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Belgique - Page 22

  • Première question

    « Pourquoi suis-je ici ? » demandait-elle
    chaque fois, quatre-vingt-dix ans, les yeux

     

    cernés de rouge depuis que les larmes
    n’y venaient plus. « Pourquoi suis-je ici ? »
    A peine capable de se mettre debout,

     

    l’appétit déclinant. « Pourquoi suis-je ici ? »
    J’avais beau lui expliquer patiemment
    trois fois, quatre fois, que cela faisait déjà

    des années qu’elle ne pouvait plus vivre seule,

     

    ne tenait plus sur ses jambes, elle savait encore

    parfaitement l’année de ma naissance, mais pas

    celle où nous étions, que « bleu outremer » était

    la couleur de la porte d’entrée chez ses

    grands-parents, mais pas le nom de l’infirmière

     

    qui venait la laver et l’habiller tous les jours.

    « Pourquoi suis-je ici ? » Puis avec un choc

    je compris : et si ce n’était pas une question

    d’aujourd’hui mais d’autrefois et là-bas, la première

     

    du catéchisme, celle avec la promesse

    d’un ciel, et je lui répondis : « Pour servir
    Dieu et être heureuse en ce monde

    et dans l’au-delà. » Elle ne me jeta même pas
    un regard : « Tu y crois encore, à ces bêtises ? »

     

    Huub Beurskens

     

    (Hôtel Eden, 2013, traduit du néerlandais par Hans Hoebeke) 

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    Eerste vraag
     

    « Waartoe ben ik eigenlijk hier ? » vroeg ze
    telkens weer, in haar negentigste, rood
     

    Omrande oogjes vanwege het gebrek aan
    traanvocht. « Waartoe ben ik eigenlijk hier ? »
    Amper nog in staat overeind te komen,
     

    weinig eetlust meer. « Waartoe ben ik eigenlijk
    hier ? » Hoe ik ook geduldig probeerde het
    haar uit te leggen, drie, vier keer, dat ze al
    jaar geleden niet meer zelfstandig wonen 
     

    kon, niet goed ter been, mijn geboortejaar
    wist ze feilloos, maar niet dat waarin we
    heden leefden, dat “diepblauw” de kleur
    van de deur van haar grootouderlijk huis

    was geweest, maar niet hoe de verpleegster
     

    heette die haar dagelijks waste en kleedde.
    « Waartoe ben ik eigenlijk hier ? » Tot ik met
    een schok dacht : wie weet is het geen vraag
    van nu, maar een van toen en daar, de eerste
     

    uit haar catechismus, die met de belofte
    van een hemel, en antwoordde: “Om God
    te dienen en daardoor hier en hiernamaals
     

    gelukkig te zijn.” Ze keek me er niet eens
    bij aan : “Dat jij nog gelooft in dat gezemel.”

     

    Huub Beurskens

     

    In Septentrion, n° 1, mars 2014,
    Le dernier cru : poèmes choisis par Jozef Deleu

     

     

     


     

  • Poétesse / Dichteres

    Cela fait bien longtemps qu’Euterpe, partie vers d’autres aventures, ne nous titille plus avec ses féminins féministes, je pense à elle en juxtaposant ces deux suffixes homonymes en français et en néerlandais. Au stand de Ons Erfdeel vzw à la Foire du Livre, j’ai retrouvé Septentrion que je lisais régulièrement à la bibliothèque de l’école. J’ai reçu avec plaisir un numéro de cette revue trimestrielle des « Arts, lettres et culture de Flandre et des Pays-Bas » qui a aussi un blog destiné à faire mieux connaître la culture des « Plats Pays » aux lecteurs francophones. 

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    Dans ce numéro 1 de 2014,  Bart Stouten (présentateur, producteur pour la chaîne de musique classique Klara (VRT) et poète, comme vous pouvez le lire sur son blog) présente la poésie de Miriam Van hee sous le titre « Tout commence chez soi… mais où ? » (traduit par Jean-Philippe Riby). Née en 1952, cette poétesse flamande le fascine avec ses vers « épurés, lumineux » et il nous parle de ses recueils publiés depuis 1978 (Le maigre repas / Het karige maal).

     

    Voici deux poèmes de Miriam Van hee, tirés de Là où tombe la lumière / Ook daar valt het licht (2013).  Elle est la première femme à avoir reçu, en 1998, le prix triennal de poésie de la Communauté flamande. En 2007,  l’édition française de son recueil La cueillette des mûres / De bramenpluk a été récompensée par le prix européen Poesias, rebaptisé depuis prix Virgile.

     

    Bart Stouten conclut son article par ce bel éloge : « Miriam Van hee est à mes yeux la poétesse du mystère. La poétesse du contre-jour. La poétesse d’un paradoxe qui fait des mots un silence. A la vérité, là encore choit la lumière. Aussi étrange que cela puisse paraître, la lumière éclaire jusqu’à l’indicible. »

     

    Sur place

     

    en bas est le village, il paraît
    tout avoir, un clocher
    une place, un pont et des lointains

     

    un bois de chênes où le vent parfois
    se déchaîne, et des maisons
    les volets sont fermés, des taches

     

    de lumière bougent sur le chemin
    de terre et c’est miracle, un monde
    habitable à ce point, et que pousse

     

    le raisin dans un sol aussi dur
    et que la treille ombrage
    sans y penser, le pommier porte

     

    encore des pommes petites, rouges et qui
    sous l’œil de personne, tomberont
    quand leur heure sera venue

     

    Surplace

     

    Beneden ligt het dorp, het lijkt
    alsof het alles heeft, een toren
    een plein, een brug, een achtergrond

     

    een eikenwoud waarin de wind
    tekeer kan gaan, en huizen
    de luiken zijn gesloten, vlekken

     

    licht bewegen op de aarden weg
    het is een wonder, zo bewoonbaar
    als de wereld is, dat druiven

     

    kunnen groeien in zulke harde grond
    en de wingerd schaduw geeft
    zonder bedoeling, de appelboom

     

    draagt appels nog, kleine, rode, die
    voor niemands ogen zullen vallen a
    ls hun tijd gekomen is
     

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     Le moment venu

     

    ce serait beau, le moment venu
    d’en avoir le désir, de sortir
    dans le matin et si jamais nous
    avions la force de nous risquer dans le bois

     

    pour chercher un endroit où nous étions
    jadis venus, couchés sur un rocher, nos regards
    dominant un coude de la rivière
    quelque chose allait survenir, un animal

     

    nous apparaîtrait, que nul ne nous dérange
    le moment venu, quand nous aurons enfin
    résolu nos problèmes et serons libérés,
    écoutons, entendons-nous déjà le murmure

     

    de l’eau, ne connaissions-nous pas un peu le monde
    nous avions attendu la neige, attendu le
    train, nous avions été en retenue, nous
    avions grimpé, nous nous étions perdus

     

    on nous avait trouvés, donc, le moment
    venu, prenons les sentiers battants
    plutôt que les battus, sans nous retourner, toujours
    il y aura quelque chose de connu, la terre meuble

     

    qui s’enfonce sous les pins, c’est ce que nous aimions

     

    Eens zover

     

    het ware mooi, als het eens zover is
    om ernaar te verlangen, naar buiten
    te gaan in de ochtend en mochten wij
    sterk genoeg zijn om het bos in te durven

     

    op zoek naar een plek waar wij vroeger
    al waren, wij lagen er toen op een rots
    uit te kijken over een bocht in de rivier
    iets stond te gebeuren, een dier zou zich

     

    aan ons vertonen, laat niemand ons storen
    als het een zover is en wij onze problemen
    dan eindelijk opgelost hebben en vrij zijn,
    laten wij luisteren of wij het water al horen

     

    ruisen, wij wisten toch iets van de wereld
    wij hadden gewacht op de sneeuw, op de
    trein, wij waren nagebleven op school, wij
    hadden geklommen, we waren verdwaald

     

    we werden gevonden, dus, als het eens
    zover is, laten wij de onzekere weg voor
    de zekere nemen, niet omzien, er zal altijd
    iets zijn dat we herkennen, de meegaande

     

    grond onder de dennen, daar hielden we van

     

    Miriam Van hee

     

    (Ook daar valt het licht, 2013, traduit du néerlandais par Philippe Noble)

  • Lumière du ciel

    « Au moment où la lune plonge dans les lames de plus en plus serrées, la certitude de la neige nous vient. Mais comme il est rare de pouvoir surprendre la chute du premier flocon ! Levez le visage, tendez les mains, fermez les yeux, les paupières sensibles révèleront peut-être un pétale de neige ! 

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    Photo Janvier 2013

    Il est aussi difficile de saisir ce premier flocon que de surprendre le moment où la surface d’un étang se couvre de glace… il y a un instant, l’espace était plein de l’odeur de la neige, mais il ne neigeait pas… la lune brassait la neige à pleins rayons, mais il ne neigeait pas. Notre visage interrogeait en vain l’air adouci, mais pas un duvet ne venait le caresser, et voici que soudain tout l’espace floconne, danse, fleurit, et que toute la lumière du ciel vient baiser la terre.

    La lumière du ciel ?...

    Solstice d’hiver, Noël, le véritable cycle de l’année recommence. Dans cette campagne endormie, dans cette descente continue de la neige, dans cette absence absolue de tout mouvement latéral, le ciel et la terre échangent des messages. Nos cœurs sont aussi comblés de symboles que cette nuit est comblée de blancheurs. Tenons-nous au centre de tout, comme si nous étions la rose des vents, immobile, au commencement du monde. »

     

    Marie Gevers, Décembre et la neige (Plaisir des météores)

     

     

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    Bonne fête de Noël
    à toutes & à tous !

  • Linda et la guerre

    En ce mois de novembre, les commémorations de la Grande Guerre battent leur plein en Belgique, dans toutes les régions du pays. Linda Van der Meeren montre en ce moment au Kruispunt à Denderleeuw (Flandre-Orientale) « 100 werken voor 100 jaar oorlog » (100 œuvres pour 100 ans de guerre) dans le cadre d’une exposition sur « La guerre et ses héros », du 9 au 16 novembre. 

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    Linda et la guerre – par où commencer ? J’ai raconté ici l’histoire d’Hilaire Gemoets, notre oncle, héros de la Résistance fusillé le 3 septembre 1944, ma mère cachée pour échapper à la Gestapo, mon grand-père à Buchenwald. Chaque année à cette date – ce fut particulièrement touchant et solennel septante ans après –, une double cérémonie rend hommage à Hilaire et à la Résistance au monument de Webbekom (près du champ où il a été abattu) puis au cimetière d’Assent. Ma cousine Linda y prend la parole au nom de notre famille maternelle, très touchée de cette fidélité de tant de participants au devoir de mémoire.  

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    “Ceux de 14” (détail)  © Linda Van der Meeren

    L’histoire et la création mêlées font l’originalité de cette double exposition qui montre des documents, des objets d’époque – issus de la formidable collection de Lorenzo De Prez, du Cercle d’Iddergem – et des toiles, des dessins de Linda Van der Meeren inspirés principalement par la première guerre mondiale (WO I). Si vous lisez le néerlandais, je vous invite à découvrir l’entretien qu’elle a accordé au journal De Schakel pour expliquer son parcours artistique et, sur le site de l’artiste, son texte intitulé « Waarom gepassioneerd door oorlogshelden ? » (Pourquoi cette passion pour les héros de guerre ?)  

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    A l’entrée, près d’une toile aux coquelicots, un stéréoscope en bois d’époque permet de visionner des vues de la guerre 1914-18 en relief : des photographies prises sur le front montraient ainsi au grand public la réalité vécue par les soldats, la vie dans les tranchées. L’une d’elles montre des hommes s’affairant non loin d’un soldat qui a perdu ses jambes. Terrible. 

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    La guerre, c’est le sujet que Linda Van der Meeren a choisi pour son travail de fin d’études à l’Académie des Beaux-Arts de Liedekerke en 2012, centré sur l’histoire familiale durant la dernière guerre. Le service culturel de Denderleeuw, impressionné, lui a suggéré de se tourner aussi vers la première guerre mondiale. Ainsi, depuis des années, elle se documente dans les archives, les journaux, les livres d’histoire, et le choc devant certaines images la pousse à prendre un crayon, le pinceau, les couleurs, pour rendre l’émotion de ces scènes de guerre, toujours avec empathie. Le courage, le devoir, la mort, la souffrance, la patrie, elle les sort de la poussière de l’histoire pour leur rendre vie, couleur, éclat. 

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    © Linda Van der Meeren

    Les trois couleurs nationales sont partout, sur les affiches, autour des photos souvenirs des morts à la guerre, et aussi dans les compositions de Linda, surtout le noir – silhouettes de soldats en marche, au combat, sur une crête – et le rouge – couleur du sang versé, des coquelicots en fleurs. Elle recourt à des techniques très diverses, intègre souvent des documents, des photos à la toile sur laquelle elle travaille, y incorpore des mots, des bouts de phrase. 

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    © Linda Van der Meeren

    Dessins et peintures rendent hommage à de grandes personnalités comme Edith Cavell, Gabrielle Petit, et aux combattants, identifiés ou anonymes, des êtres humains pris dans l’histoire. Linda a aussi représenté « Le Pigeon soldat » – un clin d’œil peut-être aussi à notre grand-père colombophile. 

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    “Le Pigeon Soldat” (détail ) © Linda Van der Meeren

    Les objets de la première guerre mondiale présentés en vitrines, soigneusement étiquetés par Lorenzo De Prez, permettent de remonter le temps : uniformes, képis, casques, armes, étuis, livre de prières « du soldat chrétien », photographies, médailles, cartes postales, etc. Les dates sur les souvenirs des soldats morts à la guerre rappellent leur jeune âge, pour la plupart, toute une génération emportée.  

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    Linda Van der Meeren devant la maison du Dr Cochez à Denderleeuw

    Plus loin, on peut admirer un beau portrait du docteur Cochez, médecin héros de la seconde guerre mondiale et membre actif de la Croix Rouge, originaire de Denderleeuw, où il a son monument. En ce moment, devant sa maison, ce portrait figure en grand sur une toile commémorative. Linda Van der Meeren nous émeut aussi en peignant celles qui attendent, inquiètes : un groupe de femmes et de fillettes, de dos, regardent l’horizon teinté de rouge. Parmi les nombreuses citations proposées tout au long de l’exposition, celle-ci résume parfaitement son esprit : « Qui ferme les yeux devant le passé est aveugle devant le futur. »