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Le rapport Vuillard

En 150 pages et seize chapitres, L’ordre du jour d’Eric Vuillard raconte des jours si peu ordinaires du temps de l’Allemagne nazie. D’abord le 20 février 1933, quand vingt-quatre industriels allemands (Opel, Vögler, Krupp et les autres) se rendent au Palais du Président du Reichstag où Goering, « débonnaire », et Hitler, « souriant », lèvent des fonds pour leur parti en vue des élections du 5 mars. L’invite « certes un peu cavalière » ne surprend pas ces hommes « coutumiers des pots-de-vin et des dessous-de-tables ».

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Le Reichstag en 1932, Berlin (Das Bundesarchiv

Ce n’est pas un roman, mais un « récit » de l’écrivain et cinéaste qui déroule, séquence par séquence, les faits, les actes, les tactiques. Loin de l’impassibilité, l’auteur rend de l’épaisseur à ces entrevues entre hommes de pouvoir en décrivant leur tenue, leurs gestes, reprend leur conversation quand les termes en sont connus. « On accable l’Histoire, on prétend qu’elle ferait prendre la pose aux protagonistes de nos tourments. On ne verrait jamais l’ourlet crasseux, la nappe jaunie, le talon de chéquier, la tache de café. Des événements, on ne nous montrerait que le bon profil. »

L’histoire est ici affaires d’hommes : ceux qui ordonnent, ceux qui hésitent, ceux qui obéissent, ceux qui résistent. Eric Vuillard donne à chacun des intervenants sa façon d’être – ce sont des êtres humains, aussi insupportables soient leur goût de la conquête, leur mépris, leur cynisme, leur lâcheté. Le récit des étapes de l’Anschluss, de la première invitation du chancelier Hitler à Kurt von Schuschnigg, le chancelier autrichien, à l’annexion pure et simple de l’Autriche, est très impressionnante.

Eric Vuillard rappelle les faits et gestes les plus lourds de conséquences des responsables qui, en Europe, ont pris la mesure ou non de ce qui se tramait à la veille de la seconde guerre mondiale. Il n’épargne pas les protagonistes des prétendus pourparlers de paix, du traité de Munich. On n’oubliera pas le manège de l’ambassadeur du Reich, Ribbentrop, au déjeuner d’adieu à Londres, invité par Chamberlain. Ni les « plus de mille sept cents suicides en une seule semaine » en Autriche. L’ordre du jour, récit « sans invention, sans imagination » (dixit Vuillard pour se démarquer de la fiction), a obtenu le prix Goncourt 2017.

Commentaires

  • J'ai beaucoup apprécié cette lecture et le hasard fait que j'ai regardé hier la Grande Librairie où était invité Eric Vuillard où il précisait ce qu'il avait voulu faire avec ce livre. J'en ai noté un autre au passage d'une invitée qui discutait avec lui, Géraldine Schwarz, "les amnésiques", sur le passé de sa famille. https://editions.flammarion.com/Catalogue/hors-collection/documents-temoignages-et-essais-d-actualite/les-amnesiques

  • Je suis allée relire ton billet, merci pour l'autre lien.

  • chaque fois que mon grand-père accusait un politicien de cécité volontaire (ou y at-il une autre explication?), il faisait référence à Chamberlain, pour moi ce nom est synonyme d'aveugle ;-)

  • Hélas, ce n'est pas que du passé...

  • Je suis allée lire ton billet enthousiaste sur "14 juillet", qui me tente aussi.

  • Comme toi, je laisse souvent passer du temps avant d'ouvrir un livre qui a été beaucoup commenté. Bonne journée à toi.

  • Une grande boucle !

  • J'ai deux romans de cet auteur dans ma PAL. Je compte bien le découvrir bientôt et peut-être que je lirai aussi celui-là

  • Sa façon de raconter l'histoire m'a plu, bonnes lectures, Maggie !

  • Je le note car le sujet me passionne toujours tout autant. J'aime beaucoup la citation sur "l'ourlet crasseux etc..." La vie c'est ça aussi !

  • Je le note car le sujet me passionne toujours tout autant. J'aime beaucoup la citation sur "l'ourlet crasseux etc..." La vie c'est ça aussi !

  • Bonne lecture, Annie. J'ai découvert avec ce livre la bonne plume d'Eric Vuillard, j'aime sa façon d'approcher l'Histoire.

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