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  • Réserve

    Colette Le pur et l'impur Poche.jpeg« Une seule timidité nous* est commune : nous n’osons pas ouvertement avoir besoin les uns des autres. Une telle réserve nous sert de code mondain, et constitue ce que je nomme notre protocole de naufragés. Apportés sur une île abrupte, par leur coque démâtée, des naufragés ne se doivent-ils pas d’être les commensaux les plus pointilleux ? Il est sage de verser, sur le rouage de l’amitié, l’huile de la politesse délicate. »

    Colette, Le pur et l’impur

    (*nous : femmes et hommes homosexuels) 

    En couverture, un détail (inversé) de la photo d'Henri Manuel / Roger-Viollet

  • Plaisirs des sens

    C’est Colette même (1873-1954) qui a rebaptisé Ces plaisirs… (1932) en leur donnant pour titre Le Pur et l’Impur (1941) : « S’il me fallait justifier un tel changement, je ne trouverais qu’un goût vif des sonorités cristallines, une certaine antipathie pour les points de suspension bornant un titre inachevé – des raisons, -en somme, de fort peu d’importance. »

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    Edition Ferenczi & Fils originale, 1932 (Photo Catawiki)

    Cette édition « porte la trace de divers projets ou écrits antérieurs, plus ou moins transformés » (Amis de Colette). Ni essai, ni récit, ce sont des portraits, des rencontres, des conversations nés de sa curiosité pour les plaisirs secrets, pour les visages divers de l’homosexualité, et plus largement pour le regard que les unes et les autres portent sur les rapports amoureux.

    La première rencontre a lieu dans « un atelier vaste comme une halle » converti en fumerie d’opium où elle dit être allée « par devoir professionnel ». Elle s’imprègne en douceur de l’atmosphère feutrée – fumées, lumière des petites flammes, couleurs, sons – lorsqu’une voix féminine se met à chanter – « à tous si agréable que nous nous gardâmes bien d’applaudir, même par un murmure. » Charlotte, dont les habitués apprécient la présence, Colette fait sa connaissance en sortant. Elle entendra un jour ses confidences sur son jeune amant jaloux. « La figure voilée d’une femme fine, désabusée, savante en tromperie, en délicatesse, convient au seuil de ce livre qui tristement parlera du plaisir. »

    Les confidences masculines débutent avec celles de son « ami X, homme célèbre », qui lui évoque en tête à tête « son passé de célèbre amant ». Lorsqu’elle s’étonne qu’il n’ait pas encore écrit un roman ou une pièce sur Don Juan, avouant son ancien projet « de composer, pour l’âge mûr d’Edouard de Max, un vieux Don Juan », il l’en décourage, avant de lui raconter ses petites affaires.

    « Nous avons nos habitudes, pour commencer nous parlons un peu de notre métier, et des passants, et des morts, et d’autrefois et d’aujourd’hui, et nous rivalisons d’agréable incompatibilité : « Non, moi, pas du tout, moi, au contraire… »» Le plus souvent, il raconte, elle écoute. Elle cite de Max, Carco, elle portraiture celui qu’elle appelle « Damien », son modèle pour Don Juan. Elle rapporte les confidences d’un « dispensateur de plaisir ». Alors qu’elle l’imaginait en commode compagnon de voyage, il la blesse d’une réponse brutale : « Je n’aime voyager qu’avec des femmes. »

    Marguerite Moreno à Colette : « Pourquoi ne te résignes-tu pas à penser que certaines femmes représentent, pour certains hommes, un danger d’homosexualité ? 
    – Voilà de quoi panser peut-être ton orgueil et le mien, Marguerite, sinon le reste. Mais si tu dis vrai, qui nous tiendra pour femmes ?
    – Des femmes. Seules les femmes ne sont ni offensées, ni abusées par notre virilité spirituelle. Regarde dans ta mémoire… »
    Regardant Marguerite Moreno endormie, « Chimène et le Cid, étroitement unis dans le sommeil d’un seul corps », elle la couvre d’une couverture légère.  « Puis j’allai reprendre mon poste au bord d’une table-bureau, d’où mes yeux de femme suivirent, sur le vélin turquoise, une courte et dure main de jardinier, qui écrivait. »

    Colette ne pensait pas qu’une amitié véritable la lierait un jour à la poétesse Renée Vivien, dont elle décrit les soirées, les costumes, et les excès d’inanition ou d’alcool. Elle a conservé ses lettres, ses billets. Une « vieille camarade, comédienne de tournées » lui parle de « Lucienne de *** » qui avait adopté le costume d’homme.

    Rejetant « le libertinage saphique », Colette rend hommage à celles qui ont su partager une « sensualité sans résolution et sans exigences, heureuse du regard échangé, du bras sur l’épaule, émue de l’odeur de blé tiède réfugiée dans une chevelure ». Ainsi les « Ladies of Llangollen », deux aristocrates qui avaient fui leur famille pour se retirer dans un village du Pays de Galles. L’aînée, lady Eleanor Butler, a écrit son Journal, dont Colette cite quelques passages éloquents sur leur « délicieuse retraite ».

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    Edition Aux armes de France, 1941, avec le portrait de Colette par Cocteau en frontispice (source)

    Colette considère que Marcel Proust méconnaissait les unions féminines et affirme qu’« il n’y a pas de Gomorrhe ». L’un des « secrétaires-nègres » de Willy, bon camarade pour elle, lui amenait ses amis homosexuels – « Auprès de leur art de feindre, tout semble imparfait. » Colette décrit drôlement sa position de « témoin translucide » parmi eux : « Ils appréciaient mon silence, car j’étais fidèle à mon rôle de meuble agréable, et je les écoutais d’un air expert. »

  • Sept extraits d'elles

    Deux Anglaises, deux Américaines, une Russe, une Française, une Autrichienne : Sept femmes de Lydie Salvayre parle d’elles – et d’elle. Ce sont des femmes qui lisent et qui écrivent. Les voici à travers sept extraits.

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    https://www.midisdelapoesie.be/72e-saison/7-femmes-et-plus/

    « Parfois, le livre grand ouvert sur sa poitrine, elle [Emily Brontë] s’interrompt de lire comme le font tous les lecteurs du monde et parcourt el mundo por de dentro, comme aurait dit Quevedo, à la poursuite d’un songe, ou d’une image, ou de rien, ou d’une histoire pleine de bruits et de rebonds qui ira grossir les Gondal Chronicles.
    Si vide d’espoir est le monde du dehors
    Que deux fois précieux m’est le monde du dedans. »

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    « C’était Djuna Barnes, dans ses chasses nocturnes.
    A la traque, à l’affût.
    L’angoisse au cœur.
    Gorge nouée.
    Folle.
    Et que je me figure telle qu’elle se dépeignit sous les traits de Nora dans
    Le Bois de la nuit, pressant le pas comme pour accélérer le temps et faire revenir son amante plus vite, son amante Thelma qu’elle cherchait derrière chaque silhouette et chaque couple croisé, tout en évitant de passer devant les bars où elle la savait être, afin que nul ne soupçonnât le désarroi qui la jetait dehors à ces heures nocturnes. »

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    « C’est après l’une de ses chutes au fond du gouffre que Sylvia Plath réalise qu’il y a en elle un moi assassin avec lequel elle devra, toute sa vie, composer.
    Un moi assassin qui, comme pour Virginia Woolf, obéit au rythme des bêtes qui hibernent, qui peut sommeiller des mois, se tenir coi, disparaître, laisser perfidement le calme et la sérénité s’installer, puis resurgir soudain sans crier gare, avec son goût de mort, sa violence de mort et ses armes de mort.
    Ce moi assassin, elle dit qu’elle veut à présent lui faire honte. Elle dit qu’elle veut lui faire entrer le nez dans la figure, et elle est polie. »

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    « Je relis aujourd’hui ce récit [le début de La Naissance du jour de Colette] que je découvris à quinze ans, assoiffée que j’étais d’audaces impertinentes et prête à dévorer le monde par tous les bouts. Il conféra à mes désirs d’adolescente une ratification irrécusable et sans doute une forme d’encouragement. Mais il me révéla surtout qu’il existait un plaisir d’une nature particulière, un plaisir lié à la tournure gracieuse d’une phrase, à l’usage insolite d’un mot, au chic d’une expression dont je n’aurais jamais eu l’idée, et qui marqua le début d’une longue histoire entre moi et ce qu’on appelle le verbe. »

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    « Cette correspondance [de Marina Tsvetaeva avec Pasternak] commencée en 1922 se continuera jusqu’en 1936.
    A travers les calamités d’une époque où tout n’est
    que rouille et rance, et malgré la distance qui les sépare ou peut-être grâce à elle, ces deux écrivains vont s’écrire et écrire à quatre mains ce que je considère comme une œuvre littéraire à part entière, une œuvre qui échappe à tout classement dûment étiqueté : long poème d’amour, roman épistolaire, journal intime, témoignage sur le vif d’une période qui changea la couleur du monde, tout cela à la fois, et bien plus que cela. »

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    « Un écrivain, comme le cœur et les marées, pour le dire autrement, un écrivain a son rythme intérieur. Et s’il n’entend pas son rythme intérieur, il n’est pas écrivain. C’est aussi simple, et aussi implacable. Le rythme est l’écrivain. Il faudrait, pour bien faire, citer ce qu’en dit Hölderlin, rapporté par Sinclair, y consacrer des pages et des pages, mais ce n’est pas ici le lieu.
    Woolf, comme Plath, comme Tsvetaeva, comme tous les écrivains que j’admire, Woolf, c’est un rythme, c’est-à-dire la voix inimitable d’un sujet, sa voix innée, sa voix singulière, laquelle résiste à toutes les métriques sociales. »

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    « Thomas Bernhard, qui me conduit vers elle [Ingeborg Bachmann] (car un auteur aimé vous amène vers ses livres aimés, lesquels vous amènent vers d’autres livres aimés, et ainsi infiniment jusqu’à la fin des jours, formant ce livre immense, inépuisable, toujours inachevé, qui est en nous comme un cœur vivant, immatériel mais vivant), Thomas Bernhard, disais-je, dit d’elle qu’elle est un événement. Il l’admire. »

    Sept femmes que Lydie Salvayre aime « sans mesure » pour la puissance de leur écriture, « leur pouvoir de conjuguer l’œuvre avec l’existence » et, avec le bouleversement à les lire, « le surcroît de vie » qu’elles lui insufflent.

     

    Les billets de Colo, Claude, Dominique (2013), Aifelle, Niki (2017) qui ai-je oublié ?

  • Claudinemania

    colette,film,wah westmoreland,keira knightley,dominic west,claudine,colette et willy,littérature française,bisexualité,paris,émancipation,culture« A travers la « Claudinemania » déferlant sur Paris comme un vent frais et libérateur, le film rappelle que les Beatles n’ont pas inventé l’hystérie collective : Claudine, l’écolière frondeuse, se décline en produits dérivés multiples tandis que les sosies prolifèrent à travers cette Belle Epoque dont on a oublié la liberté de mœurs. Fière, intense, vive, Keira Knightley, toujours à l’aise dans les rôles historiques, campe une Colette remarquable, tandis que Dominic West, massif, jovial et impérieux, est parfait en Willy. »

    Antoine Duplan, « Colette, femme de lettres, femme libérée » (Le Temps, 23/1/2019)

    Keira Knightley dans Colette de Wash Westmoreland (2018)

  • Colette s'émancipe

    Un chat roux fait posément sa toilette sur un lit, aux pieds d’une dormeuse. C’est la première séquence du film Colette, où le réalisateur britannique Wash Westmoreland raconte les premiers pas de Sidonie-Gabrielle Colette (1873-1954) dans sa vie de femme ou plutôt sa première expérience du mariage. Avec Henry Gauthier-Villars (1859-1931), connu sous le nom de Willy, la jeune campagnarde de vingt ans qui aime tant la nature, monte à Paris.

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    Keira Knightley, la séduisante Elizabeth d’Orgueil et préjugés (2005), incarne la jeune femme qui découvre la vie parisienne en même temps que la personnalité mondaine et séductrice de l’homme qu’elle a épousé. Willy, journaliste, critique musical et romancier, joué par Dominic West, aime se faire remarquer, flirter avec les jolies femmes, dépenser plus qu’il ne possède. Quand un huissier se présente à leur appartement pour saisir quelques meubles, leur situation apparaît bien précaire. Les avances de l’éditeur fondent avant que Willy n’honore ses engagements. Il fait travailler ses collaborateurs pour qu’ils écrivent d’après ses directives, mais il ne les paie pas et ils en ont assez.

    Dès le début du film, on voit Colette écrire des lettres. Découvrant son goût pour la correspondance, Willy lui suggère de contribuer à son entreprise littéraire en racontant ses souvenirs de Saint-Sauveur-en-Puisaye. Mais le résultat ne convient pas à la publication, estime-t-il. Trop de descriptions, trop peu d’intrigue. Il faudrait mettre cela au goût du jour, ajouter du piquant à ses relations féminines. Qu’elle invente, qu’elle transforme ! Ce sera Claudine à l’école, signé Willy, tandis que Sidonie-Gabrielle décide d’abandonner son double prénom pour se faire appeler simplement Colette (le nom de son père).

    Le film montre cet apprentissage littéraire sous la coupe d’un mari très intéressé, qui n’hésite pas à enfermer sa femme pour qu’elle écrive, quand elle renâcle. Vu l’engouement des jeunes filles pour le personnage de Claudine, Willy veut qu’elle continue et raconte la vie de Claudine à Paris, puis en ménage, etc. Encore et toujours sous la seule signature de son mentor, qui lui fait garder le secret.

    Colette va peu à peu se rebeller, sur tous les plans. Découvrant les infidélités de Willy, elle rentre chez sa mère pour faire le point. Quand ils se réconcilient, il lui promet de ne plus lui mentir désormais. Colette, de son côté, ne passe pas inaperçue dans le monde et plaît aux femmes. Willy ne supporterait pas de rival, mais les amours féminines ne sont pas du même ordre à ses yeux, surtout quand ce sont des femmes en vue qui font des avances à sa jeune épouse.

    Le film de Wash Westmoreland montre comment Colette invente pas à pas sa façon de vivre à travers l’écriture, la bisexualité, la pantomime à laquelle l’initie Georges Wague. Elle va se produire au music-hall dans des pantomimes orientales, en tenue très légère – Willy ne craint pas le scandale, il y voit une publicité à bon compte. Ne va-t-il pas jusqu’à couper les longs cheveux de sa belle pour qu’elle ressemble à Polaire, l’actrice qui joue Claudine au théâtre avec succès, et à les faire photographier ensemble avec lui ?

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    Willy (Dominic West) et Colette (Keira Knightley)

    Mais Willy se trompe quand il s’octroie tous les droits sur les Claudine et refuse à Colette de joindre son nom au sien. La célèbre Missy (Mathilde de Morny), connue du Tout-Paris pour ses tenues masculines et ses relations homosexuelles, qui va même se produire avec Colette sur scène, l’admire et l’encourage à oser être elle-même.

    Colette s’émancipe, tel pourrait être le sous-titre de ce film sur les débuts de Colette dans le mariage et dans le monde, sur un couple hors du commun. Quand s’annonce la rupture avec Willy, quand on entend les premières phrases de La Vagabonde dont je vous ai parlé récemment – Renée Néré faisant le point devant son miroir –, le générique de fin est proche et on le regrette.

    Les acteurs sont excellents, l’époque bien rendue (décors et costumes de la Belle Epoque). Plus classique que fracassant dans la manière, Colette est un film très soigné qui réussit, grâce à la conviction de ses interprètes, à montrer l’audace de Colette dans ses choix. Le réalisateur restitue les faits sans forcer le jugement des spectateurs. J’ai préféré le voir en version française qu’en version originale.

    Vous souvenez-vous de Marie Trintignant incarnant Colette avec fougue dans le téléfilm de Nadine Trintignant en deux parties : Colette, une femme libre (2003) ? Ce fut, hélas, son dernier rôle. Pour ceux qui ne connaissent pas la femme de lettres, ce film-ci donnera envie, je l’espère, de découvrir plus avant, à travers le ravissant minois et le regard vif de Keira Knightley, la personnalité attachante de Colette. Et, ce serait encore mieux, envie de lire ou de relire cette femme passionnée d’exister.