Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Bruxelles - Page 129

  • Evere pittoresque

    Le 19 septembre 2008, le tout nouveau Musée bruxellois du Moulin et de l’Alimentation (MBMA) a ouvert ses portes à Evere, rue du Moulin à Vent. Les passants de la rue du Tilleul attirés par le tronc de cône blanc qu’on devine à l’arrière de maisons à rénover doivent faire le tour du bloc pour y entrer. La grille franchie, on se trouve dans un petit parc en face d’un ensemble en briques, le moulin et le bâtiment qui le jouxte (ils communiquent entre eux).

     

    La visite du Moulin d’Evere permet de découvrir son histoire – il a perdu ses ailes en devenant moulin à vapeur –, et plus largement, celle de la meunerie. Construit à partir de 1841, il a été classé en 1990. Il a fallu beaucoup de persévérance pour sauver ce vieux coin d’Evere et le dernier moulin ancien de la région bruxelloise: c’est l’œuvre de la C.E.B.E. (Commission de l’environnement de Bruxelles et environs asbl) qui cherche à protéger le patrimoine naturel et bâti. Elle organise également des visites guidées du Moeraske à Evere et Schaerbeek, du site de Hof ter Musschen à Woluwé-Saint-Lambert, et même une initiation au jardinage biologique, entre autres activités.

    DSC09978.JPG

    Le parcours commence avec une vidéo de présentation dans une salle des machines joliment éclairée. Photos d’époque, documents commerciaux, le montage est clair et instructif. On y découvre un tableau d’Elise Van Leeuw où le moulin à vent est représenté avec ses ailes en 1842 ainsi qu’un aperçu de l’évolution du quartier. Les escaliers et planchers en bois donnent une ambiance chaleureuse au musée, réparti sur plusieurs étages. Des panneaux présentent l’histoire et les techniques de la meunerie. En vitrine, des meules anciennes et des objets divers montrent comment en Europe et ailleurs, on s’y est pris pour moudre les céréales, base de l’alimentation. Le musée expose une centaine d’objets, bien mis en valeur, comme d’étonnantes petites meules à la main et des instruments africains anciens et actuels.

     

    Mais le Moulin d’Evere a abrité au cours de son histoire d’autres activités : culture du chicon, tannerie, fabrique de machines à bois, préparation de boyaux et surtout d’épices par Oscar Tausig, comme le réputé « hachis-sel » apprécié des bouchers-charcutiers. Le musée expose différentes maquettes du moulin et de belles réductions en cuivre et métal de différents types de machines à vapeur, issues d’une collection privée.

     

    Le site internet du MBMA est en construction. Des informations sont disponibles sur celui de la C.E.B.E., avec un historique illustré du moulin d’Evere et des photos de celui-ci en 2004, avant sa restauration. Les conditions de visite sont précisées sur le site de la commune. J’aurais aimé sortir sur la passerelle de bois qui cerne le moulin à hauteur du premier étage, mais les visiteurs n’y ont pas accès. Le projet de rénovation des maisons du côté de la rue du Tilleul en « très basse énergie » une fois réalisé, j’imagine qu’on rendra au parc sa splendeur d’antan, visible sur des photographies des années soixante.

     

    Entrée là par hasard, par curiosité plutôt, moi qui n’ai jamais rêvé d’être meunière, j’ai trouvé l’endroit charmant, le musée plein d’intérêt et sa présentation soignée, entre autres grâce à un éclairage très réussi. Sans doute les groupes scolaires vont-ils y défiler pour une découverte amusante des techniques d’autrefois, mais c’est un endroit pour tous, disons, de sept à septante-sept ans.

  • Pourveur / Jaoui

    O.T.N.I., objet théâtral non identifié, voilà la formule qui me trottait en tête en sortant de Shakespeare is dead, get over it !  de Paul Pourveur, mis en scène par Philippe Sireuil au Théâtre National (ou Shakespeare est mort, passons à autre chose). « Une machine postmoderne ».

    Pourveur, né à Anvers en 1952, écrit ses œuvres dans deux de nos langues nationales, c’est à souligner. Nietzsche a tué Dieu, lui tue Shakespeare, c’est-à-dire qu’il le dévore pour construire l’histoire contemporaine de William et Anna – ni le grand Will ni Anne Hathaway, son épouse – mais un antimondialiste de quarante ans employé chez GAP et une actrice shakespearienne qui ne dit pas son âge. Sujet : comment ces deux-là vont-ils s’aimer, ou pas, au temps des multinationales, de la pollution et des trains à grande vitesse ?

    b7be90adaebf9114a9edab3a2dc47dc6.jpg

    Dans la petite salle du National, on s’installe en face d’un portrait de Shakespeare sur le mur de scène. Dans le bas, quatre battants servent de portes aux quatre acteurs ; dans le haut, quatre ouvertures pour des écrans vidéos. Sireuil a monté une mécanique de précision bien carrée, parfaitement réglée. Images et musiques, voix off, comédiens, on ne sait pas trop où porter son attention au début.

    L’action prend forme avec l’arrivée du couple principal, incarné par Marie Lecomte et Vincent Minne (elle fut une inoubliable Célimène, lui un mémorable Tartuffe dans les derniers Molière proposés par Sireuil au National). A leurs côtés, Olivia Carrère et Yvain Juillard se prêtent à tous les rôles – annonceur, témoin, messager, infirmière, guide - et sont souvent drôles. Comment expliquer ce qui se passe sur la scène ? Ces quatre-là ne se parlent pas, ils nous parlent. Ils affrontent le public de près, souvent à l’avant-scène. Les amoureux qui s’interrogent sur leur destin ne dialoguent pas vraiment, ils racontent leurs rencontres : les « répondit-il » et « pensa-t-elle » qu’on ne supporte plus dans un roman abondent ici, créant un effet de distanciation tel qu’on ne s’émeut guère. Les grands thèmes ne manquent pas – amour et désir, travail et société, écologie, jalousie, mort – mais on se sent plutôt comme au cirque, on apprécie le numéro, on rit même.

    Pourveur ne croit plus au théâtre des sentiments, il veut dire les choses d’une manière qui corresponde mieux à notre époque. Pari tenu. Le spectacle montre des individus égarés dans le mouvement saccadé du monde. Shakespeare is dead, get over it !  assemble des fragments d’existence : « Le texte, plus qu’une pièce, c’est un puzzle qui s’offre au spectateur, pour qu’il le reconstitue, selon ses vérités et ses désirs », commente Philippe Sireuil. La pièce bouscule la chronologie, l’espace : manifestation à Prague, visite de la maison natale de Shakespeare, errance en voiture au bord d’un canal à Bruxelles, randonnée loufoque à Elseneur. Plutôt « gadget », l’affichage électronique, sur le côté de la scène, des intentions dramaturgiques (« mythologize », « demythologize », « construct », « deconstruct », etc.).

    Mais c’est bien du théâtre, des signes, des mots – les derniers qui s’impriment sur l’écran sont d’ailleurs percutants. Dans ce kaléidoscope audio-visuel, un refrain, « Vivez proprement. Pensez au suivant », ne fait pas rire à chaque coup. Les comédiens disent leur texte sans faillir, avec une belle énergie qui fait tenir le tout. Le spectacle est réussi. Et après ? Parti à l’assaut des conventions, comme le « nouveau roman » au siècle dernier, le théâtre ici vire au spectaculaire, mais perd son âme. On se sent loin, très loin d’un Shakespeare, en effet. «  A mon avis, n'importe quelle pièce écrite aujourd'hui raconte plus sur le monde que les œuvres complètes de Shakespeare. », Pourveur ne manque pas d’air.

    Quel contraste avec l’humanité qui crève le grand écran dans Parlez-moi de la pluie d’Agnès Jaoui ! La réalisatrice y campe une femme forte, Agathe Villanova, qui s’engage en politique. Elle accepte la proposition de deux complices (Bacri, plus présent que jamais, et un émouvant Jamel Debbouze, tout en retenue) qui vont réaliser son portrait, l’interroger, la filmer, à l’occasion d’un déplacement en Provence. Agathe retrouve sa sœur dans la maison familiale, bien qu’elle préfère s’installer à l’hôtel avec son compagnon. Les gros plans affleurent les visages, les conversations sonnent juste, les silences en disent long, le drôle et le grave se côtoient comme dans
    la vie. Acteurs connus ou rôles secondaires, ces gens se parlent et cela nous parle, beaucoup.

  • A l'heure japonaise

    La remarquable exposition « Oriental fascination » ou « Le japonisme en Belgique, 1889-1915 » se tient encore à l’Hôtel de Ville, Grand-Place, jusqu’au 28 septembre. On y est accueilli par une élégante Parisienne japonaise d’Alfred Stevens, en kimono fleuri, qui se regarde dans un miroir. Les femmes occupent une grande place dans ces « japonaiseries », la nature aussi. Mais tout était prétexte alors pour se mettre à l’heure japonaise, comme on le voit sur des photographies de soirées costumées, engouement qui fit dire à Alexandre Dumas : « Tout est japonais de nos jours. »

    Comment résister au charme de La belle Yosooi de Mastuba-ya, en train d’écrire sur un rouleau de papier, ou à la magnifique Princesse descendant d’une calèche de Kitagawa Utamaro ? C’est une longue estampe horizontale dans une dominante de rose : près d’un cerisier en fleurs, une femme descend de sa voiture qu’entourent des courtisanes attentionnées. Hiroshige, le célèbre paysagiste du XIXe siècle, est très bien représenté dans les deux salles de l’exposition, avec Mésange sur une branche de camélia, par exemple, et des vues de sa série de paysages japonais, souvent traversés par un pont, sujet cher aux Asiatiques.

    80008f73dfcbfa9a0afc331b546cab67.jpg

    Des poètes belges se sont associés à cette fascination de l’Orient. De Max Elskamp sont présentées plusieurs belles pages illustrées de L’éventail japonais. Emile Verhaeren, qui fut sollicité pour accompagner des Images japonaises de textes inspirés par des estampes (sous vitrine), publia Les villages illusoires avec une série de gravures signées Ramah dans un style japonisant.

    Les estampes ont inspiré à Adolphe Crespin un grand ensemble de toiles pour orner une chambre à coucher. Décoratif aussi, un panneau commandé par Rops à Auguste Donnay, Et pour l’automne. Une étude à l’aquarelle, avec une bordure corail, des tons contrastés, une ligne ferme, jouxte la grande toile plus crémeuse. Dans la même gamme de couleurs, on peut voir un beau pastel de Fernand Khnopff, Des roses, en bouquet près d’un visage de rousse énigmatique.

    6f3e8337dbc43e876d19424129b28f1f.jpg

    Spilliaert est bien sûr au rendez-vous, avec des bords de mer à l’encre de Chine où les courbes puissantes vont souvent par trois, comme dans Fillettes devant la vague et Femme au bord de l’eau. Moins japonaise, mais impressionnante, sa Hofstraat à Ostende où le reflet de la lune plonge entre les hauts immeubles d’une des rues étroites qui mènent à la mer. Son étonnant chat noir, silhouette fantastique, est accroché au-dessus d’un autre moins inquiétant peint par Rik Wouters, près du Merle de Boitsfort, gaiement croqué par ce génie du familier.

    Parmi les affiches inspirées par l’art japonais, on retrouve une composition de Rassenfosse pour le Salon des Cent en 1896 - deux dames à une exposition, dans de chauds tons ocre - reprise en 1980 pour annoncer la mémorable exposition bruxelloise « Vies de femmes 1830-1980 ». Gisbert Combaz a peint pour le salon 1906 de La Libre Esthétique un voilier secoué par les flots, lui qui était excellent marin se représente par ailleurs à la barre dans un autoportrait. Van Rysselberghe, Rops, Lemmen, Ensor… La liste des peintres belges influencés par le Japon et présents dans cette exposition serait fastidieuse. Des artistes moins connus sont associés à ces grands noms, par des paysages aux lignes sinueuses (Melchers) ou vibrants de lumière (Van Ermengen, frère de l’écrivain Franz Hellens).

    1cc16675b2fdf82a816305f814dc239d.jpg

    Quelle bonne surprise de retrouver ici l’Autoportrait d’Hokusai âgé, une reproduction de 1905 prêtée par le Musée national de Cracovie – le musée polonais a hérité en 1920 de près de cinq mille estampes d’un collectionneur -, et quelques-unes de ses fameuses Cascades ! Une citation traduite en trois langues (français, néerlandais et anglais, comme le catalogue trilingue) résume bien l’état d’esprit que reflètent toutes ces œuvres : « Vivre seulement pour l’instant, contempler la lune, la neige, les cerisiers en fleurs et les érables rouges ; chanter des airs, boire, se divertir et se laisser flotter comme flotte la gourde au fil de l’eau. » (Asai Ryoi, Le Dit du Monde flottant, 1661)

    (Merci à Vayhair de m’avoir rappelé cette exposition.)