C’est Colette même (1873-1954) qui a rebaptisé Ces plaisirs… (1932) en leur donnant pour titre Le Pur et l’Impur (1941) : « S’il me fallait justifier un tel changement, je ne trouverais qu’un goût vif des sonorités cristallines, une certaine antipathie pour les points de suspension bornant un titre inachevé – des raisons, -en somme, de fort peu d’importance. »
Edition Ferenczi & Fils originale, 1932 (Photo Catawiki)
Cette édition « porte la trace de divers projets ou écrits antérieurs, plus ou moins transformés » (Amis de Colette). Ni essai, ni récit, ce sont des portraits, des rencontres, des conversations nés de sa curiosité pour les plaisirs secrets, pour les visages divers de l’homosexualité, et plus largement pour le regard que les unes et les autres portent sur les rapports amoureux.
La première rencontre a lieu dans « un atelier vaste comme une halle » converti en fumerie d’opium où elle dit être allée « par devoir professionnel ». Elle s’imprègne en douceur de l’atmosphère feutrée – fumées, lumière des petites flammes, couleurs, sons – lorsqu’une voix féminine se met à chanter – « à tous si agréable que nous nous gardâmes bien d’applaudir, même par un murmure. » Charlotte, dont les habitués apprécient la présence, Colette fait sa connaissance en sortant. Elle entendra un jour ses confidences sur son jeune amant jaloux. « La figure voilée d’une femme fine, désabusée, savante en tromperie, en délicatesse, convient au seuil de ce livre qui tristement parlera du plaisir. »
Les confidences masculines débutent avec celles de son « ami X, homme célèbre », qui lui évoque en tête à tête « son passé de célèbre amant ». Lorsqu’elle s’étonne qu’il n’ait pas encore écrit un roman ou une pièce sur Don Juan, avouant son ancien projet « de composer, pour l’âge mûr d’Edouard de Max, un vieux Don Juan », il l’en décourage, avant de lui raconter ses petites affaires.
« Nous avons nos habitudes, pour commencer nous parlons un peu de notre métier, et des passants, et des morts, et d’autrefois et d’aujourd’hui, et nous rivalisons d’agréable incompatibilité : « Non, moi, pas du tout, moi, au contraire… »» Le plus souvent, il raconte, elle écoute. Elle cite de Max, Carco, elle portraiture celui qu’elle appelle « Damien », son modèle pour Don Juan. Elle rapporte les confidences d’un « dispensateur de plaisir ». Alors qu’elle l’imaginait en commode compagnon de voyage, il la blesse d’une réponse brutale : « Je n’aime voyager qu’avec des femmes. »
Marguerite Moreno à Colette : « Pourquoi ne te résignes-tu pas à penser que certaines femmes représentent, pour certains hommes, un danger d’homosexualité ?
– Voilà de quoi panser peut-être ton orgueil et le mien, Marguerite, sinon le reste. Mais si tu dis vrai, qui nous tiendra pour femmes ?
– Des femmes. Seules les femmes ne sont ni offensées, ni abusées par notre virilité spirituelle. Regarde dans ta mémoire… »
Regardant Marguerite Moreno endormie, « Chimène et le Cid, étroitement unis dans le sommeil d’un seul corps », elle la couvre d’une couverture légère. « Puis j’allai reprendre mon poste au bord d’une table-bureau, d’où mes yeux de femme suivirent, sur le vélin turquoise, une courte et dure main de jardinier, qui écrivait. »
Colette ne pensait pas qu’une amitié véritable la lierait un jour à la poétesse Renée Vivien, dont elle décrit les soirées, les costumes, et les excès d’inanition ou d’alcool. Elle a conservé ses lettres, ses billets. Une « vieille camarade, comédienne de tournées » lui parle de « Lucienne de *** » qui avait adopté le costume d’homme.
Rejetant « le libertinage saphique », Colette rend hommage à celles qui ont su partager une « sensualité sans résolution et sans exigences, heureuse du regard échangé, du bras sur l’épaule, émue de l’odeur de blé tiède réfugiée dans une chevelure ». Ainsi les « Ladies of Llangollen », deux aristocrates qui avaient fui leur famille pour se retirer dans un village du Pays de Galles. L’aînée, lady Eleanor Butler, a écrit son Journal, dont Colette cite quelques passages éloquents sur leur « délicieuse retraite ».
Edition Aux armes de France, 1941, avec le portrait de Colette par Cocteau en frontispice (source)
Colette considère que Marcel Proust méconnaissait les unions féminines et affirme qu’« il n’y a pas de Gomorrhe ». L’un des « secrétaires-nègres » de Willy, bon camarade pour elle, lui amenait ses amis homosexuels – « Auprès de leur art de feindre, tout semble imparfait. » Colette décrit drôlement sa position de « témoin translucide » parmi eux : « Ils appréciaient mon silence, car j’étais fidèle à mon rôle de meuble agréable, et je les écoutais d’un air expert. »
Commentaires
Je suis en train de lire toute l'oeuvre de Colette, ayant reçu comme cadeau d'anniversaire (quelle belle idée) le Pléiade qui lui est consacré. Quelles délices ! Quelle écriture ! Quelle femme...
Bonne journée, Tania.
Tout à fait, Anne, son style toujours nous enchante, son ton inimitable. Beau cadeau ! Je vais aller voir ce que contient ce Pléiade. Bonne fête de l'Ascension.
Coïncidence, ces jours-ci j'ai ressorti "Journal à rebours" de Colette, écrit pendant l'exode et l'occupation. Je voulais y retrouver le passage à Curemonte, village de Corrèze, quand elle a séjourné chez sa fille. Une écriture et un ton dont on ne se lasse jamais.
Un Journal que je ne connais pas, j'en prends note. Merci & bonne journée, Aifelle, avec des éclaircies comme ici, je te le souhaite.
Je lisais "Le pur et l'impur quand je me suis interrompue pour lire un ouvrage universitaire d'un de mes amis Eric dacheux "Comprendre pourquoi on ne se comprend pas". Et le cahier de l'Herne consacré à Echenoz. Mais je vais reprendre ma lecture interrompue après son rendez-vous avec Marguerite Moreno
Bonne lecture, Zoë, avec Colette on ne s'ennuie jamais.
j'ai le plaisir d"'avoir "le pur et l'impur" dans ma bibliothèque - les écrits de colette sont un vrai bonheur pour moi
Il y a longtemps que je voulais le lire et pour toi, Niki, j'en reprends ce passage que tu reconnaîtras :
"Il ouvrait sa fenêtre, et me tendait, brassée de neige, trésor immaculé, sa chatte blanche aux yeux bleus, Lanka : "Je vous confie, me disait-il, ce que j'ai de plus précieux.""
j'ai trois volumes de la collection Bouquins et comme toujours dans ce cas je n'ai pas tout lu et particulièrement ce titre là
Tu me donnes envie merci à toi
De belles couvertures pour ces trois volumes, que je viens de chercher sur la Toile. Tu as des réserves de bonne lecture, Dominique.
Comme Dominique,j'ai lu pas mal de livres d'elle, mais pas celui-ci, je le ferai grâce à ton billet, merci!
C'est si gai quand il reste à lire d'une écrivaine qu'on aime !
C'est toujours un bonheur, Colette. Une lecture qui se renouvelle comme chaque jour au petit matin.
Tu as raison : on l'a lue, on la lit, on la relira.
J'ai toujours du plaisir à relire Colette mais tu me fais réaliser que j'ai encore pas mal de ses titres à découvrir. Un jour je la relirai c'est certain mais là je suis dans Annie Ernaux et George Sand en plus de mes autres découvertes alors je laisse passer un peu de temps encore. Merci de nous donner envie
Bonne continuation dans tes lectures, Manou, et à bientôt dans ta bulle.
J'ai abandonné Claudine à l'école mais je vais tenter d'autres textes de Colette
"Le blé en herbe", "La chatte", "La vagabonde", "La naissance du jour"..., tu as le choix. Les Claudine, je les ai appréciés dans ma jeunesse, ce ne sont pas ses œuvres les plus abouties.
Tu me donnes envie de ressortir les Colette de la bibliothèque ! Par contre, " le pur et l’impur" m'est inconnu. Merci Tania pour tes trouvailles !
Bonne découverte, Claudie.