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Passions - Page 407

  • Livres objets d'art

    Tout ce qu’on peut faire d’un livre (de l’objet livre), d’une chaise, vous pouvez le voir à l’exposition « Entre deux chaises, un livre » à la Villa Empain, jusqu’au 7 septembre. La Fondation Boghossian célèbre ainsi le livre, « objet de culture par excellence » depuis deux millénaires, en dialogue avec la chaise, elle aussi « objet de médiation » entre les hommes. Près de deux cents objets d’une collection privée belge (Galila). 

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    © Alicia Martin

    Dans le salon à droite de l’entrée, l’exposition commence par des œuvres contemporaines, comme la plupart dans cette sélection : un siège fait de livres, un autre en papier,  une vidéo (« Poliglotas ») et une photographie d’Alicia Martin où, tels des éclats de verre sur le sol, des morceaux de livres émergent du béton où ils sont incrustés.  

    La chaise de bureau devenue « Trône » de Kristof Kintera, dans le hall central, déploie de magnifiques ailes en plumes, prête à l’envol, un attaché-case lui ramène les pieds sur terre. C’est de ce côté qu’on entre dans une salle latérale où se dresse l’œuvre la plus étonnante, une sculpture hyperréaliste : « Stairway to Heaven » d’Eugenio Merino. 

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    © Kristof Kintera, Throne, 2011

    Les religions du Livre y sont représentées par trois hommes superposés : un musulman, le front contre son tapis de prière ; sur son dos, agenouillé, un prêtre en soutane avec un chapelet entre les doigts ; sur ses épaules, un rabbin debout, livre à la main. Saisissant. Du sol au plafond, ces trois personnages en cire avec poils de barbe et cheveux, en habits traditionnels, sont une interprétation pour le moins irrévérencieuse de la chronologie monothéiste. 

    L’œuvre a fait scandale en 2010, à Madrid, comme on peut le lire dans La Clau, qui signale, surcroît d’impertinence, que le visage des trois croyants « empilés » est le même et leurs livres pas dans le bon ordre. Des bibles et corans anciens sont exposés dans cette salle, d’admirables calligraphies ou enluminures. Mounir Fatmi, déjà rencontré ici, montre l’« Union impossible » entre une calligraphie d’acier et une machine à écrire. 

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    © Eugenio Merino, Stairway to Heaven, 2010 - détail

    « Back to the roots » (Dos aux racines, photo ci-dessous et sur le site de l’expo) focalise le regard dès l’entrée. Sous la « Voie lactée », un plafond de verre dû à Max Ingrand, la chaise buisson de Bob Verschueren est très bien placée, dos à la fenêtre côté jardin. L’artiste belge, autodidacte, s’est tourné vers l’éphémère et les éléments de la nature, je vous recommande son très beau site qui explore aussi l’univers sonore.   

    Sur les côtés, diverses variations sur les livres et les sièges, et au mur, la douce « Wallvave vibration (momentum wavevector chorus) » de Loris Cecchini en résine polyester blanche (expo « Turbulences II » en 2013). Une amusante toupie « philosophique » de Pedro Reyes jouxte des vitrines où sont exposés des livres découpés, troués, assemblés, reconstitués, de différentes manières, et des pliages d’une finesse extraordinaire, comme dans ce collier de Janna Syvänoja (ci-dessous). 

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    © Bob Verschueren, Back to the roots, 2010, Galila’s Collection

    De l’autre côté, on peut tourner (avec des gants blancs) les pages du grand livre « Magie du feu » de Jean Boghossian : des feuilles touchées ou trouées par la flamme, étoilées de couleurs. Bancs, bureaux, rocking-chairs, chaises : chaque artiste en propose ici une interprétation drôle ou étonnante, voire effrayante comme la chaise blanche de Chiharu Shiota enfermée dans un cube de verre complètement tapissé de fils noirs entrelacés.

    En montant l’escalier, arrêt devant une grande photographie en couleurs (de Karen Ryan ?), une énorme accumulation de chaises enchevêtrées ; il faut un moment pour apercevoir que différentes personnes sont enfouies dessous – ici des jambes, là un bras, plus on en cherche, plus on en trouve. 

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    © Janna Syvänoja, Collier, 2011

    Photos, vidéos, objets, les créations vont dans tous les sens. Certaines paraissent bricolées, d’autres fascinent par l’inventivité ou la qualité du travail : « Solitudes » de Jérôme Fortin, qui a savamment plié des plans de Paris disposés en losanges, cinq par cinq ; « Livre » en fine dentelle de cuivre dû à Hilal Sami Hilal ; de somptueuses photographies de Nazif Topçuoglu en hommage à la peinture et à la littérature, comme celle de ces deux jeunes filles dans un coin de bibliothèque, inspirée par Proust.

    La première exposition de la Villa Empain et « La route bleue », l’an dernier (actuellement à Limoges), m’avaient davantage enchantée, mais « Entre deux chaises, un livre » vous fera oublier à coup sûr la grisaille de ce mois d’août. Même si les objets sont d’un intérêt inégal, allez-y, votre curiosité sera récompensée.  

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    © Anouk Kruithof, Enclosed Content Chatting Away In The Colour Invisibility, 2009

    Vous rencontrerez un piano-livres, des crayons noirs, des mots qui s’échappent du texte, une tour de livres en pierres sèches, des chaises improbables, du papier dans tous ses états. Au sous-sol, je vous signale une vidéo de Anouk Kruithof : j’ai beaucoup aimé sa façon de ranger les livres par couleur – et de les déranger.

  • Tendresses

    résistance,guerre,mémoire,patrimoine,schaerbeek,visite guidée,patris,monuments,témoignages,culture« Considérer que l'œuvre d’Idel Ianchelevici rayonne davantage par la sérénité de ses approches que par ses audaces n'est pas faire injure à la mémoire d'un homme de bien ! Ianchelevici avouait une affection prononcée pour les scènes bucoliques, les tendresses, les regards amoureux, les quotidiens tranquilles et débonnaires. Ode à la nature des choses, aux gestes simples, aux salutaires attendrissements, l'artiste roumain développa une œuvre en accord constant et parfait avec sa conscience. A ce titre, son travail est un exemple de probité. »

    Roger Pierre Turine, « Bucarest célèbre Ianchelevici, enfant du pays » (La Libre Belgique, 21/9/2003)

    Photo : détail au dos du monument Henri Jaspar (Ianchelevici) à Schaerbeek 

  • Résistances

    « Parcours de résistances dans le quartier Huart-Hamoir » : le dimanche 17 août, nous étions entre vingt et trente au rendez-vous square Riga de l’asbl Patrimoine de Schaerbeek (PatriS). La pluie venait de cesser, heureusement. Avec le soutien de la commune, cette association organise cet été 24 promenades guidées gratuites (sur inscription). 

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    Le programme des Estivales 2014 : inscriptions asbl.patris@gmail.com

    Yves Jacqmin, notre guide, a rappelé le contexte – la commémoration des deux guerres mondiales – avant de lire un tract signé Jean Gustin, distribué dans le quartier d’Helmet en octobre 1940, un appel à désobéir à l’occupant en célébrant avec force le 11 novembre : déposer des fleurs au soldat inconnu, arborer les trois couleurs, les décorations de la première guerre, baisser les volets des commerces, fermer les écoles, « en défiant les bourrasques et les orages ».

    Sur une photographie d’août 1914, on voit les soldats allemands et leurs attelages rangés sur l’esplanade devant l’église de la Sainte-Famille, un endroit stratégique en haut de l’avenue Huart-Hamoir, au-dessus de la gare de Schaerbeek. La partie de l’église du côté du square n’était pas encore construite, et les alentours étaient beaucoup moins bâtis qu’à présent.

    Les missions des résistants de la première guerre étaient nombreuses : diffusion de la presse clandestine (Henri Bernard), hébergement et réseaux d’évasion, aide aux réfractaires du Travail Obligatoire, renseignement (Gabrielle Petit), sabotage… En 40-45, il en ira de même, avec en plus un corps de combat.  

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    De l’autre côté du square Riga, un monument sculpté par Willy Kreitz, un Anversois, rend hommage aux troupes africaines qui se sont battues lors des deux guerres mondiales. Entre le casque de l’officier blanc et la chéchia du soldat noir – l’époque coloniale – deux mains serrées symbolisent la fraternité belgo-congolaise. En plus des grandes batailles rappelées sur le monument, d’autres sont citées sur les neuf bornes en pierre bleue placées tout autour.

    En descendant l’avenue Huart-Hamoir, nous voilà près du monument Henri Jaspar (1870-1939), hommage à un ministre schaerbeekois. Sous son buste en marbre blanc, Ianchelevici a gravé sur les quatre pans du support des silhouettes d’enfants et d’adolescents stylisées. Le sculpteur, d’origine roumaine, s’est caché durant la seconde guerre à La Clé des Champs (à Maransart, Brabant wallon), une école que le couple Lavachery a fait passer alors pour un centre scout, ce qui justifiait les jeux de nuit (allumer des balises par exemple, à lire sur Wikipedia – Groupe G).

    Durant la grande guerre, les Belges ont subi de terribles famines. On recyclait les sacs de farine de l’aide alimentaire pour ne pas que les Allemands s’en servent. Henri Jaspar participe au Comité national de Ravitaillement et lorsqu’Albert Ier forme un nouveau gouvernement en 1918, il est nommé ministre des Affaires économiques. Durant la seconde guerre, son neveu Marcel-Henri Jaspar, d’abord ministre du gouvernement belge en exil à Bordeaux, s’en désolidarise ; d’Angleterre, en 1940, il appellera les Belges à la résistance contre les nazis. 

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    Et nous voici en face de la gare de Schaerbeek – en 1914, seul le bâtiment de gauche était construit, avec la tour de l’horloge. Les cheminots étaient en première ligne dans la résistance. La gare était une cible pour les bombardements et deux abris de la deuxième guerre ont été conservés en bas de l’avenue Huart-Hamoir, ils servent actuellement de remises aux jardiniers.

    De cette gare partaient les enrôlés pour le Travail Obligatoire. La résistance prenait les réfractaires en charge, les aidait à s’évader. Pour éviter les représailles envers leurs familles, on leur faisait écrire des cartes postales faussement envoyées d’Allemagne, à montrer lors des inspections à domicile. Une organisation très élaborée. En remontant l’avenue Zola, à l’angle de l’avenue Giraud, un immeuble reconverti en appartements : c’était une fabrique de dynamos dont le patron acceptait d’engager des réfractaires avec de faux papiers, un signal sonore les avertissait en cas de contrôle.

    Dernière halte au 73, avenue Emile Verhaeren : une plaque commémorative signale la maison de Jongh, du réseau Comète, filière d’évasion pour les aviateurs anglais. Le travail des hébergeurs n’était pas simple. Il fallait vérifier les identités, fournir des vêtements, de faux papiers. Le père a été fusillé au Mont Valérien (Paris). Arrêtée, Andrée de Jongh s’est présentée comme le chef du réseau, mais on ne l’a pas crue et elle a été déportée. Sans chercher à passer pour une héroïne, à son retour, elle partira en Afrique soigner les lépreux.

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    Notre guide nous a beaucoup appris sur ces engagements animés par l’esprit de résistance, si important durant les deux guerres, et dont la flamme reste allumée aujourd’hui encore. A la fin de sa vie, Andrée de Jongh s’est battue pour défendre le home des anciens combattants à Uccle, menacé de fermeture. J’ai apprécié que le parcours se termine sur l’évocation de cette femme courageuse et généreuse, un visage féminin de la Résistance belge, à Bruxelles et ailleurs.

  • Halo

    macé,gérard,l'art sans paroles,essai,littérature française,mime,cinéma muet,cirque,art,geste,culture« Il y a dans la pantomime une grammaire des gestes, mais s’en tenir à cette grammaire, c’est agiter le squelette des trains fantômes.
    Cependant, ce n’est pas l’épaisseur réaliste de la chair qu’il faut ajouter aux différents membres de la phrase, mais le halo poétique de la métaphore.
    D’après les témoins qui l’ont vu jouer La maladie, l’agonie et la mort, c’est précisément ce que faisait Jean-Louis Barrault. Au lieu de représenter le mourant dans les affres et les tortures, comme l’aurait fait n’importe quel acteur confondant l’art du mime et la vulgaire imitation, il redressait le buste d’un mouvement brusque, et de la main qui s’abaissait avec lenteur il éteignait le souffle de la vie, comme on éteignait autrefois la flamme d’une chandelle. »

    Gérard Macé, L’art sans paroles

  • Sans paroles

    « Les emprunts trop voyants au monde extérieur, les objets introuvables et encombrants sont contraires à l’idéal du cirque où tout doit se dérouler à mains nues, de même que dans un livre une citation trop longue vient toujours casser le rythme, et même briser l’élan. L’érudition est nécessaire pour éviter le flou, la précision est utile pour ne pas tomber dans l’arbitraire, mais ce sont des tremplins qui doivent se faire oublier le plus vite possible. »  

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    Le trio Dario au Cirque Royal à Bruxelles - Photo Stern, 1925.

    Gérard Macé : L’art sans paroles (1998) révèle une écriture rare, profonde, concise. Ce sont des réflexions sur la pantomime, le cinéma muet, le cirque – l’expression. Des fragments d’une page ou deux, séparés par des silences ouverts au songe.

    J’aimerais dire simplement le bonheur à le lire et remercier celui qui me l’a mis entre les mains. De l’âme des mimes incarnée en Deburau ou Baptiste (Jean-Louis Barrault dans Les enfants du paradis) à la naissance de Pierrot, les petits textes de Gérard Macé suspendent le temps, nous rassemblent devant une scène, une image, un geste.

    Au cinéma, tout est d’abord visuel : « Le vent est un grand personnage du cinéma muet, qu’il faut montrer d’autant plus qu’on ne l’entend pas. » Des lettres écrites à l’écran, pour résumer une situation, Macé souligne l’élégance graphique et s’interroge – « on se dit même que l’écriture pourrait disparaître en même temps que l’artisanat dont elle est la contemporaine, et qui était comme elle un accord entre la main, l’œil et l’esprit. »

    Allez au cirque avec ce poète-lecteur-artisan des mots, vous verrez, vous entendrez de belles choses. L’art sans paroles est édité dans la jolie collection « Le cabinet des lettrés », dédiée aux livres qui « vont se loger plutôt dans les interstices et les replis, la solitude, les oublis, les confins du temps, les mœurs passionnées, les zones d’ombre. » (Note de l’éditeur)