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culture - Page 240

  • Jaunes d'avril

    En quelques jours, le parc Josaphat a repris des couleurs. Profitant d’une éclaircie, le mardi de Pâques, j’ai pris l’appareil photo pour capturer quelques signes printaniers. Cette fois, nous y entrons par le bout du parc, chaussée de Haecht : une allée longe la plaine de jeux du « parc de la jeunesse », anciennement « plage de Schaerbeek », et ses jolis abris aux toits pointus, à côté du stade du Crossing.

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    L’avenue Louis Bertrand traversée, le jaune vif des forsythias vient à notre rencontre, si réjouissant à cette période de l’année. Près des étangs, les ouvriers communaux s’activent. Entre les nuages, du ciel bleu aujourd’hui. C’est fou comme tout change avec un peu de soleil ! Un coup d’œil en arrière : deux troncs où grimpe le lierre se dédoublent dans l’eau. Clic.

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    Je pense à Hubert Reeves (J’ai vu une fleur sauvage) en regardant de plus près les petites étoiles jaunes qui tapissent l’herbe ici et là, sous les arbres. Ce sont des ficaires. Je suis surprise d’apprendre qu’elles sont considérées comme des mauvaises herbes envahissantes aux Etats-Unis et au Canada (Wikipedia) – pas chez nous, en tout cas, elles ne figurent pas sur la liste des plantes invasives en Belgique.

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    Et voici un arbuste aux belles fleurs jaunes en grappe : connaissez-vous le mahonia ? C’est la première fois que j’observe ces fleurs si appréciées des abeilles. « Lors de la visite d’insectes, le contact induit un mouvement des étamines qui se détendent et se rabattent alors vers le pistil en environ un dixième de seconde. C'est l’un des mouvements les plus rapides parmi les végétaux, avec ceux du mimosa pudique, de l'épine-vinette, de l’ortie et quelques autres. » (Wikipedia)

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    De gros bourgeons se dressent comme des bougies – sur quel arbre vénérable ? J’aurais dû mieux le regarder*, mais je n’avais d’yeux que pour les jeux de lumière et d’eau sous leurs flammes blanches. Plus loin, des cyclistes semblent ignorer que le vélo n’est pas autorisé dans le parc Josaphat, gare à l’amende. En contrebas du boulevard Lambermont, un massif de forsythias voisine avec un magnolia à la floraison imminente, qui lui volera bientôt la vedette.

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    Contre le « Bollewinkel » (magasin de friandises), on a planté de magnifiques pensées ; on dirait des papillons, vous ne trouvez pas ? Les pigeons picorent ferme près du pigeonnier, un des nombreux éléments en rocaille bien conservés ; une maman le fait remarquer à son gamin en le lui montrant sur une des photos anciennes qui accompagnent un rappel historique à plusieurs endroits du parc Josaphat.

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    J’aime regarder la ramure des arbres dessinée à l’encre de Chine au tout début de la feuillaison, le fin brouillard végétal qui esquisse déjà leur silhouette future. L’Elagueur, une sculpture d’Albert Desenfans, lève les yeux pour examiner les branches, en professionnel. Au bord de l’eau, le saule pleureur a revêtu sa parure printanière, entre le jaune et le vert, tout en finesse. Les habitants du Brusilia, à l’arrière-plan, jouissent d’une belle vue. Si vous fréquentez le parc Josaphat, vous pourrez bientôt vous restaurer dans sa nouvelle « laiterie », je vous en reparlerai.

    * Ajout du 9/4/2018 : C’est bien un magnolia, à présent en fleurs - j’intercale une photo prise cette après-midi.

  • Tutoiements

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    « Constatons simplement que bien des tutoiements ne correspondent à aucune proximité réelle, relèvent souvent d’une camaraderie superficielle, sans estime supplémentaire. Il y a toutefois des familiarités qui vont aussi vers la tendresse. Mais elle n’existe pas, cette phrase délicieuse qui refléterait l’apogée de la délicatesse : – On pourrait peut-être continuer à se vouvoyer ? »

    Philippe Delerm, On peut peut-être se tutoyer ?

  • De petites phrases

    Elles en disent plus qu’il n’y paraît, ces petites phrases dont Philippe Delerm raconte « la perfidie ordinaire » dans Et vous avez eu beau temps ? qu’on m’a gentiment offert. Il y a ce qu’on dit, et aussi le ton qu’on emploie, le non-dit, comme Nathalie Sarraute l’a superbement montré dans sa pièce Pour un oui ou pour un non. Parmi les quelque septante phrases récoltées par Delerm, certaines sont plus courantes que d’autres, certaines lui sont plus personnelles. Cela forme un joli recueil assez amusant.

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    Owen Dalziel (1861-1942), Dimanche en bord de mer, 1885

    Dans la phrase éponyme, le premier texte, l’auteur s’arrête d’abord sur le « Et » : « Quelle traîtrise virtuelle dans ce mot si court, apparemment si discret, si conciliant. » Son commentaire d’une ou deux pages offre souvent l’occasion d’admirer une entrée en matière, un aphorisme ou une chute qu’on s’empresse de noter, un sourire en coin : « Pour l’orateur, les gens de qualité sont ceux qui l’écoutent. » (N’oubliez pas…) « Chaque homme est une île. C’est le code dans les villes. » (Là, il sait qu’on parle de lui, lui étant le chien, « exception majeure à cette règle de l’évitement. »)

    Ce recueil, je m’empresse de l’écrire, permet de rire avec l’auteur de ceux dont il décode la formule ou le discours, et aussi de soi. « Je me suis permis de… », est-ce une phrase « de commerçant », comme l’écrit Delerm, de la délicatesse, de l’obséquiosité ? Chaque lecteur se sentira plus ou moins concerné en fonction de sa propre expérience, comme observateur ou comme usager. Que celui qui n’a jamais péché…

    Certains textes sont délicieusement poétiques. Ainsi « Il faudrait les noter », où Delerm s’interroge sur ce désir que nous exprimons de garder la trace d’un mot d’enfant dans un carnet, un cahier, où on pourrait le relire un jour, plus tard. « A quoi bon s’armer d’un filet, et chasser les lépidoptères ? Epinglés, mis sous verre, les mots d’enfants perdraient en quelques jours le velours de leur peau, leurs couleurs micacées, leur mouvement, et cette gratuité légère d’un rire saisi dans l’espace. »

    On peut s’amuser à observer l’attitude de la duchesse de Kent à Wimbledon quand elle passe entre les ramasseurs de balles, le langage des marchands de vin – « L’œnologue distingué est un illusionniste » –, à reconnaître le « Vous étiez avant moi » quand on fait la queue chez un commerçant, l’agacement produit par un interlocuteur qui vous sort « En même temps, je peux comprendre » ou « J’dis ça, j’dis rien ».

    Delerm explore ce qui se cache dans certaines expressions apparemment amicales. Dans un petit mot très utilisé pour conclure sur un semblant de compréhension, comme « va », dans « Abruti, va ! » Dans le « Chez nous, c’est trois » qui ponctue « la bise incertaine, un des protocoles les plus incongrus de nos échanges de civilités ». Dans la repartie pour mettre fin à l’insistance de quelqu’un qui vous vante une exposition qui ne vous intéresse pas vraiment : « Ça finit quand ? »

    Et vous avez eu beau temps ? n’est pas seulement une fine observation des rouages de la conversation et de la comédie humaine, des ridicules et des hypocrisies. Philippe Delerm y exprime aussi ce regard sensible qui avait plu dans La première gorgée de bière et autres plaisirs minuscules et encore dans La tranchée d’Arenberg et autres voluptés sportives, faisant de l’auteur, comme l’indique la quatrième de couverture « l’unique représentant » d’un genre qu’on pourrait appeler l’« instantané littéraire ». Fallait-il pour autant agiter ce bandeau rouge à son nom sur la couverture pour le vendre ? 

    « Je préfère Gand à Bruges » ne fait pas dans la dentelle, c’est bien vu. Différences de milieu social, usages de ville ou de campagne, rituels familiaux (« Passez un texto en arrivant »), parole de chanson, réplique dans un film, les entrées varient tout au long du recueil. Philippe Delerm se garde de trop insister, ne donne pas de leçon de morale, mais il incite à se méfier de ces tours ordinaires de la conversation qui nous jouent parfois de drôles de tours.

  • Un certain éclat

    Tartt Le chardonneret Plon.jpg« En bas – faible lumière, copeaux de bois par terre – on avait le sentiment d’être dans une étable, avec de grosses bêtes qui attendaient patiemment dans l’obscurité. Hobie m’a enseigné le caractère des bons meubles, parlant de chacun en termes de « il » ou de « elle », de la qualité musculaire, presque animale, qui distinguait les meubles superbes de leurs pairs rigides en forme de boîte cubiques et plus recherchés, sans parler de la manière affectueuse dont il faisait courir sa main le long des flancs sombres et luisants de ses buffets et de ses commodes comme s’il s’était agi d’animaux domestiques. C’était un bon prof et très vite, en me faisant examiner et comparer, il m’a appris à identifier une copie : cela se voyait à l’usure trop égale (les vieux meubles étaient toujours usés de manière asymétrique) ; à des bords découpés à la machine au lieu d’être rabotés à la main (un doigt sensible sentait un bord découpé à la machine, même avec peu de lumière) ; mais surtout à cause de l’aspect plat et mort du bois auquel il manquait un certain éclat, ainsi que la magie provenant des siècles durant lesquels ils avaient été touchés, utilisés, et étaient passés entre des mains humaines. Contempler les vies de ces vieilles commodes et de ces vieux secrétaires – des existences plus longues et plus douces que la vie humaine – me plongeait dans le calme comme une pierre en eaux profondes, si bien que lorsque venait l’heure de repartir je sortais de là abasourdi et clignant des yeux, pour retrouver le vacarme de la 6e Avenue en sachant à peine où j’étais. »

    Donna Tartt, Le Chardonneret

  • Un thriller énorme

    Enorme, c’est l’épithète qui convient au Chardonneret de Donna Tartt, dont j’avais dévoré Le maître des illusions. Ce roman-ci (traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Edith Soonckindt), qu’on ne lâche pas sans connaître le sort du petit tableau qui lui sert de titre et de fil conducteur, gêne parfois par sa profusion – il compte près de huit cents pages.

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    Carel Fabritius, Le chardonneret, 1654, La Haye, Mauritshuis

    La catastrophe initiale est fascinante : au Metropolitan de New York où il visite avec sa mère une exposition de peinture hollandaise, à un moment où ils se sont brièvement séparés, Theo Decker, treize ans, revient à lui après une terrible explosion, dans une atmosphère de catastrophe. Près de lui, un homme tient à lui parler durant le peu de temps qui lui reste. Ce vieux monsieur qu’il avait remarqué en compagnie d’une petite fille rousse le pousse à emporter pour le sauver un petit panneau tombé près d’eux : le fameux Chardonneret de Fabritius, une des rares œuvres de ce peintre du XVIIe siècle, dont l’atelier fut détruit par l’explosion d’une poudrière.

    Le vieux Welty, avant de mourir, a donné sa bague à Theo et une adresse où la porter de sa part. En état de choc, entouré de cadavres et de décombres, sans trouver sa mère, le garçon arrive à quitter les lieux avant l’arrivée des secours. Fidèle au code habituel entre eux, il rentre chez lui, l’attend – en vain. Quand il finit par appeler le numéro d’information sur le drame, c’est pour se retrouver quasi seul au monde, sans nouvelles de son père, dont le départ a été le début d’une vie plus heureuse avec sa mère, ni de ses grands-parents hostiles.

    Pour échapper aux services sociaux qui risquent de le placer dans une institution, Theo se rend chez son copain Andy, qui habite un luxueux appartement dans un vieil immeuble chic sur Park Avenue. Par chance, la riche Mrs. Barbour, sa mère, contente de leur amitié qui fait du bien à son fils, accepte de l’abriter le temps qu’il voudra et le protège des ennuis, particulièrement attentive, malgré ses quatre enfants.

    Quand il commence à émerger du traumatisme, Theo finit par appuyer sur la sonnette verte à l’adresse indiquée par le vieil homme du musée, apparemment une obscure boutique d’antiquaire : Hobie Hobart, restaurateur de meubles réputé, vit là et veille sur Pippa, la petite fille rousse du musée, la petite-fille de Welty, gravement blessée par l’explosion, qui a survécu.

    Autour des protagonistes, la romancière américaine tisse une toile de fond : New York, les endroits que Theo et sa mère fréquentaient, la haute bourgeoisie, l’atelier de restauration ; puis, quand le père de Theo réapparaîtra, la Californie où il se fait un ami pour la vie, Boris, un Ukrainien qui lui fait partager ses recettes pour supporter les cahots de l’existence, alcool et drogue, et qui l’entraînera un jour à Amsterdam.

    Donna Tartt maintient le suspense en ne parlant que par moments du petit tableau que Theo garde soigneusement caché sans oser en parler à personne, avec des sueurs froides chaque fois qu’il est question dans les médias de tableaux volés ou disparus. Quel sera son sort, se demande-t-on tout le long, et celui de son voleur ?

    La tentative de vie commune entre père et fils sera un fiasco. Theo reviendra à New York ; c’est auprès de Hobie et de Mrs. Barbour qu’il se sent chez lui. La romancière plonge son lecteur dans les dérives et les angoisses du héros durant quatorze ans, on se demande parfois comment il tient encore debout.

    Chacune des pistes ouvertes dans le roman est explorée à fond : commerce de meubles anciens, pratiques mafieuses, rituels mondains pour préparer un mariage dans la haute société... Trafics en tous genres, mensonges, coups foireux, violence, secrets, inquiétude, l’atmosphère est sombre le plus souvent. Heureusement les questions sur l’existence, les rapports entre les personnages, le goût du beau, l’érudition équilibrent le tout.

    Dona Tartt a remporté le prix Pulitzer 2014 avec Le Chardonneret : « maelström d'émotions, de sensations, de réflexions fondu dans les mots mêmes, sculpté dans une écriture violente, brutale et admirablement cinématographique » (Fabienne Pascaud, Télérama), « thriller littéraire d’une grande efficacité » (Bruno Corty, Le Figaro), « roman cathédrale » (Laurence Houot, Culturebox).

    De belles citations ouvrent chacune des parties, de « L’absurde ne délivre pas, il lie » (Camus) à « L’art et rien que l’art, nous avons l’art pour ne point mourir de la vérité » (Nietzsche). Les passages sur Le Chardonneret de Fabritius sont merveilleux, qu’il s’agisse de la peinture même ou de son sujet : un oiseau qui semble vivant, qui pourrait s’envoler, si une chaîne à la patte ne le retenait.