Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

hesse

  • Dignement

    hesse,eloge de la vieillesse,essai,littérature allemande,textes courts,poèmes,vie,mort,jeunesse,vieillesse,sagesse,prix nobel de littérature,extrait« Vieillir dignement, avoir l’attitude ou la sagesse qui sied à chaque âge est un art difficile. Le plus souvent notre âme est en retard ou en avance sur notre corps, mais ces différences sont corrigées par les bouleversements que subit notre rapport intime à la réalité, par les tremblements et les angoisses qui nous agitent au plus profond de nous-mêmes lorsque surviennent dans notre existence un événement décisif, une maladie. Il me semble qu’on a alors le droit de se sentir et de demeurer petit face à cela, à l’instar des enfants pour qui les pleurs, la faiblesse constituent le meilleur moyen de retrouver un équilibre après un incident perturbant. »

    Hermann Hesse, Eloge de la vieillesse

  • Vieillir selon Hesse

    Les « plus beaux textes des dernières années de Hermann Hesse » ont été publiés sous le titre Eloge de la vieillesse (traduit de l’allemand par Alexandra Cade). Des textes courts à propos de souvenirs, des poèmes, des réflexions sur l’âge. Le premier, qui relate une promenade solitaire au printemps, se termine sur ce souhait : « la mélodie de l’éphémère m’accompagnera joyeusement sur mon chemin, pleine d’acquiescement, pleine de consentement, pleine d’espoir. » 

    hesse,eloge de la vieillesse,essai,littérature allemande,textes courts,poèmes,vie,mort,jeunesse,vieillesse,sagesse
    Hermann Hesse dans la bibliothèque de la Casa Rossa,1955
    (Site de Martin Hesse (1911-1968), son fils cadet)

    La frontière entre la jeunesse et la vieillesse se franchit parfois tôt, parfois tard dans la vie d’un être humain – « et soudain, presque de jour au lendemain, nous avons le sentiment d’être devenu vieux. » Hesse (1877-1962) situe à la cinquantaine le changement de regard de l’homme sur son existence : « Il apprend à attendre, il apprend à se taire, il apprend à écouter, et même si ces dons s’acquièrent au prix de quelques défauts, de quelques faiblesses, il considère ce sacrifice comme un gain. » S’il est vrai qu’on meurt « par petits bouts », quand la santé s’enfuit – et cela peut survenir à tout âge –, ce qui fait ressentir la vieillesse me semble particulièrement bien décrit ici : « Rien n’est sans doute plus difficile que de venir à bout d’une souffrance physique lorsque celle-ci se prolonge. »

    La meilleure façon de se ressourcer, pour lui, est de retrouver après des mois d’absence « [sa] colline du Tessin ». Ses « Retrouvailles avec Nina » rappellent le ton de son Art de l’oisiveté. A chaque fois « surpris et ému » par la beauté du paysage, il mesure aussi « le degré d’avancement du processus qui peu à peu dépouille ce lieu enchanteur de sa pureté longtemps préservée en le submergeant des bienfaits de la civilisation ». Déboisement, constructions, vieux jardin merveilleux disparu… Mais le bonheur, après avoir cheminé avec peine jusqu’à son hameau retiré, de revoir la vieille Nina et de boire le café avec elle.

    Critique par rapport au culte excessif de la jeunesse (une « adoration » qu’il prête aux Américains en particulier), l’auteur estime que la vieillesse « n’a pas moins de valeur que la jeunesse » et qu’elle offre « le pouvoir de manier avec plus de liberté, d’aisance, d’expérience et de bonté la faculté d’aimer. » Le cours des saisons lui sert souvent d’appui, du spectacle réjouissant de l’arbre en fleur à la feuille morte. Un très beau texte rend hommage au « petit hêtre » sur son terrain qui garde opiniâtrement son feuillage durant l’hiver et puis soudain, au printemps, apparaît transformé : « Il a perdu son ancien feuillage et sort ses tendres bourgeons tout neufs recouverts de rosée. » Les nuages dans le ciel, le vent, le « chant » du peuplier un jour d’orage et la « danse » de sa cime sont autant d’approches du mystère du monde.

    « Etre vieux représente une tâche aussi belle et sacrée que celle d’être jeune ou de se familiariser avec la mort. » Sans nier les douleurs, l’affaiblissement, les renoncements de la vieillesse, Hermann Hesse, prix Nobel de littérature 1946, incite à regarder aussi les bons côtés, « ses sources de consolation et ses joies » dont le « trésor d’images » gardées en mémoire après une longue vie et l’abandon de la « course folle » pour accéder à la « vita contemplativa ». Il faut « être capable de se métamorphoser, de vivre la nouveauté en y mettant toutes nos forces. »

    Il est souvent question de la mort dans Eloge de la vieillesse. Hesse entretient avec elle un rapport apaisé : « je ne la hais ni ne la crains. » Revenant sur ses « relations les plus fréquentes » en dehors de sa femme et de ses fils, il apparaît que ce sont celles avec des morts : des musiciens, poètes et peintres de tous les siècles dont l’être, « concentré dans leur œuvre, continue de vivre et revêt pour [lui] plus de présence et de réalité que la plupart des [ses] contemporains » ; des parents ou amis disparus qui font partie de lui-même, de sa vie, avec qui il continue à s’entretenir.

    Pour terminer, parmi les nombreux passages que j’ai soulignés ou cochés dans ce livre, je choisis celui-ci : « C’est seulement en vieillissant que l’on s’aperçoit que la beauté est rare, que l’on comprend le miracle que constitue l’épanouissement d’une fleur au milieu des ruines et des canons, la survie des œuvres littéraires au milieu des journaux et des cotes boursières. »

  • Comment

    Hesse Le loup des steppes.jpg« Comment ne pas devenir un loup des steppes et un ermite sans manières dans un monde dont je ne partage aucune des aspirations, dont je ne comprends aucun des enthousiasmes ? Je ne puis tenir longtemps dans un théâtre ou dans un cinéma ; je lis à peine le journal et rarement un livre contemporain ; je suis incapable de comprendre quels plaisirs et quelles joies les hommes recherchent dans les trains et les hôtels bondés, dans les cafés combles où résonne une musique oppressante et tapageuse, dans les bars et les music-halls des villes déployant un luxe élégant, dans les expositions universelles, dans les grandes avenues, dans les conférences destinées aux assoiffés de culture, dans les grands stades. Non, je ne suis pas capable de comprendre et de partager toutes ces joies qui sont à ma portée et auxquelles des milliers de gens s’efforcent d’accéder en se bousculant les uns les autres. »

    Hermann Hesse, Le loup des steppes            

    Couverture : Anton von Webern (détail) par Max Oppenheimer, 1909

  • Le Loup des steppes

    Il y a presque un siècle que Le Loup des steppes de Hermann Hesse (1877-1962) a été publié, en 1927. L’écrivain suisse de langue allemande, qui prête ses initiales à Harry Haller, l’homme-loup, y exprime entre autres sa haine du nationalisme – pour lui, un ferment de guerre : l’histoire lui a donné raison.

    hermann hesse,le loup des steppes,roman,littérature allemande,suisse,sens de la vie,bourgeois,solitude,suicide,culture

    La traduction française du roman (ici par Alexandra Cade) est précédée d’une réponse en 1931 à la critique de « R. B. » : « […] il n’est pas exact de dire que l’on ne peut pas vivre d’après les principes dont je me suis fait le défenseur. Je ne prends fait et cause pour aucune doctrine constituée dont les formules seraient définitives, je suis l’homme du devenir et des métamorphoses […]. »

    Dans une longue préface, « l’éditeur » présente des carnets que lui a laissés un homme dit « le Loup des steppes », la cinquantaine, locataire d’une mansarde chez sa tante. Il l’a rencontré, ils se sont parlé, ce qui permet à l’éditeur-neveu de décrire le décor particulier de son logement : tableaux, dessins, illustrations de journaux, livres débordant d’une grande bibliothèque, posés partout, cendriers, bouteilles, bref « un désordre pittoresque ».

    Sous « Les carnets de Harry Haller », un récit à la première personne, figure une mention : « Réservé aux insensés », dont la signification apparaîtra plus loin. « J’avais passé le temps, je l’avais doucement tué grâce à mon art de vivre primitif et farouche » : ni exaltante ni mauvaise comme quand il souffre de la goutte, sa journée médiocre éveille en lui « un désir sauvage d’éprouver des sentiments intenses, des sensations ». Aussi, plutôt que de se coucher, il préfère enfiler son manteau pour aller boire « un petit verre de vin » à la taverne.

    Lui, « le Loup des steppes apatride et l’adversaire solitaire du monde des philistins », a horreur du contentement bourgeois, bien qu’il apprécie ces foyers de propreté paisible pour y loger. Au premier étage, il s’arrête devant un araucaria sur une sellette : ce palier « plus impeccable » que les autres lui semble « un petit temple éclatant de l’ordre ». Mais il ne supporte pas le mode de vie, la mentalité, les distractions bourgeoises et se sent  comme « un animal égaré dans un monde qui lui est étranger et incompréhensible. »

    Harry le noctambule apprécie la tranquillité du quartier dans l’obscurité. Sur un vieux mur de l’autre côté de la ruelle, il remarque un « petit portail en ogive » auquel il n’a jamais prêté attention et traverse pour déchiffrer l’annonce de son panneau lumineux : « Théâtre magique / Tout le monde n’est pas autorisé à entrer » puis « Réservé----aux----insensés ! »

    La porte ne s’ouvrant pas, il continue son chemin vers le petit café vieillot dont il est un habitué depuis son premier séjour dans cette ville, vingt-cinq ans plus tôt. Un « havre de paix » pour une heure ou deux, à boire du vin d’Alsace et à manger, ce qui le met de bonne humeur et réveille les images accumulées dans son cerveau : des anges de Giotto, Hamlet et Ophélie, un temple…, comme s’il cherchait « à retrouver, sur les ruines de sa vie, un sens volatilisé ».

    Au retour, il croise une espèce d’homme sandwich. Sa pancarte promet une soirée anarchiste, du théâtre magique, en écho à l’annonce antérieure sur le portail ; quand il l’interpelle, l’homme se contente de lui donner un petit ouvrage. Rentré chez lui, Harry en découvre le titre sur la couverture : « Traité sur le Loup des steppes. Tout le monde n’est pas autorisé à lire. »

    C’est son portrait : un être « insatisfait », loup et homme, qui comme beaucoup d’artistes commence à vivre le soir, libre mais seul, suicidaire, antibourgeois menant une existence bourgeoise. Un homme divisé, dont le moi n’est pas un, mais cent, voire mille ! Lui qui adore Mozart et déteste le jazz, lui qui a perdu sa réputation, son argent, sa femme, ne voit presque plus sa maîtresse, guetté par l’hallucination voire la démence, s’est souvent promis dans le désespoir d’en finir un jour avec la vie – cette porte de sortie le rassure.

    Harry se révèle au lecteur lors des rencontres qu’il raconte ensuite : un dîner chez un ancien collègue, une conversation avec une jeune femme pâle et aimable à la taverne qui partage ses pensées sur la vanité de l’existence mais goûte la vie à pleines dents. C’est elle, Hermine, qui va l’entraîner dans son sillage au théâtre magique et l’initier au véritable jeu de la vie et de la mort.

    Le loup des steppes est le récit tourmenté d’un homme cultivé jadis idéaliste, qui rejette la société et souffre de ses propres contradictions, de l’absurdité de son existence, qui rejette toute morale imposée. Ce roman fantasmagorique et d’une mélancolie profonde n’a pas fini d’interpeller ses lecteurs. Toute l’œuvre de Hesse est une « variation sur un même thème » : « quelle est la clef de l’homme ? ou encore : l’homme n’a qu’une seule vie, qu’en faire ? » (Encyclopedia Universalis)

  • De la musique

    hesse,le jeu des perles de verre,roman,littérature allemande,initiation,musique,apprentissage,maître et élève,liberté,culture« L’enfant regardait les doigts blancs experts de l’exécutant, il voyait le cours du développement se refléter légèrement sur son visage concentré, tandis que ses yeux, sous ses paupières mi-closes, demeuraient sans regard. Le cœur de l’enfant eut un élan de vénération, d’amour pour ce Maître ; son oreille enregistra cette fugue, il lui sembla entendre ce jour-là de la musique pour la première fois ; derrière cette œuvre musicale qui naissait devant lui, il devinait l’esprit, l’harmonie enivrante de la loi et de la liberté, de la soumission et de l’autorité, il se donna et se voua à cet esprit et à ce Maître ; durant ces minutes, il vit sa vie, le monde entier guidés, équilibrés par l’esprit de la musique qui leur donnait leur sens. hesse,le jeu des perles de verre,roman,littérature allemande,initiation,musique,apprentissage,maître et élève,liberté,cultureEt quand le Maître eut fini de jouer, il vit cet être vénéré, ce magicien, ce prince rester encore quelques instants le front légèrement penché sur les touches, les paupières mi-closes, le visage faiblement éclairé par une lueur intérieure, et il se demanda si ces minutes de bonheur le feraient crier de joie ou s’il n’allait pas pleurer de les voir terminées. Le vieil homme se leva alors lentement de sur son tabouret, ses gais yeux bleus lui lancèrent un regard pénétrant, et en même temps d’une gentillesse inexprimable :
    – Rien, dit-il, ne permet plus facilement à deux êtres de devenir amis que de faire de la musique. »

    Hermann Hesse, Le Jeu des perles de verre