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Enseigner la liberté

Quarante personnalités s’expriment dans Lettre à ce prof qui a changé ma vie, Enseigner la liberté, un ouvrage conçu en hommage à Samuel Paty publié en format Pocket (5 €) chez Laffont, avec l’engagement de reverser une part des bénéfices à Bibliothèques sans frontières. Marie Gillet me l’a fait connaître ; elle y a participé « par ricochet », sollicitée par une ancienne élève, la romancière Héloïse Guay De Bellissen dont j’avais présenté ici Le ventre du loup. Son roman Le dernier inventeur a paru l’été dernier.

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Aussi ai-je commencé par lire leur intervention, la seule du livre qui se présente sous la forme d’un échange entre elles deux  et intitulée « Les Antigones »  (extrait dans le prochain billet). L’ancienne élève : « vous me l’avez offerte cette liberté, alors que j’étais une élève insolente et absolument paumée, vous qui m’avez tendu la main et un livre, Antigone. » La professeur : « Je n’ai pas fait grand-chose à part mon travail de professeur. » Et pourtant, chacun des intervenants en témoigne, même si au long d’une scolarité, divers enseignants apportent à l’élève de quoi se construire (le dessinateur Jul déroule toute la « cohorte des professeurs » à qui va sa reconnaissance), souvent un ou une prof en particulier peut ouvrir une perspective vitale.

La liste des quarante signataires figure sur le site de l’éditeur. Plantu contribue par quelques dessins, les autres par des textes d’hommage à ce ou cette prof à qui l’on doit d’avoir été « arraché progressivement à l’ignorance et à la bêtise » (Abd Al Malik), d’avoir participé à un atelier théâtre, visité une usine, d’avoir découvert un écrivain, une actrice, un film, d’avoir pu s’exprimer sur un sujet choisi ou dû écrire sur un thème improbable, ou même d’avoir reçu une sanction si bien ajustée qu’elle a marqué un nouveau départ.

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© Plantu (Le Monde, 20/10/2020)

C’est souvent avec une personnalité perçue comme différente des autres que quelque chose se passe : le prof de musique qui propose à sa classe d’écouter les Beatles, la prof de français qui pose délicatement son manteau de fourrure sur son bureau puis « de sa voix douce » impose une attention particulière et a l’art de faire découvrir les écrivains et leurs œuvres « comme s’il s’agissait d’amis proches » (Charles Berling). Amusant comme le souvenir d’un prof reste parfois lié à un détail vestimentaire, à une allure.

Pour Marie Darrieussecq, « un bon professeur est quelqu’un qui vous apprend à ne jamais cesser de vous poser des questions ». Elle n’écrit sur aucun de ceux qui l’ont influencée, mais raconte que si elle est « née entourée de livres », ce ne fut le cas ni de sa mère ni de son père. Celui-ci, en première au lycée technique, a eu une prof de français qui a l’a guidé dans ses lectures. « Et si j’écris, c’est grâce à ses lectures, c’est grâce à cet homme-là, et c’est grâce à cette enseignante que je n’ai jamais connue. »

L’entrée en matière d’Irène Frain est une déclaration d’amour : « Je l’ai aimée. Je l’aime toujours. » En première, « la nouvelle » prof annoncée pour l’histoire-géo n’est pas toute jeune, « juste une femme d’une quarantaine d’années, toute simple, souriante, ni belle ni moche ». Avec elle deux ans d’affilée, son goût de l’histoire devient une passion. Puis le bac, la fac, l’enseignement qu’elle quitte pour écrire à plein temps. Son ancienne prof, revue à ce moment de sa vie, comprend, encourage – « Ni trop, ni trop peu. Juste de quoi me rendre confiance. » Après sa mort, l’ancienne élève saura qu’elle aussi était aimée en silence. Et le matin de l’assassinat de Samuel Paty, « c’est aussi sur madame Fichou que j’ai pleuré. »

Marc Levy se souvient de celle qui a fait ranger les cahiers, tiré les voilages pour tamiser la lumière et, droite au milieu de la classe, a raconté l’histoire de Cléopâtre. Tatiana de Rosnay de madame B., « souvent l’air fatigué », qui se métamorphose, « méconnaissable », le temps d’une lecture à voix haute de la dispute entre la grande Virginie et Gervaise, dans L’Assommoir. Un professeur, c’est aussi une voix.

Du texte de Christiane Taubira, voici le début et la fin. « Je l’ai d’abord pressenti, puis je l’ai supposé, ensuite je l’ai pensé, enfin j’ai compris : ces gens-là sont des gens à part. Non, pas à part. Ce sont des gens d’une sorte. Déjà, souvent ils ne ressemblent pas à ce qu’ils sont. » – « J’ai su que le grand Platon omettait. Pourtant lui-même enseignait. A la mode de son temps. Il n’a pas vu que les enseignants sont une autre sorte d’humains, qui voguent sur le savoir et éveillent les consciences. »

Commentaires

  • Intéressant. On se demande quel enseignant nous a marqué, et, si o n est enseignant, si on a marqué un élève!

  • Pour ma part, je sais en tout cas de quel professeur de français, devenue une collègue et une amie très chère, j'ai tant reçu que je ne cesse de partager à mon tour le goût des lettres, le goût de l'art - reconnaissance éternelle.

  • Je me rappelle d'une toute jeune remplaçante, passionnée de peinture qui en cours d'histoire nous parlait (presque exclusivement !) de Fragonard et nous commentait des détails de l’œuvre agrandit sur écran blanc, avec un bras paré d'un lourd bracelet qui cliquetait joyeusement à chaque mouvement. Fragonard sera à jamais lié à ce bracelet d'argent...
    L'entretien touchant de Marie et de son ancienne élève peut s'entendre avec ce lien :
    https://www.youtube.com/watch?v=IIuuLxp6hsU
    Merci Tania pour ce sujet oh combien important sur l'éveil, la transmission. Belle journée et bises.

  • Merci, Claudie, d'avoir ajouté le lien vers cette émission. Beau souvenir, Fragonard et le bracelet d'argent !

  • Tania, vous me permettrez, j'espère, d'opposer une voix discordante, je me souviens de mon institutrice de Cours Moyen qui m'a pris à part pour me demander "d'être plus gentille avec ma maman". Elle n'a pas vu ma détresse, à partir de là j'ai su que personne ne me comprendrait, j'avais dix ans. A l'école je n'ai pas appris la liberté mais la soumission au plus fort, au patriarche, aux hussards noirs ; j'y ai aussi appris la honte et la certitude que mon destin était fixé.

  • L'inverse peut se produire, c'est vrai, comme dans cette rencontre si destructrice qui vous a marquée, Nicole. Merci de rappeler que tout ne va pas pour le mieux dans le meilleur des mondes scolaires. Ce livre d'hommage à Samuel Paty ne prétend pas décrire toute la réalité de ce qui se passe à l'école, au lycée, bien sûr, c'est un message de reconnaissance de la part de celles et ceux qui ont eu la chance de rencontrer un professeur porteur de liberté.

  • Cela nous renvoie à nous- mêmes, qui avons été élèves, puis parents et profs!!! Je n'ai pas eu un circuit de prof habituel, je sais que je n'étais pas un prof comme les autres, mais tous avons été aimés ou détestés. Pour ma part, je pensais qu'il fallait avant tout transmettre l'amour des Lettres et des livres. Si dans une classe, on touche profondément un élève, rien qu'un, on n'a pas échoué! Je sais qu'à ça, je n'ai pas failli! Beaucoup de mes anciens élèves me reconnaissent, m'abordent, me donnent des nouvelles; certains lisent beaucoup, certains sont même devenus profs à leur tour. La chaîne de transmission n'est pas rompue.. Hommage à Samuel Paty!
    Mais ce n 'et pas toujours facile et le sera de moins en moins...Hélas!

  • Bravo, Anne, Le bonheur qu'on ressent quand une ancienne élève fait part de sa reconnaissance, de son goût de la lecture, quand on sent que la transmission a eu lieu et continue ! Merci d'en témoigner. Comme toi, je m'inquiète pour les conditions dans lesquelles les enseignants et les élèves travaillent depuis le début de la pandémie, pour toute cette part de présence à l'autre qui manque (dans les deux sens). Et je me réjouis qu'une jeune femme enthousiaste se soit lancée dans l'aventure de l'enseignement malgré tout.

  • J'ai eu trois enseignants très marquants et je sais encore leur nom, un prof de français qui nous a ouvert à la littérature mais plus encore qui nous a appris à nous faire une opinion personnelle, un prof d'histoire qui a poussé les portes du savoir pour que nous sachions voir mieux et plus loin, et une autre prof de français qui elle m'a fait entrer dans le monde de la poésie que je connaissais déjà mais elle l'a enrichi, élargi et j'en garde encore les "séquelles"

  • Merci de l'écrire ici, Dominique. Je me souviens aussi, bien sûr, d'autres professeurs dont j'ai beaucoup reçu. Les connaissances, l'ouverture d'esprit, le sens critique, la fantaisie, l'humour... : les apports sont multiples autant que les personnalités.

  • J'ai quitté l'école trop tôt pour rencontrer ce genre de prof. J'ai plutôt une expérience qui se rapproche de celle de Nicole, je n'ai connu qu'une école primaire de village, avec des instits dont je me dis aujourd'hui qu'ils n'étaient pas très évolués. Ils étaient durs et ils formaient des enfants d'ouvriers qui allaient massivement à l'usine à 14 ans., ce qui n'était pas anodin.

  • Il y a aussi des instituteurs, institutrices parmi les destinataires du livre, mais bien sûr, à tous les échelons de l'enseignement, on peut avoir affaire à de bonnes personnes, à de l'indifférence voire à de l'incompréhension. Parfois, on est maladroit, cela m'est arrivé, et c'est irrécupérable.

  • C'est beau ces témoignages réunis dans un livre !
    Les profs sont-ils toujours pleinement conscients de l'influence positive ou négative qu'ils ont sur leurs élèves ?
    Tellement souvent on aime ou pas une matière car on a eu un prof qui...ou qui, hélas.

  • C'est vrai et je ne pense pas que les profs en soient conscients, sauf quand l'élève s'exprime. Et puis il y a tant d'éléments personnels qui jouent des deux côtés, tel prof qui a "porté" quelqu'un a été trouvé insupportable par quelqu'un d'autre - comme dans toutes les relations humaines.

  • J'ai acheté ce livre pour soutenir l'initiative et parce que j'ai en effet une gratitude particulière pour ma professeure de français de quatrième, pour sa bienveillance et sa culture qu'elle nous donnait à déguster selon son humeur. C'était une femme célibataire et ça me bluffait beaucoup sa tranquille aisance à une époque où c'était malvenu. Bref une sorte de modèle qui a précédé les écrivaines qui m'ont ensuite inspirée.

  • Merci pour le souvenir de cette prof. Oui, Zoë, il y a tant de choses qui passent par la manière d'être et certains profs sont des modèles, quand leur personnalité ouvre à la vie.

  • Quelle merveille, je vais aller vers ce livre. La liberté n'a pas de prix, de tous les professeurs que j'ai eu dans ma jeunesse, celle qui m'a le plus marquée fut une professeure d'histoire géographie. Ce ne sont pas des matières qui me passionnaient, je l'avoue, mais ce que m'a enseigné cette femme, c'était qu'il fallait faire des recherches, croiser sans cesse les informations, ne pas se satisfaire d'une voix unique mais apprendre à penser par soi-même... Une porte s'est ouverte en moi, elle l'est toujours. Merci Tania, douce journée. brigitte

  • Depuis que j'ai lu ce livre, qui plonge forcément les lecteurs dans leurs propres souvenirs, j'ai pensé d'abord aux profs qui m'avaient le plus marquée, puis d'autres se sont rappelés à moi. Pas pour la matière enseignée, mais pour la manière d'aborder les choses, en effet. Bonne journée, Brigitte.

  • J'ai eu les deux, des professeurs plus "destructeurs" et trois professeurs dont le rôle fut chaque fois un peu différent.
    L'une, je l'ai aimée (comme le dit Irène Frain, mais sans réciprocité), l'autre fut exceptionnelle, mais avait un caractère épouvantable... le troisième, un homme, devint, l'espace d'un trimestre, un ami qui est resté un ami jusqu'à ce qu'il dépérisse de la maladie d'Alzheimer. Cela ne m'a pas fait accomplir de miracles car la simple tâche de vivre conformément à mon idéal relevait de Sisyphe s'attelant chaque jour à son rocher, mais ce furent quand même des personnes vraiment très importantes...

  • Et de loin, ce sont elles qui ont compté. Enfin, lui et elles. Pour les autres, j'ai relativisé.

  • Merci pour ton témoignage, Pivoine. Des miracles, c'est rare, mais un coup de pouce pour s'élancer sur son chemin, cela compte.

  • Je suis passée lire ton article et les commentaires. Merci d'avoir relayé la publication de ce livre.
    Bonne journée !

  • C'est une belle initiative - pour Samuel Paty, et aussi pour l'hommage aux enseignants qui ont été ou sont encore des "éveilleurs".

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