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  • Baya

    A côté des grands noms de l’art du XXe siècle qui reviennent dans les mémoires d’Adrien Maeght, on rencontre d’autres artistes moins connus, comme Baya.

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    Adrien Maeght, Dans la lumière des peintres

    © Mahieddine BAYA (1931-1998), Femme-Oiseaux, 1978, gouache sur papier

  • Les Maeght et l'art

    Sur la couverture des mémoires d’Adrien Maeght, Dans la lumière des peintres, figure le bassin aux poissons de Georges Braque à la Fondation Maeght de Saint-Paul-de-Vence. L’inauguration en 1964 de celle-ci, créée par ses parents, Marguerite et Aimé Maeght, est le premier souvenir raconté en préambule, un grand événement vécu dans le bonheur et la mélancolie. Il y manquait son petit frère Bernard, mort à onze ans de la leucémie : «  Cette Fondation, mes parents l’ont bâtie un peu pour lui, un peu pour eux, un peu pour la grande famille Maeght, et surtout pour les artistes. »

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    « Une vie avec Bonnard, Matisse, Miro, Chagall… » Bonnard, chez qui le petit Adrien a accompagné sa mère au début de la guerre, Matisse « retrouvé aux heures les plus noires de l’occupation nazie et qui donna un élan vital à l’aventure de [ses] parents », Braque enfin, « l’ami inestimable », ce sont les trois « géants » qui avec eux l’ont guidé dans sa vie « d’enfant, d’adolescent puis de jeune homme ». En 1964, Adrien Maeght et Paule avaient trois filles, leur fils Jules naîtra quatre ans plus tard.

    Dans la lumière des peintres, c’est d’abord l’histoire de son père Aimé, né en 1906, fils d’un cheminot du Nord tué en 1914. Il a hérité par certains ancêtres d’une solide culture technique, par d’autres d’une sensibilité artistique, de fortes personnalités : Adrien M. y voit la source des talents multiples d’Aimé Maeght – « une part de génie, une part de folie. Un caractère tout sauf tranquille. »

    La grande guerre obligea sa grand-mère Marthe, après bien des péripéties, à se réfugier avec ses quatre enfants chez un paysan à Lasalle. Veuve, elle finira par l’épouser. Aimé, l’aîné, obtient à Nîmes, où il suit aussi des cours aux beaux-arts, un diplôme de « dessinateur-lithographe-lettriste » puis est engagé dans une imprimerie de Cannes. Il s’habille avec soin – « un bel homme, élégant, grand pour l’époque » – et s’inscrit dans une chorale.

    C’est en y allant qu’il rencontre Marguerite Devaye, épousée en 1928. Adrien M., né en 1930, porte le prénom du fils trop tôt disparu de son arrière-grand-père qui sillonnait les mers au profit de l’épicerie de gros familiale. Sa mère, Marguerite, a hérité « du sens du commerce » et avait décidé à dix ans d’arrêter l’école pour travailler. Son savoir-faire compte « pour beaucoup dans la réussite Maeght ».

    Aimé Maeght rencontre pour la première fois Pierre Bonnard à l’imprimerie où celui-ci apprécie son travail. De son côté, sa mère s’ennuie depuis qu’Adrien va à l’école et rachète un bail au 10, rue des Belges, vend des postes de radio. Son père va y continuer ses créations publicitaires et nomme la future galerie « Arte » pour « Arts et techniques graphiques ». Il déborde d’idées, conçoit du mobilier à vendre, dirige le club de football et édite son journal Allez Cannes. Dans l’arrière-boutique où ils vivent, Adrien est forcément « happé » par leurs activités. Il adore qu’on lui confie de petites tâches à l’imprimerie de son oncle.

    Puis survient, avec la seconde guerre mondiale, une « invraisemblable succession de hasards » : son père est mobilisé en juin 1939. A Toulon, on lui fait imprimer le bulletin quotidien de la place militaire. A la rue des Belges, la vente des radios est interrompue, le stock de meubles diminue. Un peu avant, le peintre cannois Louis Pastour avait confié quelques tableaux à Aimé Maeght pour en tirer des lithographies ; vu la guerre, Pastour propose à sa mère de les porter à vendre chez un antiquaire, mais celle-ci réagit au quart de tour : elle veut bien les vendre elle-même.

    Les toiles trouvent vite des acquéreurs et Marguerite en obtient de bons prix. La veuve d’Henri Lebasque a remarqué des tableaux en vitrine et souhaite vendre des tableaux restés dans l’atelier. Adrien accompagne sa mère et entre pour la première fois dans l’antre d’un artiste. C’est Mme Lebasque qui signale qu’un « ami peintre » de son mari serait heureux de leur confier un ou deux tableaux à vendre. Adrien se souvient de leur visite chez Bonnard, 73 ans, qui confie une petite nature morte à sa mère éberluée du prix qu’il en demande et qu’elle en obtiendra sans problème.

    Ainsi commence le fameux compagnonnage des peintres et des Maeght, vécu de près par Adrien. Bonnard emmena son père chez Matisse et en 1943, la première exposition, « Maîtres modernes », indique clairement la vocation des Maeght pour l’art contemporain, au gré des rencontres et des amitiés nouées. La relation entre Aimé et Adrien est difficile, parfois conflictuelle. Si Dans la lumière des peintres retrace une extraordinaire aventure artistique et commerciale, celle de la galerie Maeght et celle de leur Fondation, la vie de famille y est évoquée sans tabou à propos des différends et des rivalités, y compris les conflits de succession.

    Après avoir collaboré avec ses parents, Adrien Maeght développera ses propres activités, non sans mal. Il préside la Fondation Maeght depuis 1982. Ses mémoires passionnants témoignent d’une entreprise familiale peu commune et surtout offrent un regard très humain sur les grands artistes qui leur ont fait confiance.

  • Intérieur

    « L’intérieur de la maison ne démentait pas la banalité de l’apparence extérieure. […] Lorsqu’on pense au luxe et au raffinement avec lesquels Matisse choisissait chaque objet qui l’entourait, on reste confondu. Mais Bonnard n’avait nul besoin de fauteuils vénitiens, de vases chinois, pour créer la féerie autour de lui. Son pinceau poétisait les objets les plus quotidiens, des tubulures de radiateur à la vétuste baignoire ; il leur communiquait une vie mystérieuse et chatoyante. Peu lui importait (sic) les ateliers improvisés, granges, chambres d’hôtel. Il avait le luxe en horreur ; les somptueuses installations l’intimidaient et, somme toute, un certain inconfort lui convenait. » 

    Brassaï, Les artistes de ma vie (cité dans le catalogue de « Bonnard et Le Cannet. Dans la lumière de la Méditerranée », Le Cannet, 2011)

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    http://www.lecannet.fr/page-627-de-la-villa-du-bosquet-au-musee-bonnard.html

     

     

     

  • Au Musée Bonnard

    Pierre Bonnard (1867-1947) a enfin son musée, le premier qui lui soit exclusivement dédié. Le Cannet, où il a vécu ses dernières années, a soigné la métamorphose de l’Hôtel Saint-Vianney, d’architecture Belle Epoque, tout près de la mairie, en musée accueillant, lumineux, paisible, presque appuyé à l’église Sainte-Philomène (où eurent lieu les obsèques du peintre) qu’on peut admirer par les fenêtres. Cage d’escalier en marbre blanc ponctué de noir, boiseries claires prolongées par de larges lattes de parquet au bord du carrelage taupe des salles, murs gris clair, stores discrets, la rénovation des lieux leur confère confort et douceur. 

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    L’exposition inaugurale, « Bonnard et Le Cannet. Dans la lumière de la Méditerranée » (26 juin - 25 septembre 2011) se visite en descendant à partir du cinquième étage, accessible par ascenseur. Elle s’ouvre sur un Autoportrait de 1930 au regard inquiet, attentif : le peintre y porte ses lunettes rondes, la lumière solaire court sur son visage, sur les rayures de son vêtement, sur le fond derrière lui – le jaune, une couleur qu’il explore dans toute sa gamme et qu’on retrouve dans tous les autoportraits exposés ici, dont le célèbre Boxeur

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    Autoportrait (1930) gouache, crayon et aquarelle © Adagp © Triton Foundation, Pays-Bas

    La première fois que Bonnard découvre le Var et la Côte d’Azur, il est ébloui : « J’ai eu un coup des Mille et Une Nuits, la mer, les murs jaunes, les reflets aussi colorés que les lumières », écrit-il en 1909. Devant Le port de Saint-Tropez (1911 – Metropolitan Museum, New-York), une toile presque carrée, un de ses formats préférés, le regard glisse vers la mer entre les murs ocre des maisons aux ombres bleues – on aperçoit ensuite, dans le coin inférieur droit, de profil, Marthe, son épouse, son modèle, omniprésente dans son œuvre.

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    Bonnard a peint au Cannet près de trois cents tableaux et gouaches. Environ soixante paysages, intérieurs et autoportraits sont proposés aux visiteurs pour quelques jours encore, sur trois niveaux. Des acquisitions, des dépôts, des prêts. Marines, voiliers, vues de la côte, jardins, et des scènes intimistes à l’intérieur de la villa Le Bosquet, une maison rose aux volets verts qu’il avait agrandie pour y aménager un atelier, y accueillir des amis (les Hahnloser, Matisse, entre autres) et dotée d’une salle de bain à l’intention de Marthe : il peint celle-ci partout, dans le jardin, à table, à sa toilette, nue, habillée, éternellement jeune.  

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    Le toit de la Villa Le Bosquet, presque invisible de l'avenue Victoria (ne se visite pas)

    La salle à manger au Cannet (1932 – dépôt du musée d’Orsay) est merveilleuse. Au premier plan, sur une nappe blanche, un plat fleuri, une bouteille, quelques assiettes, un verre ; cela n’a rien d’une nature morte savamment agencée, les objets y semblent à leur place habituelle, comme cette boite au couvercle rouge au milieu de la table (le mur où est accrochée cette toile est exactement de cette couleur). Sur une chaise, derrière une corbeille de fruits, Marthe se tourne délicatement vers un chat blanc sur ses genoux, qui pointe le museau vers la table. Autour de cette scène familière, Bonnard fait chatoyer les couleurs des murs, des meubles, de la cheminée.

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    La Salle à manger au Cannet, 1932 (RMN / Patrice Schmidt © Adagp, Paris 2011)

     

    Tous les recoins de sa maison aux murs blanchis où la lumière pose des tons subtils inspirent le peintre : c’est La tasse de thé au radiateur (Marthe devant une théière noire, près d’une fenêtre) ; c’est Le placard blanc où il fait chanter des surfaces rouge orange, des bandes d’un bleu gris comme délavé, quelques touches de jaune ; c’est Le bain ou Baignoire, un sujet qui lui a donné du mal jusqu’à ce qu’il trouve la structure adéquate, en de multiples variations. Les petits agendas ouverts en vitrine sont pleins de croquis sur le vif, il y note les couleurs et toujours le temps qu’il fait : « beau », « orageux », « couvert ». De 1927 à 1946, il y tient ainsi son « répertoire de formes ». Lettre à Matisse en 1933 : « La peinture, c’est quelque chose à condition de se donner tout entier. »

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    La Côte d’Azur, The Phillips collection, Washington DC. © Adagp, Paris 2011

    Bonnard se promène chaque matin dans les collines du Cannet, fait provision de vues panoramiques, de jardins, de ciels. Côte à côte, deux paysages quasi identiques : le premier (1923), au ciel légèrement voilé au-dessus de la mer, fait émerger de la verdure des toits orange, des murs blancs, des pins ; dans le second (1924), tout vibre davantage, les stries nuageuses, les ombres à présent violettes, les frondaisons bleutées. La Côte d’Azur (The Phillips Collection, Washington DC) est un hymne à la végétation méditerranéenne : tous les verts, tous les bleus, réchauffés par les grappes du palmier et çà et là de petites touches d’un orange qui s’adoucit tout au fond, bordant le ciel au-dessus des collines.

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    Vue du Cannet © Musée Bonnard

    Grâce à la Fondation Meyer, le musée Bonnard possède une grande Vue du Cannet où les mimosas en fleurs et les toitures provençales poussent à la limite le contraste des couleurs chaudes et des couleurs froides, entre des palmiers bleus. La terrasse ensoleillée, un autre grand format, horizontal cette fois, déroule un paysage écrasé de soleil. Les murs d’une terrasse offrent de l’ombre, sur la droite, à une femme qui lit dans un transat, près d’un guéridon où un autre livre est posé, abondance de biens.

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    L’amandier en fleur © collection Centre Pompidou, dist. © Adagp, Paris 2011

    Se promener dans une telle exposition permet de passer de ces grands décors du Midi aux paysages plus simples, non moins riches en accents colorés et en émotions : Le nuage sur la mer, Méditerranée sous un ciel nocturne, Ciel d’orage sur Cannes, Baigneurs à la fin du jour. Et puis, et puis, après La route rose, La petite fenêtre, La porte de la villa « Le Bosquet », deux chefs-d’œuvre retrouvés : L’atelier au mimosa, qu’on admire ici d’une façon toute nouvelle, en regardant aussi le paysage par la fenêtre et, œuvre ultime, L’amandier en fleur, la joie de renaître peinte par un vieux peintre qui ne cessait de retoucher ses toiles et qui va mourir plus serein d’avoir ajouté un peu de jaune sous l’élan bleu et blanc de l’arbre aimé.

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    Le catalogue de « Bonnard et Le Cannet dans la lumière de la Méditerranée » comprend quelques extraits du journal et des souvenirs sur Pierre Bonnard par Gisèle Belleud, son élève de 1937 à 1947. Quand elle avait quinze ans, et déjà la volonté de peindre, sa mère l’avait menée chez le « grand peintre » qui habitait à un quart d’heure de marche de chez eux. D’abord réticent, il lui avait proposé de lui montrer de petits dessins, puis l’avait invitée à venir travailler avec lui dans l’atelier, tous les matins. Elle sera surtout portraitiste. Son précieux témoignage rend compte de leur travail et des jours difficiles, à la mort de Marthe puis, cinq ans après, du peintre.

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    En trois mois, le musée Bonnard a déjà atteint l’objectif de fréquentation qu’il s’était fixé pour sa première année. Le Cannet fut pour Bonnard « le théâtre d’une exploration de la couleur sans précédent » (Véronique Serrano, commissaire de l’exposition et responsable du musée). Le peintre de la « vibrante modulation de la couleur et de la lumière » (Roger Marx), à qui l’on reprochait au début la disparition du dessin, la mollesse des formes, l’ami de Signac, de Renoir, de Matisse, ce « peintre des amers et des météores, comme l’étaient avant lui Jongkind et Boudin » (Jean Clair) écrivait en 1946 : « Il ne faut pas peindre la vie, il faut rendre vivante la peinture. »

     

  • L'Hermitage expose

    Ceux qui ont eu la chance, cet été, de cheminer vers la belle maison-musée de l’Hermitage, avec son parc surplombant Lausanne, sa vue sur la vieille ville et sur le lac Léman, pour y visiter Van Gogh, Bonnard, Vallotton et les autres artistes de la collection Arthur et Hedy Hahnloser vous diront tous, j’imagine, de vous y rendre, si vous le pouvez, avant le 23 octobre prochain – c’est une magnifique exposition.

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    Le parcours commence au sous-sol où l’on fait connaissance avec ce couple suisse à travers des photos de leur Villa Flora à Winterthur, de leur famille et des nombreux artistes qu’ils y ont invités. « On ne collectionne pas les amitiés, ce sont elles qui se rejoignent pour former le milieu dans lequel on s’épanouit », déclarait Hans Hahnloser, leur fils. Certains artistes les retrouvaient aussi à Cannes, à la Villa Pauline. La collection est née du « besoin irrépressible de regarder le monde à travers les yeux d’un maître » (Hedy Hahnloser).

     

    Ils se sont d’abord intéressés aux artistes suisses : « les petits arbres » de Hodler, Giovanni Giacometti (le père du sculpteur), entre autres. Près d’un joyeux autoportrait de celui-ci et de deux Fleurs de tournesol signées Van Gogh, de beaux paysages alpins de Ferdinand Hodler, un Cerisier, un Rosier dans un pré. Puis viennent les Nabis, avec quelques Vallotton dont une sobre et lumineuse Baigneuse en chemise, Maurice Denis et les premiers Bonnard de l’exposition, splendides.

     

    Dans Les régates, une petite toile, tout est en mouvement dans le ciel et sur la mer. Le débarcadère de Cannes, choisi pour l’affiche, y est tronqué d’un pan essentiel : à gauche des personnages accoudés à une rambarde blanche pour regarder une mer d’un bleu vibrant, le peintre a renforcé le jaune des piliers en bois avant de considérer ce tableau comme achevé. Il en ira de même pour ce dernier chef-d’œuvre que Bonnard a peint avant de mourir, L’amandier en fleurs, non exposé ici : c’est après y avoir couvert le vert du terrain à gauche de jaune d’or qu’il en a été content. Je m’en suis souvenue devant ce Débarcadère – il y a toute une histoire de l’art à raconter autour de cette couleur, où prendrait place aussi le « petit pan de mur jaune » dans la Vue de Delft de Vermeer pour lequel Bergotte, l’écrivain imaginé par Proust, se rend à une exposition malgré sa maladie et y meurt…

     

    Le fauvisme est bien présent dans la galerie souterraine de l’Hermitage : Matisse, Manguin, Vuillard… Sur le mur du fond, La sieste ou le rocking-chair, Jeanne représente l’épouse de Manguin se reposant dans un cadre paradisiaque, à l’ombre des arbres, devant un paysage ensoleillé de la Côte d’Azur. Il a peint aussi la Villa Flora de ses mécènes, et Le thé à la Villa Flora où Hedy Hahnlöser et Jeanne, l’épouse de Manguin, lisent, attablées au jardin.

     

    Au rez-de-chaussée, on visite l’exposition comme la villa, de pièce en pièce, en admirant aussi les parterres fleuris qu’on aperçoit par les fenêtres. Renoir voisine avec Cézanne – Groupe de maisons (Les toits) – et Van Gogh – Impression du quatorze juillet, une rue pavoisée. Toute la grande salle suivante est consacrée à Bonnard (collection dans la collection), des œuvres plus vivantes les unes que les autres, deux Nus (jamais vus), la fameuse Nappe à carreaux rouges ou Le déjeuner du chien (Black), La Bouillabaisse (ou peut-être le dîner du chat qui se frotte au pied de la table)… Puis une petite mais splendide salle Odilon Redon chez qui Bonnard admirait « deux qualités presque opposées : la matière plastique très pure et l’expression très mystérieuse ». Ce sont Adam et Eve, L’arbre, Le rêve ou la pensée, Le vase turquoise (un bouquet comme seul Redon en peint) ou Le vase bleu, autre épisode de l’histoire d’une rencontre parfaite avec la note jaune.

     

    Encore des Bonnard au premier étage, où l’on découvre surtout de grandes toiles de Vallotton, plus froides en comparaison, au dessin plus précis, l’énigmatique réunion de La Blanche et la Noire (l’une nue, couchée, l’air de dormir ; l’autre assise en robe bleue, cigarette en bouche, les bras croisés). Deux paysages éclatants de soleil : La charrette et La grève blanche.

     

    La villa de l’Hermitage, contemporaine de la villa Flora à Winterthour, restitue bien l’esprit de cette collection qui a grandi au fil des amitiés, puisque leurs relations personnelles avec ces artistes ont mené les Hahnloser à acquérir leurs œuvres et non l’inverse. Un riche catalogue permet de faire mieux connaissance avec ce couple qui a mis l’art au centre de leur vie. Hedy, après avoir appris la peinture, s’était tournée vers les arts appliqués, bijoux, tissus, décoration de la maison. J’espère visiter un jour cette belle Villa Flora à Winterthur même. Mais à Lausanne, vous verrez (je suis loin de vous en avoir tout dit), s’offre une exposition de toute beauté, pleine de surprises, variée, « charnelle et lumineuse ».