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Musique - Page 5

  • Piano 2021, les six

    On connaît depuis samedi soir les noms des six finalistes du Concours Reine Elisabeth de piano 2021, une édition extraordinaire à plus d’un titre : reporté d’un an pour cause de pandémie, le concours se déroule dans les lieux habituels (Flagey puis Bozar) en présence du jury, dont les membres (masqués) se sont installés à bonne distance les uns des autres dans les fauteuils du public par ailleurs vides, et applaudissent seuls les jeunes pianistes et l’orchestre. Certains candidats ont été honorés par la présence de la reine Mathilde, qui a repris le flambeau du Concours après la Reine Fabiola.

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    Source : Concours Reine Elisabeth

    Heureusement, toutes les épreuves sont diffusées entièrement en direct sur internet, à la radio ou à la télévision. La semaine dernière, j’ai suivi pour la première fois la demi-finale dans son intégralité, sur Canvas (16h) et sur La Trois (20h). 58 candidats s’étaient présentés (au lieu des 74 sélectionnés en mai 2020), 49 hommes et 9 femmes. 12 d’entre eux ont été retenus en demi-finale (au lieu de 24 habituellement) dont une seule femme, Su Yeon Kim, une Coréenne déjà en demi-finale dans l’édition précédente, en 2016. Hélas, à nouveau, elle ne passe pas en finale. Mais elle vient de gagner, depuis Bruxelles, le premier prix du Concours Musical International de Montréal, qui se déroulait cette année en virtuel !

    Pierre Solot, qui commentait la demi-finale pour la RTBF, avait été particulièrement élogieux pour cette candidate. Lui qui, en mars dernier, avait raconté un rêve à la radio – « aller au concert » – s’est montré  bienveillant pour chacun des demi-finalistes, insistant surtout sur leurs qualités. Le jeune Chinois Xiaolu Zang n’a pas été retenu non plus. Il m’avait touchée par son jeu « doux mais lumineux » (La Libre) dans le concerto de Mozart n° 23 en la majeur, et son récital avait été jugé « époustouflant » par Martine Dumont-Mergeay.

    Frank Braley dirigeait l’Orchestre Royal de Chambre de Wallonie (ORCW) lors de ces demi-finales, trente ans après son premier prix et le prix du public au Concours Reine Elisabeth de piano 1991 (l’année de naissance de certains candidats actuels). Entre-temps, il a déjà fait partie du jury. Son lien avec le Concours est donc très particulier. Chaque demi-finaliste commençait par interpréter un concerto de Mozart (au choix parmi cinq propositions) avec l’ORCW, avant de se retrouver seul en scène pour jouer son récital, y compris un imposé inédit, la seule partition qu’ils ont déposée sur le piano.

    Ils seront donc six en finale (au lieu de 12 d’ordinaire), six pianistes qui vont rivaliser non pour le titre de « lauréat »  d’ores et déjà acquis, mais pour le classement et les prix attribués aux six meilleurs du Concours. Les six finalistes sont Vitaly Starikov (Russie), Tomoki Sakata (Japon), Keigo Mukawa (Japon), Sergei Redkin (Russie), Dmitry Sin (Russie) et Jonathan Fournel (France), tous nés entre 1991 et 1995. Chacun va séjourner une semaine à la Chapelle musicale Reine Elisabeth pour préparer la dernière épreuve, y entrant jour après jour dans l’ordre de leur passage sur scène à partir du 24 mai.

    Comme je l’avais déjà écrit ici, quel niveau chez ces jeunes musiciens ! Loin d’être des « bêtes de concours », on ressent en les écoutant, en regardant leurs doigts sur le clavier, leur visage, grâce aux gros plans de la caméra peu discrète, à quel point la musique est leur passion, leur vie – leur « jardin féerique » pour reprendre les mots de l’imposé qu’ils vont devoir jouer en finale, une œuvre inédite, « D’un jardin féerique » de Bruno Mantovani.

    Pour ce magnifique bain musical encore plus précieux en cette période, si la musique est pour vous essentielle, rendez-vous donc du 24 au 29 mai prochains au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles (Bozar) via internet, via la radio ou la télévision, pour écouter chaque soir un des six finalistes interpréter en plus de l’imposé un concerto au choix, avec le Belgian National Orchestra dirigé par Hugh Wolff. Toutes les prestations du concours sont proposées sur le site même du Concours ou sur Auvio. Dommage que nos applaudissements ne puissent leur arriver en direct, ces jeunes musiciens les méritent.

  • L'interview

    Coe Le coeur de l'Angleterre.jpg« L’interview parut quatre jours plus tard. Philip et Benjamin s’étaient donné rendez-vous pour boire un café chez Woodlands, afin d’évaluer les dégâts.
    « Bah… c’aurait pu être pire », dit Philip.
    Le journal était étalé sur la table entre eux. Benjamin ne répondit rien.
    « Elle aurait pu te dézinguer pour de bon. »
    Benjamin ne répondit pas davantage. Il prit le journal et regarda de nouveau le titre. Il avait bien dû le lire quarante ou cinquante fois mais son incrédulité restait entière.
    BENJAMIN TROTTER, L’ILLUSTRE INCONNU QUI CONNAÎT DU BEAU MONDE
    « C’est malhonnête, dit-il. Cette façon de tourner ce que j’ai dit. Quelle mauvaise foi ! »

    [...]

    « Philip prit le journal des mains tremblantes de son ami et lut : « Depuis le confort de sa retraite le long de la Severn, au cœur de la campagne anglaise, Trotter déclare que le "multiculturalisme est un phénomène urbain. J’ai quitté Londres pour échapper à tout ça." » Ce sont tes propres termes ? »
    Benjamin en bredouillait d’indignation : « Mes propres termes plus ou moins, oui, sauf qu’il y en avait des tas d’autres avant, à savoir que je voulais échapper au bruit et à la cohue, au stress.
    – La citation tronquée, c’est tout un art. »

    Jonathan Coe, Le cœur de l’Angleterre

  • L'Angleterre profonde

    Publié en 2018, Le cœur de l’Angleterre de Jonathan Coe (Middle England, traduit de l’anglais par Josée Kamoun, 2019) est une chronique des années 2010 jusqu’au Brexit. Par ses personnages principaux, Benjamin Rotter et Douglas Anderton, elle remonte aux années 1970 ; tous deux sont de la promotion 78 du Collège King William à Birmingham. Vous aurez peut-être reconnu les amis de Bienvenue au Club (The Rotter's Club) et du Cercle fermé (réunis sous le titre Les enfants de Longbridge), mais il n’est pas du tout nécessaire de les connaître pour apprécier ce roman.

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    En avril 2010, Benjamin et son père quittent sans dire au revoir le pub où ils se sont réunis après l’enterrement de sa mère. Comme son père n’a pas envie de se retrouver seul, Benjamin l’emmène chez lui, dans le moulin sur la Severn qu’il a acheté après avoir très bien vendu son trois-pièces londonien. Ils y sont bientôt rejoints par Lois, sa sœur bibliothécaire, et sa fille Sophie, inquiètes qu’il ne réponde pas (il avait éteint son portable), puis son ami Doug. A son frère Paul, revenu de Tokyo, Benjamin n’a pas dit un mot, ils ne se parlent plus depuis six ans.

    A cinquante ans, Benjamin vit seul dans cette grande demeure, où il rêvait de passer ses vieux jours avec Cicely Boyd, l’amour de sa vie. Celle-ci, atteinte de sclérose en plaques, est partie en Australie pour un traitement qui a bien réussi et y est restée – tombée amoureuse d’un médecin. Doug et Benjamin évoquent la situation sociale (Doug est commentateur politique), sa femme (qui ne dort plus avec lui) et leur fille Coriandre. Quand il se retrouve dans sa chambre, Benjamin peut enfin écouter une chanson de Shirley Collins (Adieu to Old England) qu’il écoutait avec sa mère, partie en quelques semaines, et pleurer tout son saoul.

    Avec l’évolution de la société et de la politique anglaises, la vie de couple et la famille, la musique et l’écriture sont les principaux thèmes du roman. Sophie, la nièce de Benjamin, a connu plusieurs déceptions sentimentales ; elle rejoint souvent à Londres son ami gay, Sohan, sa seule relation stable. Décidée à rencontrer un type bien bâti qui la change des universitaires, elle aura le coup de foudre pour Ian qui anime avec Naheed des stages de sensibilisation à la bonne conduite automobile, rencontré après un excès de vitesse (58 en zone 50).

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    De nouvelles nominations à Downing Street amènent Doug à des contacts réguliers avec Nigel Ives, attaché de presse pour David Cameron. Quant à Benjamin, il rencontre Philip Chase, un ami devenu éditeur de sujets historiques, à la grande jardinerie Woodlands (on y trouve de tout et même un restaurant), leur lieu de rendez-vous à mi-distance entre eux. Ils s’y entretiennent avec un auteur qui a écrit un texte refusé partout à propos d’un projet d’Etat paneuropéen où « l’homme à venir serait métissé ». La question de l’immigration est un autre leitmotiv du récit.

    Quand Sophie s’est installée chez Ian, elle l’accompagne voir sa mère qui est veuve, Helena. Ian lui rend visite tous les dimanches. Sophie trouve Helena, grande femme de 71 ans, « redoutable ». Elle se plaint des petits commerces d’antan qui ont disparu, s’étonne du sujet de la thèse de Sophie, une étude des portraits d’écrivains européens noirs au dix-neuvième siècle comme Pouchkine, Dumas.

    Quant à Coriandre, la fille de Doug, elle est bouleversée par la mort d’Amy Winehouse. A quatorze ans, elle est en crise, ne supporte ni son père de gauche ni sa mère qui s’occupe d’œuvres de bienfaisance,  ni l’école privée où l’ils ont inscrite. Quand des émeutes éclatent à la suite du meurtre d’un Noir par la police, elle y prend part, attirée par « le goût vivifiant de la colère ».

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    Une succession d’affrontements liés au racisme ou au refus de la mondialisation révèlent la « ligne de fracture abyssale dans la société britannique ». Au mariage de Sophie et Ian, les seules personnes de couleur sont Sohan et Naheed, assis l’un près de l’autre. Quand sa collègue Naheed aura droit à la promotion que Ian espérait, à part Sophie, tout son entourage mettra cela sur le compte du pouvoir croissant des minorités et du politiquement correct.

    Depuis des années, Benjamin écrit une fresque de l’histoire européenne depuis l’entrée de la Grande-Bretagne dans l’Union en 1973 et compile des fichiers musicaux qui l’accompagnent. Sur les conseils de son ami éditeur, il renonce aux considérations « historico-politiques » et accepte de ne publier que l’histoire de son amour pour Cicely, sous le titre « Rose sans épine ». Benjamin est resté très proche de sa sœur Lois, qui a vécu un drame dans sa jeunesse, et il l’aide à prendre soin de leur père.

    Voilà les principaux ingrédients que fait mijoter Jonathan Coe dans Le cœur de l’Angleterre, un roman savoureux, riche en réflexions, en rencontres des corps, des cœurs et des esprits, avec l’un ou l’autre intermède à Marseille ou en croisière sur la Baltique. A travers l’éloignement entre Londres et l’Angleterre profonde, entre les élites et le peuple, attisé par les médias, on perçoit comment le Brexit s’est imposé au Royaume-Uni et l’a profondément divisé. On y reconnaît notre époque que l’écrivain décrit avec ce qu’il faut d’ironie pour ne pas verser dans trop de mélancolie. (Un seul regret : n’avoir pas pris note de tous les morceaux musicaux cités, comme cet émouvant Envol de l’alouette de Ralph Vaughan Williams.)

  • Tsvetaïeva

    Tsvetaïeva.jpg« Si je m’étais mis à raconter circonstance après circonstance et situation après situation l’histoire des goûts et des tendances qui m’ont rapproché de Tsvetaïeva, j’aurais dépassé de beaucoup les limites que je me suis fixées.
    J’aurais dû y consacrer tout un livre, tant nous vécûmes alors de choses en commun, de changements, d’événements joyeux ou tragiques toujours inattendus et qui d’une fois à l’autre élargissaient notre horizon mutuel.
    Mais tant ici que dans les chapitres à venir, je m’abstiendrai de toute remarque personnelle et privée et m’en tiendrai à l’essentiel et au général.
    Tsvetaïeva était une femme à l’âme virile, active, décidée, conquérante, indomptable. Dans sa vie comme dans son œuvre, elle s’élançait impétueusement, avidement, presque avec rapacité vers le définitif et le déterminé ; elle alla loin dans cette voie et y dépassa tout le monde. »

    Boris Pasternak, Hommes et positions

    Photo de Marina Tsvetaïeva en 1925 par Pyotr Ivanovich Shumov

  • De Pasternak à Jivago

    Gardé au chaud pour ce début d’année, le Quarto consacré à Boris Pasternak (1890-1960) comporte ses Ecrits autobiographiques. Le Docteur Jivago, ainsi que des documents annexes, dont une biographie détaillée et illustrée très intéressante. Pasternak évoque dans Sauf-Conduit et Hommes et Positions, deux textes écrits à plus de vingt ans d’intervalle, la même période de sa vie, à savoir son enfance, les années de formation, sa jeunesse, jusqu’à l’écriture de son fameux roman. Cela nous confronte à deux styles très différents de l’écrivain, qu’il commente lui-même en reniant sa première manière.

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    Sauf-Conduit (publié en revue de 1929 à 1931), dédié « à la mémoire de Rainer Maria Rilke », s’ouvre sur leur unique rencontre. Durant l’été 1900, dans le train en gare de Koursk, Boris, dix ans, observe cet inconnu vêtu d’une pèlerine tyrolienne noire qui « ne parle que l’allemand » avec son père et une femme qui dit quelques mots en russe à sa mère. A l’approche de Toula, le couple s’inquiète : le rapide n’a pas de halte prévue « chez les Tolstoï » et ils espèrent que le chef de train le stoppera à temps. Un attelage de deux chevaux les attend à la petite gare près de Iasnaïa Poliana et disparaît bientôt de leur vue.

    Pasternak dit ses premières passions : la botanique, puis à partir de l’été 1903 à la campagne où sa famille a les Scriabine pour voisins, la musique. Après les six années passées par Scriabine en Italie, ils se revoient, s’apprécient. Boris, élève au Conservatoire, adore et admire Scriabine. Celui-ci l’encourage à composer, même si le garçon se plaint de ne pas posséder « l’oreille absolue ». Enfin la poésie, découverte à travers deux livres de Rilke empruntés à son père.

    « Je n’écris pas ma biographie. J’y ai recours lorsque l’exige celle d’autrui. Avec son personnage principal, je considère que seul un héros mérite une véritable biographie, et que l’histoire d’un poète est, sous cette forme, absolument inimaginable. […] Le poète donne à toute sa vie une inclinaison si volontairement abrupte qu’elle ne peut pas être dans la verticale biographique où nous nous attendons à la trouver. […] Je n’offre pas mes souvenirs à la mémoire de Rilke. Au contraire, je les ai moi-même reçus en cadeau de lui. »

    A l’université, en « section de philosophie de la faculté d’histoire et philologie », la passion de la littérature prend le pas sur celle de la musique, la philosophie surtout. Quand un étudiant lui parle de l’Ecole de Marbourg, il rêve aussitôt de découvrir cette ville. Sa mère lui offre deux cents roubles pour aller étudier en Allemagne. Il y va en train, découvre la petite ville médiévale, loue une chambre, se rend au café des philosophes.

    Une jeune fille dont il est amoureux s’arrête trois jours à Marbourg avec sa sœur quand elle se rend en Belgique via Berlin. Il lui fait visiter la ville et prend même le train avec elle, se déclare à la jeune fille qui le refuse – il rentre à Marbourg transformé. Pour lui, désormais, seul l’art comptera. Il se met à écrire des vers, décide d’abandonner l’université. « Adieu, la philosophie, adieu la jeunesse, adieu l’Allemagne ! » Voici donc « des gares, des gares, des gares. » Bâle, les Alpes, Milan, Venise et la révélation de la peinture, Florence, retour à Moscou.

    Dans cette évocation de sa jeunesse, on rencontre beaucoup d’écrivains, d’artistes, de musiciens, l’effervescence de l’avant-garde. Quand il voit pour la première fois Maïakovski, Pasternak lui trouve de la grandeur ; il admire son aisance, son élégance, s’enthousiasme pour ses premières œuvres poétiques. Le suicide de Maïakovski en 1930 sera un coup de tonnerre. Lui seul, écrira Pasternak, qui lui consacre la troisième partie de Sauf-Conduit, « avait la nouveauté de l’époque dans le sang. » Maïakovski fut le premier auditeur (encourageant) de son recueil de poèmes Ma sœur la vie (1917). Pasternak avait rompu publiquement avec lui en 1927, écœuré par son zèle propagandiste.

    La vie est ma sœur, et voici qu’elle explose…, Boris Pasternak - YouTube

    Pasternak écrit Hommes et positions. Esquisse autobiographique en 1955, lorsque Le Docteur Jivago est presque terminé. Cela commence ainsi : « Dans l’essai autobiographique Sauf-Conduit, que j’ai écrit dans les années 20, j’ai analysé les circonstances qui ont fait de moi ce que je suis. Malheureusement le livre est gâché par une affectation inutile, péché courant à cette époque-là. » Cette fois, dans un style beaucoup plus harmonieux, il raconte non seulement les sensations mais aussi les faits de sa première enfance, quand naît son désir d’accomplir « quelque chose d’extraordinairement lumineux et sans précédent ».

    Lorsqu’il a trois ans, sa famille déménage à l’Ecole de peinture, sculpture et architecture, où son père Leonid Pasternak, peintre et dessinateur, donne des cours. Sa mère, Rosalia Kaufman, est pianiste. Son père illustre « Résurrection » de Tolstoï édité en feuilleton. Pasternak revient sur leurs relations avec Scriabine dont la musique est « audacieuse jusqu’à la folie ».  Une jambe cassée lors d’une chute de cheval, devenue un peu plus courte que l’autre, va libérer Pasternak des obligations militaires. L’écrivain reprend le cours de ses années orientées vers la musique, le tournant vers la poésie grâce à Rilke – il se réjouit que Verhaeren, dont son père fait le portrait à Moscou, le considère comme « le meilleur poète d’Europe ».

    A la mort de Tolstoï en 1910, Boris Pasternak accompagne son père à la petite gare d’Astopovo ; il rend hommage au génie littéraire de Tostoï, à sa « passion de la contemplation créatrice ». Jeune homme, il s’intéresse à tous les arts, fréquente les novateurs, fait partie d’un cercle où il donne une conférence sur « le symbolisme et l’immortalité ». On croise entre autres les noms de Blok, le grand poète de sa jeunesse, de Biely, d’Akhmatova. De Marina Tsvetaïeva, bien sûr, avec qui il correspondra des années durant.

    Pasternak traduit Goethe, Kleist – toute sa vie, il traduira des écrivains européens dont il partage la culture, un travail alimentaire aussi, comme ses emplois de répétiteur à domicile. Quand ses livres et manuscrits sont brûlés dans un incendie provoqué chez un riche négociant, il s’en fait une raison – « je n’aime pas mon style jusqu’en 1940 » : « Il est plus indispensable dans la vie de perdre que de gagner. Le grain ne lève pas s’il ne meurt. Il faut vivre sans se lasser, regarder en avant et se nourrir de ces provisions vivantes que l’oubli non moins que le souvenir élaborent. »

    Les bouleversements consécutifs à la Révolution russe changent leur vie à tous.  Pasternak renonce à poursuivre son autobiographie, il y aurait tant à dire pour rendre compte des « épreuves nouvelles auxquelles ce monde a soumis la personne humaine ». « Il faudrait le décrire de telle façon que le cœur se serre et que les cheveux se dressent sur la tête. »