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histoire - Page 4

  • L'Europe

    geert mak,voyage d'un européen à travers le xxe siècle,récit,littérature néerlandaise,europe,histoire,voyage,culture« L’Europe – je l’avais senti au cours de cette année-là – est un continent où les allers-retours dans le temps sont chose aisée. Il y a toujours un endroit où n’importe quelle époque du XXe siècle peut être vécue ou revécue. Sur les bacs d’Istanbul, on est toujours en 1948. A Lisbonne, on est en 1956. Gare de Lyon à Paris, on est en 2020. A Budapest, les hommes jeunes ont le visage de nos pères.
    Dans ce village de Vásárosbéc, au sud de la Hongrie, on s’était arrêtés à 1925. »

    Geert Mak, Voyage d’un Européen à travers le XXe siècle (prologue)

  • Voyage dans le XXe

    Il y a des années que j’avais noté le nom de Geert Mak pour son Voyage d’un Européen à travers le XXe siècle (2004, traduit du néerlandais par Bertrand Abraham, 2007). Une lecture qui prendra du temps, le livre compte un millier de pages. Je n’en suis qu’au prologue et déjà le ton du journaliste et écrivain néerlandais me captive. Il y aura de la matière pour plusieurs billets.

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    Geert Mak présente sur le site de l’éditeur l’esprit dans lequel il s’est engagé en 1999 dans son périple d’un an à travers l’Europe, pour un « dernier état des lieux, en quelque sorte : où en était le continent en cette fin de XXe siècle ? » Vous en trouverez une présentation générale et enthousiaste sur le blog A sauts et à gambades.

    Pour ma part, je voudrais en partager de larges extraits, en commençant par l’épigraphe très significative : « Un homme se propose de dresser la carte du monde. Au fil des ans, il peuple un espace d’images, de provinces, de royaumes, de montagnes, de baies, de bateaux, d’îles, de poissons, de pièces, d’outils, de chevaux et de gens. Peu avant sa mort, il découvre que le patient labyrinthe de lignes trace l’image de son propre  visage. » Elle est d’un Argentin, Jorge Luis Borges, qui a vécu et voyagé en Europe à différentes périodes de sa vie.

    Et voici le début du prologue, où les énumérations de Geert Mak à propos d’un village hongrois lui font écho. « Personne au village n’avait jamais vu la mer, excepté les Hollandais, le maire, et Jószef Puszka qui était allé à la guerre. Aux maisons qui bordaient un mince ruisseau s’ajoutaient quelques fermes jaunies et délabrées, des jardins verdoyants, des pommiers aux couleurs éclatantes, deux petites églises, de vieux saules et de vieux chênes, des barrières en bois, des poulets, des chiens, des enfants, des Hongrois, des Souabes et des gitans.

    Les cigognes étaient déjà parties. Leurs nids se dressaient sur les cheminées, vides et silencieux. L’été jetait ses derniers feux, le maire, en sueur, fauchait l’herbe communale. Aucun bruit de moteur ne se faisait entendre ; rien que des voix ; un chien, un coq, des oies en train de traverser ; sur la route, les grincements d’une charrette à chevaux ; la faux du maire. Plus tard dans l’après-midi furent allumés les fours ; un léger voile de fumée bleue s’étendit sur les toits. De temps à autre un porc poussait des cris perçants. »

  • Sommeil

    Pastoureau Carolus-Duran,_1861_-_L’homme_endormi.jpg« Le blanc est en Europe la couleur du sommeil. Non seulement depuis le Moyen Age draps et literie sont blancs, mais la somnolence passe pour plus profonde quand on s’assoupit sur un siège vêtu d’une chemise ou d’une robe blanche. Notre époque, qui dort dans des draps et des pyjamas de toutes couleurs, dort mal. »

    Michel Pastoureau, Blanc. Histoire d’une couleur (texte en légende de l’illustration)

    Carolus-Duran, L’Homme endormi, 1861,
    Lille, palais des Beaux-Arts

  • Histoire du Blanc

    Sixième et dernier album d’une belle série, Blanc. Histoire d’une couleur de Michel Pastoureau s’ouvre sur une citation d’un auteur anonyme du XVe siècle : « La couleur blanche est la première des couleurs (…). » Oui, rappelle l’auteur, le blanc est une véritable couleur, statut qui lui a été un temps contesté après qu’« en 1666 Isaac Newton découvrit le spectre » et « proposa au monde savant un nouvel ordre chromatique au sein duquel il n’y avait plus de place ni pour le blanc, ni pour le noir. »

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    Si cette conception n’est plus de mise, il reste une tendance à mettre le noir et blanc (N&B) d’un côté et les couleurs de l’autre dans certains domaines comme la photographie, le cinéma, l’édition. Le papier blanc servant de support à l’impression, on a pu le considérer « sans couleur », mais le blanc n’est pas incolore pour autant. Le noir et le blanc nous paraissent aujourd’hui opposés, ils ne l’ont pas toujours été – « le vrai contraire médiéval du blanc n’est pas tant le noir que le rouge. »

    Comme Bleu, Noir, Vert, Rouge, Jaune, l’essai de Pastoureau est chronologique et se limite aux sociétés européennes : « La couleur concerne tout le monde et touche à tous les problèmes de la société. » Comme les précédents, cet album est très bien illustré – mieux vaut le découvrir en édition originale. Pour définir le blanc, on le caractérise le plus souvent comme « la couleur du lait, du lis, de la neige ».

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    Main dans la grotte Cosquer, Marseille
    (Dans l’art rupestre et pariétal, les mains blanches (« talc, craie, kaolin »)
    sont les plus nombreuses et les trois quarts sont des mains gauches.)

    Le blanc a toujours été présent dans la nature, même si l’on ignore depuis quand on range dans la même catégorie certaines fleurs, les pelages de certains animaux, des coquillages, des dents, des os, des nuages… Les autres couleurs y sont aussi, insiste Pastoureau, mais « ces colorations ne sont pas encore des couleurs à proprement parler, du moins pour l’historien. » Les couleurs sont une construction culturelle et non un phénomène naturel. En Europe, la première triade établie socialement regroupe le rouge, le blanc et le noir.

    Chez les Anciens, le blanc est la couleur des dieux et des cultes : cultes lunaires, vêtements des divinités célestes (Zeus se métamorphose en taureau blanc pour enlever Europe, en cygne blanc pour séduire Léda). Pastoureau rappelle que la Grèce antique n’était pas blanche, « image fausse » longtemps diffusée malgré les traces de polychromie signalées par les archéologues.

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    Kylix attique à figures noires, vers 540-530 aCn, Munich, Staatliche Antiquensammlungen
    (Dionysos, victime de pirates qui cherchent à le vendre, fait pousser des vignes sur le navire.
    Effrayés, les pirates se jettent à l'eau et sont transformés en dauphins.)

    On portait d’abord de la laine ou du lin dans leur teinte naturelle pour se vêtir de blanc. La laine des toges romaines étant blanchie à l’aide de sels ou de plantes qui les abîmait, on les saupoudrait de craie pour masquer les imperfections. Le vocabulaire latin distinguait les blancs d’après leur éclat, leur intensité : « albus » et « candidus » n’ont pas la même valeur, ni « ater » et « niger » pour le noir. Il a fallu du temps pour arriver à bien teindre en blanc.

    Du IVe au XIVe siècle, le « blanc biblique », surtout présent dans le Nouveau Testament, est la couleur du Christ, des anges, des pratiques liturgiques. Aux notions de « pureté, beauté, sagesse, pouvoir » s’ajoutent « gloire, victoire, jubilation, sainteté ». Pastoureau évoque la querelle, au XIIe siècle, entre moines de Cluny habillés de noir et moines cisterciens qui optent pour une étoffe de laine non teinte, plutôt grise, puis blanche, ce qui entraîne « un affrontement dogmatique et chromatique ».

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    © Sandro Botticelli, Annonciation, 1489-1490, New York, The Metropolitan Museum of Art

    Outre le bestiaire blanc du Moyen Age (l’agneau, le cygne, la colombe et la licorne), le blanc apparaît comme une couleur plus féminine que masculine, pas seulement pour la blancheur du teint, critère de beauté, mais aussi dans les prénoms : Blanche, Blandine, Marguerite et ses variantes. A partir du XVIe siècle, le luxe des vêtements « vraiment blancs et non plus blanchâtres » devient l’apanage des rois, des princes, de l’aristocratie.

    Spécialiste de l’héraldique, Michel Pastoureau y étudie aussi la place du blanc et ses associations avec d’autres couleurs. Il relate la symbolique du blanc liée à la naissance, à la mort (jusqu’à la fin du XVIIe siècle, quand le noir lui succède), à la Résurrection. Il passe en revue le blanc vestimentaire (fraise, dentelle, chemise), le blanc politique (monarchique), le nouveau couple noir & blanc de l’imprimerie.

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    © Marco Giacomelli, Jeunes prêtres dansant sur la neige, photographie, 1961

    « La couleur de la modernité » (XIXe – XXIe s.), aborde le blanc dans la peinture, la photographie, l’hygiène, la mode, le sport, le design, le langage (en particulier les expressions)… Si on a lu les précédents ouvrages de Michel Pastoureau, on retrouve dans Blanc des éléments déjà évoqués dans la série « Histoire d’une couleur », mais chacune des couleurs y amène son propre cortège d’exemples, de faits, de symboles. Ce que j’aime beaucoup dans sa façon de raconter l’histoire, ce sont toutes les observations concrètes des choses et des personnes qui la rendent particulièrement vivante.

  • Silence

    Pamuk Les nuits de la peste.jpg« Le silence de la peste, plus lourd et écrasant la nuit, régnait désormais sur la ville basse, aux jours sans vent envahie d’une odeur de mort, de cadavre et de chèvrefeuille. Les gens, terrés chez eux dans l’attente, derrière leurs portes verrouillées, ne parlaient plus qu’à voix basse. On n’entendait plus jamais le jet des ancres à la mer, le bruit des moteurs, le sifflet des bateaux à vapeur dont l’écho résonnait dans les montagnes, ni le tintement métallique des fers à cheval et des roues des voitures. Les lumières des hôtels du port, les lampadaires des quais et de l’avenue d’Istanbul ne brûlaient plus la nuit. Les contrebandiers opérant dans des criques lointaines, tous les haleurs, mariniers et aventuriers avaient déserté le port et la baie. Les descentes nocturnes dans les foyers des habitués des couvents avaient achevé de terrifier les habitants. Nombreux étaient ceux qui ne sortaient plus du tout la nuit. On n’entendait plus le bruit familier des calèches, des chars à bœufs et des phaétons qui luttaient pour traverser le pont ou grimper les raidillons des quartiers. Le soir, nul éclat de voix enjouée ou heureuse ne passait plus les portes fermées des maisons. Quelques cris joyeux, quelques rires d’enfants éclataient encore çà et là, mais le gazouillis familier avait disparu. Le silence était si profond que l’absence du son des cloches et du chant des muezzins n’en expliquait plus rien. »

    Orhan Pamuk, Les nuits de la peste