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Roman - Page 54

  • Improviser

    boualem sansal,harraga,roman,littérature française,algérie,alger,femmes,islam,culture« La réalité est autre. J’avais peur, horriblement peur, je retombais dans la solitude, trente-six étages plus bas. Celle-ci était trop grande, Dieu lui-même n’y résisterait pas. Je me suis ramassée dans un coin et j’ai fait le dos rond. Puis j’ai bondi, j’ai ouvert portes et fenêtres et j’ai respiré à pleins poumons. Je n’allais pas m’enterrer vivante ! Non, non et non !
    C’est une nouvelle vie qu’il me faut, improviser, rebondir, c’est ça. »

    Boualem Sansal, Harraga

  • L'oiseau de Lamia

    Du Ki kii kii chez Murakami au Cui-cui, cui-cui chez Sansal, des oiseaux nichent dans nos lectures. Parmi les Romans 1999-2011 de Boualem Sansal (excellent Quarto), Harraga (2005) donne la parole à une femme d’Alger, Lamia – une histoire « véridique » (Au lecteur, à lire en ligne). Le premier des cinq actes s’ouvre sur un poème « Bonjour, oiseau ! » dont la chute est un avertissement : « Un oiseau, c’est beau / Hélas, il a des ailes. / Comme elles lui servent pour se poser / Elles lui servent pour s’envoler. C’est tout le drame avec les oiseaux. »

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    Alger / Source : http://diaressaada.alger.free.fr/index.html

    Quand une inconnue frappe à la porte de Lamia, « menue, vêtue à la Star’Ac », un « scandale ambulant », celle-ci ne peut qu’ouvrir à la jeune fille visiblement enceinte de plusieurs mois qui cherche « Tata Lamia ». Chérifa, seize ans, est envoyée par Sofiane, le frère de Lamia « parti pour ne jamais revenir » et qui lui manque tant, de même que sa « tendre et douce » Louiza, son amie d’enfance, mariée à seize ans « à un clochard d’une lointaine banlieue maintes fois sinistrée qui lui a fait une ribambelle de filles et pas un garçon. » La jeune inconnue va bouleverser sa vie.

    D’abord celle-ci a vite fait de s’installer et de semer des affaires un peu partout dans la grande maison ; Lamia, arrachée à ses habitudes, est en même temps « folle de rage » et « ravie de sa présence ». Chérifa a rencontré Sofiane à Oran et il a dû, imagine-t-elle, lui recommander sa sœur « toubib » en ces termes : « Elle est vieille, grincheuse comme un cactus, mais c’est bon pour le petit. Il filera droit. »

    Pédiatre à l’hôpital Parnet, Lamia est attachée à sa « bonne vieille solitude » et à sa « vieille demeure deux fois centenaire ». Bâtie et habitée par un officier turc puis par un vicomte français, un Juif, des pieds-noirs, enfin par ses parents « descendus de la Haute Kabylie après l’indépendance », elle est pleine de mystères, de fantômes même. En quelques mois, Lamia a perdu toute sa famille. Ce qui la sauve, ce sont ses huit à douze heures de travail par jour. A trente-cinq ans – on l’appelle « la Vieille » – , elle n’est pas de ceux qui restent debout à rêvasser.

    Très vite, les escapades, les caprices de Chérifa ruinent sa tranquillité d’esprit et elle l’enguirlande, la met dehors sur un coup de tête. Aussitôt le vide s’accroît « vertigineusement », l’inquiétude aussi. La gamine ne sait rien des dangers d’Alger. Lamia doit retrouver sa trace, mais ne la trouve ni près de la gare, ni du côté de l’université. Comme sa maison dans le quartier de Rampe Valée, elle se sent au bord de l’effondrement, à force de chagrin, de peur et de solitude. « Nous sommes tous, de tout temps, des harragas, des brûleurs de routes, c’est le sens de notre histoire. Mon tour de partir serait-il arrivé ? »

    Chérifa réapparaît un jour, ramenée par un conducteur de bus qui la dépose devant la porte. Cette fois, elles se parlent ; Chérifa a fui sa famille qui voulait l’enfermer, lui faire porter le hidjab. Celui qui l’a séduite est devenu vizir et ne donne plus de nouvelles. Lamia décide de s’occuper d’elle sérieusement : achats de vêtements plus corrects, de quoi arranger sa chambre, d’un trousseau pour le bébé. « Et il y a le reste, du basique, qu’elle devra se caser dans le crâne une fois pour toutes : l’ordre, la discipline, la gentillesse, la propreté, et j’en passe. J’ai grande confiance dans les vertus élévatrices du calme, de l’hygiène et de la douceur dans le propos. »

    Lamia se rend aussi à l’Association algérienne pour l’aide aux familles, espérant des nouvelles de son frère disparu – peine perdue. Quand elle rentre de l’hôpital, désormais, c’est avec de l’appréhension : Chérifa sera-t-elle à la maison ? Pour éviter l’ennui, elle essaie le ménage à fond, la grande musique, la culture, le Jardin d’Essai, les musées, mais Chérifa ne s’intéresse à rien. « C’est là que j’ai compris ce que désespérer veut dire. La culture est le salut mais aussi ce qui sépare le mieux. » Lamia redoute qu’un jour sa protégée ne soit pas là à son retour, une nouvelle fugue.

    Harraga est un très beau roman de femmes. Boualem Sansal y glisse son amour d’Alger, ses révoltes contre l’incurie. Lamia l’indépendante a choisi le célibat, les études, la médecine et rien ne la met plus en colère que la manière dont trop de musulmans traitent les femmes. Cette rencontre avec une jeune femme bohème et vulnérable réveille quelque chose de fort en elle. Un espoir.

  • A Marie Gillet

    Gillet couverture.jpgLavande.jpg« C’était un beau matin,
    un nouveau matin.

     


    Ah oui, voilà.

     


    Désormais elle accueillerait chaque matin
    comme un nouveau matin, à vivre comme une première fois. »

    Marie Gillet,
    Avec la vieille dame,
    L’Harmattan, 2020.

     

    100 exemplaires vendus, cela se fête !

    Avec Colo, Anne Le Maître, Brigitte, Claudie, Denise, Dominique, Emma Messana, Quichottine... et cela continue avec ArtisAnne...

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    Bravo, Marie & bonne continuation à ce roman.

    Au plaisir de te retrouver en ligne – Bonheur du jour a passé le cap des dix ans cette année – et avec l’espoir de lire en 2021 une prochaine publication née de ta plume !

    Tania

  • L'oiseau à ressort

    Intriguée par le titre de Haruki Murakami, Chroniques de l’oiseau à ressort, je me suis plongée dans ce gros roman d’abord publié en trois volumes au Japon en 1994-1995. L’histoire est racontée par Toru Okada, trente ans, marié, qui vient de quitter son emploi. Sa femme Kumiko n’y voit pas d’inconvénient, son propre salaire est suffisant pour eux deux ; elle aimerait qu’il retrouve leur chat disparu depuis une semaine.

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    murakami,chroniques de l'oiseau à ressort,roman,littérature japonaise,cultureL’oiseau à ressort, ainsi baptisé par Kumiko, est un oiseau du voisinage au « ki kii kiii » régulier, comme s’il remontait un ressort : « Je  ne sais pas à quelle espèce d’oiseau il appartenait en réalité. Je ne sais même pas à quoi il ressemblait. Mais ce volatile n’en avait cure, et venait tous les jours remonter les ressorts de notre petit monde paisible. »

    Un muret sépare leur jardinet d’une ruelle, espace à l’abandon derrière les jardins des propriétés voisines. Toru n’y trouve pas leur chat, mais en explorant les environs, il va faire toutes sortes de découvertes. Outre la jeune May qui observe tout ce qui se passe dans cette ruelle, d’autres voix féminines vont s’introduire dans sa vie d’une manière ou d’une autre. Et puis un jour, Kumiko ne rentre pas du travail. Sa femme l’a quitté, sans explication. Surpris, il décide de l’attendre, puis de la retrouver, même quand une lettre lui apprend qu’elle est partie avec un autre homme.

    murakami,chroniques de l'oiseau à ressort,roman,littérature japonaise,cultureLe narrateur de Murakami est un type sans histoire, qui se contente de prendre soin du foyer – il cuisine, nettoie, range, fait les courses – et se montre très disposé à écouter les histoires des autres. Il aime ne rien faire, s’asseoir quelque part et observer les gens, dormir, rêver. Chroniques de l’oiseau à ressort se mue peu à peu en un puzzle dont le nombre de pièces ne cesse d’augmenter : ce que vit Toru Okada en réalité (bien que cette expression soit de plus en plus mouvante au fur et à mesure que le roman s’écoule), ce qui lui arrive en rêve, ce que lui racontent les gens, etc.

    J’ai suivi avec attention les apparitions de l’oiseau à ressort, qui a un double muet, un oiseau de pierre, dans le jardin d’une maison vide du quartier. Je suis descendue avec le narrateur jusqu’au fond d’un puits à sec où sa vision du monde va changer, puis j’ai décroché, je l’avoue, de ce roman foisonnant qui vire au fantastique. Si les fantasmes sexuels du narrateur sont plutôt doux, les scènes de guerre que lui raconte l’un ou l’autre sont d’une violence effrayante.

    murakami,chroniques de l'oiseau à ressort,roman,littérature japonaise,cultureLe romancier japonais m’a surprise par sa grande attention aux vêtements de ses personnages, aux couleurs. Comme Woody Allen, il mêle des airs de musique à ses histoires. Murakami opte souvent pour le réalisme magique, voire le surréalisme. Il n’a pas vraiment réussi à m’emmener dans ces mondes parallèles où son héros vit toutes sortes d’expériences peu banales, tout au long de ce roman de près de mille pages aux digressions inattendues.

    En me promenant dans le quartier, cela fait plusieurs fois que j’entends dans la même rue une mésange solitaire qui appelle, appelle, juchée sur un platane dépouillé de ses feuilles. Aussi l’ai-je photographiée pour illustrer ce billet et baptisée pour quelque temps « oiseau-à-ressort ».

  • L'aîné

    boualem,sansal,rue darwin,roman,littérature française,algérie,famille,identité,passé,mère,culture« Quelque chose s’était brisé, qui avait disparu depuis longtemps en vérité, j’avais seulement tardé à le voir et à le reconnaître. Avec maman s’éteignait ce sentiment très fort chez moi qui m’a toujours fait dire ces mots avec émotion et même de la transcendance : mes frères, mes sœurs, ma famille. J’étais l’aîné, je me sentais investi. Parfois ce sentiment me pesait et je me disais que moi aussi j’avais une vie, ma vie, et que je pouvais m’y consacrer entièrement, égoïstement, sans en mourir de honte. Nous étions dispersés dans le monde depuis longtemps, nos liens avaient eu le temps de se distendre, de se rompre, et je ne le voyais pas. Je vivais sur une illusion, une autre histoire, et peut-être ne faisais-je que me conformer à la loi de l’espèce. Je crois bien en définitive que j’ai seulement aidé maman à porter l’immense amour qu’elle vouait à ses enfants. J’ai dû sentir, à un moment ou à un autre, que ce poids était en train de l’écraser. Alors, j’ai aimé mes frères et mes sœurs d’un amour de forçat, si fort que j’en ai oublié de vivre. »

    Boualem Sansal, Rue Darwin