Ce jour-là de Willy Ronis (1910-2009), disponible en Folio, « raconte » chacune de ses photographies, une cinquantaine : « J’ai la mémoire de toutes mes photos, elles forment le tissu de ma vie et parfois, bien sûr, elles se font des signes par-delà les années. Elles se répondent, elles conversent, elles tissent des secrets. »
© Willy Ronis, Chez Maxe, Joinville, 1947
Comme Perec dans Je me souviens, Ronis pratique l’anaphore : après chaque photo, le texte, précédé du lieu et de l’année, commence par « ce jour-là ». D’une guinguette à Joinville (ci-dessus) à un soir d’avant Noël, de la place Vendôme à Port-Saint-Louis-du-Rhône, sans ordre chronologique, le photographe se rappelle les circonstances, l’humeur, le moment décisif : « C’est très complexe. Parfois, les choses me sont offertes, avec grâce. C’est ce que j’appelle le moment juste. Je sais bien que si j’attends, ce sera perdu, enfui. J’aime cette précision de l’instant. D’autres fois, j’aide le destin. »
Il y a toujours quelqu’un sur ses photos, une présence en tout cas. Par exemple, quand il voit cette flaque d’eau sur la place Vendôme où se reflète la colonne Vendôme, il a tout de suite envie de saisir ce reflet. Une jeune femme enjambe la flaque – « Zut, je n’étais pas prêt, je l’ai ratée » – et puis d’autres qui passent par là. Ce sont les cousettes des ateliers avoisinants, il est midi, elles sortent pour le temps du déjeuner. Il attend, en voilà d’autres, et voilà capturée « l’ambiance particulière de ce jour, où, (il s’en souvient), il n’avait pas cessé de pleuvoir. » La flaque, le reflet de la colonne, le flou d’une enjambée, les escarpins d’une silhouette en jupe.
Ce sont parfois des rencontres, des regards échangés, ou bien c’est une histoire qu’il s’invente, par exemple en observant un homme, « avec ses valises à ses pieds ». Des enfants, des vieux, des amoureux, des solitaires, des groupes, un chat. « J’aime saisir ces brefs moments de hasard, où j’ai l’impression qu’il se passe quelque chose, sans savoir quoi précisément (…) ».
En France ou à l’étranger, en reportage, Willy Ronis a vécu ces instants particuliers avec une telle attention que tout lui revient en regardant la photographie, ce qu’il voyait devant lui et ce qui se passait en lui. Et ainsi, d’une photo à l’autre, sans ordre chronologique, se dessine un autoportrait du photographe, entre 1939 et 1992. Il nous livre peu à peu ce qui dans la vie l’a touché, ce qu’il ressent, celui qu’il est. Il évoque Marie-Anne, son épouse, qui était peintre – elle est sur quelques instantanés. Il se souvient de qui l’accompagnait « ce jour-là ».
Sur la couverture, « Le petit Parisien, 1952 », un petit garçon avec une baguette sous le bras, est une des photographies les plus connues de Willy Ronis. Il l’avait repéré, dans une boulangerie, avec son air déluré, et avait demandé à sa grand-mère s’il pouvait le photographier dans la rue, courant avec son pain sous le bras – « Mais oui, bien sûr, si ça vous amuse, pourquoi pas ? » Un jour, une femme lui téléphonera, après avoir reconnu son gendre sur cette photo en couverture d’un livre, et lui rappellera le nom de la rue où elle a été prise. Il y est retourné, pour voir.
Ce jour-là de Willy Ronis est un livre à garder à portée de main, là où on aime lire, pour y choisir une page au hasard, regarder la photo, rêver un peu, lire ce qu’elle a signifié dans la vie d’un photographe humaniste qui aimait retenir, en noir et blanc, le décor et la trace d’une émotion.
Commentaires
C'est touchant et tellement plein d'une belle humanité. Il y a l'attention et un ŒIL, pas unique, mais presque, je vais aller vers ce livre avec joie, merci Tania. Bises, douce journée. brigitte
Il te tiendra bonne compagnie, ce petit livre, tu verras. Du ciel bleu nous revient ce matin. Bonne journée, Brigitte, bises.
Un bel instantané est toujours un cadeau. Bien-sûr il faut un peu de technique mais surtout regarder ou plutôt voir.
Merci pour ton hommage à Willy Ronis
quel beau partage que ce livre - je note, merci tania
Ce doit être un beau livre...car ses photos, les connues et celles qui le sont moins, racontent toutes des histoire qu'on aimerait connaître.
Un grand artiste que j'ai toujours beaucoup aimé, merci d'en parler ici!
Je suis ravie car une expo de ses photos est visible à quelques dizaines de km de chez moi, mais quand on aime...
@ Fifi : Savoir regarder, l'art des photographes !
@ Niki : Avec plaisir, Niki.
@ Colo : Et ces histoires, il les raconte bien - avec le ton juste aussi.
@ Keisha : J'imagine que tu en parleras quand tu l'auras visitée ?
Je me souviens très bien de cette photo, et j'avais beaucoup aimé ce livre. Je regretterai toujours d'avoir loupé Ronis et sa dernière expo à Arles il y a qqes années à Arles : j'ai toujours admiré le photographe, et l'homme.
(Une expo de lui bientôt à Tours, dans le château, annexe du Jeu de Paume : un endroit génial où les expos, toutes, ne le sont pas moins...)
Et merci Tania pour ce beau billet.
(Et la prochaine fois je me relirai avant d'envoyer ... ça évitera les redites !)
Ronis ne pouvait échapper à l'œil du Krop, bien sûr. Iras-tu à Tours ?
Un photographe dans la bibliothèque de Phil et un chatographe dans notre bibliochat (Les chat de Willy Ronis chez Flammarion). Glop !
Nous allons bien (sommes passés à 5 avec le sauvetage l'an dernier d'une petite Mia) et continuons de déambuler ici même si nous ne griffonnons plus de commentaires. Graous graous.
superbe! j'oublie trop souvent le nom des photographes...
l'article avec les photos et les extraits montre bien son humanité, j'aime!
merci Tania
@ Liousha Tiki : Liousha, quelle bonne surprise ! Merci de poser vos pattes de chat ici. Je note cet album qui a tout pour me plaire. Bonne vie à la petite Mia & bel été, salutations félines à tous.
@ Adrienne : Je te passerai le livre quand on se verra, si tu veux.
C'est vrai les photos d'un photographe sont toujours pour lui un moment important de sa vie. je comprends pourquoi il en a un souvenir si clair et si précis. Un titre que je vais retenir pour ma fille, photographe elle aussi.
La grâce d'un instant ne s'oublie pas. Je pense à toi, Claudialucia, à chaque fois qu'on parle du festival d'Avignon. Aurais-tu vu cette mise en scène japonaise d'"Antigone" dont j'ai lu la critique dans le journal et vu des images à la télévision ? A bientôt dans ta librairie.
J'aime beaucoup ce livre plein d'humanité, j'en parle toujours à mes élèves !
Quelle bonne idée de leur en parler !