Malines (Mechelen), la ville natale de Rik Wouters (1882-1916), lui rend un très bel hommage au Musée Schepenhuis (Maison échevinale), une superbe demeure ancienne où les toiles et les sculptures du « fauve brabançon » ont trouvé et de la lumière et de l’espace, en dialogue avec l’architecture. Rik Wouters. Chefs-d’œuvre : ce sont les œuvres maîtresses de la collection du Musée Royal des Beaux-Arts d’Anvers (KMSKA) actuellement en rénovation et quelques œuvres des musées communaux. Une exposition « à taille humaine ».
Dès l’entrée, et en particulier par une de ces lumineuses journées que l’automne nous offre cette année, on est pris par l’atmosphère du lieu – haut plafond, hautes fenêtres à petits carreaux, poutres sculptées – où un escalier en colimaçon et des passerelles de fer et de verre permettent de circuler d’un étage, d’une pièce à l’autre. Chaque visiteur reçoit un petit guide (disponible en plusieurs langues) qui présente la vie et l’œuvre de Rik Wouters, des écrits du peintre, et reprend en petit format toutes les œuvres exposées.
Près du comptoir d’accueil, caressée par la lumière, une première sculpture en pied pour laquelle a posé Nel, l’épouse et le modèle du peintre. Plus loin, une Etude de nu où ses longs cheveux cachent son visage illustre d’emblée le refus du fini : Rik Wouters laisse apparaître par endroits la toile vierge, étend là du bleu, là du jaune, laisse l’air circuler, peint comme à l’aquarelle. Mais regardons d’abord ce magnifique buste intitulé Contemplation, ces torses où Nel est coiffée comme d’habitude d'un chignon. « Quand (sic) à moi, vivre c’est peindre, sculpter et dessiner aussi simplement que manger. Je n’ai qu’un modèle : la nature. » (1914)
A l’étage, une première salle de peintures rappelle la vie du couple à Boitsfort, près de la Forêt de Soignes. Rik Wouters peint une rue, de simples maisons aux façades colorées, une maison rouge avec sa porte jaune à l’angle d’une rue enneigée, du linge qui sèche dans un jardin à l’arrière, les toits rouges sur lesquels s’ouvre une fenêtre. Ou encore la chapelle de Notre-Dame de Bonne Odeur, familière aux promeneurs de la forêt de Soignes, un ravin, une cavalière entre les hêtres.
J’ai aimé Le vieux noyer dans un jardin où un homme se tient près d’un mur de ce rouge un peu brun qu’affectionne le peintre : à travers les frondaisons, on aperçoit les jeux du soleil sur une maison blanche, plus loin, un clocher, du ciel bleu. C’est simplement beau. Et j’ai vu deux toiles malinoises que je ne connaissais pas, qui montrent l’une, un peintre à son chevalet sur un pont de la ville, l’autre, la terrasse du jardin botanique, une promenade fleurie et animée.
Nel est au cœur de deux grandes toiles magistrales. D’abord La repasseuse (1912) : dos à la cheminée surmontée d’un miroir (ceux qui connaissent bien Rik Wouters reconnaîtront le décor familier), Nel lève un instant les yeux du linge qu’elle repasse sur la table. Corbeille de linge, cheminée, vase, lampe, tous les objets respirent avec elle, autour d’elle sur cette toile où il y a beaucoup de blanc, c’est magnifique. Et très différent d’Automne (1913) où Nel, une écharpe bleue autour du cou, se montre dehors à la fenêtre donnant sur le jardin, presque aussi statique que la plante verte près d’elle. Les couleurs automnales envahissent tout l’espace dans une fusion entre l’extérieur et l’intérieur, la végétation et la figure humaine. Wouters admirait Cézanne, on voit ici qu’il s’intéressait aussi à Matisse.
Allez à Malines, vous y découvrirez ensuite d’autres portraits, principalement de Nel – une superbe Femme lisant en robe rayée rouge et blanche – et, parmi les autoportraits, le formidable Autoportrait au cigare de ce peintre arraché trop tôt à la vie, à trente-quatre ans. Ne manquez pas, dans la salle des natures mortes, la Table d’aquafortiste, ni, hors catégorie, L’éducation, où l’on voit Nel et une fillette à table, occupées à regarder des images, une de ces merveilleuses scènes d’intérieur qui inspiraient toujours Rik Wouters, le peintre de la vie quotidienne. « Alles is schoon als je het maar zien kan » (Tout est beau si seulement tu sais le voir), cette phrase de Rik Wouters figure sous un trompe-l’œil dans une rue du centre de Malines, une ville où il fait bon flâner.
Commentaires
Oui, oui, Malines et Rik Wouters... J'ai vu la splendide collection à Anvers mais la voir à Malines c'est la contempler, merci pour l'info !!
Une belle exposition, en effet, d'un peintre et sculpteur que je ne connaissais pas, pleine de lumière et de couleur, oeuvre semble-t-il heureuse et paisible comme notre radieux automne.
Je connaissais ses magnifiques sculptures , pas du tout ses tableaux . Je viens de télécharger le guide du visiteur . Merci pour votre art de faire partager vos belles découvertes .
Je connaissais ses magnifiques sculptures pleines de vie, pas du tout ses tableaux . Je viens de télécharger le guide du visiteur . Merci pour votre art de faire partager vos belles découvertes .
je l'ai mis à mon programme de l'an prochain, j'aime énormément Rik Wouters - Roger Avermaete lui a consacré une belle biographie
Ce bref commentaire ne se veut pas un détournement de votre lumineux billet. Le talent de R. Wouters échappe aux pesanteurs de l'histoire. Mais à mon humble estime, pas la ville de Malines où il ne fait pas bon se promener partout.
Ma seule incompréhension - totale - : la Kazerne Dossin, le seul sammellager de Belgique. Sa majeure partie (3 ailes sur 4) a été "reconvertie" en appartements coquets dont certains ont une vue imprenable sur la cour intérieure.
Ces gens ne sont-ils donc pas "dérangés" par plus de 25.000 silhouettes fantomatiques rassemblées-là, bébés, enfants, femmes, hommes, vieillards, grabataires avant Auschwitz ?
Inutile de poser la question.
@ MH : Comme vous, je redécouvre toujours ce peintre avec bonheur, MH.
@ Armelle : "Dire beaucoup avec peu et faire complet, pataat !..." écrivait Rik Wouters à un ami. Il vivait pour son art et nous ne pouvons que rêver à ce qu'il serait devenu si un cancer ne l'avait emporté à 34 ans. Un grand peintre.
@ Gérard : Bonne découverte, Gérard, contente que vous appréciiez ce lien, une bonne idée du musée.
@ Niki : Wouters est de mes peintres préférés et cette expo, sans être une grande rétrospective comme à Ostende (1994) ou à Bruxelles (2002), m'a donné envie de relire cette biographie.
@ JEA : Vous comprendrez mieux quand j'aurai complété : "une ville où il fait bon flâner... entre amies." En promeneuse et non en connaisseuse.
Merci pour l'information. J'ignorais cette "reconversion" et me suis un peu informée sur le site http://www.kazernedossin.be/fr/content/la-caserne-dossin-1942-1944
comme toi, je suis d'accord sur "Malines ville où il fait bon flâner", j'y ai une amie qui m'a fait découvrir bien des ruelles, des lieux sympathiques - à propos du commentaires concernant la caserne dossin, ceux qui habitent désormais dans ces appartements n'ont peut-être pas connaissance de l'horreur de ces lieux en des temps que d'aucuns ont envie d'oublier - je ne considère pas que ce soit juste
C'était ma crainte et mon erreur. Dire que Malines, c'est aussi (et donc pas seulement) le Drancy de Belgique et que ces lieux maudits n'ont pas été respectés.
Mes excuses auprès de Tania chez laquelle je ne souhaitais évidemment pas polémiquer.
Si les gens se veulent sans mémoire, c'est leur problème d'abord. Mais quand ils entrent dans leur cour de l'ex Kazerne, ils voient quand même les plaques et autres mémoriaux laissés-là pour tenter que des milliers de victimes réduites en cendres ne tombent en plus dans l'oubli.
De fait, l'unique camp de rassemblement de juifs de Belgique et du nord de la France avant leur massacre, a pu devenir un lieu banalisé et livré à la spéculation immobilière. Imaginons alors Breendonk, le seul camp de concentration de Belgique, récupéré par exemple en centre de loisirs ? Cela ferait scandale. Pour la Kazerne Dossin, rien !
Les derniers rescapés sont sur le point de bientôt partir. Certain(e)s parmi eux préfèrent parfois tourner le dos à la vie quand ils comprennent que d'aucuns "ont envie d'oublier".
je ne suis guère "sans mémoire", j'ai de bonnes raisons familiales pour cela - mais la caserne dossin est aussi un mémorial de la déportation et de la résistance
Le nouveau Mémorial de la Kazerne Dossin ( si je comprends bien, il est situé dans une seule aile de l'ancienne caserne, les 3 autres étant transformées en habitations ? je pose la question à mon ami JEA)... (r)ouvrira ses portes au mois de juin prochain. Le Musée (dans le nouveau bâtiment ?) sera inauguré en septembre 2012.
Ci-joint, un article dans La Libre de ce matin sur le sujet, et un appel à témoins pour identifier une photo précise d'août 42.
http://www.lalibre.be/actu/belgique/article/700646/aout-42-au-debut-de-la-shoah.html
je voudrais tout de même revenir au sujet même du joli billet de tania à savoir l'oeuvre d'un artiste à la fois connu et méconnu, et qui vaut le déplacement
Apparemment mon com. n'est pas passé, je fais une seconde tentative.
Voici un article de La Libre de ce matin qui parle de la Kazerne de Dossin, et publie une photo d'août 42 avec appel à témoins émanant du curateur du nouveau Mémorial et Musée.
http://www.lalibre.be/actu/belgique/article/700646/aout-42-au-debut-de-la-shoah.html
@ MH
Plus que brièvement.
D'abord il fut impossible de préserver ce lieu sans équivalent dans l'histoire belge (et celle de la Shoah) : une caserne nullement immense. La plus grand partie fut donc livrée aux marchands du temple immobilier.
Mais y fut quand même abrité le "Musée juif" (ne pas oublier cet adjectif quand même) "de la déportation et de la résistance".
Chère MH, vous soulignez une deuxième bataille perdue. Les autorités politiques flamandes ont décidé de retirer au Musée ses racines juives pour l'élargir aux "droits de l'homme".
Comme si on s'en prenait aux mémoriaux des Arméniens, des Noirs, des Cambodgiens victimes de génocides pour diluer leurs spécificités, même dans un grand fourre-tout appelé généreusement "droits de l'homme".
Maxime Steinberg et d'autres historiens (dont je suis) ont tenté vainement de faire respecter Dossin pour que qu'était cette caserne dans l'organisation de la Shoah : LE lieu de rassemblement des juifs ainsi que des Tziganes de Belgique et du nord de la France.
Une politique flamande en a décidé autrement.
Maxime est mort avant de subir ce xième recul d'une mémoire qui décidemment gêne toujours.
@ Niki : Grâce à une amie qui habite non loin de là, j'ai découvert de nouveaux aménagements pour les promeneurs, comme ces passerelles en bois qui permettent de marcher au-dessus de l'eau. Pour le moment, il y a beaucoup de travaux dans le centre, la ville est en chantier. Bonne visite au Schepenhuis.
@ MH : Merci d'avoir mis le lien vers l'article de La Libre, que je viens de lire, et d'avoir interpellé JEA, notre historien de confiance, très bien informé sur le sujet.
@ JEA : Merci d'avoir répondu à MH et ainsi à tous ceux qui aimeraient en savoir davantage sur le sort de ce lieu de mémoire. Sur le site que j'ai mentionné figure l'appellation suivante : "Kazerne Dossin. Mémorial, Musée et Centre de Documentation sur l'Holocauste et les Droits de l'Homme".
Les dilutions dans la généralité sont insidieuses et certainement pas dénuées d'intentions, vous avez raison d'insister.
A relire : votre page sur Bobigny, "gare de la déportation", où vous rappelez précisément le rôle de la Caserne Dossin.
http://motsaiques2.blogspot.com/2011/01/p-3-bobigny-gare-de-la-deportation.html
Le Musée s'appellera Mémorial, Musée et Centre de documentation sur L'Holocauste et les Droits de l'homme.
Pardonnez mon étonnement et sûrement ma maladresse... mais "élargissement" ne veut pas dire "dilution" et les droits de l'homme ne sont tout de même pas un "grand fourre-tout" ??
@JEA Je lis à l'instant la réponse de Tania, paru en même temps que mon dernier commentaire... Veuillez, je vous prie, excuser ma réaction et mon ignorance. Peut-être qu'en effet, il y a "intention", mais je n'en comprends pas le sens.
Tout cela nous amène bien loin de ce cher et bienheureux Rik Wouters ;-))
@ MH
en plus "holocauste" présente une connotation religieuse
"Shoah" (catastrophe sans commune mesure) est plus adéquat
tous les juifs persécutés n'étaient pas israélites
pour la politique, voir la NVA (BdeW) et les rafles de juifs à Anvers : un refus d'admettre les responsabilités des autorités communales et de leur police
@JEA, merci pour l'explication, bien sombre...
@Tania,votre réponse est paruE en même temps ;-)