Dans Crions, c’est le jour du fracas !, Héloïse Guay de Bellissen, qui sait écrire hors des sentiers battus (Dans le ventre du loup (à présent en Pocket), Le dernier inventeur), raconte avec force ce que peut l’esprit de rébellion à travers deux histoires vraies : celle de la bande dont elle a fait partie dans les années 90 et celle des adolescents du drame de 1866 dans un pénitencier pour mineurs de l’île du Levant, en face d’Hyères.
Les ruines du pénitencier sur l'île du Levant (Photo Var Matin)
La « meute de mômes » d’Héloïse, c’étaient « ceux de la Table » à La Seyne sur mer : fringues fluo, roller, joggings, pulls à capuche, Palladium aux pieds – « On avait une vie colorée et déjà des esprits contrôlés par les marques, la société de consommation nous ouvrait les bras. » Leurs parents avaient connu une société en pleine mutation après la Seconde Guerre mondiale, puis « les vagues de divorces » ont laissé de nombreuses mères au foyer « vraiment seules ».
« Alors pour nous, les adolescents, ce monde en mouvement qui ressemblait à un ouroboros signifiait clairement qu’il n’y avait pas de futur, même le mot n’existait pas à la Table. » La Table, c’est un banc de pierre circulaire où ils se retrouvaient, Rahan, Don, Seb’s, John et Yoko, Lisa, Romane, Rom’s et Grand Mika, au milieu d’un lotissement. « On détestait le monde entier et en même temps on voulait l’être, l’incarner et lui mettre le feu. »
Don et Seb’s les y rejoignent un jour après le cours d’histoire que les autres ont séché : « Eh bien, vous avez loupé un putain de cours ! » Les autres ne le croient pas, jusqu’à ce qu’ils leur rappellent leur visite à l’île du Levant l’année précédente : « Ces gamins-là, c’est nous ! Je vous jure ! Mais vous êtes trop cons pour le comprendre ! » Grand Mika récolte en retour une insulte qu’ils ne comprennent pas : « T’es qu’un Boule-de-neige, GROS Mika ! »
Boule-de-neige était le surnom du petit Léon Cazale à la colonie pénitentiaire. Avec sa sœur, ce gavroche amusait les passants sur les trottoirs toute la journée, pendant que leur mère « recevait » dans l’unique pièce de leur logement ; il volait des fruits, des fleurs à l’occasion et finit par se faire arrêter. Peu avant ses douze ans, il est envoyé en maison de correction sur l’île du Levant. Ce sera lui le narrateur de la vie au pénitencier, où on rééduque les gamins par le travail agricole et une discipline de fer.
Héloïse Guay de Bellissen reconstitue la vie de ces mineurs sur l’île du Levant et l’incendie de 1866 où treize d’entre eux ont péri, lors d’une révolte fomentée par Condurcer, seize ans, le chef des incendiaires. On découvre comment celui-ci a pris Boule-de-neige en grippe, le considérant par erreur comme un traître à sa cause. C’est Condurcer qui, le jour du drame, emmène les rebelles dans la réserve des cuisines et pousse le cri qui donne son titre au roman : « Enfants ! Crions ! C’est le jour du fracas ! »
L’alternance des deux récits est très réussie. La romancière raconte les années 1990 dans un langage argotique qui colle parfaitement à ces drôles d’oiseaux bien décidés à ne pas filer droit et à inventer leurs propres codes. Pour l’histoire du pénitencier, elle a opté pour un style classique et cite des extraits du dossier judiciaire. A nous de découvrir les points communs et les différences entre ces deux histoires qui se sont déroulées à plus d’un siècle de distance. Certains s’en sortent, d’autres pas.
Après le premier confinement, Héloïse Guay de Bellissen a eu envie d’écrire sur la période de sa vie où elle s’est sentie la plus libre. Crions, C’est le jour du fracas ! excelle à rendre la passion de la liberté et l’intransigeance de la jeunesse – on se souvient qu’elle a lu et relu Antigone – tout en montrant les impasses, souvent dramatiques, auxquelles peut mener la rébellion quand on n’arrive pas à trouver une voie possible pour exister.
Commentaires
J'ai lu le dernier survivant. Tu le sais, Lascaux n'est pas loin de chez moi et un jour je suis tombée sur une guide formidable qui m'a parlé du plus jeune des découvreurs de la grotte, celui aussi qui a vécu le plus longtemps. Héloïse Guay de Bellisen l'a rencontrée est devenue une amie de ce couple juif dont le destin est exceptionnel. Il survit à la Shoah, à mon avis, pour témoigner de cette révolution qu'est la découverte de Lascaux. Je suis aussi une Antigone, marquée à jamais par celle d'Anouilh "rencontrée" à 13 ou 14 ans; donc, je note ce livre et je le lirai. Merci!
Ravie que tu aies apprécié aussi la lecture du "Dernier inventeur", Simon Coencas, que la romancière a pu rencontrer deux ans avant son décès l'an dernier.
Très, très tentant. Ce glissement surement talentueux d'une époque à l'autre, ce moment commun d'une l'adolescence à vif .
Merci Tania, nous devinons que ce livre a été un beau moment de lecture pour toi. Bises et belle journée.
Le drame du pénitencier a été affreux et on se rend compte en lisant ce roman du désarroi de certains jeunes livrés à eux-mêmes, deux siècles plus tard. Bonne après-midi, Claudie.
intéressant je ne connaissais pas du tout cette auteure
C'est Marie Gillet qui me l'a fait découvrir, voilà donc une semaine varoise sur mon blog.
Ces pénitenciers d'enfants étaient horribles ! Lier les deux générations est une bonne idée, c'est toujours aussi difficile d'être un jeune à n'importe quelle époque, selon le contexte dans lequel on est.
En effet. Les deux périodes sont bien rendues, avec aussi les musiques des années 90.
Ce titre est dans ma liste de livres à emprunter. J'avais lu sur le net un texte très intéressant au sujet de ces pauvres enfants, c'est un peu long mais lis-le quand tu as un peu de temps :
https://www.porquerolles-patrimoine.fr/colonieagricole.html
Bises, merci pour ce conseil de lecture Tania, à bientôt. brigitte
Un grand merci pour ce lien très instructif, Brigitte, je viens de le lire. Héloïse Guay de Bellissen s'est bien documentée pour faire revivre ces événements et je ne doute pas de l'intérêt que tu trouveras à la lecture de son roman.