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Passions - Page 188

  • Liège

    nathalie skowronek,max,en apparence,roman,littérature française,belgique,shoah,rescapé,famille,bruxelles,liège,berlin,auschwitz,jawischowitz,marbella,culture« Dans une ancienne version de mon récit, le chapitre précédent débutait comme suit : « Max avait quitté depuis longtemps Liège, jolie ville wallonne célèbre pour sa citadelle, et avec elle, Rayele, ma grand-mère, et sa fille, ma mère. L’histoire ne m’avait pas souvent été racontée mais je compris suffisamment tôt combien ma mère ne s’était jamais remise de la désertion de son père. » Je n’avais alors aucune idée de ce que représentait la citadelle, pas plus que je ne me doutais que j’éprouverais un jour le besoin de m’y rendre, me retrouvant un matin d’hiver, par moins dix degrés et les poumons en feu, à marcher le long de ses murailles. »

    Nathalie Skowronek, Max, en apparence

    Photo : Citadelle de Liège, Belgique (2011, par Romaine, Wikimedia Commons)

  • En mémoire de Max

    Max, en apparence, le deuxième roman de Nathalie Skowronek, rapporte la quête d’une petite-fille en mémoire de son grand-père, dont le numéro tatoué sur l’avant-bras, « seule trace visible de ses deux années et demie passées à Auschwitz », attirait toujours son regard quand il portait des manches courtes. La narratrice ne se souvient plus des chiffres, mais bien des étés passés à Marbella, de ses sept à ses seize ans, quand elle rejoignait dans leur maison de vacances Max et Gitta, sa femme allemande.

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    Les souvenirs sont choses mouvantes. Elle n’est plus sûre de la couleur de ce tatouage peut-être confondue avec celle de « L O V E » sur la main de Fernand, qui travaillait pour la société de ses parents (vêtements pour femme). Ses lectures – Un sac de billes, Au nom de tous les miens, Elie Wiesel, Primo Levi, Antelme – lui parlaient de que son grand-père taisait. Quand elle finit par oser le questionner, il s’était borné à répondre « Ce n’était pas facile, Epinglette » (son surnom). A Tel-Aviv où elle séjourne régulièrement, elle observe les habitants qui lui semblent tous tatoués à différents endroits du corps.

    « Nous ne savions des camps que ce que nous en disaient les films et les livres » : à part une opération de l’appendicite à Buchenwald après la marche de la mort et quelques anecdotes, son grand-père ne racontait rien à sa famille, sauf une fois, à Marbella, où il lui avait raconté sa déportation et une remarque, un jour, en promenade, en direction de la montagne où vivait Léon Degrelle depuis la fin de la guerre.

    Après la mort de Max, elle ne s’était plus intéressée à la Shoah durant une quinzaine d’années : études de lettres, mariage, enfants, quelques années de travail dans les magasins de ses parents. Après la découverte des jeunes Israéliens « ostensiblement tatoués », elle revient sur l’histoire de son grand-père, recueille les confidences d’une cousine de sa grand-mère à Haïfa, reprend des lectures sur le sujet, se rend chez la sœur de Max, Fanny, puis à Berlin.

    Tous les matins, son grand-père faisait à Berlin le tour du zoo avec ses cachets à prendre en cas d’urgence dans une poche et dans l’autre, une petite bourse en velours emplie d’un tiers de petits diamants faciles à revendre en cas de besoin. Quand il se rendait au Ciao, un restaurant italien « bruyant et mondain » où il avait ses habitudes avec Gitta, il était accueilli « avec moult accolades par le maître d’hôtel », il y prenait plaisir, fier de son succès. Sa famille bruxelloise ne comprenait pas comment il pouvait vivre « là-bas ».

    Dès les années 1960, il passait à l’Est sans problème pour retrouver son ami Pavel, rencontré en Pologne où ils travaillaient à la mine de Jawischowitz, à dix kilomètres d’Auschwitz. Celui-ci était devenu un homme d’affaires important, puis « un des principaux négociants de RDA ». Des affaires et des arrangements dont son grand-père « ne connaissait ni les tenants ni les aboutissants », mais il ne refusait rien à Pavel. En dehors de la famille, Max « aimait séduire, créer des liens, lâcher le bon mot au bon moment, payer l’addition avec élégance. »

    Avant ces mystérieuses transactions entre l’Est et l’Ouest, Max avait été représentant en maroquinerie pour un ami de son père, puis il avait fait de l’import-export de tricots entre l’Italie et l’Allemagne. Il avait fini par quitter Rayele, sa femme, originaire de Liège où ils s’étaient installés, et leur fille, pour aller vivre à Berlin. Par sa mère, la narratrice sait que ce rescapé d’Auschwitz a perdu son père, sa mère, sa première femme, une sœur et deux frères – sa mère l’a souvent raconté aux thérapeutes consultés pour soigner sa dépression et ses angoisses.

    Marbella, Berlin-Ouest, Liège, Auschwitz-Jawischowitz… Pour écrire son deuxième roman, après Karen et moi, Nathalie Skowronek, qu’on suppose la petite-fille de Max, visite les lieux où son grand-père a vécu, traque les traces, fait remonter les souvenirs des uns et des autres. A-t-elle raison d’écrire, de décrire ? « On ne raconte pas comme si on y était quand on n’y était pas. » Elle lit, écoute les témoignages, s’efforce de ne parler que de ce qu’elle a vu personnellement. Elle découvre que Paula, la première femme de Max dont elle ignorait l’existence, a été arrêtée après que celui-ci avait confié l’adresse de sa cachette à quelqu’un qu’il pensait de confiance. Une archiviste de la caserne Dossin lui envoie une photo d’elle.

    Après avoir visité Auschwitz, elle se rend chez sa tante en Israël et l’entend répéter : « Max n’était pas à Auschwitz » ! En réalité, il était dans un autre camp proche, à Jawischowitz – incertaines certitudes. Le matricule oublié resurgit dans un ancien carnet d’enfant, c’est un palindrome : « 70807 ». La quête continue à Berlin-Est,  à Tel-Aviv, sur la tombe de son grand-père où Gitta, sa troisième épouse, après l’avoir d’abord enterré à Berlin dans les années 1990, avait souhaité le faire inhumer, et non au cimetière juif de Bruxelles comme le souhaitait sa fille.

    « Connaît-on jamais vraiment cet autre qui nous semblait si proche ? » peut-on lire à propos de La carte des regrets, son dernier roman, sur le site de la romancière. Qui était vraiment ce grand-père, cet homme charmeur et secret ? Max, en apparence n’est pas un récit linéaire. Nathalie Skowronek reconstitue peu à peu le puzzle d’une vie, d’une famille. On sent que la narratrice cherche aussi à clarifier certaines choses en elle-même.

    Dans son roman qui va et vient entre son enfance et le temps de l’écriture, beaucoup d’écrivains lui ont fourni un appui, montré une direction, d’où cette conclusion d’Alain Delaunois qui a présenté Max, en apparence dans Le Carnet et les Instants : « Une traversée littéraire qui, derrière le matricule oublié de Max, met à nouveau en lumière le talent d’écriture, singulier et sensible, parfois modianesque – c’est un compliment – de Nathalie Skowronek. »

  • Méditation

    Zweig Les prodiges de la vie LDP 1996.jpg« Le vieil homme resta seul, plongé dans une profonde méditation. Il croyait encore au miracle, mais le prodige, parce qu’il y voyait uniquement un jeu de la vie, conçu par la main de Dieu, lui apparaissait beaucoup plus solennel et plus divin. Il renonça à l’idée de faire rayonner la foi en des promesses mystiques sur le visage d’un être dont l’âme était peut-être déjà trop abattue pour croire encore. Il ne voulut plus faire preuve d’outrecuidance en se faisant le médiateur de Dieu ; il se contenterait d’être son modeste serviteur, qui de son mieux s’efforce de créer un tableau, et le dépose avec humilité au pied de l’autel, comme d’autres leur offrande. »

    Zweig, Les prodiges de la vie 

  • Prodiges de Zweig

    Dans le premier recueil de nouvelles (L’amour d’Erika Wald) publié par Stefan Zweig en 1904, à vingt-trois ans, Les prodiges de la vie (traduit de l’allemand par Hélène Denis) raconte l’histoire d’un tableau commandé pour une église d’Anvers – Zweig venait de découvrir la Belgique et d’y faire connaissance avec Emile Verhaeren, qui sera le sujet de son premier essai biographique.

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    Couverture originale du recueil

    En 1566, époque où « l’hérésie étrangère s’était installée dans le pays » (le protestantisme se répand dans les Pays-Bas espagnols), par un dimanche brumeux, deux hommes entrent dans une église pendant le sermon. Un riche négociant veut montrer à son compagnon plus âgé, un peintre, la « Madone au cœur transpercé d’un glaive » qui orne une petite chapelle latérale : des traits fins, un visage tendre, une peinture lumineuse due à un artiste italien.

    En se dirigeant vers le port près duquel il habite, le marchand raconte au peintre sa jeunesse dissipée à Venise, où il fréquentait les tavernes et les filles et avait négligé une lettre de son père qui le pressait de rentrer, sa mère étant gravement malade. A Saint-Marc, il avait prié la Vierge Marie pour qu’il puisse revoir sa mère vivante et promis de lui dresser un autel s’il obtenait son pardon. Engagé par la réalisation de son vœu, il a fait venir un jeune peintre italien recommandé par un ami. Comme il le soupçonnait d’avoir donné à la Madone poignardée placée dans la chapelle les traits d’une femme aimée, il lui a demandé de choisir un autre modèle pour le deuxième tableau.

    L’Italien ayant disparu, le négociant n’y a plus pensé, mais vingt ans plus tard, devant sa femme pleurant au chevet de leur enfant malade, il a renouvelé son vœu et de nouveau obtenu une guérison inespérée. Aussi presse-t-il l’artiste de se mettre au travail.  Celui-ci, ébloui par le portrait merveilleux, « touché au plus profond de lui-même parce qu’elle lui avait un peu rappelé son destin personnel », peine à trouver une femme qui ressemble à cette Madone.

    Un jour lumineux de printemps, il aperçoit une jeune fille pensive à une fenêtre : une beauté pâle, un air inquiet. « Mais ce qui le surprit, plus encore que la singularité, l’étrangeté de ce visage, ce fut ce miracle de la nature qui, dans les reflets de la fenêtre, faisait resplendir derrière la tête de la jeune fille les feux du soleil, ainsi qu’une auréole autour de ses cheveux noirs et bouclés, étincelants comme un métal noir. Et il crut voir la main de Dieu qui lui désignait ainsi le  moyen d’accomplir son œuvre d’une manière satisfaisante et honorable. »

    Il se renseigne : c’est une jeune Juive recueillie par un aubergiste quand il était soldat en Italie puis en Allemagne. L’enfant, seule survivante de sa famille lors d’un pogrom, lui a été confiée par un vieillard, son grand-père, qui l’a supplié de l’emmener avec lui. Il lui a donné une lettre pour un changeur d’Anvers – une somme importante qui lui a permis d’acheter sa maison et sa taverne. L’aubergiste donne son accord au vieux peintre et Esther aussi, bien qu’à quinze ans, elle soit fort timide et peu sociable.

    Devant son modèle, le peintre se pose beaucoup de questions. Peut-il honorer Marie en faisant poser une jeune Juive non convertie ? Suffira-t-il de lui raconter l’Annonciation et de lui parler de l’enfant Jésus pour obtenir de son visage l’expression de douceur nécessaire à son sujet ? Le travail sera très lent, le peintre saura se montrer patient et réussira à apaiser la jeune fille, non sans mal, en optant pour un portrait de Vierge à l’enfant. Des émotions fortes naissent de ces séances de pose. Quel en sera le résultat ?

    La longue nouvelle de Zweig présente beaucoup de qualités : érudition pour reconstituer l’époque de la furie iconoclaste, complexité des caractères et des sentiments, avec cette part de surnaturel entre mysticisme et magie annoncée dans le titre. Les prodiges de la vie explore la tension intérieure de l’artiste dans la création, a fortiori dans l’art religieux.

  • L'aile bleue

    khnopff,catalogue,mrbab,2004,rétrospective,bruxelles,peinture,symbolisme,portrait,paysage,bruges,fosset,les xx,culture« Dans cette œuvre, une femme mi-ange mi-démon incarne l’idéal féminin qui hante l’artiste. C’est une étrange muse, une âme navrée. Est-ce la prêtresse d’Hypnos, le dieu du Sommeil à qui Khnopff dédia un autel domestique dans sa propre maison et qui aimait à dire : « Le sommeil est ce qu’il y a de plus parfait dans notre existence » ? »

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    khnopff,catalogue,mrbab,2004,rétrospective,bruxelles,peinture,symbolisme,portrait,paysage,bruges,fosset,les xx,culture« Cette tête du dieu du Sommeil apparaît pour la première fois en 1891, dans l’œuvre intitulée I lock my door upon myself inspirée d’un poème de Christina Georgina Rossetti. Ce même thème est repris, également en 1900, dans Une recluse, œuvre destinée à la collection d’Adolphe Stoclet à Bruxelles. »

    Catalogue Fernand Khnopff (1858-1921), Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique, Bruxelles, 2004

    Fernand Knopff, Une aile bleue, 1894, huile sur toile, 88,5 x 28,5, Collection privée