Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

cirque

  • Une paire

    dans les montagnes des pays-bas,roman,littérature néerlandaise,conte,pays-bas,nord,sud,espagne,cirque,culture,nooteboom« Le silence se fait, et c’est un silence qu’ils connaissent bien, celui d’un public qui entrevoit soudain sa piteuse insuffisance. Ils sont trop beaux et n’ont que quelques minutes pour se le faire pardonner, des minutes qui font toute la différence entre l’amour et la haine. De surcroît, ils forment un couple, « une paire », een paar. J’ai toujours aimé ce mot néerlandais, le terme espagnol est trop long. Pareja : prononcé avec la dureté souhaitée, il évoque bien un lien, mais pas avec cette force absolue d’étau contenue dans le mot paar. Cette « paire » est la plus petite association humaine existante, et en tant que telle insupportable puisqu’elle exclut tous les autres. »

    Cees Nooteboom, Dans les montagnes des Pays-Bas

  • Nooteboom en conteur

    Il y a longtemps que je n’avais plus rien lu de Cees Nooteboom, cet écrivain néerlandais dont le nom évoque un arbre à peu de chose près (notenboom, noyer) – ce serait un arbre fruitier et qui marche : Nooteboom aime le mouvement. En plus de ses voyages, cet Européen vit aux Pays-Bas, en Allemagne ou en Espagne selon les saisons.

    cees nooteboom,dans les montagnes des pays-bas,roman,littérature néerlandaise,conte,pays-bas,nord,sud,espagne,cirque,culture

    Dans les montagnes des Pays-Bas (In Nederland puis In de bergen van Nederland, 1984, traduit du néerlandais par Philippe Noble) est un conte où il envoie un couple d’artistes du cirque, Kai et Lucia, dans une région imaginaire, les Pays-Bas du Sud. Le narrateur est un « inspecteur des ponts et chaussées de la province de Saragosse », Alfonso Tiburón de Mendoza. Etudiant à Delft, il s’est initié « au génie civil routier et hydraulique » : « et je crois préférable de dire tout de suite que les Pays-Bas du Nord m’ont toujours fait peur ».

    Ce n’est qu’en en rentrant chez lui, à la vue des monts qui séparent ce Nord du Sud où la vie est « moins policée, moins canalisée », qu’il se sent revivre. « Les gens du Sud étaient plus rudes, mais aussi plus libres, à l’image de leurs paysages, plus hardis et plus solitaires. » On comprend déjà que le conteur ne se privera pas de commentaires, de digressions en racontant « une bien curieuse affaire », ni de clins d’œil en tous genres. « Il existe un point commun entre l’art du récit et la construction des routes : il faut bien arriver quelque part. »

    « J’ai la soixantaine, je suis plutôt corpulent, et généralement de bonne humeur. Ma seule excentricité, si j’excepte l’écriture, est de toujours porter du bleu, mais le détail a peu d’intérêt, je ne le vois que trop. Je ne parlerai donc plus de moi. Je lis un paysage comme un livre, voilà tout ce que je voulais dire. » Son histoire sera donc « sinueuse comme la plupart des chemins d’Aragon », avec des côtes et des descentes.

    Le sujet du conte, « beauté parfaite et bonheur parfait », requiert deux héros « parfaitement heureux ». Lucia a les cheveux blond doré et les yeux bleu clair, des lèvres « rouges comme cerise », des dents « blanches comme neige », un corps parfaitement proportionné. Kai est son complément idéal, musclé non comme un culturiste mais à l’antique, avec des yeux d’une couleur « plutôt rebelle à la description qui tient à la fois de l’ardoise et de l’eau des mers septentrionale, dure et pourtant liquide et brillante », des cheveux noirs.

    « Enfants de la balle », ils ne connaissent du monde que le cirque et présentent un numéro d’illusionnistes, raconte le narrateur, avant de décrire la classe d’école silencieuse où il écrit à Saragosse en plein mois d’août et de nous parler de ses lectures – peu d’ouvrages de fiction, « toujours de la poésie à portée de main », de la philosophie, des journaux intimes. « « Tu te rappelles où tu en étais ? » me demanderait ma femme si elle était là, car j’ai tendance à divaguer et pérorer. » Et de sonder le mot « illusionniste » dans le dictionnaire…

    Lucia, les yeux bandés, répond aux questions de Kai posté devant telle ou telle personne du public : nom ? âge ? signes particuliers ? La conformité des réponses avec les données du passeport ne manquait pas « d’enflammer le public ». Mais le cirque, à l’époque de l’électronique, souffre de « récession ». Leur impresario, ne leur voyant plus d’avenir dans le Nord, leur propose d’aller travailler dans le Sud, sous des chapiteaux ou dans des théâtres.

    « Camino, carretera, weg, route, rue, chaussée. J’ai toujours été intrigué par le fait qu’en néerlandais le mot weg, « route », signifie également « absent ». En espagnol, el camino désigne non seulement la route, mais aussi le voyage. »  Voici Lucia et Kai au poste-frontière entre Nord et Sud, lieu de leurs premiers ennuis. Passé le col, un problème de voiture les bloque sur la route déserte. Quand apparaît « une grosse Tatra noire », elle ne s’arrête pas ; ils y ont juste distingué « le profil blanc, froid, finement ciselé d’une femme ». Ce sera un autre personnage clé du conte.

    Il est souvent question des corps et de leurs possibilités dans ce roman, en même temps que de la rêverie d’un conteur qui s’arrête sur les mots, les déformations du réel, même quand ses héros sont en mauvaise posture. Le voilà qui s’adresse à nous pour observer ce « drôle d’objet », un livre, et le vide qui l’entoure : « Au voisinage de la couverture ou de la reliure, comme on voudra, se tiennent les pensées de l’auteur, celles qui lui sont venues en écrivant et qu’il n’a pas autorisées à pénétrer dans son livre. »

    Dans les montagnes des Pays-Bas vous divertira si vous n’êtes pas seulement curieux du conte, mais aussi de ce qui se passe dans la tête du conteur. Cees Nooteboom, romancier, nouvelliste, poète, essayiste, et avant tout « un spécialiste du récit de voyage » (La Libre), laisse libre cours à son imagination, revisite la culture européenne et initie le lecteur à sa géographie magique (d’après la quatrième de couverture). Un roman fantasque tout de même fort léger par rapport à son inoubliable Rituels.

  • Halo

    macé,gérard,l'art sans paroles,essai,littérature française,mime,cinéma muet,cirque,art,geste,culture« Il y a dans la pantomime une grammaire des gestes, mais s’en tenir à cette grammaire, c’est agiter le squelette des trains fantômes.
    Cependant, ce n’est pas l’épaisseur réaliste de la chair qu’il faut ajouter aux différents membres de la phrase, mais le halo poétique de la métaphore.
    D’après les témoins qui l’ont vu jouer La maladie, l’agonie et la mort, c’est précisément ce que faisait Jean-Louis Barrault. Au lieu de représenter le mourant dans les affres et les tortures, comme l’aurait fait n’importe quel acteur confondant l’art du mime et la vulgaire imitation, il redressait le buste d’un mouvement brusque, et de la main qui s’abaissait avec lenteur il éteignait le souffle de la vie, comme on éteignait autrefois la flamme d’une chandelle. »

    Gérard Macé, L’art sans paroles

  • Sans paroles

    « Les emprunts trop voyants au monde extérieur, les objets introuvables et encombrants sont contraires à l’idéal du cirque où tout doit se dérouler à mains nues, de même que dans un livre une citation trop longue vient toujours casser le rythme, et même briser l’élan. L’érudition est nécessaire pour éviter le flou, la précision est utile pour ne pas tomber dans l’arbitraire, mais ce sont des tremplins qui doivent se faire oublier le plus vite possible. »  

    macé,l'art sans paroles,essai,littérature française,mime,cinéma muet,cirque,art,geste,culture
    Le trio Dario au Cirque Royal à Bruxelles - Photo Stern, 1925.

    Gérard Macé : L’art sans paroles (1998) révèle une écriture rare, profonde, concise. Ce sont des réflexions sur la pantomime, le cinéma muet, le cirque – l’expression. Des fragments d’une page ou deux, séparés par des silences ouverts au songe.

    J’aimerais dire simplement le bonheur à le lire et remercier celui qui me l’a mis entre les mains. De l’âme des mimes incarnée en Deburau ou Baptiste (Jean-Louis Barrault dans Les enfants du paradis) à la naissance de Pierrot, les petits textes de Gérard Macé suspendent le temps, nous rassemblent devant une scène, une image, un geste.

    Au cinéma, tout est d’abord visuel : « Le vent est un grand personnage du cinéma muet, qu’il faut montrer d’autant plus qu’on ne l’entend pas. » Des lettres écrites à l’écran, pour résumer une situation, Macé souligne l’élégance graphique et s’interroge – « on se dit même que l’écriture pourrait disparaître en même temps que l’artisanat dont elle est la contemporaine, et qui était comme elle un accord entre la main, l’œil et l’esprit. »

    Allez au cirque avec ce poète-lecteur-artisan des mots, vous verrez, vous entendrez de belles choses. L’art sans paroles est édité dans la jolie collection « Le cabinet des lettrés », dédiée aux livres qui « vont se loger plutôt dans les interstices et les replis, la solitude, les oublis, les confins du temps, les mœurs passionnées, les zones d’ombre. » (Note de l’éditeur)