. Sur cette pierre nue, mal scellée, la moindre graine trouvait de quoi s’enraciner. Ce câprier, surtout, poussait et fleurissait avec tant de superbe et des couleurs si subtiles que j’en ai gardé une image de force juste, d’énergie douce. Chaque année, le paysan qui nous louait la maison arrachait les plantes. En vain. Quand il embellit le mur au moyen d’un crépi, il étendit de ses propres mains une coulée uniforme, qu’il peignit d’un bleu pâle insupportable. J’attendis longuement, confiante, que les racines du câprier l’emportent une nouvelle fois et viennent rider le calme plat du mur.
Aujourd’hui, alors que je cherche le chemin des souhaits à adresser à ma maison d’édition, j’ai le sentiment que cela s’est produit. Le crépi s’est fendillé et le câprier a rejailli avec ses premiers germes. Voilà pourquoi je souhaite à e / o de poursuivre sa lutte contre le crépi, contre tout ce qui harmonise par l’effacement. Et ce, en faisant éclore avec entêtement, saison après saison, des livres en forme de fleur de câprier. »*
Elena Ferrante, Frantumaglia. L’écriture et ma vie
*Ecrit pour le quinzième anniversaire des éditions e / o (1994).
Commentaires
On dirait le mur de la cathédrale de Palma qui est parsemé de câpriers, superbes, inattendus, tenaces.
Alors que j'ai essayé plusieurs fois d'en faire pousser chez moi et jamais réussi.....
C'est toi qui m'as appris quelle était cette superbe fleur vue sur un mur de Cordoue, qui pousse donc où elle veut. Bonne journée, Colo.
Ma fille ainée m'avait offert un câprier avec des fleurs magnifiques, il ne s'est malheureusement pas plu dans le jardin.
Tenter d'écrire des livres en forme de fleurs de câprier, c'est un bien joli programme...
Une plante décidément très indépendante. Merci, Brigitte, et bonne journée au jardin.
Quel joli billet, merci ! Ici, en Corse, dans les jardins de campagne traditionnels et authentiques, les câpriers sont en pleine floraison. Il est vrai que cette plante condimentaire champêtre et incroyablement élégante se plait dans les murailles, les murs de pierre sèche construits à une époque où la campagne et son mode de vie se distinguait de celui de la ville. Ici aussi, des gens ont cru bien faire en cimentant les murs de pierre séculaires, en les barbouillant de ce vilain crépi, en les uniformisant comme à la ville...
Ce geste malheureux a non seulement avili l'architecture vernaculaire mais aussi condamné la flore spontanée, pimprenelle, fougère, nombril de Vénus, cyclamen, bourrache et j'en passe. Condamné aussi la petite faune qui se plaisait dans les coins et les recoins, à l'abri des prédateurs : lézards, geckos, salamandres, petits passereaux et chauve-souris. Tout ce petit monde a été chassé de ses terres (ou devrais-je dire "de ses pierres") mais il est vrai que le câprier est un rebelle patient et déterminé, qui repousse après avoir été malmené et renaît dès que le ciment s'effrite. L'espoir fait donc vivre le câprier !
Bienvenue, Nathalie. Je suis ravie de ce beau commentaire depuis la Corse, merci, et désolée de lire que là aussi les espaces sauvages sont malmenés. En Belgique, c'est le mois du recensement des papillons et je n'en ai encore observé qu'un seul sur ma terrasse (et seulement quatre pendant ma promenade au parc cet après-midi). Bravo aux vigoureux câpriers !
Quelle jolie image que de comparer les livres à des fleurs de câpriers elles sont si belles...et le câprier quand il se plait est capable de revivre de ses cendres...le tout est d'arriver à l'implanter ! J'en ai un à la maison qui est planté à l'extérieur de mon mur de clôture et chaque année, les employés municipaux passent l'épareuse dessus !
Merci de m'apprendre le mot "épareuse", Manou. Heureusement ce câprier survit.