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années 70

  • Woman Années 70

    A Bruxelles, la 5e biennale de photographie (Summer of photography) est consacrée cet été aux femmes, à la question du genre, et au Palais des Beaux-Arts (Bozar), jusqu’au 31 août, l’exposition « Woman » présente l’avant-garde féministe des années septante, 450 œuvres de 29 artistes. 

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    Couverture et pub en 4e de couverture font-elles bon ménage ?

    Alexis Hunter Approach to Fear: Voyeurism, 1973 Vintage silver bromide photograph hand-tinted with coloured ink (from a series of 12) © SABAM Belgium 2014 / Courtesy of Richard Saltoun, London / SAMMLUNG VERBUND , Vienna
     

    Ces créatrices inventent leurs propres images (photos, vidéos, dessins) en réaction à celles de l’histoire de l’art où les femmes figurent telles que les hommes les voient ou les rêvent. C’est, souvent à partir de leur corps, l’expression d’un point de vue radical, provocant, ironique ou poétique. Un travail largement méconnu. 

    Ce sont des séries en noir et blanc surtout, parfois accompagnées de slogans, comme « Marxism and Art beware of fascist feminism » (Hannah Wilke). Celle-ci prend la pose, se drape, se dénude, celle-là s’affuble d’une perruque, d’un chapeau et d’une barbe (Eleanor Antin, Portrait du Roi) et se promène ainsi en rue, dans une bibliothèque, un magasin – les gens qu’elle salue semblent ravis : « J’ai commencé à voir que la vie humaine est construite comme la vie littéraire. (…) Derrière le fait, il n’y a que l’histoire et l’histoire est toujours fiction. » 

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    Eleanor Antin, Portrait of the King, 1972 b&w photograph © Eleanor Antin / Sammlung Verbund, Vienna

    Dans cette première salle (de libre accès), j’ai retrouvé Lili Dujourie, croisée à Ostende, avec six nus couchés sur le sol, dans des positions qui rappellent le nu en peinture ou en sculpture (il est parfois difficile de dire s’il s’agit d’un homme ou d’une femme). Il est interdit de prendre des photos à l’exposition, et dans un sens, c’est mieux : les œuvres isolées sont rares, le plus souvent il s’agit d’un ensemble de clichés et c’est l’ensemble qui porte une démarche, un questionnement.   

    Sanja Ivekovic montre une fillette serrée dans un corset, la bouche fermée d’un scotch noir, serrant la main tour à tour à des hommes et à des femmes. Carolee Schneemann fait du corps nu en mouvement un matériau pictural. Gina Pane se photographie dans un appartement tout blanc, habillée de blanc, mais elle s’automutile avec une lame de rasoir pour perturber la scène du rouge de son sang.  

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    Lili Dujourie Untitled, 1977 Black-and-white photograph (from a series of 6)
    © Lili Dujourie / Courtesy of Michael Janssen, Berlin / SAMMLUNG VERBUND, Vienna
     

    Comment rendre compte d’une telle exposition, où 29 photographes se succèdent ? Certaines nous touchent plus que d’autres, comme Francesca Woodman (1958-1981) – la peau prise dans des pinces à linge, le corps en partie enfoui dans le sable, prostrée dans une vitrine en compagnie d’animaux empaillés… – des autoportraits imprégnés de mal-être que son suicide rend encore plus poignantes.

    Quelques impressions marquantes. « Mes mots et toi ? » de Ketty La Rocca. Dans la même salle d’angle, « Etude pour deux espaces » de Helena Almeida : huit photos d’une main ouvrant ou refermant une porte, une grille – très beau jeu sur la création et l’observation, l’acteur/actrice et le spectateur/la spectatrice, l’intérieur et l’extérieur. 

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    Helena Almeida,
    Work- 32 (Entreda 1), 1977 silver gelatin print © Helena Almeida / Sammlung Verbund, Vienna
     

    Une grande salle est consacrée à Birgit Jürgenssen : photos, dessins, sculptures. Dans une aquarelle aux couleurs tendres, « Prenant le train aujourd’hui pour un futur meilleur », un enfant quitte son landau pour grimper dans le train d’une affiche pendant que sa mère regarde ailleurs. « Housewife » : sur un fond carrelé dans des tons pastel, une femme tout en vichy, du fichu rose au tablier bleu, et même son visage – seule une mèche de cheveux blonds échappe à l’uniforme de la ménagère.

    Jürgenssen a beaucoup travaillé le thème de la chaussure « féminine » et aussi l’image de la mariée. « Sans titre » est un dessin magnifique où l’on devine un corps sous le grand voile de dentelle blanche qui tombe en écume sur le sol, s’y transforme en vague, se prolonge en mer : du haut de l’épaule, du bras, de la taille, de minuscules nageuses en maillot noir plongent – pour se sauver ? A l’avant-plan, on dirait que quelqu’un se noie. Je vous conseille son site. 

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    Birgit Jürgenssen, Nest, 1979 Black-and-white photograph © Estate of Birgit Jürgenssen / VBK, Vienna, 2012 / SAMMLUNG VERBUND, Vienna

    « Change », « Art is a criminal action », « Exorcism House », « Objets caressants », « Le sexisme de la cuisine turque ou la volupté culinaire d’un empire »… « Woman » donne à voir du drôle, de l’inquiétant, du dérangeant, de l’esthétique. Cela vaut la peine d’être vu.

    Comme l’écrit Daniela Seel dans « Le féminisme en 14 poèmes » (à télécharger sur le site de Bozar), il n’y a pas de « standard » féministe. « Mais la critique de la standardisation qui va souvent de pair avec l’exclusion et la discrimination des apparences ou des comportements déviants – et la mise en question provocante des habitudes font partie des caractéristiques fondamentales des poèmes féministes, comme d’ailleurs de toute forme d’art qui ne se contente pas d’être appréciée ou de servir de simple ornementation, ce que suggère encore bien trop souvent le catalogue des rôles dévolus aux femmes, de la vie quotidienne aux productions hollywoodiennes. »

    *** 

    « El lenguaje nuevo de las fotógrafas insurrectas », par Álex Vicente (El País, 19/8/2014) : un article signalé par Colo, accompagné de dix illustrations en grand format (cliquer sur « Contra el estereotipo »).

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    « El lenguaje nuevo de las fotógrafas insurrectas », par Álex Vicente (El País, 19/8/2014)

     

     

     

    19/8/2014 : Un article d'El Pais signalé par Colo, accompagné de dix photographies en grand format (cliquer sur "contra el estereotipo").

     

     

  • Boîte noire

    « S'adressant à Eric, la directrice lui demanda ce qui n'allait pas à l'école. "J'aimerais bien être comme tout le monde", répondit-il et après un long silence : "J'ai une boîte noire dans la tête que je ne peux pas ouvrir." Il parlait tout bas comme s'il avait peur d'être entendu, ce qui se traduisait par d'énigmatiques chutes de voix. Juliette était bouleversée. N'en pouvant plus, elle se leva et discrètement prit congé de la directrice. »

    Jean-Luc Outers, De jour comme de nuit

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    Jacob Smits, Profil de jeune homme


  • Un monde meilleur

    Des amitiés, une époque, des doutes, des rêves, des débuts… Voilà ce que conte Jean-Luc Outers dans son dernier roman, De jour comme de nuit (2013). Trois personnages principaux, à la fin des années soixante : Hyppolite, inscrit en droit à l’université de Bruxelles « puisque le droit, lui avait-on dit, pouvait mener à tout. » César, qui a choisi Sciences-Po pour la même raison. Juliette, à trente kilomètres de là, inscrite en psychologie à Louvain (avant que les francophones, chassés par les flamands, ne déménagent à Louvain-la-Neuve). 

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    « Les études sont une suspension du temps entre l’enfance et l’âge adulte, un moment différé avant de plonger dans le bain définitif de la vie. » Outers situe d’abord ces trois jeunes en rupture dans leur famille. Les parents de Juliette s’inquiètent de sa vie loin d’eux et hors des sentiers battus – depuis que le jour de ses seize ans, elle a refusé net le collier de perles que lui offrait son père joaillier. Hippolyte déteste le conformisme de son père, un parlementaire. Les parents de César, fils unique, ont recomposé une famille, chacun de leur côté, après leur divorce.

    Lui, rebelle, en profite pour vivre à sa guise et se retrouve régulièrement au poste de police. Il disparaît tout un temps avant que ses parents ne reçoivent une carte du Chiapas (Mexique), où les Indiens se rebellent contre le gouvernement – leur fils, un apprenti-terroriste ? Juliette, tombée amoureuse de Marco, est si impatiente de « foutre le camp » qu’elle va jusqu’à l’accompagner pour un casse de la bijouterie paternelle, mais se ravise en dernière minute. Quant à Hippolyte, il souffre de dépression chronique et ne sort de sa léthargie que lorsque Zoé, une de ses soupirantes, s’impose. Ou quand, en octobre 1968, il écoute Jessie Owens aux J.O. dénoncer l’oppression des noirs au micro d’un reporter blanc.

    Juliette aménage une « maison de poupée » au Grand Béguinage de Louvain, et se sent vite chez elle dans la ville universitaire où tout est accessible à pied. Elle y tombe sous le charme de Rodrigo, un étudiant chilien. C’est à une manifestation contre Franco que nos trois étudiants font connaissance au commissariat, embarqués après le caillassage d’une banque espagnole à Bruxelles. César, connu de la police, y est retenu. Juliette et Hippolyte, qui vomissent toute forme d’injustice, se joignent au comité pour sa libération.

    Quand Juliette, enceinte de Rodrigo rentré au Chili pour aider la Révolution, se retrouve sans nouvelles de lui après le coup d’Etat, elle peut compter sur le soutien de César et Hippolyte. Tous deux prennent soin du bébé quand Marie vient au monde. Pour son mémoire sur le décrochage scolaire, Juliette rencontre une directrice d’école et assiste à un entretien décourageant à propos d’un garçon qui n’arrive pas encore à lire à onze ans, et dont plus aucun établissement ne veut, au désespoir de sa mère.

    L’été, ils partent tous les trois en 4L avec Marie pour Lisbonne. César l’imprévisible, enthousiasmé par la Révolution des œillets, finit par s’en aller de son côté. Quand ils se retrouvent à Bruxelles, après leurs études, Juliette les persuade de travailler avec elle à son projet : « créer une école pour adolescents dont les écoles ne voulaient plus ». La suite du roman y est consacrée, on assistera à l’ouverture de « l’école des Sept-Lieues » et on retiendra son souffle avec ses concepteurs et leurs premiers élèves. 

    De jour comme de nuit (cette école exige une « présence ininterrompue ») restitue le contexte politique et social des années 1970 et le parcours des trois étudiants. C’est raconté avec détachement, sans fioritures – le roman perd un peu en émotion ce qu’il gagne en réalisme. On y reconnait les réflexions d’Hypothèse d’Ecole et les fondements du Snark (dans la réalité, c’est le nom de l’animal imaginaire de Lewis Carroll qui a été retenu). Outers, né en 1949, a puisé dans sa propre expérience pour écrire ce récit de fiction. C’est juste, fidèle, mais il y manque un je ne sais quoi, effet du style sans doute, qui rende ses personnages plus attachants, dans leurs désarrois comme dans leur désir généreux de rendre le monde meilleur.