Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Passions - Page 448

  • Musique et cruauté

    Pas de musique qui adoucit les mœurs dans Le département de musique (Nemesis, traduit de l’anglais par Boris Matthews), roman publié par Joyce Carol Oates sous le pseudonyme de Rosamond Smith en 1990. Mais de la cruauté, certes. Ce thriller s’ouvre sur un étonnant extrait d’une lettre de Chopin : « Ce n’est pas de ma faute si je ressemble à un champignon qui paraît comestible, mais qui vous empoisonne quand vous y goûtez en le prenant pour un autre. » (1839) 

    joyce carol oates,le département de musique,nemesis,roman,littérature anglaise,etats-unis,thriller,musique,violence,viol,meurtre,homosexualité,enseignement,culture
    Première édition

    Maggie Blackburn, « femme d’une grande intégrité », célibataire, est « une pianiste douée » mais manque de confiance en soi. Professeur au Conservatoire de Forest Park (Connecticut) depuis six ans, elle vient d’être nommée à 34 ans « directrice du département de formation musicale pour étudiants avancés ». Son style vestimentaire (des couleurs toujours neutres), ses bijoux coûteux (héritage de famille), son attitude « parfois distraite, voire absente », sa discrétion sur sa vie privée la rendent mystérieuse aux yeux des autres.

    Elle ne parle à personne des visites qu’elle rend à son père en maison de retraite jusqu’à sa mort, ni des « crises d’amnésie » qui la saisissent parfois. En septembre 1988, Maggie organise une grande soirée dans sa maison pour présenter les nouveaux étudiants et enseignants à la communauté du Conservatoire. Soirée fatale.

    Calvin Gould, le recteur, 39 ans, est son invité le plus désiré : elle est secrètement amoureuse de lui. Sa femme déteste les mondanités, et comme prévu, il viendra sans elle. Les canaris de Maggie, Rex, un mâle au chant extraordinaire et une femelle, Sucre d’orge, sont des oiseaux délicats qu’un courant d’air froid pourrait tuer, aussi a-t-elle déplacé leur cage à l’arrière de la maison, loin de l’agitation.

    Puis c’est le défilé des invités, l’attention pour chacun, pour le service, un stress continu pour Maggie qui a du mal à se détendre et observe tout son monde, soucieuse que tout soit parfait. Vingt minutes avant la fin, Calvin Gould arrive enfin, la trouve « merveilleuse », puis est rapidement accaparé par les autres. Le recteur est un « personnage controversé » au sein du département de musique, mais Maggie le défend toujours « bec et ongles ».

    Au moment où ses derniers invités prennent congé, Maggie remarque Rolfe Christensen, 59 ans, compositeur renommé, en grande conversation avec un compositeur novice de 27 ans, Brendan Bauer, un étudiant timide qui a tendance à bégayer. Christensen lui propose de le raccompagner en voiture et Calvin, de son côté, reconduit une étudiante à sa résidence sur le campus. Le calme revenu, Maggie découvre que quelqu’un a fumé dans son bureau et y a ouvert la fenêtre en grand : Sucre d’orge gît sur le sol de la cage, morte.

    Ce petit drame n’est rien en comparaison de celui qui se déroule dans la majestueuse demeure de Christensen, qui a ramené Brendan chez lui sous prétexte de lui faire écouter un enregistrement de son « Adagio pour piano et cordes ». Jeune, maigrichon, « charmant », l’étudiant est le genre de garçon qui attire Christensen, un costaud. Il le fait boire, use et abuse de son autorité naturelle, de sa logorrhée de moins en moins contenue, pour retenir sa proie.

    Le lendemain, Maggie enterre Sucre d’orge. Plus tard dans la journée, elle aperçoit quelqu’un derrière chez elle : Brendan Bauer, hagard, apeuré, la peau éraflée, les lunettes cassées, est si agité qu’il refuse de s’asseoir quand elle le fait entrer. Comme fou, le jeune homme déambule dans le salon, touche le piano, finit par accepter une tasse de café. Il ne veut ni médecin, ni qu’elle l’emmène aux urgences, et finit par dire l’abominable : il a été violé, pense au suicide, regrette de n’avoir pas tué Christensen, renonce à ses cours.

    Stupéfaite, compréhensive, patiente, Maggie parvient à lui faire raconter ce qu’il a vécu, la manière monstrueuse dont il a été traité. Elle veut prévenir la police, mais Brendan refuse, l’humiliation a été trop grande et il ne supporterait pas qu’on le prenne pour un homosexuel qu’il n’est pas. Elle le reconduit chez lui en le priant de l’appeler en cas de besoin, elle est sa conseillère après tout.

    Le lundi matin, elle se rend dans le bureau du recteur pour l’informer. Calvin Gould est écœuré, il craint que Brendan ne mette fin à ses jours et convainc Maggie de l’appeler pour qu’il dépose une plainte au département, en toute confidentialité – Brendan accepte. Maggie apprend un peu du passé trouble de Christensen, qu’elle ignorait. Pendant quelques jours, celui-ci reste invisible, et quand il réapparaît, convoqué chez le recteur, il est accompagné de son avocat. Sans vergogne, il parle de rapports entre adultes consentants, prétend que Brendan l’a provoqué, joue les scandalisés. 

    La vérité sur cette nuit-là ne sera dévoilée, on s’en doute, qu’à la fin du roman, après la mort de Christensen, empoisonné, et le meurtre d’un autre musicien. Brendan est suspecté, seule Maggie reste convaincue de son innocence. La découverte du véritable assassin devient son obsession. Nemesis (titre original) est la déesse de la vengeance, de la colère divine. Joyce Carol Oates, pour qui la lecture de Crime et châtiment fut une révélation, sème évidemment des indices, ouvre de fausses pistes, tient ses lecteurs en haleine, mêle avec brio à ces violences les secrets intimes et la musique, tissant page après page le portrait d’une femme à l’air fragile, terriblement obstinée.

  • Nénuphar

    « Nénuphar » vient de l’égyptien « nanoufar » qui veut dire « les belles » ; dans l’Egypte ancienne on donnait ce nom aux nymphéas, considérés comme les plus belles des fleurs. « Un grand lotus sorti des eaux primordiales » est le berceau du soleil au premier matin. Ouvrant leur corolle à l’aube et la refermant le soir, les nymphéas, pour les Egyptiens, « concrétisaient la naissance du monde à partir de l’humide. » (G. Posener, Dictionnaire de la civilisation égytienne) 

    nénuphar,nymphéa,fleur,symbole,nature,culture

    Jean Chevalier, Alain Gheerbrant, Dictionnaire des symbolesRobert Laffont/Jupiter, 1985.

  • Au parc de Woluwe

    C’est l’été encore, même si à Bruxelles, août ramène déjà un air plus frais poussé par le vent d’ouest. Un temps propice aux promenades, et cette fois, pas au parc Josaphat tout proche, mais dans le parc de mon enfance, à Woluwe-Saint-Pierre (on prononce Woluwé, commune et parc tirent leur nom d’un ruisseau, la Woluwe). 

    parc de woluwe,woluwe-saint-pierre,bruxelles,espaces verts,étangs mellaerts,avenue de tervueren,promenade,culture

    L’hiver, on y emmenait sa luge, les patins à glace (rares étaient les hivers où les étangs Mellaerts, de l’autre côté du boulevard du Souverain, gelaient assez pour permettre de s’élancer à leur surface). L’été, on y va pour flâner, pique-niquer, lire, bronzer, jouer… Certains sont adeptes du mini-golf, d’autres du canotage. Les botanistes amateurs, les amis des oiseaux y ont de quoi s’occuper. (Penser la prochaine fois à emporter un Guide des arbres pour combiner l’observation et la marche.)

    parc de woluwe,woluwe-saint-pierre,bruxelles,espaces verts,étangs mellaerts,avenue de tervueren,promenade,culture

    Au bas de la passerelle qui a pris la place de l’ancien pont du chemin de fer au-dessus de l’avenue de Tervueren, quand au lieu de prendre la grande allée, on se dirige à droite vers les étangs, après de petites chutes pittoresques, on a déjà un beau point de vue sur le coin des oiseaux où un cormoran est resté longtemps à se sécher les ailes, déployées comme les bras d’un danseur.

    parc de woluwe,woluwe-saint-pierre,bruxelles,espaces verts,étangs mellaerts,avenue de tervueren,promenade,culture

    Vertes pelouses et miroirs des étangs, grands arbres et ponts en rocaille, c’est un décor pour photographies de mariage ou rendez-vous entre amis. Ce parc à l’anglaise couvre environ septante hectares, il date de la fin du XIXe siècle.

    parc de woluwe,woluwe-saint-pierre,bruxelles,espaces verts,étangs mellaerts,avenue de tervueren,promenade,culture

    Pour l’Exposition Universelle de 1897, Léopold II, roi bâtisseur, voulait un grand parc le long de la nouvelle avenue de Tervueren qui relie les deux sites de l’exposition, le Cinquantenaire et le « musée colonial » de Tervueren, aujourd’hui Musée royal de l’Afrique centrale. Et ainsi attirer la bourgeoisie – pari réussi, cette avenue est une des plus prestigieuses de Bruxelles. Joseph Hoffman y bâtira le fameux Palais Stoclet, du nom de son commanditaire.

    parc de woluwe,woluwe-saint-pierre,bruxelles,espaces verts,étangs mellaerts,avenue de tervueren,promenade,culture 

    Une des avenues du parc de Woluwe porte le nom d’Emile Lainé, un architecte-paysagiste français qui contribua également à l’aménagement des parcs de Forest et de Tervueren (Tervuren en flamand). Tout en pentes, en face du Chien Vert, le parc de Woluwe offre des vues très variées. On peut y profiter largement du soleil, mais on y trouve aussi des allées ombragées.

    parc de woluwe,woluwe-saint-pierre,bruxelles,espaces verts,étangs mellaerts,avenue de tervueren,promenade,culture

    A cette saison où tous les verts tendent à se ressembler, un cercle de jeunes hêtres pourpres, l’éclat argenté d’un arbrisseau, les bogues vert tendre des châtaignes attirent l’œil.

    parc de woluwe,woluwe-saint-pierre,bruxelles,espaces verts,étangs mellaerts,avenue de tervueren,promenade,culture

    Mais ce que je préfère, en me promenant, c’est suivre le jeu de la lumière dans les feuillages, à contre-jour, et en particulier lorsque les feuilles des branches basses se laissent traverser par le soleil. Dans les sous-bois, la lumière fait le spectacle – on serait peintre, on y planterait son chevalet.

  • Un monde meilleur

    Des amitiés, une époque, des doutes, des rêves, des débuts… Voilà ce que conte Jean-Luc Outers dans son dernier roman, De jour comme de nuit (2013). Trois personnages principaux, à la fin des années soixante : Hyppolite, inscrit en droit à l’université de Bruxelles « puisque le droit, lui avait-on dit, pouvait mener à tout. » César, qui a choisi Sciences-Po pour la même raison. Juliette, à trente kilomètres de là, inscrite en psychologie à Louvain (avant que les francophones, chassés par les flamands, ne déménagent à Louvain-la-Neuve). 

    outers,de jour comme de nuit,roman,littérature française,belgique,écrivain belge,années 70,révolution,engagement,école,université,culture

    « Les études sont une suspension du temps entre l’enfance et l’âge adulte, un moment différé avant de plonger dans le bain définitif de la vie. » Outers situe d’abord ces trois jeunes en rupture dans leur famille. Les parents de Juliette s’inquiètent de sa vie loin d’eux et hors des sentiers battus – depuis que le jour de ses seize ans, elle a refusé net le collier de perles que lui offrait son père joaillier. Hippolyte déteste le conformisme de son père, un parlementaire. Les parents de César, fils unique, ont recomposé une famille, chacun de leur côté, après leur divorce.

    Lui, rebelle, en profite pour vivre à sa guise et se retrouve régulièrement au poste de police. Il disparaît tout un temps avant que ses parents ne reçoivent une carte du Chiapas (Mexique), où les Indiens se rebellent contre le gouvernement – leur fils, un apprenti-terroriste ? Juliette, tombée amoureuse de Marco, est si impatiente de « foutre le camp » qu’elle va jusqu’à l’accompagner pour un casse de la bijouterie paternelle, mais se ravise en dernière minute. Quant à Hippolyte, il souffre de dépression chronique et ne sort de sa léthargie que lorsque Zoé, une de ses soupirantes, s’impose. Ou quand, en octobre 1968, il écoute Jessie Owens aux J.O. dénoncer l’oppression des noirs au micro d’un reporter blanc.

    Juliette aménage une « maison de poupée » au Grand Béguinage de Louvain, et se sent vite chez elle dans la ville universitaire où tout est accessible à pied. Elle y tombe sous le charme de Rodrigo, un étudiant chilien. C’est à une manifestation contre Franco que nos trois étudiants font connaissance au commissariat, embarqués après le caillassage d’une banque espagnole à Bruxelles. César, connu de la police, y est retenu. Juliette et Hippolyte, qui vomissent toute forme d’injustice, se joignent au comité pour sa libération.

    Quand Juliette, enceinte de Rodrigo rentré au Chili pour aider la Révolution, se retrouve sans nouvelles de lui après le coup d’Etat, elle peut compter sur le soutien de César et Hippolyte. Tous deux prennent soin du bébé quand Marie vient au monde. Pour son mémoire sur le décrochage scolaire, Juliette rencontre une directrice d’école et assiste à un entretien décourageant à propos d’un garçon qui n’arrive pas encore à lire à onze ans, et dont plus aucun établissement ne veut, au désespoir de sa mère.

    L’été, ils partent tous les trois en 4L avec Marie pour Lisbonne. César l’imprévisible, enthousiasmé par la Révolution des œillets, finit par s’en aller de son côté. Quand ils se retrouvent à Bruxelles, après leurs études, Juliette les persuade de travailler avec elle à son projet : « créer une école pour adolescents dont les écoles ne voulaient plus ». La suite du roman y est consacrée, on assistera à l’ouverture de « l’école des Sept-Lieues » et on retiendra son souffle avec ses concepteurs et leurs premiers élèves. 

    De jour comme de nuit (cette école exige une « présence ininterrompue ») restitue le contexte politique et social des années 1970 et le parcours des trois étudiants. C’est raconté avec détachement, sans fioritures – le roman perd un peu en émotion ce qu’il gagne en réalisme. On y reconnait les réflexions d’Hypothèse d’Ecole et les fondements du Snark (dans la réalité, c’est le nom de l’animal imaginaire de Lewis Carroll qui a été retenu). Outers, né en 1949, a puisé dans sa propre expérience pour écrire ce récit de fiction. C’est juste, fidèle, mais il y manque un je ne sais quoi, effet du style sans doute, qui rende ses personnages plus attachants, dans leurs désarrois comme dans leur désir généreux de rendre le monde meilleur.

  • Genoux

    « En général, une bibliothèque, ou n’importe quel bâtiment d’ailleurs, donne l’impression d’être un espace limité. Comment peut-on rester du matin au soir, tous les jours, dans 1200 m2 sans s’ennuyer ? Mais pour Dewey, la bibliothèque municipale de Spencer était un univers immense, regorgeant de tiroirs, de placards, d’étagères, de rayonnages, d’élastiques, de machines à écrire, de tables, de chaises, de sacs à dos, de sacs à main et d’innombrables mains pour le caresser, de jambes pour s’y frotter, de bouches pour chanter ses louanges. Et de genoux. La bibliothèque était toujours miséricordieusement, superbement remplie de genoux. » 

    Vicki Myron, Dewey 

    Deweys-Nine-Lives-430x650.jpg