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Art - Page 183

  • Pouchkine à Martigny

    De Courbet à Picasso, c’est la belle exposition d’été de la Fondation Gianadda à Martigny, un rendez-vous à ne pas manquer. Les œuvres prêtées par le Musée des Beaux-Arts Pouchkine, des peintures françaises des XIXe et XXe siècles – autour de l’impressionnisme – ne sont à nouveau visibles à Moscou que depuis 2006. La galerie d’art moderne occidental y a rouvert ses portes quelque soixante ans après la condamnation de cet art « bourgeois » acquis principalement par deux collectionneurs russes, Ivan Morozov (ingénieur) et Serguei Chtchoukine (magnat du textile, mécène pour qui Matisse a peint La Danse et La Musique).

     

    Picasso Arlequin et sa compagne (les deux saltimbanques).jpg
      

    L’exposition s’ouvre sur trois Corot, dont un merveilleux Char à foin : près d’un arbre au croisement d’une route de campagne, un cheval tire la charrette où deux personnes sont juchées sur le foin, un cavalier les accompagne. Des paysages de Courbet, un Bal à l’Opéra de Paris signé Forain, précèdent une grande toile de Dagnan-Bouveret, La bénédiction des jeunes époux. La lumière blonde et les blancs de cette composition réaliste fascinent : le vieux couple des parents tend un cierge aux mariés, agenouillés devant eux. Sur le sol jonché de pétales de roses, la mariée a posé son missel. Dans le fond, une grande table de fête couverte de nappes blanches, au bout de laquelle est posé un bouquet champêtre. On aperçoit des serviteurs dans un angle, près de la vaisselle blanche, et face à nous, la famille regroupée et attentive.
    Aux fenêtres, des rideaux immaculés ajoutent encore de la clarté à la scène qu’un trait blanc, sur la nappe, souligne en oblique.

     

    Degas Danseuse chez le photographe.jpg
     Edgar Degas, Dancer posing for a Photographer Danseuse chez le photographe, 1875, 65 x 50,
    Musée d'Etat des Beaux-Arts Pouchkine, Moscou, © The State Pushkin Museum of Fine Art, Moscow

     

    C’est le seul artiste peu connu dans le parcours. Renoir est là avec Au jardin, Sous la tonnelle au Moulin de la Galette – de dos, une jeune femme en robe blanche rayée de bleu rappelle le célèbre Moulin. Puis vient une Danseuse chez le photographe, le Degas qui a été choisi pour l’affiche : elle prend la pose devant un miroir, à travers de grandes vitres d’atelier on reconnaît des façades parisiennes. Dans Matin d’automne à Eragny, de Pissarro, on voit d’abord les arbres dorés du paysage, puis on devine une ferme, un cavalier qui tient son cheval par la bride. Deux Monet lui succèdent : des Nymphéas blancs, sous le pont japonais, puis Meules de foin à Giverny, devant une allée de jeunes peupliers qui vibrent sous le soleil. Et puis Cézanne, très bien représenté aussi, la fameuse Ronde des prisonniers de Van Gogh, les couleurs somptueuses des Gauguin (Matamoé (la mort), Paysage aux paons et Vaïraumati Tei Oa – Son nom est Vaïraumati). 

    Gauguin Matamoé (la mort).jpg

    Paul Gauguin, "Death. Landscape with PeacocksPaysage aux paons", Paysage aux paons, 1892, 115 x 86,
    Musée d'Etat des Beaux-Arts Pouchkine, Moscou, © The State Pushkin Museum of Fine Art, Moscow

    Comment rendre tant de beauté par l’énumération ? Une Femme à la fenêtre de Toulouse-Lautrec (carton, essence, céruse). Un Intérieur de Vuillard plein de charme. De grands Matisse, dont les Capucines devant La Danse. Le Vésuve par Marquet, un paysage d’or pâle où les coques des bateaux brillent d’un noir d’encre. Un Picasso à couper le souffle, Arlequin et sa compagne (les saltimbanques) : ils sont accoudés devant un verre, les yeux dans le vague, lui dans son costume bleu à losanges, de profil, elle de face, en jaune orange. Contraste du froid et du chaud sur le fond aussi, rouge de la banquette, bleu du mur. Un coup de cœur.
     
    Le coq de Brancusi dans le parc de la Fondation Pierre Gianadda à Martigny.JPG

     

    Et ce n’est pas tout : voici Apollinaire et Marie Laurencin peints par Rousseau, et aussi son étonnant Cheval attaqué par un jaguar. Des courbes graphiques sur fond noir d’Ozenfant. Il faudrait revenir pour mieux regarder les photographies en annexe et flâner à l’aise dans le parc de sculptures. Avec les années, les arbres de plus en plus beaux y jouent aussi des formes et des volumes, des couleurs et de la lumière.

     

     

     
  • A rebours

    « Dans l’histoire de l’art pour se faire remarquer il ne faut pas tenter de faire quelque chose de plus beau, cela ne sert à rien, il n’y a aucun exemple ; il faut « danser à rebours », contredire ce qui a cours. »

     

    Georg Baselitz 

    Baselitz La direction est juste vers l'étoile dorée.JPG

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

  • Toulon expose

    Sur le même boulevard à Toulon, on peut visiter l’Hôtel des Arts, voué à l’art contemporain, et sur le trottoir d’en face, un peu plus loin, le Musée d’art, musée-bibliothèque de la ville. L’entrée est libre aussi bien à l’exposition Baselitz du premier qu’au second, récemment rénové, qui propose un aperçu de ses collections.

     

    « Drapeau au vent sur la ligne de front », c’est le titre donné à l’exposition d’œuvres de Georg Baselitz des dix dernières années, « celles d’un jeune peintre de 71 ans à l’esprit farceur, parmi lesquelles figurent plusieurs Remix. » (Gilles Altieri, directeur de l’Hôtel des Arts) Avec Zéro pour le peintre (l’affiche), on entre d’emblée dans son univers de motifs renversés, ici un portrait d’homme en rouge et blanc, où « Zéro » s’inscrit en miroir sur la casquette. L’entretien vidéo accordé par le peintre le 13 juin 2009 éclaire ses intentions : faire le contraire de ce qu’on lui dit ou ne pas le faire du tout. Par volonté de rupture, l’artiste a opté pour une peinture grossière, agressive, brutale. Son origine – même s’il n’a que sept ans à la fin de la guerre, il est catalogué « allemand » –, son expérience du nazisme puis du communisme, tout lui donne envie de tirer la langue ou de baisser son pantalon – mais pas question de s’excuser d’être celui qu’il est. 

    L'entrée de l'Hôtel des Arts.JPG

     

    Jambes bottées de noir, souliers lacés, Baselitz garde les pieds sur terre ou les tourne vers le ciel, il s’amuse à peindre une étoile à cinq jambes (La direction est juste vers l’étoile d’or). Le Remix d’Un peintre moderne cerne la figure d’un noir de cambouis, alors que Peintre moderne montre dans sa moitié supérieure un buste en couleurs sur fond blanc, dans sa moitié inférieure un entrelacs de racines qui prolonge le corps, en blanc sur fond noir. Baselitz aime diviser la toile entre haut et bas, ne fût-ce que d’un trait horizontal. Il n’a pas oublié la remarque du professeur qui regardait son dessin d’une tulipe ou d’un arbre et lui demandait ce qu’il y avait en dessous, qui manquait : des racines ? un vase ? un oignon ? Deux œuvres à l’étage font place à la forêt : Le chien Canalettos III, chien noir sur le dos, pattes en l’air sous les arbres, et Retour au temps de l’école, un paysage de neige, un sentier forestier renversé, où frappe l’irruption du rose vif dans un univers blanc et noir. Baselitz explique l’importance pour lui de la vitesse : ce qu’il veut, c’est mettre à plat l’image, l’idée
    qu’il a en tête, sans rien « chercher » sur la toile.
     

    Musée d'art à Toulon.JPG

     

    Après un déjeuner place de la Liberté (juste à côté), cap sur les collections du Musée d’art, surtout du contemporain et du moderne, un peu d’ancien. Un étonnant Monstre de Niki de Saint Phalle, figurines en plastique assemblées sur un dragon couleur bronze, loin de ses Nanas. Un Portrait-relief de Martial Raysse par Yves Klein, sculpture bleu Klein sur fond or, à côté de Pot et fleur en néon de son modèle. Un Etal de moules de Broodthaers près d’un grand Monochrome gris de Richter. A côté des 98 sucres taillés sous vitrine de Boltanski (Sans titre), Le bois dormant du suisse Markus Raetz : 96 pièces de bois, dont de nombreuses fourches de branches, composent un paysage poétique à même le mur. L’espagnol Miralda a disposé en rangs serrés de minuscules figurines blanches dans le tiroir ouvert de sa Solitude urbaine, une table blanche. Hantaï, Fontana, Sol Lewitt, cinq toiles rayées de Buren,
    il y a des choses à voir.

     

    Chez les anciens, j’ai remarqué un beau Saint Paul plongé dans un livre (anonyme, XVIIe), des portraits d’enfants par Jean-Baptiste Paulin Guérin (né à Toulon en 1783), en particulier celui d’Isabelle écrivant. Des vues de Toulon : le port par Willy Eisenschitz (1928-1930), La Patache dans le port de Toulon par Louis Nattero (1902-1905), et une radieuse Calanque d’en Vau par Jean Baptiste Olive. Un David, un Fragonard aérien – L’amour embrasant l’univers – mais pas le buste de Paul Claudel par Camille Claudel que j’espérais voir là. Le musée-bibliothèque de la ville de Toulon porte bien son nom : à droite du bâtiment qui ne manque pas d’allure, un mur intérieur porte gravés les noms de « littérateurs » illustres. Une grande salle ancienne propose des livres jusque sur deux étages de coursive où mène un escalier hélicoïdal. Du monde dans la salle de lecture – silence.

  • Edifices

    « L’art contemporain a pris la place qu’occupait jadis l’Eglise. Il construit des édifices là où autrefois des églises étaient érigées. Auparavant, l’Eglise compensait l’inégalité sociale en affirmant que Dieu aimait tous les hommes de la même façon. Aujourd’hui, le musée joue ce rôle en manifestant que tout est beau. »

    La beauté vue par Boris Groys, philosophe et enseignant à l’université de Karlsruhe, propos recueillis pas Anne Picq (Beaux Arts Magazine, juin 2009, numéro 300)

    Notre-Dame de Pépiole, Six-Fours-les-plages.JPG

     

  • Fleurs du Midi

    C’est la première fois que je descendais à la Méditerranée en juin et là c’est déjà l’été – la belle saison toujours trop éphémère en Belgique. Sous un voile de nuages, parfois, sous l’azur parfait, souvent, les couleurs accompagnent la promenade : les fleurs du Midi flamboient. – « Et vous, trouvez-vous ça beau ? » : c’est le titre d’un sondage publié dans le Beaux Arts magazine de ce mois, le 300, numéro spécial « Qu’est-ce que la beauté ? » Un dossier qui s’ouvre sur L’incessante réinvention de la beauté en sept ruptures : « La philosophie a tué Dieu. L’art cherche sans cesse à tuer la beauté sans y parvenir. Petite histoire de la beauté en sept révolutions esthétiques. » 

    Midi lauriers-roses.JPG

     

    Parmi neuf situations censées avoir donné récemment le sentiment de voir ou de vivre quelque chose de beau, « marcher dans la nature » vient en tête des réponses (44 %), devant « faire l’amour, écouter de la musique, regarder un film, lire un livre, acquérir un objet ». « Visiter une exposition ou regarder une œuvre d’art » ne récolte que 9 %, entre « assister à un spectacle » et « regarder une émission de télévision » ! Marchons… Les lauriers-roses en pots dont les boutons peinent à éclore sur les terrasses bruxelloises en juillet font décidément pâle figure en face des méridionaux : des haies touffues, de hauts arbustes déclinent déjà ici tout le nuancier

    du rose, sans oublier les lauriers à fleurs blanches si fraîches sur leurs lances vertes.

     

    Midi bougainvilliers.JPG

     

    La palme de la couleur revient aux bougainvilliers. Quel mot pour désigner exactement leurs éclats colorés contre un mur ou à l’horizontale d’une clôture ? Des bractées d’un violet incroyable, d’un rose presque pourpre. Quand les deux se mélangent, on se rappelle qu’Yves Saint Laurent le premier nous a fait voir que le rouge, le rose vif et le violacé peuvent faire alliance. Les couleurs et les goûts… « Avoir du goût, oser dire « j’aime, j’aime pas », ce n’était pas pensable » écrit Philippe Trétiack dans Pourquoi le beau dérange-t-il les architectes ? N’est-ce pas réduire à l’extrême ce que recouvre le goût ?

     

    Midi bleu.JPG

     

    Au rayon du bleu, les plumbagos qui commencent à s’épanouir renvoient sa couleur exacte au ciel du matin. Les solanums défroissent le papier de soie bleu mauve de
    leurs pentagones, plus discrets que les trompettes des volubilis. Dans son Eloge de la grâce, Daniel Arasse rappelle que, déjà pour La Fontaine, la grâce « est plus belle encore que la beauté. » La grâce relève de ce je ne sais quoi qui manque à la beauté classique, trop parfaite. Gracieux plumbagos. Les agapanthes aussi rivalisent d’élégance.
     

     

    Midi albizia.JPG

     

    Plus rustiques, les lantanas offrent parfois une surabondance criarde d’orange et de rouge, mais le plus souvent une agréable déclinaison de jaune, de lilas, de rose. Typiquement méditerranéenne, la fleur d’acanthe dresse ses colonnes un peu partout au bord des chemins. S’échappant d’un jardin, un magnifique albizia offre ses délicats éventails de soie à la caresse des passants. Au parc Braudel (La Seyne sur mer), les nymphéas sont déjà en fleurs. Sur un tapis de feuilles dont le cuir épais porte des blessures, au-dessus de l’eau sombre, leurs corolles s’habillent de rose et de blanc. Formes parfaites, cœurs d’or où la lumière allume les filaments du soleil.

     

    Midi nymphéas.JPG

     

    « La lumière venue de la droite éclaire les objets que l’air enveloppe, on
    aimerait écrire avec amour. Un grand silence règne. C’est la paix, la contemplation, la rêverie et l’oubli, l’émotion. »
    Pierre Rosenberg commente ainsi Le Bocal d’olives de Chardin, dans Secrets de beauté. Parmi dix séquences – dix œuvres commentées –, le Nu jaune de Bonnard du Centre Pompidou. Pas de fleurs dans ce tableau, mais une luxuriance chromatique où l’œil se promène entre miroir, mur, corps, bain, tissu. Alors, tant pis si Cocteau se moquait en disant de Matisse, de retour du Maroc, saturant ses toiles de motifs ornementaux : « Voilà le Fauve ensoleillé devenu un petit chat de Bonnard. » Les chats de Bonnard, je les adore. Je me suis égarée ? Peut-être. La beauté peut être naturelle et la nature parfois parle d’art.