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ville - Page 7

  • Se trouver à Naples

    Vous vous souvenez peut-être du Passage de Vénus ? La romancière australienne Shirley Hazzard y montrait déjà avec sensibilité la manière dont les femmes et les hommes se lient ou se délient, et j’en avais retenu cette phrase : « Les femmes ont une aptitude à la solitude, mais ne veulent pas être seules. » Ce pourrait être un résumé de La baie de midi (1970), traduit de l’anglais par Jean et Claude Demanuelli pour Gallimard en 2010.

     

     

    On y quitte l’Angleterre avec la narratrice pour Naples, où elle arrive comme traductrice sur une base de l’Otan, un automne, et loge par chance dans un hôtel au bord de la mer et non dans un immeuble d’appartements réservé aux militaires. La première fois que son supérieur lui donne quelques heures de liberté, Jenny en profite pour découvrir un peu la ville en se rendant chez le seul contact qu’elle ait à Naples, une femme qu’elle n’a jamais vue, connaissance d’une connaissance, une écrivaine dont quelques ouvrages ont été adaptés avec succès au cinéma.

     

    Dans San Biagio dei Librai, en plein centre de Naples, elle tombe d’emblée sous le charme de Gioconda, une femme plutôt belle, pleine d’endurance et de vitalité, d’une « puissance aussi retenue, aussi peu écrasante que celle d’un arbre majestueux », servie par Tosca, suivie par Iocasta, son chat blanc. A l’intérieur de l’appartement aux plafonds hauts, la Napolitaine l’emmène jusqu’à son bureau « baigné de lumière et jonché de papiers et de livres » ; d’emblée, elles se racontent l’une à l’autre. Jenny, de son vrai prénom Pénélope, était enfant lorsqu’elle a embarqué pour l’Afrique du Sud au début de la guerre, et la femme qui s’occupait d’elle a confondu Penny et Jenny, prénom qui lui est resté. Elle fait à cette inconnue qui pourrait devenir une amie le bref récit d’une « enfance naufragée » puis découvre le lieu idéal de l’appartement, sa terrasse avec vue sur la ville : « D’ici, on voit tout. »

     

    Jenny a quitté son frère Edmund, dont elle a d’abord tenu la maison au Somaliland jusqu’à son mariage avec Norah, une « petite femme catégorique », puis qu’elle a suivi à Londres, après la mort de leur mère. Voir Edmund perdre sa personnalité sous la coupe de Norah lui était insupportable. De comprendre qu’elle était en réalité amoureuse de son frère l’a décidée à accepter ce poste à Naples.

     

    Dans l’appartement de Gioconda, elle voit partout des photos d’un homme de quarante-huit ans, très sûr de lui. C’est Gianni, l’amant de Gioconda, un metteur en scène qui travaille pour le cinéma. Il l’invite dès leur première rencontre à passer la journée du lendemain avec eux pour essayer sa nouvelle Maserati. Lors de cette excursion à Herculanum, Gianni tente de l’embrasser, ce qui gâche la sortie de Jenny. Gioconda a raison quand elle lui dit, lors d’un déjeuner : « Ca va changer ta vie, ce séjour ici. Naples est un saut. Un passage à travers le miroir. » Quand Jenny s’installe dans un appartement meublé donnant sur la mer au pied du Pausilippe, les deux pièces les plus vastes dont elle ait jamais disposé, ce sont les « premiers moments de pur bonheur » de sa vie.

     

    Un véhicule de l’armée passe la prendre tous les matins, c’est sur le chemin de son supérieur, un colonel sombre et ennuyeux, mais parfois Justin Tulloch, un Ecossais désinvolte, l’emmène dans sa voiture. Il lui fait une cour irrégulière, ils s’entendent bien, Jenny et lui, tout en restant sur la défensive côté cœur. La vie de Gioconda comporte des zones d’ombre. Gianni voudrait qu’elle aille vivre avec lui à Rome, mais elle sait qu’il y voit d’autres femmes, de plus Gianni est un homme marié, qui a deux enfants.

     

    Roman d’analyse, La baie de midi est à Naples ce que Tempo di Roma d’Alexis Curvers est à Rome : le roman d’une ville, de ses paysages, de ses habitants, d’un mode de vie. Naples dans les années cinquante, Naples aux quatre saisons, jusqu’à cet été brûlant – « un caldo da morire » – où Gioconda accepte de rejoindre Gianni à Tripoli, où Jenny tombe malade alors que tous partent en vacances, et qui va tout bouleverser. Shirley Hazzard donne une telle présence à ses personnages que l’on se réjouit de les retrouver d’un chapitre à l’autre, comme si on allait prendre le thé chez eux ou qu’on les accueillait chez soi pour une de ces conversations après lesquelles on a l’impression de respirer plus large, plus profond. Beaucoup d’élégance dans ce roman de lumière et d’ombre, où Jenny va à la découverte des autres, et finit par mieux se comprendre elle-même.

  • Hors saison

     

    Cloches de Pâques

     

     

     

    La ville est belle, c’est dimanche

    le soleil filtre entre les branches

     

    Les tramways, peints en jaune, glissent

    En crépitant sur le rail lisse

     

    Un pigeon blanc sur le toit bleu

    est un spectacle agréable

     

    Ce jeune homme est élégant

    il ne boutonne pas ses gants

     

    « Au Zèbre du Zanzibar »

    la belle enseigne pour un bar

     

    Près de son père une Antigone

    passe, souriante, en tea gown

     

    Les marronniers sortent de terre

    corrects comme des notaires

     

    Ces vers, mesdames,  je les veux

    taillés courts comme vos cheveux

     

     

     

    Paul Neuhuys, L’arbre de Noël (1927) in

    On a beau dire, Labor, Bruxelles, 1984.

     

     

     

  • Joli peuplier, pauvre dahlia

    Elle ne figure pas encore sur les plans de Bruxelles, mais elle a sa plaque communale, bilingue comme il se doit à Bruxelles : « Placette du peuplier – Populierpleintje ». Son inauguration le 4 juin dernier a mis le point final aux aménagements destinés à sécuriser les abords de l’école Saint-Dominique à Schaerbeek, dans le quartier Terdelt. Dans le jargon urbanistique actuel, c’est une zone « kiss and ride » (sic) où les parents peuvent déposer ou venir chercher leurs enfants.

     

    Mosaïque d'Ingrid Schreyers.JPG

     

    Il y a des années, plusieurs peupliers bruissaient tout près de cette école, mais l’un d’eux s’est abattu un jour en travers de la rue, dans un grand fracas, et a signé l’arrêt d’exécution de ses compagnons, tous malades et menaçant de s’effondrer. Il n’y avait eu d’autre victime qu’une voiture heureusement vide, il ne fallait pas courir de risque. Depuis, les riverains attendaient qu’on replante des arbres comme promis.
    C’est chose faite.

     

    Trottoir de la placette du peuplier.jpg

     

    Au pied du poteau indicateur de la nouvelle placette, une double dalle de l’artiste Ingrid Schreyers illustre gaiement cette plantation. Comment lui est venue l’idée de « Couleur pavé » ? « Une ville / Un trottoir / Je regardais ce trottoir. / Je comprenais tout de suite que / je devais / y placer un pavé coloré. / Peu de temps après / il y en avait chez les voisins / ensuite dans la rue avoisinante / enfin dans toute la commune. » Ses mosaïques colorées se sont multipliées sur les trottoirs schaerbeekois au grand plaisir des passants. Ses sources d’inspiration sont très variées : âne, chat, chien, oiseau, grenouille, potager ou fleurs, danse, football,... Vous pouvez vous amuser à les découvrir sur le site de B[IS]art.

     

    Placette du Peuplier.JPG

     

    Si le gris des villes est un cliché, surtout à Bruxelles où les espaces verts ne manquent pas, la grisaille des trottoirs ne l’est pas. Les pavés mosaïques réjouissent le regard des promeneurs schaerbeekois, comme les jardinières de fenêtres, les balcons fleuris, les plantes grimpantes en façade (encouragées).

     

    Hélas, trois fois hélas, quand ici une rue reverdit, là une autre, tranquille jusque alors, voit sa vie bouleversée par un nouveau plan de mobilité – un test, qu'on espère non définitif – qui a transformé depuis un mois une petite rue charmante et calme en rue passante envahie par la circulation, par la simple inversion d’un sens unique : pauvre rue du Dahlia ! On n’a pas encore compris pourquoi, alors qu’ailleurs, la commune a installé des panneaux demandant aux automobilistes en transit de respecter l’environnement des riverains et de ne pas quitter les grands axes de circulation, ici, on a favorisé la situation inverse. Les habitants de la rue du Dahlia ont réagi, un site est né : « Il faut sauver la rue du Dahlia ». Joli peuplier, pauvre dahlia…

  • Tourbillon de juin

    La saison a terminé sa mue, les beaux jours de juin ont changé d’une semaine à l’autre dans la rue l’allure des passants, l’allant des élèves libérés des examens – derniers appels, chahuts, rires, festivités de fin d’année. A l’école en face de chez moi, derniers jours d’activité. Bientôt les professeurs aussi goûteront aux vacances, un goût d’inaccompli mêlé à la joie des réussites et au plaisir de changer de rythme pour deux mois.

     

    Juin 2010 Dipladénia.jpg

     

    Dans mon jardin suspendu, les couleurs s’épanouissent, d’un mois à l’autre les annuelles installées en mai ont pris l’air d’habituées et tutoient les vivaces. Nouveau venu, un dipladénia semble s’y plaire ; je n’ai pu lui résister à la jardinerie, il me rappelle celui que je retrouve, à chaque séjour dans le Midi, près de la porte, les feuilles brillantes et le teint rose. Les graines récoltées l’an dernier (lavatères, campanules à grosses fleurs, ipomées) promettent, qui fleuriront plus tard. Les ruines-de-Rome sont au rendez-vous.

     

    Juin 2010.JPG

     

    Que picore-t-il dans la jardinière de lierre et de pervenche mêlés, le visiteur qui joue l’attraction du matin pour la chatte, reconnu de loin au moindre bruit d’ailes et qui la subjugue en roucoulant, les yeux dans les yeux ? Il me semble n’avoir jamais entendu tant d’oiseaux en ville, merles, moineaux, pies, passages en troupe de bruyantes perruches vertes, en déplacement d’un parc à l’autre.

     

    Deux journées à la campagne, en province de Namur, offrent évidemment une atmosphère tout autre. Parfois troublée par quelques avions à l’entraînement, sans doute ceux de la base militaire de Florennes (résonances très différentes de ceux qui, partis de Zaventem, réveillent les Schaerbeekois vers six heures du matin). Des parties de scrabble à l’ombre du feuillage devant la maison n’empêchent pas de saluer ceux qui passent, d’écouter les pépiements des moineaux qui vont et viennent sous le toit des voisins, de tendre la main vers chat ou chien de vagabondage.

     

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    L’inattendu, si spectaculaire que je n’ai pensé trop tard qu’à aller chercher l’appareil photo, ce fut un tourbillon soudain juste au-dessus du grand noyer, un étrange et gigantesque ballet de foin fraîchement coupé emmené dans les airs, tournoyant avec une légèreté de plumes. Quelques brassées d’herbes retombaient çà et là mais la plupart prenaient de la hauteur, devenaient invisibles, avalées par l’azur, d’autres dérivaient à grande vitesse, « parties pour Rochefort » pariait un voisin lui aussi le nez en l’air, tout excité, qui n’avait jamais vu de si grand tourbillon de foin.

     

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    J’aime ce banc contre le mur où boire le thé du matin ou de l’après-midi, où lire le journal, contempler, bavarder. Deux jours de compagnie offerte et reçue, peu propices à la lecture, tout au plaisir d’être mère et fille ensemble, d’être là et hors de ses habitudes, à partager deux jours d’été. A défaut de plumes d’herbes sèches,
    je vous ai rapporté celles du coq – wallon, cela va sans dire.