« C’est vrai qu’un dessin très court peut être réducteur, mais parfois il peut aussi ouvrir des portes pour aller au-delà. »
Cécile Bertrand (Arte, 28/3/2013)
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« C’est vrai qu’un dessin très court peut être réducteur, mais parfois il peut aussi ouvrir des portes pour aller au-delà. »
Cécile Bertrand (Arte, 28/3/2013)
Chaque jour, à la dernière page de La Libre Belgique, Cécile Bertrand signe de percutantes illustrations de l’actualité. Son nouveau site exploré récemment m’a donné envie de vous présenter la cartooniste et son chat, qui joue de temps à autre le porte-parole de cette « dessinatrice éditoriale ».
Etudes de peinture, illustrations pour enfants, je vous renvoie à sa biographie pour les détails de son parcours. Cécile Bertrand commence à dessiner pour la presse en 1990, d’abord dans Le Vif/L’Express, puis dans d’autres publications. L’album Les poux, en 2007, rassemble ses cartoons dans La Libre. Cette année-là, son chemin de croix pour illustrer la mort de Pinochet – « Pinochet conduit vers sa dernière demeure » – lui vaut le Grand Prix du Press Cartoon.
© Cécile Bertrand (La Libre Belgique/Cartoonbase)
A l’approche des élections fédérales, régionales et européennes du 25 mai prochain, comment ne pas songer aux interminables tractations qui ont suivi celles de 2010 ? Je me souviens du dessin plein d’humour et de pertinence où elle montrait le roi songeur, à la recherche d’une solution : « Médiatrice ? Informatrice ? Formatrice ? Pacificatrice ? Créatrice ? Conciliatrice ? Exploratrice ? » (en écho aux innombrables « démineurs » qui se sont succédé avant la formation du gouvernement actuel). Son timbre 2011 évoquait aussi cette période de haut stress politique belge.
Les dessins de presse de Cécile Bertrand sont souvent des diptyques, côté image et côté langage : « La Grèce / La grève » oppose aux caryatides classiques d’autres caryatides les bras croisés). « Ils mangent des produits éthiques – Ils mangent ? », un dialogue entre deux Africains pour illustrer la Journée mondiale du commerce équitable.
Cécile Bertrand aime juxtaposer, confronter – « J’aime souvent faire des parallèles : chez eux, chez nous, ou bien hier et aujourd’hui, c’est un peu mon truc de cartooniste. » (Arte). Par exemple, « Le temps se couvre pour la jeune génération ». Une mère en foulard interpelle sa fille devant la porte ouverte, prête à sortir. 1990 : « Tu ne vas pas sortir comme ça ? » (la fille est court vêtue, les cheveux longs). Même question en 2011 (la fille est entièrement dissimulée sous un tchador noir). Voyez plutôt.
© Cécile Bertrand (La Libre Belgique/Cartoonbase)
C’est parfois glaçant. Sous quatre croix, les prénoms de Julie, Mélissa, Ann et Eefje ; à côté une femme en prière en face d’un crucifix, Michèle Martin (« Dans un couvent ? ») Les scandales de pédophilie, les silences de l’Eglise, la mauvaise foi inspirent à la dessinatrice de presse, esprit très libre, des images si irrévérencieuses qu’elles sont parfois écartées : quelques-uns de ces « poux refusés » sont visibles sur son site.
« L’actualité vue par mon chat » revient de temps en temps : qu’il dorme tranquillement en rond ou qu’il s’étire de tout son long, ce qu’il fait volontiers, ce chat philosophe, un vrai pacha, rappelle que la vie est aussi faite pour en jouir, tout simplement, ou pour se réjouir de ce qui va bien, « carpe diem ».
© Cécile Bertrand (La Libre Belgique/Cartoonbase)
Cécile Bertrand est également plasticienne, elle travaille « sur la trace que l’être humain laisse derrière lui ». Son autre site décrit une série photographique intitulée « Le fil bleu de ma vie ». En attendant l’occasion de découvrir cela de plus près, je serai à son prochain rendez-vous dans La Libre – ce matin, j’espère, inquiète de ce que je viens de lire sur le blog de Bado.
***
P.-S. Malheureusement, la mauvaise nouvelle est confirmée : Cécile Bertrand a été "virée" ! Nous ne trouverons plus ses dessins dans La Libre Belgique – un esprit trop libre ?
Dans l'eau qui coule à petit bruit,
Dans l'air du temps qui souffle à petit vent,
Dans l'eau du temps qui parle à petits mots
Et sourdement touche l'herbe et le sable ;
Dans l'eau du temps qui traverse les marbres,
Usant au front le rêve des statues,
Dans l'eau du temps qui muse au lourd jardin,
Le vent du temps qui fuse au lourd feuillage
Dans l'air du temps qui ruse aux quatre vents,
Et qui jamais ne pose son envol,
Dans l'air du temps qui pousse un hurlement,
Puis va baiser les flores de la vague,
Dans l'eau, dans l'air, dans la changeante humeur
Du temps, du temps sans heure et sans visage,
J'aurai vécu à profonde saveur,
Cherchant un peu de terre sous mes pieds,
J'aurai vécu à profondes gorgées,
Buvant le temps, buvant tout l'air du temps
Et tout le vin qui coule dans le temps.
Norge, Cris (La belle saison, 1973)
« Lorsque des familiers de Norge se donnent la joie de révéler son œuvre à des amis qui l’ignorent encore, ils se trouvent tellement habités par leur sujet qu’ils cherchent à tout dire à la fois du poème et du poète. » Ainsi commence l’introduction de Jean Tordeur au gros volume des Œuvres poétiques (1923-1973) de Norge publiées chez Seghers en 1978.
Je suis parfois surprise que de grands écrivains belges de langue française, comme Marie Gevers dont j’ai parlé récemment, soient inconnus hors de Belgique, même de nom. Est-ce dû à cet étiquetage fallacieux de littérature « francophone » qui pose une frontière entre la littérature française de France et celle d’ailleurs ?
Né à Bruxelles, Georges Mogin dit Géo Norge (1898-1990), d’abord voyageur de commerce, – dans le textile et non le bois, comme Marcel Thiry, autre poète marchand – a passé la seconde moitié de sa vie en France, dans le Midi, où il s’est installé définitivement comme antiquaire à Saint-Paul de Vence. Bruxelles, le Hainaut, l’Ardenne, le paysage méditerranéen l’ont inspiré, mais surtout le langage, son royaume.
Dans ses Œuvres poétiques, le tout premier poème annonce la couleur : Norge joue avec les mots, le rythme, mêle humour et sérieux, sentiments et saveurs.
La pêche du poème
Leurre comme tout et tous
mais je goûte quand même
belle,
la belle tentation de dire.
O, si confusément tiré des limbes
cérébraux : poème :
poisson un peu étrange
et féerique à travers
les rutilances de l’aquarium
et le cohue de l’eau.
Scintille et sois né !
Or, voici la phrase – illusion optique –
si fièrement et drôlement indigente
et non dite.
(27 Poèmes incertains, 1923)
De petits traits au crayon, des croix, marquent dans la table des matières de ce gros recueil tout blanc les poèmes les plus souvent relus. C’est sur ces traces que je vous entraîne – que dire d’un poète sinon de se mettre à son écoute ?
Réveil
Le petit jour poreux
qui efflue,
réhabite
nos vitreuses pensées
On s’entoge encore une fois
du faux habit de soi-même.
On replâtre le masque d’hier
à ce visage trop frileux
de sa nudité.
On reprend sa vie – pliée
sur un fauteuil
au pied du lit –
comme un vêtement qu’on soigne.
On inventorie la risqueuse
monnaie des paroles qu’il faudra dire,
la trouble marchandise
des gestes qu’il faudra faire.
Pour demeurer la dupe
de son signalement.
Et chacun trouve naturel
de n’être pas devenu
un autre.
(Plusieurs malentendus, 1926)
http://www.musicme.com/#/Norge/albums/Jeanne-Moreau-Chante-Norge-5060281616180.html
Jeanne Moreau a chanté Norge. Plus d’un poème chante ou se dit chanson : chansons gaies, chansons graves, aux titres terre à terre ou plus secrets. Vers courts et vers longs, vers libres, poèmes en prose, hors des modes et des conventions en tous genres.
Les pigeons
Les paroles de Lucie, c’était comme un lâcher de pigeons. De pigeons blancs. Je les regardais monter dans le bleu du ciel ; la lumière jouait sur leurs plumes. Par trois, par six, par dix, ils tournaient, ils filaient dans toutes les directions. Et ces mouvements d’ailes ! – Alors, vous ne répondez pas ? dit-elle. Moi, j’admirais, j’étais charmé. Comment ? Il fallait écouter aussi ! Et répondre.
(Les Oignons, 1956)
Servez-vous au buffet : sa poésie est diverse. Pour faire connaissance avec Norge, Remuer ciel et terre est une bonne anthologie de poche. Rappelez-vous : Colo vous en a proposé quelques poèmes et les a même traduits en espagnol, à relire sur Espaces, instants. Vous trouverez Norge aussi en Poésie/Gallimard.
Pour finir
Le savez-vous, chez ce peuple d’oiseaux,
La mode fut qu’on se coupât les ailes ;
Pourquoi de l’aile, on ne volait plus guère,
On mangeait trop et l’on marchait si peu
Que pour finir on se coupa les pattes.
Quant à chanter, le fait devint si rare
Que pour finir, on se coupa la gorge.
(Bal masqué parmi les Comètes, 1972)
« Je pensais aussi à l’oncle. Je ne le plaignais pas d’être mort. Tante Mimie et mon père m’avaient désappris la crainte de mourir si l’on est âgé :
– Un vêtement usé qu’on laisse… Et puis, pourvu qu’on ait vécu de son mieux, qu’est-ce que cela fait ? »
Marie Gevers, Vie et mort d’un étang