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littérature française - Page 25

  • Tout est signe

    anne le maître,le jardin nu,récit,littérature française,deuil,déménagement,jardin,oiseaux,nature,culture,résilience,quête de sens« Il y a ce temps de l’apprentissage, de l’écoute active et concentrée, et puis il y a celui où on n’a plus besoin d’être conscient pour sentir la présence de l’autre. On sait qu’il est là, simplement parce qu’il y est.

    Un claquement d’ailes, une branche qui frémit, une empreinte, l’enveloppe d’une graine, la trajectoire d’une abeille, une plume abandonnée sur l’herbe : tout est signe, porteur de significations. »

    Anne Le Maître, Le jardin nu

  • Le jardin nu

    Publié il y a peu, Le jardin nu d’Anne Le Maître suit de quelques mois Un si grand désir de silence. On a l’impression de se connaître un peu, quand on se fréquente dans la blogosphère ; de plus j’ai eu l’occasion de rencontrer Anne il y a quelques années, quand elle était de passage en Belgique. Je suis sensible à son style, à ses couleurs.

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    Le livre s’ouvre sur des vers de Louise Glück, tirés de L’iris sauvage. A chaque « temps » du Jardin nu sa citation en épigraphe, autant de propositions de lecture qui vibrent à l’unisson. Pourquoi un jardin « nu » ? me suis-je demandé. La réponse vient dès le début : « Un jour, quelque chose de ma vie s’est arrêté. » Peu après les obsèques de l’homme qu’elle aimait, Anne Le Maître s’est mise à chercher un autre lieu de vie que celui où elle l’a accompagné dans un long combat contre la maladie : une maison, un endroit où « se terrer », où il y aurait un « bout de jardin » et un arbre. Un « ailleurs ».

    Sa  maison Castor rebaptisée « maison des Castors », « une petite maison sans allure, une maison mitoyenne des années cinquante dans une rue bordée de maisons toutes pareilles », elle l’a « reconnue » avec son petit jardin, un lilas, un cerisier. Des amis l’ont aidée à l’aménager. Elle y a trouvé refuge près d’un arbre « peuplé d’oiseaux », une « présence bienveillante » plus forte que la mort.

    « Il aura fallu cet effondrement de ma vie, cet arrachement, cette dépossession qui m’a laissée plus démunie qu’un naufragé recraché par la mer sur un rivage inconnu pour que je me découvre environnée d’invisibles. » Elle appréciait la « nature » en voyage, en randonnée, comme elle l’a raconté dans Sagesse de l'herbe. A présent, elle éprouve « le besoin presque vital de faire connaissance de manière fine avec ce qui [l’]entoure ».

    Au bout du compte, elle découvre dans son jardin trente-sept espèces différentes d’oiseaux. Parmi eux, un roitelet, espèce en déclin, oiseau braconné, qu’elle traite avec tout le respect dû à un colocataire. Sur un bout de terre épuisé par les herbicides et l’anti-mousse, elle tente « d’améliorer les choses », commence un compost, ensemence le jardin de ce que des amis lui apportent.

    « J’avais débranché tout ce que j’avais pu dans ma vie : au jardin, tout continuait. » De semis en rempotage, elle se retrouve prise dans le flot de sa vie « tissée à d’autres vies ». Son attention nouvelle aux signes infimes autour d’elle lui permet non seulement de rester vivante mais aussi de recueillir un enseignement : « Tout est plus vivant de devoir mourir.» Il ne s’agit pas seulement de mettre les mains dans la terre, sa quête est surtout spirituelle (Le jardin nu est publié dans la collection « j’y crois »).

    Tout ce qui vit ou revit dans le jardin, elle en prend soin – « Il y avait donc des vivants qu’un de mes gestes pouvait sauver. » Y compris la chatte des voisins, « Madame Chat », qui l’apprivoise, elle qui avait décidé de « ne plus jamais tisser avec quelque chose de vivant, homme ou animal, ces liens qui vous crucifient quand ils se rompent. » Prise de conscience : « En soignant le vivant, c’est moi que je soigne. »

    Une des manières fortes de « rejoindre » ce qui vit, pour Anne Le Maître, aquarelliste, c’est la peinture : « une de mes manières de discuter avec ce qui m’entoure », écrit-elle. Le jardin nu déploie un « monde de sons autant que de couleurs ». Elle s’y plaît à simplement regarder, être à l’écoute. La joie peut être retrouvée.

  • Semblables

    modiano,la petite bijou,roman,littérature française,enfance,abandon,errance,ville,culture,extrait« Elle est entrée dans le café, à côté de la pharmacie. J’ai hésité avant de la suivre, mais je me suis dit qu’elle ne me remarquerait pas. Qui étions-nous toutes les deux ? Une femme d’âge incertain et une jeune fille perdues dans la foule du métro. De cette foule, personne n’aurait réussi à nous distinguer. Et quand nous étions remontées à l’air libre, nous étions semblables à des milliers et des milliers de gens qui reviennent le soir dans leur banlieue. »

    Patrick Modiano, La Petite Bijou

  • Un manteau jaune

    Modiano nous emmène souvent dans les rues de Paris, La Petite Bijou nous entraîne aussi dans le métro. C’est à la station Châtelet qu’un manteau jaune attire l’attention de la narratrice, qu’on n’appelle plus « la Petite Bijou » depuis des années : elle a d’abord vu de dos la femme qui le porte, puis, en attendant l’ouverture du portillon, elle a vu son visage : « La ressemblance de ce visage avec celui de ma mère était si frappante que j’ai pensé que c’était elle. »

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    Elle observe le vêtement dont la couleur s’est ternie, les traits de la femme assise sur un banc, avec « la certitude que c’était elle ». Mais elle ne parvient pas à lui adresser la parole, sinon en elle-même, et se contente de la suivre. « On m’avait dit qu’elle était morte, il y avait longtemps, au Maroc, et je n’avais jamais essayé d’en savoir plus. » A la sortie du métro, elle la voit composer un numéro dans une cabine téléphonique, parler, lui jeter un regard indifférent, comme dans le métro.

    Dans le café où la femme est entrée, elle va s’asseoir au fond, continue à l’observer. Devant son kir, les bras croisés et appuyés sur la table, elle a la même attitude que sur le portrait qui était au mur de sa chambre d’enfant, peint par Tola Soungouroff. Lui adresser la parole pour le lui dire ? « Elle ferait semblant de ne pas comprendre », elle mentirait, comme elle trichait à l’époque du portrait sur son âge ou sur son prénom.

    « J’avais l’impression d’être encore dans le wagon du métro. Ou plutôt dans la salle d’attente d’une gare, sans savoir exactement quel train je devais prendre. Mais pour elle, il n’y avait plus de train. Elle retardait l’heure de rentrer chez elle. Ça n’était pas très loin d’ici, sans doute. J’étais vraiment curieuse de savoir où. Je n’avais pas du tout envie de lui parler, je n’éprouvais à son égard aucun sentiment particulier. Les circonstances avaient fait qu’entre nous il n’y avait pas eu ce qui s’appelle le lait de la tendresse humaine. La seule chose que je voulais savoir, c’était où elle avait fini par échouer, douze ans après sa mort au Maroc. »

    Cette curiosité, cette filature, cette quête, c’est le sujet de La Petite Bijou. De soir en soir, reprendre le même chemin, guetter le manteau jaune, et quand il reparaît, suivre cette femme jusque chez elle. Des bribes de souvenirs reviennent au fil des pages. Souvenirs d’enfance, histoires de noms – nom sur les papiers, nom d’artiste –, traces du passé dans une vieille boîte à biscuits…

    Dans sa vie très solitaire, celle d’une enfant qui a grandi confiée à d’autres, Thérèse, la narratrice, a peu de personnes à qui parler : elle revoit de temps à autre un Russe polyglotte rencontré dans une librairie. Quand il lui a demandé un jour ce qu’elle recherchait dans la vie, elle a répondu : « des contacts humains… » Il est à l’écoute et de bon conseil : « Il faut trouver un point fixe pour que la vie cesse d’être ce flottement perpétuel… »

    Elle loue une chambre au 11, rue Coustou, parce que sa mère y a habité un certain temps et parce que les reflets rouges et verts d’une enseigne lumineuse, la nuit, la bercent, « aussi réguliers que des battements de cœur ». Pour gagner un peu d’argent, elle garde la petite fille de gens riches du côté du bois de Boulogne, un couple assez jeune qui a l’air de camper dans un hôtel particulier très peu meublé. La petite reste souvent seule, Thérèse reconnaît cette solitude, ce sentiment d’abandon.

    Les personnages de Patrick Modiano traversent le présent sur les traces du passé. Peu de péripéties dans La Petite Bijou, roman d’atmosphère envahi par le mal d’enfance. Il est si difficile à partager, quand on n’a pas eu l’occasion ni pris l’habitude de se confier à quelqu’un. Restent les rencontres de hasard, qui peuvent adoucir les moments les plus douloureux quand on se sent perdre pied.

    « Saura-t-on jamais de quel secret désarroi, de quelle lointaine et obscure blessure d’enfance Patrick Modiano, romancier passé avec le temps de la confusion à la compassion, tire la faculté d’être ému jusqu’aux larmes par les jeunes femmes à l’abandon, les orphelines un peu butées, les provinciales esseulées et timides que l’on croise dans la rue sans les voir, mais que lui, doué d’un sixième sens, prend le temps de regarder, d’écouter et d’accompagner avec une infinie délicatesse ? » (Jérôme Garcin, « La Petite Bijou, c’est moi… », L’Obs, 26/9/2007)

  • Un bon livre

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    – C’est moi, la Bibliothécaire rouge. Je voudrais te dire quelque chose. Je trouve que tu es un bon livre. Grâce à toi, j’ai appris des tas de choses. Je parlerai de toi à mes amis. Je leur dirai
    lisez-le, vous ne le regretterez pas. »

    Cyrille Martinez, La Bibliothèque noire