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Art - Page 186

  • L'ombre du chat

    « Je m’appelle Astrophe, je suis un chat. » Ce sont les premiers mots de Nuit avec ombres en couleurs, un texte de Paul Willems présenté au Rideau de Bruxelles jusqu’au 27 février, dans une mise en scène de Frédéric Dussenne. Willems et le Rideau, une longue amitié. Peut-être, sûrement si vous y étiez, vous souvenez-vous du féerique Il pleut dans ma maison, du non moins poétique Elle disait dormir pour mourir, pages inoubliables dans le grand livre du Rideau au Palais des Beaux-Arts (Bozar) ?

    Pas tout à fait une pièce, plus qu’un long poème, Nuit avec ombres en couleurs
    pose de façon plus grave les questions essentielles de l’amour, de la vie et de la mort. Neuf jeunes acteurs les portent avec conviction sur un praticable incliné vers la salle, seul décor dans la boîte noire de l’Auditorium Paul Willems qui accueille les spectacles du Rideau en attendant mieux. Pour nous y faire voir un arbre, un terrain vague, de l’eau, du vent, il y a les mots, et la musique de Pascal Charpentier.

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    En 1983, au Théâtre National (alors de Belgique), l’écrivain de Missembourg avait raconté ce souvenir d’une promenade dans Londres, par une belle journée de juin, quand il avait dix-neuf ans. Les passants avaient tous des ombres et passaient sans se voir, alors qu’il aurait suffi de s’arrêter et de se sourire. Mais leurs ombres, elles, avaient l’air de s’aimer, glissaient l’une sur l’autre avant de se quitter à regret.

    Que dit Astrophe, le chat noir, à son ombre blanche ? Le chat philosophe pour qui les palissades, la nuit, sont les livres du hasard ? Qu’il y a d’abord Vincent et Josée, sa sœur. Ils entrent en scène. Aline vient de mourir et Vincent est plein du sourire qu’il a recueilli sur le visage de la jeune morte. Josée ne supporte pas de voir et d’entendre son frère plein d’Aline encore, elle voudrait être tout pour lui, sa sœur, son épouse, sa mère. Elle l’empêche de retourner vers l’arbre où Aline et lui se sont vus la dernière fois, lui promet d’y aller avec lui, plus tard. Pour Vincent, il n’y a qu’Aline ; pour Josée, il n’y a que Vincent.

    Ensuite apparaît Madame Van K., suivie comme son ombre par Eugène et César. Elle est riche, mais elle n’a pas tout. Elle se voudrait spécialiste en sanglots, elle qui aime tout de la vie. Eugène est l’amoureux de la riche Mme Van K., César son factotum. Elle est leur Godot attendu, à ces Vladimir et Estragon. Eugène acquiesce à tous les désirs de sa dame, la couvre de « ma chérie », de caresses et de mots rassurants. Quand il est en congé, le trouble César en profite pour la cajoler un peu lui aussi.
    Mme Van K. les emmène passer la nuit sur son terrain vague de quelques hectares – une de ses propriétés.

    Affiche de Nuit avec ombres en couleurs - Rideau de Bruxelles.jpg

    Affiche du spectacle © signelazer.com

    Bella et son ombre parfois rose, parfois bleue, complètent la troupe des passants. La jeune femme est mariée mais seule. Alec, son mari, passe son temps dans le
    coffre-fort de la banque avec sa secrétaire, en tout bien tout honneur. Bella en profite pour retourner à la maison de fougères où elle emmenait son petit garçon perdu, Rik, qui s’y montre parfois. « Tous les enfants sont perdus. Tous les enfants sont trouvés. »

    Un an après la mort d’Aline, Vincent erre non loin de l’arbre et y rencontre Bella. Eblouie par son sourire, Bella le presse de questions, lui donne des lacets dorés pour attacher ses souliers - et son adresse. Vincent qui n’a plus parlé depuis un an, qui vient de s’échapper de l’Institut où l’a mis sa sœur pour le protéger de ses envies suicidaires, Vincent retrouve la parole.

    On peut compter sur Astrophe le chat et sur son ombre pour les commentaires, les récits, les aphorismes. « Nous sommes tout pour tous et rien pour personne. » Centrés sur leurs blessures, les personnages de Paul Willems n’en sont pas moins ouverts aux rencontres. Hantés par la mort, ils cherchent à vivre. J’aimerais relire le texte (indisponible) de Nuit avec ombres en couleurs pour mieux comprendre la magie qui relie entre eux les moments du spectacle, pour réentendre les phrases simples et denses qui le jalonnent. Frédéric Dussenne écrit de l’œuvre de Paul Willems : « Elle parle de nous. De ce que nous sommes, dans ce lieu-ci du monde. De ce que nous avons été. De ce que nous pourrions devenir. »

  • Une canne à pêche

    J’ai découvert Gao Xingjian grâce à son prix Nobel en l’an 2000 et  à travers un long roman dans lequel je ne suis pas vraiment entrée, malgré son titre prometteur,
    La montagne de l’âme (1990). Condamné à l’exil à cause de sa liberté de parole, l’écrivain chinois Gao Xingjian vit en France depuis vingt ans et a aujourd’hui la nationalité française. Ensuite j’ai découvert le peintre et ses magnifiques encres de Chine sur papier de riz. C’est par ce double éclairage, littéraire et graphique, que le recueil de nouvelles Une canne à pêche pour mon grand-père a attiré mon attention sur la table d’un libraire, entouré d’un bandeau : « Les arts déco habillent les Nobel ! » (édition spéciale à tirage limité) Une couverture originale en noir et blanc, due à Fanny Le Bras.

    Gao Xingjian Couverture arts déco (détail).jpg

    Le temple m’a rappelé La montagne de l’âme par le sujet, un jeune couple en voyage de noces. « Dans notre vie si courte, le bonheur est en fait assez rare.
    Que ce soit Fangfang ou moi, nous avions connu une époque où l’on devait braver les tempêtes et affronter le monde. Pendant la période de grande catastrophe nationale, nos familles et nous-mêmes avions pas mal souffert,
    nous avions enduré tellement de malheurs. Sur le sort de notre génération,
    nous avions vraiment de quoi nous plaindre. Mais nous ne voulions plus parler
    de tout cela ; l’important, c’était qu’à présent nous connaissions enfin le bonheur. »
    C’est par hasard, le train restant à quai dans un chef-lieu de district, qu’ils aperçoivent de loin le temple de la Parfaite Bienveillance - « sous la lumière du soleil, ses tuiles vernissées jaune d’or »  - et qu’ils décident d’y aller faire un tour, sur le flanc de la colline. Un homme y arrive après eux, accompagné d’un enfant. Une rencontre.

    La nouvelle suivante, L’accident, contraste évidemment. Sans déflorer l’intrigue, j’y ai noté des couleurs : « le manteau gris de demi-saison », les « habits de printemps bleu clair », la « bâche à petits carreaux rouges et bleus » sur une carriole d’enfant tirée par une bicyclette. Après ce drame urbain, La crampe se déroule à la plage, un jour d’automne. Avant de se jeter à l’eau, un homme remarque parmi un groupe de jeunes gens « une jeune fille en maillot de bain rouge ». Mais à un kilomètre du rivage, le nageur est saisi d’une crampe. Il se bat, conscient d’être dans la mer un
    point noir dont personne, sur la plage, ne devine les difficultés.
    Dans un parc est presque entièrement dialogué. Un homme et une femme qui se sont aimés puis perdus se rencontrent sans se retrouver. « Dans le halo lumineux des lampadaires, les peupliers agitent imperceptiblement leur jeune feuillage vert tendre aux reflets de satin. »

     

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    La nouvelle éponyme commence avec l’achat coup de cœur d’une canne à pêche, en souvenir du grand-père qui fabriquait les siennes en bambou. Les souvenirs affluent de ce pêcheur qui emmenait son petit-fils au Lac du Sud et était aussi chasseur. Par exemple, sous l’avant-toit de sa maison, voici les « cages où mon grand-père
    élevait des oiseaux, une grive et un merle huppé ».
    Et avec lui la grand-mère qui « semblait toujours parler de quelque chose enfoui enfoui enfoui, encore enfoui enfoui enfoui enfoui, ces souvenirs crissent sous tes pieds qui foulent le sable. » Mais comment se promener en ville avec une canne à pêche sur l’épaule ? Où la ranger dans l’appartement à l’abri des maladresses de son petit garçon qui voudra sûrement y toucher ?

      

    Des Instantanés terminent le recueil de Gao Xingjian. De courts fragments autour d’un homme seul, sur la plage, dans une chaise longue. Soleil doux. Sommeil. Mélodie de la marée ou du vent. Par petites touches, nous entrons dans l’imaginaire d’un écrivain, dans ses rêveries ponctuées par le cri des mouettes. L’écriture est visuelle, mais pas seulement. Le dehors et le dedans s’y frôlent, le réel et l’imaginé, les sensations et les sentiments. C’est sobre. C’est fluide. Comme une encre de Chine.

  • Du grain à moudre

    « Il faut que mon dessin donne du grain à moudre au lecteur : qu’il se dise, au

    vu du dessin, qu’il se passe quelque chose, qu’il s’en nourrisse quelques secondes, s’en amuse, rebondisse et finalement aille à l’essentiel, en passant plus de temps sur la page qui va lui éclaircir les détails. Je suis un passeur. Le lecteur sera d’accord ou non avec mon dessin et conclura son propre débat intérieur avec l’article. »

     

    Plantu, Permis de croquer

     

    Plantu, La souris de l'ONU.gif
  • Dessins de presse

    N’est-ce pas absurde d’écrire sur ce qui doit se regarder autrement, des dessins ? Permis de croquer (2008), de Plantu et Frédéric Casiot, propose Un tour du monde du dessin de presse. Le livre sort à l’occasion d’une exposition éponyme à la Bibliothèque historique de la Ville de Paris (jusqu’au 9 mars 2009), pour les soixante ans de la Déclaration universelle des Droits de l’homme. Vingt-six artistes de dix-huit nationalités contribuent à ce panorama du dessin de presse contemporain.

     

    « L’humour qui les anime leur permet de prendre une certaine distance avec l’actualité, sans jamais se départir de l’objectif final qui, pour les artistes intégrés au réseau Dessins pour la paix / Cartooning for Peace, reste la promotion des principes de tolérance et de fraternité en tant que fondement de la paix » écrit dans la préface Kofi Annan, Président d’honneur de cette fondation. L’objectif, selon Frédéric Casiot, Conservateur général de la Bibliothèque Forney, est de « mettre en valeur le travail journalistique du dessinateur de presse » et de « favoriser le débat sur les conditions d’exercice et la défense de la liberté d’expression. » Son introduction est suivie de quatre pages d’entretien avec Plantu, puis de cent trente-cinq dessins de la meilleure veine, chacun en pleine page.

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    Affaires d’Etat aborde l’actualité politique, d'abord au Proche-Orient. Un dessin de Patrick Chappatte (Le Temps, 24.1.2008) n’a rien perdu de sa force un an plus tard. On y voit deux militaires surveiller la course d’une foule de Palestiniens sous une banderole « Gaza – Journées Portes ouvertes ». Des milliers d’habitants avaient profité des brèches percées dans le mur frontalier avec l’Egypte, il y a un an, pour s’y ravitailler. Au Moyen-Orient, la guerre en Irak est évidemment la cible numéro un. Mais il y a aussi ce dessin du Japonais No-Río sur l’Afghanistan où l’on discerne dans un champ de pavots, se confondant avec leurs capsules, des têtes d’hommes armés : la production d’opium y a augmenté de 17 % en 2007, finançant l’insurrection et les activités criminelles.

     

    Sans chauvinisme, j’avoue que le dessin qui m’a le plus amusée dans cette section est celui de Pierre Kroll (Le Soir, 6.1.2007) à propos de l’élargissement de l’Union européenne. Au-dessus, l’Europe en 1957 : six bonshommes répondent en chœur à l’employée : « Café ? – Oui, merci. » En dessous, l’Europe en 2007, où chacun des 27 membres de l’immense table ronde répond différemment : « Café au lait – Moi, café noir – Sans sucre – Chocolat chaud – Thé citron – Thé – Thé et jus d’orange… » ou encore « Cappuccino – Un café long – Un crème – Expresso – Un petit serré… » et je n’en ai cité que douze ! Imaginez le haut en noir et blanc, le bas en couleurs ; avec la mixité nouvelle des représentants européens, on a une formidable image du kaléidoscope de l’actuelle Union européenne.

     

    Peu de femmes se sont fait un nom dans le dessin d’actualité. J’ai découvert dans Permis de croquer la caricaturiste américaine Ann Telnaes avec un étonnant passage de relais (New York Times, 6.4.2008) entre Goebbels, le ministre d’Hitler, croix gammée sur le bras, et le Président chinois Hu Jintao à qui il tend le flambeau de la propagande. Trait incisif, mouvement, message, tout y est, avec une concision remarquable. Plus léger, pour dénoncer le sort des Tibétains, le dessin de Giorgio Forattini (Panorama, 10.4.2008) sur le même thème. Le dalaï-lama, suspendu aux anneaux olympiques devenus ballons, brandit en souriant une paire de ciseaux pour couper la corde à laquelle il est suspendu.

     

    Le choc des cultures dénonce en particulier la situation des femmes dans les pays qui les maltraitent. SOS Terre se passe de commentaire. Dans Portraits des puissants, un réjouissant Sarkozy par Kichka : le long manteau bleu de Louis XIV peint par Rigaud est ici couvert d'étoiles à la place des fleurs de lys (Courrier international, 2.7.2008) et Sarkozy de proclamer « L’Europe… C’est moi ! » Délit d’humour enfin revient sur l’affaire des caricatures de Mahomet. On se rappelle le célèbre
    « Je ne dois pas dessiner… » de Plantu qui a fait la une du Monde (3.2.2006).

     

    Plantu, Kichka, Dilem, Kroll, ces dessinateurs passent régulièrement dans l’excellente émission Kiosque sur TV5. Permis de croquer permet de découvrir d’autres signatures, du monde entier, qu’on s’empressera de chercher sur internet, à l’affût de leurs derniers traits de crayon. A leur manière, ils remplissent la mission que Molière assignait au théâtre, faire réfléchir tout en amusant.

  • Logogrammes

    "Je ne vous demande pas de savoir lire mes logogrammes... Je vous suggère de voir dans leur écriture exagérément naturelle, excessivement libre, le dessin, le dessin non naturaliste, certes, mais de toute façon matériel, de mon cri ou de mon chant ou de tous les deux ensemble ; après quoi vous pourrez lire le texte toujours écrit en clair sur le logogramme."

    Dotremont

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    « Vois ce que t’écris »