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Art - Page 92

  • D'Yves à Yves Klein

    Oui ? Non ? J’avoue que j’hésitais à visiter l’exposition « Yves Klein. Le théâtre du vide » au Palais des Beaux-Arts. Et puis je me suis souvenue de celle sur Daniel Buren, qui m’avait tout de même appris quelque chose, et j’y suis allée. Ils ont des points communs : le monochrome (Buren alterne avec du blanc), le travail dans l’espace, la rupture avec la tradition.

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    Palais des Beaux-Arts de Bruxelles ou Bozar, 26.4.2017 (architecte : Victor Horta)

    Près de la grande photo du Saut dans le vide au début du parcours, un photomontage qui fait bel effet au-dessus de l’entrée du bâtiment (photo ci-dessus, il est interdit d’en prendre à l’exposition), de jeunes malentendants suivaient les explications de leur guide en langue des signes, et j’ai partagé un moment leur silence. Yves Klein (1928 -1962) avait soigneusement préparé cette performance à Fontenay-les-Roses intitulée « Théâtre du Vide », sans prendre de risques puisqu’une couverture avait été tendue pour le recueillir et un matelas posé sur le trottoir.

    De sa biographie résumée dans la première salle, accompagnée de photos de l’artiste français, je retiens surtout sa première passion : le judo – pour lui la « découverte par le corps humain d’un espace spirituel ». Quatrième dan du Kodokan, il l’a enseigné et a même écrit un livre sur « Les fondements du judo ». L’art n’est pas sa vocation première, il a aussi été libraire à Nice, entraîneur de chevaux en Irlande, mais dès 1949, il peint des monochromes.

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    IKB 191, monochrome par Yves Klein, 1962 (Wikimédia Commons)

    Son premier livre, Yves. Peintures, rassemble de petits rectangles de couleur unis où il a apposé simplement son prénom en guise de signature. Il trouvera son bonheur en mélangeant de la résine et des pigments purs. Avant de devenir ainsi le « bleu Yves Klein » certifié, le bleu outremer est pour lui la couleur du ciel, de l’espace, de l’infini. Lors d’une exposition à Paris en 1957, il procède à un lâcher de 1001 ballons bleus pour ouvrir la « révolution bleue ». Dans le cadre d’une exposition collective à Anvers en 1959 (Pol Bury y participait), il tient une conférence sur « l’évolution de l’art vers l’immatériel ».

    Des vidéos font face à quelques monochromes plutôt lisses, à part le jaune qui présente une texture. Les éponges imbibées de son fameux bleu qu’il montre au début des années soixante illustrent son intérêt pour les reliefs et la perception du support. Une autre expérience l’occupe un certain temps : les peintures de feu « Le feu est bleu, or et rose aussi ». Des photos, des films de diverses performances – avec des flammes de gaz – accompagnent une série de peintures où le brun de la toile varie avec l’intensité de la brûlure.

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    Yves Klein Untitled Shroud Anthropometry, (ANT SU 5), 1960 ca.
    Dry pigment and synthetic resin on paper mounted on thin canvas, 77 x 50 cm © Yves Klein, ADAGP, Paris / SABAM, Bruxelles, 2017

    Puis vient la salle des « anthropométries » : on peut y voir sur un petit écran le film (en noir et blanc) et des photos du « happening » de 1960 qui avait scandalisé à l’époque. Plusieurs modèles nues – femmes pinceaux – se sont enduites de couleur puis, sur les directives de l’artiste, dandy au nœud papillon, ont apposé leurs formes sur les toiles tendues aux murs et des papiers sur le sol, devant le public convié au spectacle. Quelques-unes sont exposées, des empreintes tantôt légères, tantôt fortes, bleues, bleu et or, roses, on y voit la trace des corps, d’un baiser. Je n’avais jamais vu ces « anthropométries » de près : une étape dans l’évolution de l’art manuel vers l’art conceptuel, qui occupe tant de place dans la création contemporaine. Et une expérience annonciatrice de lArt corporel.

    Pierre Restany, critique d’art et son complice pour cette soirée, figure du Nouveau Réalisme, écrira dans un Manifeste : « Nous voilà dans le bain de l’expressivité directe jusqu’au cou et à quarante degrés au-dessus du zéro dada, sans complexe d’agressivité, sans volonté polémique caractérisée, sans autre prurit de justification que notre réalisme. Et ça travaille, positivement. » (L’aventure de l’art au XXe siècle, Chêne/Hachette, 1988)

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    Miet Warlop, HORSE © DR/GR (Bozar)

    Pendant l’exposition (jusqu’au 20 août), Bozar organise des performances « d’illustres artistes belges et internationaux ». Des vidéos dans une salle annexe présentent celles de deux Belges qui ont eu lieu le 28 mars dernier : « Horse » de Miet Warlop, (une jeune femme en robe rose et collants noirs chevauche un homme aux jambes nues chaussé de hauts talons et traverse ainsi les salles d’exposition, sur une musique de guitares et d’harmonica) et « Paint Explosions » de Pieter Van den Bosch (des explosions de noir, de jaune et de rouge), dans l’esprit provocateur de Klein. Le programme des prochaines « performances » prévues est donné sur le site de Bozar, avis aux amateurs.

    Le parcours se termine par la grande salle des monochromes bleus – y compris un grand « tapis de sol » (ce n’est pas son titre, mais c’est à quoi j’ai pensé, quoique les gardiens veillent de près à ce qu’on n’y touche pas) – un ensemble qui m’a fait peu d’impression, d’autant plus que les peintures sont exposées sous verre. Le bleu, couleur froide, produit par lui-même de la distance. En passant devant ces « boîtes » transparentes, on y découvre son ombre, son reflet, pas de quoi s’attarder. Peut-être est-ce volontaire, me suis-je dit en regardant un petit film où on voit Yves Klein scruter l’espace vide d’une pièce aux murs blancs, la surface des parois, et y déplacer son ombre (lors de son exposition du Vide !)

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    Couverture du livre sur l'exposition du vide (1958)
    aux éditions Dilecta

    Au bout de cette salle, une vitre de séparation donne sur l’exposition Pol Bury dont je vous ai parlé et qui m’a beaucoup plus intéressée que celle-ci pour laquelle, sans doute, il me manquait des clés de compréhension. Yves Klein, figure mythique de l’avant-garde parisienne des années 60, m’a paru surtout comme un metteur en scène. Sa marque déposée IKB, « International Klein Blue », et ses « actions » spectaculaires annoncent certaines voies de l’art contemporain.

  • Mouvement

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    « Tout artiste agissant a, dans sa mine de plomb, son pinceau, son burin, non seulement ce qui rattache son geste à son esprit, mais à sa mémoire. Le mouvement qui paraît spontané est vieux de dix ans ! de trente ans ! Dans l’art, tout est connaissance, labeur, patience, et ce qui peut surgir en un instant a mis des années à cheminer. »

    Fernand Pouillon, Les pierres sauvages

  • Pierres du Thoronet

    Lire Les pierres sauvages (1964) de Fernand Pouillon, c’est entrer dans le journal d’un moine bâtisseur, le maître d’œuvre de l’abbaye du Thoronet, au XIIe siècle. Le ciel printanier de Provence alternait entre pluies et azur, par un temps moins froid que le 5 mars 1161 où celui-ci écrivait : « La pluie a pénétré nos habits, le gel a durci le lourd tissu de nos coules, figé nos barbes, raidi nos membres. » La coule, c’est la robe longue en laine blanche à capuchon que portent les moines cisterciens – l’ordre qu’il sert depuis trente ans.

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    L’abbé de Notre-Dame-de-Florielle dans le diocèse de Fréjus l’a chargé de construire un nouveau monastère. Le maître va bâtir sur les terres de son cousin Raymond Bérenger, comte de Barcelone, dont ils dépendent, mais que son frère Hughes Balz lui dispute – voilà trois siècles que l’étoile d’argent, leur emblème familial, « brille sur la Provence. »

    Le 13 mars, après avoir été attaqués par des voleurs, ils arrivent au Thoronet, « forêt sereine et grave, verte vallée, étroite et peu profonde, traversée par un ruisseau dont le cours, au lieu-dit, va vers le levant ». « L’emplacement du monastère est en pente douce vers le ruisseau ; j’ai immédiatement pensé que cette forme se prêterait à d’intéressantes dispositions de niveaux. » Le 16, le défrichement a commencé, onze frères convers (religieux non tonsurés, vivant séparés des moines) sont déjà installés sur place.

    Fernand Pouillon a épousé le point de vue du moine qui note au fil des jours et des saints du calendrier non seulement les progrès et les problèmes du chantier, les faits, mais tous les états, les fulgurances parfois, de l'esprit bâtisseur : « Mon inquiétude égale mon impatience. Je ressens un doute, la création est comme un miracle, et le doute est conséquence de l’incertitude du miracle. »

    C’est le maître d’œuvre qui fixe le règlement du travail, l’horaire, pour lesquels il exige une stricte obéissance, qu’il modifie en cas de nécessité. « Nous, moines cisterciens, ne sommes-nous pas comme ces pierres ? Arrachés au siècle, burinés et ciselés par la Règle, nos faces éclairées par la foi, marquées par nos luttes contre le démon ?… Entrez dans la pierre, et soyez vous-mêmes comme des pierres vivantes pour composer un édifice de saints prêtres. »

    De ma visite à l’abbaye du Thoronet, il y a quelques années, me reste, parmi les impressions fortes ressenties alors, le choc de découvrir cette pierre lumineuse du Thoronet, sa couleur, sa texture, qu’on retrouve dans les éclats à terre autour du site. J’en avais ramené un morceau dans sa chambre à l’amie qui m’en avait parlé et rassemblait déjà ses dernières forces de vie. J’aurais aimé lui lire quelques pages de ce livre.

    C’est cette pierre locale, malgré les difficultés qu’elle pose, que l’architecte a voulue pour le monastère : « Personne n’imagine encore que la rudesse, la difficulté de taille, l’irrégularité des pierres, seront le chant et l’accompagnement de notre abbaye ». Celle-ci, il la conçoit non comme un assemblage de bâtiments mais comme une sculpture, « dans un bloc plein, massif ». Aux trois dimensions s’ajoute une quatrième, « la trajectoire : perception de l’édifice dynamique » : l’œuvre « se transforme sans cesse par le déplacement du regard ».

    A l’abbé de Notre-Dame-de-Florielle seul, il confie ses soucis, ses souffrances (une plaie à la jambe qu’il ne soigne guère), ses faiblesses. Heureusement, il peut compter sur Bernard, le frère abbé, et Benoît, le maître des travaux, mais lorsque des convers se révoltent, c’est à lui, le « patron », de punir et de rétablir l’ordre. « Toute ma vie, je fus plus maçon que moine, plus architecte que chrétien. » Dans son for intérieur, celui qui a construit sa première église en 1136 a le pressentiment que son voyage de bâtisseur s’achèvera au Thoronet.

    Sur le Champ, le terre-plein où tout se prépare, des hommes précieux se présentent pour offrir leur savoir-faire : Paul, maître carrier ; Antime, forgeron ; Joseph, potier… Peu à peu treize frères de Notre-Dame-de-Fourvielle sont venus s’ajouter aux onze déjà sur place à son arrivée. Il faut prévoir des logements, des vivres, organiser l’avancée du chantier et la vie des hommes. Des accidents surviennent, des blessures, des morts. Il faut faire face. Lutter contre l’orgueil, exercer la patience, la persévérance, l’humilité. Travailler sur sa paillasse quand la fièvre l’y cloue, accepter même d’aller se reposer ailleurs.

    Quand il rentre au Thoronet, c’est pour exposer sa méthode, partager enfin son dessin d’ensemble. L’abbé fait des remarques, interdit le clocher trop haut selon la Règle, conseille d’en réduire la hauteur ou de le supprimer. Or cette forme, le maître d’œuvre l’a vue dès son arrivée, il y tient, il convaincra – lors d’un discours extraordinaire.

    Au lendemain de la mort d’un frère, l’abbé lui délègue frère Pierre, prieur de Notre-Dame-de-Florielle, « moine de (son) âge et d’une belle santé ». Il se révèle un ami, un collaborateur « délicat, perspicace ». Dès lors, la construction avance ; de page en page, l’abbaye prend forme sous nos yeux.

    Fernand Pouillon, architecte et auteur, a conçu de nombreux bâtiments publics en France, notamment aux Sablettes (La Seyne-sur-Mer) où ce patrimoine du XXe siècle est conservé et où j’ai lu Les pierres sauvages, grâce à B. que je remercie. Il faudra retourner à l’abbaye du Thoronet avec ce beau récit nourri d’histoire et d’art, de foi et d’humanité.

  • Cela remue

    « Regardez bien comme cela remue, comme cela fléchit, éPol Bury (74).JPGcoutez comme cela grince, comme cela grogne, comme cela geint, entendez bien comme ça remue, pas beaucoup, un tout petit peu, ça bouge à peine et ça s’arrête et ça rebouge. »

    Eugène Ionesco

    Pol Bury. Time in motion,
    Bozar, Bruxelles, 23 février > 4 juin 2017

     

    © Pol Bury, 74 Sphères sur un plan, 1979, Cuivre/moteur électrique,
    Collection particulière, Belgique

     

  • Le tempo de Pol Bury

    Devant les sculptures en mouvement de Pol Bury (1922-2005), rien ne se passe si vous ne vous arrêtez pas. Le comble de son art cinétique, c’est qu’il nous immobilise devant l’œuvre : le temps d’attendre, d’observer, de guetter le frémissement d’un fil, d’une boule ou d’un cylindre. L’exposition « Pol Bury. Time in motion » au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles (jusqu’au 4 juin) retrace tout le parcours de l’artiste belge, dont on ne connaît souvent que la part la plus célèbre : ses fontaines mobiles à Bruxelles, Paris ou New York.

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    © Pol Bury, Fontaine installée pour l'exposition au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles

    Sous l’influence d’Achille Chavée, poète, avocat et anarchiste, cet artiste né dans le Hainaut fait ses débuts de peintre dans la veine surréaliste, comme l’illustre bien La serrure inspirée par Magritte, puis fréquente CoBrA, évolue vers l’abstraction. Jignorais que Pol Bury avait commencé par peindre, Bozar offre une vision très complète de son oeuvre, je ne pourrai parler de tout. Les « Compositions » montrent d’abord des entrelacements, des superpositions, mais par la suite il travaillera surtout des formes géométriques.

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    Vue partielle de la deuxième salle (Bozar)

    Une exposition de Calder, en 1950, l’entraîne sur une toute nouvelle voie, celle des « Plans mobiles », des « Multiplans » et des « Girouettes ». Finis les aplats de couleurs sur toile, Pol Bury se met à construire des objets composés de panneaux colorés qui pivotent. Au début, le spectateur peut les faire bouger lui-même – le plus souvent, il s’amuse à le faire à toute vitesse – puis Bury décide d’y ajouter un moteur à propulsion électrique qui suscite un mouvement très lent. C’est lui qui décide du tempo, le spectateur n’a plus qu’à regarder.

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    © Pol Bury, Multiplans (1957), Bois peint (détail)

    Ni peintre ni sculpteur au sens traditionnel, Pol Bury signe en 1953 le manifeste du Spatialisme « dont les éléments essentiels sont le temps, la durée et le mouvement » (Guide du visiteur). A la recherche de nouvelles techniques, il vise un art plus démocratique qui s’intègre dans la vie quotidienne. Comme il le raconte avec humour, il ne s’approvisionne plus dans les magasins de « matériel pour artistes » mais dans les quincailleries où on lui demande souvent : « C’est pour quoi faire ? »

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    © Pol Bury, Mélangeur, 1967, Bois teinté/moteur électrique

    Pol Bury est non seulement polyvalent, artiste et bricoleur, mais il est aussi très facétieux et donne libre cours à son côté potache dans son travail d’illustrateur au Daily Bûl, revue et maison d’édition qu’il fonde en 1957 à La Louvière avec André Balthazar : L’art à bicyclette et la révolution à cheval, L’Art inopiné dans les collections publiques, entre autres. « A l’instar des discours incendiaires, la poésie a toujours la boîte d’allumettes en poche. » (Pol Bury)

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    © Pol Bury, 1682 Points blancs, 1973, Bois teinté en noir/fil de nylon/moteur électrique, Collection privée, Bruxelles (détail)

    Apparaissent alors les points blancs, qui s’agitent au bout de leur fil de manière imprévisible et aléatoire sur un fond noir, blanc, parfois rouge. Ses œuvres portent des titres souvent descriptifs (865 points), parfois suggestifs (Erectiles). La série « Ponctuation » consiste en panneaux perforés superposés où le mouvement modifie les virgules, apostrophes – ou phases de la lune, comme écrit Roger Pierre Turine – dans les petits cercles ouverts, et quelquefois la lumière (Ponctuation lumineuse). 

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    © Pol Bury, Ponctuation 380, 1960, Masonite peint/moteur électrique, Kunstmuseum Krefeld

    Si Pol Bury dispose dans l’espace des formes géométriques, en métal ou en bois, le mouvement lent et aléatoire auquel il les soumet introduit une autre dimension, celle de la durée, du temps. Il fait à la fois voir et percevoir ce que produisent le déplacement, suivi de la vibration pour les œuvres à fils, et le retour à l’immobilité. Dans quelques œuvres exposées, ce sont des tiges en métal martelé qu’il fait bouger, un jeu d’arabesques.

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    © Pol Bury, 134 Chevilles de chêne sur fond de chêne, 1964, bois/moteur, Collection ?, Cologne (détail)

    « Les déboulés de Pol Bury », titrait Roger Pierre Turine dans La Libre. Certains perdent la boule, Pol Bury la trouve, si j’ose dire, en la plaçant sur un plan incliné où elle ne roule pas, où même elle ira jusqu’à remonter la pente, défiant la loi de la pesanteur. Dans 16 boules, 16 cubes sur 8 rangées, une belle œuvre prêtée par la Tate (Londres), « il remplace la couleur originelle du bois par des variantes subtiles de couleur ocre, de rouges et de verts » (Guide du visiteur).

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    © Pol Bury, 16 Boules, 16 cubes sur 8 rangées, 1966, Bois/nylon/moteur, Tate, Londres

    Ce qui m’a frappée dans cette rétrospective, c’est la diversité, même si des procédés se répètent. Dans les années 70, Pol Bury crée des œuvres « à cordes » où des cylindres de bois accrochent la corde et déclenchent le son. Des gravures sur bois. Des bijoux, où il décline ses obsessions formelles en miniature. L’utilisation du métal poli l’amène à exploiter aussi le pouvoir des aimants pour déplacer les billes. Comme Capteurs de ciel, ses œuvres « design » au fini irréprochable sont loin des bricolages du début, et pourtant on perçoit le fil conducteur.

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    © Pol Bury, Capteurs de ciel (détail), 1980, Collection privée, Bruxelles

    Enfin, les plans sur lesquels il installe sphères et cylindres vont laisser la place à des œuvres monumentales, ses fontaines en acier inoxydable. Tantôt à boules, tantôt à cylindres, toujours en mouvement ; cette fois, c’est le poids de l’eau qui mène la danse. On en a installé une à la sortie de l’exposition, qu’on aurait préféré voir entourée d’un peu de verdure, comme disait la personne qui m’accompagnait. Pour ma part, je suis restée sous l’impression du magnifique paravent de chêne noir prêté par le Centre Pompidou, parsemé de barrettes en hêtre, 4087 cylindres érectiles.

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    A l'arrière-plan : Pol Bury, 4087 cylindres érectiles, 1972, MNAM, Paris © Centre Pompidou

    L’artiste qui cachait soigneusement ses mécanismes ne serait pas heureux de voir des fils électriques pendre sous certaines pièces. L’article de Guy Duplat sur Paul Gillard, « l’homme qui répare les œuvres de Pol Bury », explique les problèmes de conservation et l’instauration de pauses pour éviter l’usure trop rapide. Quoi qu’il en soit, je vous invite à faire l’expérience de la lenteur et du hasard avec Pol Bury, artiste et poète : « Le cube caressé prend de la rondeur (pour peu, on l’entendrait ronronner). »