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musée - Page 6

  • Au Louvre Lens

    Cheminer durant quelques minutes vers l’entrée du Louvre à Lens, un jour de janvier assez venteux, sur un ruban de béton clair qui sinue entre de jeunes arbres, c’est véritablement passer entre deux mondes, de la ville aux maisons de briques à un nouvel espace – parc et architecture – dans ce paysage du nord où les terrils rappellent un passé industriel révolu. 

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    Le site du Louvre Lens, « une greffe sur le programme génétique de la région, une chance extraordinaire pour le Bassin minier » (Daniel Percheron), offre assez d’images et d’explications sur le musée-parc inauguré en décembre 2012 pour que j’en vienne directement à ce qui m’a frappée dans la « Grande Galerie » (accès gratuit jusqu’à la fin de cette année) ou « Galerie du Temps », un bel ensemble d’œuvres et d’objets allant de l’antiquité jusqu’au milieu du XIXe siècle.

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    Jeune homme coiffé d’une couronne végétale, détail (Le Louvre Lens)

    Fin sourire de pierre d’un Jeune homme coiffé d’une couronne végétale (Chypre, 5e siècle avant J.-C.) ou masque de comédie sur une lampe à huile ornée d’un masque de théâtre (originaire d’Herculanum mais on pourrait la prendre, hors contexte, pour un objet art nouveau, avec son fin pied de bronze imitant un roseau), la figure humaine abonde dans cette sélection où sculpteurs et peintres, à travers les siècles, parlent des dieux et des hommes, des déesses et des femmes.

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    Femme vêtue d’une robe-manteau de laine (Le Louvre Lens) 

    (pour la taille de la statuette, voir l'illustration suivante)

    Ce sont d’abord, au 3e millénaire avant J.-C., des visages stylisés, par exemple celui d’une Idole féminine nue aux bras croisés, divinité des Cyclades, les yeux en amande, le nez droit, ou celui de cette Femme vêtue d’une robe-manteau de laine, d’Asie centrale (Afghanistan actuel). Un bronze imposant donne à Gudéa, prince de l’Etat de Lagash (Girsu, Mésopotamie, Iraq actuel, vers 2120 avant J.-C.) un visage plus précis, et aussi des mains et des pieds finement sculptés.

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    Gudéa, prince de l’Etat de Lagash (Le Louvre Lens)

    Puis la représentation s’assouplit, le mouvement de la vie s’invite sous les doigts du sculpteur, comme dans ce pendentif amulette où un dieu hittite semble bondir, objet d’Anatolie centrale daté de 1400 -1200 avant J.-C. Qui peut se vanter d’avoir tout vu des collections du Louvre ? Mon regard n’avait jamais rencontré ce mini personnage en or, ni cette gracieuse Jeune femme ailée trouvée lors de fouilles à Myrina (Turquie également), du deuxième siècle avant J.-C.

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    Jeune femme ailée (Le Louvre Lens)

    Sur un impressionnant sarcophage italien (vers 290-300 après J.-C.), une très belle galerie de personnages représente l’affrontement entre Apollon et le satyre Marsyas. Les scènes, les visages, les corps y sont très vivants, si j’ose dire : à côté d’Athena tenant son bouclier (elle aurait inventé la flûte), le satyre à la double flûte défie Apollon et sa lyre. Son châtiment sera terrible : Marsyas sera écorché vif.

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    Sarcophage (Le Louvre Lens)

    La qualité des œuvres est telle, dans cette « Galerie du Temps » dont vous pouvez découvrir les œuvres en ligne, parfois accompagnées d’un commentaire, que la liste serait bien trop longue de toutes celles qui m’ont touchée. Ecoutez, par exemple, ce que dit Jean-Luc Martinez du buste d’Alexandre le Grand, roi de Macédoine, d’après Lysippe, et admirez la physionomie de cet « homme jeune, à la chevelure léonine ».

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    Fragment d'un monument funéraire, détail (Le Louvre Lens)

    Ce sont parfois des détails qui restent de la contemplation d’une œuvre d’art : deux petits chiens aux pieds d’une gisante ; des chérubins entourant la figure de Dieu le Père ; une tortue inattendue sur laquelle s’accroupit Vénus et sous laquelle Coysevox a inscrit le nom de Phidias ; les fins cheveux d’un ange sur un dossier de stalle médiévale.  

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    Dossier de stalle du choeur d'une église, détail (Le Louvre Lens)

    J’ai privilégié la sculpture, je m’en rends compte, aussi je terminerai par deux peintures de la jeunesse et de la vieillesse. Voyez l’irrésistible frimousse de Francis George Hare enfant peint par Joshua Reynolds  (1788-4789), et cette ceinture sur la robe de l’enfant qui pourrait inspirer Bergotte dans le genre « petit pan de mur jaune ». Et enfin ces deux têtes rapprochées par Rembrandt dans Saint Matthieu et l’ange (1661), magnifique image de l’écriture inspirée – un vieil apôtre sans auréole, un jeune ange sans ailes – visages nouveaux du dialogue entre l’humain et le divin.

  • Usine à gaz

    « La situation des Établissements Scientifiques Fédéraux (ESF) à Bruxelles est un vaste débat et Michel Draguet, même s’il a des manières péremptoires, ne doit pas servir de paratonnerre à la Régie des Bâtiments, une usine à gaz opaque et sclérosée, qui méprise Bruxelles. En matière de culture, de patrimoine, de transmission de l'histoire du pays, du récit de cette histoire, et donc du sens à y donner, l'État n'assume pas ses responsabilités vis-à-vis de la société. En témoignent l’état du Palais de justice, du Conservatoire, du fantomatique Cinquantenaire, les musées Wiertz et Meunier quasi inaccessibles, la piscine et le théâtre du Résidence Palace fermés au public, etc. »

    « Musées Royaux des Beaux-Arts : la Régie des Bâtiments de l’État et l’État sont responsables », Arau, Bruxelles, 5/12/2013. 

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  • Quel musée ?

    Le Musée Fin de siècle s’est enfin ouvert à Bruxelles, à la place du musée d’art moderne fermé en 2011 et dont l’absence continue à inquiéter les amis des arts : « une section réussie dans un musée en déshérence », titre La Tribune de l’Art. Je vous présenterai ce nouveau parcours dans les collections des MRBAB dès que je l’aurai visité, mais c’est sur l’évolution générale du musée que j’aimerais partager quelques interrogations avec vous. 

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    Ouverture du Musée Fin de Siècle au sein des Musées Royaux des Beaux-Arts
    Photo RTBF - Françoise Brumagne – 2013 

    « Musée sans musée » a attiré l’attention sur un communiqué de l’Atelier de Recherche et d'Action Urbaines (Arau) daté du 5 décembre 2013, sous un titre sans appel : « Musées Royaux des Beaux-Arts : la Régie des Bâtiments de l’État et l’État sont responsables ». On y décrit avec précision les dégâts survenus le mois dernier lors de l’installation d’une bâche sur la grande verrière du musée, provoquant la fermeture inopinée et catastrophique de l’exposition « Rogier van der Weyden ». D’où cette première question : pourquoi occulter un puits de lumière ?

    Serais-je un peu claustrophobe ? J’aime trouver des fenêtres dans un musée ou une verrière qui dispense cet éclairage dit « zénithal ». Au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles (Bozar, à ne pas confondre avec les Musées Royaux cités plus haut), il existe deux parcours d’exposition : celui du bas, auquel on accède au fond du grand hall Horta, et celui du haut, qu’on atteint par un escalier sur le côté, une succession de salles sans lumière naturelle. En parcourant un jour celui-ci dans une atmosphère surchauffée, j’ai fini par presser le pas vers la sortie ; quand  je me suis retrouvée enfin dans un espace plus ouvert, aéré, lumineux, quelle sensation de délivrance ! Vous avouerai-je que j’ai déjà renoncé à visiter l’une ou l’autre expo là-haut pour ne pas renouveler l’expérience ?

    Pouvoir de temps à autre jeter un coup d’œil dehors, quand on visite un musée, rafraîchit le regard. Dans le Musée d’art moderne tel que nous l’avons connu à Bruxelles de 1984 à 2011 – un quart de siècle à peine –, le puits de lumière de larchitecte Roger Bastin compensait heureusement l’impression de s’enfoncer dans le sous-sol où avaient été creusés les niveaux destinés aux collections des XIXe et XXe siècles, de - 4 à - 8. Pourquoi occulter ? Pour permettre des projections, ai-je lu, « choix muséographique qui révèle que l’espace est peut-être mal adapté à la destination décidée… » (Arau – plan des lieux en page 4) 

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    Une belle carte postale coloriée de la rue de la Régence vers 1900, vue vers la place Royale.
    Les taxis d'antan attendent devant les "Musées royaux de Peinture et de Sculpture" (Photo eBru, Bruxelles d’antan)

    Nos Musées Royaux souffrent aussi du côté du Musée d’art ancien, dont les extensions restent fermées, où l’on n’accède plus à la galerie des sculptures, où les réserves ont connu de gros dégâts, entre autres problèmes. Il ne convient donc pas de prendre leur directeur actuel comme bouc émissaire : « c’est la Régie des Bâtiments (de l’État) qui est responsable des bâtiments qui abritent les Établissements Scientifiques Fédéraux (ESF), dont font partie les Musées Royaux des Beaux-Arts et c’est l’État qui a la tutelle sur ceux-ci. »

    Selon l’Arau, cette incurie, ce pourrissement montre que « l’État a d’autres projets. » Partout les États ont jeté les grands musées « dans des démarches managériales, axées sur l'attractivité internationale, le tourisme, le marketing. » L’État belge n'assume plus ses responsabilités à l'égard des musées et du public. Le malaise croissant des MRBAB est donc une « affaire d’Etat », et non celle du directeur seul, souvent cité dans les médias.

    Dernière question, celle du titre. Qu’attendons-nous, aujourd’hui, d’un musée ? Peut-il, mutatis mutandis, demeurer « un lieu accessible, qui a pour vocation d'éduquer le public, par la présentation chronologique des œuvres, au sein des aires géographiques, des écoles et des courants artistiques qui les ont suscitées, à la beauté, à l'esthétique, au civisme » ? Les nouvelles et futures appellations des MRBAB ciblent les touristes sans assumer pleinement cette vocation.  

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    En présentant lancien Musée d’art moderne dans la collection « Musea nostra » (éditée par le Crédit Communal, autre institution belge qui appartient désormais au passé) en 1988, Phil Mertens (je corrige) attirait l’attention sur la salle des Magritte – à présent au musée Magritte de la place Royale – et ajoutait ceci : « La présentation des œuvres est importante car elle permet de faire comprendre au public les intentions scientifiques poursuivies. L’architecture très sobre, mais ouverte et parfaitement éclairée, contribue à l’efficacité d’une présentation qui va de James Ensor aux tendances contemporaines (…) » (c’est moi qui souligne). 

    Comprenez-moi bien, ce n’est pas de nostalgie qu’il s’agit. Je ne conteste pas la pertinence de nouveaux accrochages qui répondent davantage aux attentes et aux regards actuels. J’applaudis à la mise en valeur de l’effervescence artistique en Belgique autour de 1900. Mais qu’un siècle d’art, que les beaux-arts de 1915 à nos jours aient été remisés pour une durée indéterminée, avant qu’un nouvel espace ou musée ne leur soit octroyé, voilà ce qui me choque et que ne compense pas un temporaire « choix des conservateurs ». L’ancien directeur des MRBAB, Philippe Robert-Jones, regrette cette décision prise « dans la précipitation et l’enthousiasme pour de nouvelles idées ».

    Je vous invite, si ces questions vous intéressent, à lire in extenso le document de l’Arau (11 pages) et à réagir chaque fois qu’un site, un blog, un article de presse vous en donne l’occasion. L’avenir des Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique nous concerne : les œuvres qui n’y sont plus exposées nous manquent ; les professeurs, les élèves, les étudiants, les Amis des Musées rebaptisés Friends n’y ont plus accès. Au cœur de l’Europe, dont elle est fière d’être la capitale, Bruxelles mérite mieux.

  • Vous m'avez dit

    Vous m'avez dit, tel soir, des paroles si belles

    Que sans doute les fleurs, qui se penchaient vers nous,

    Soudain nous ont aimés et que l'une d'entre elles,

    Pour nous toucher tous deux, tomba sur nos genoux. 

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    Vous me parliez des temps prochains où nos années,

    Comme des fruits trop mûrs, se laisseraient cueillir ;

    Comment éclaterait le glas des destinées,

    Comment on s'aimerait, en se sentant vieillir. 

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    Votre voix m'enlaçait comme une chère étreinte,

    Et votre cœur brûlait si tranquillement beau

    Qu'en ce moment, j'aurais pu voir s'ouvrir sans crainte 

    Les tortueux chemins qui vont vers le tombeau.


    Emile Verhaeren, Les heures d'après-midi