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belgique - Page 11

  • Rumeur

    vuillard,congo,récit,littérature française,afrique,conférence de berlin,colonisation,france,allemagne,belgique,angleterre,politique,culture« Depuis des siècles, les Africains avaient appris à se débrouiller avec les Européens qui traînaient près des côtes ; mais voici qu’à présent des tribus reculées entendaient parler d’eux. On avait beau vivre au-delà des rapides, une rumeur remontait le cours du fleuve. Sur tout le continent, un point d’interrogation commençait de se former et de se dresser tout doucement comme une menace. Les roseaux agités par le vent semblaient ne rien savoir, le monde était un être ténébreux derrière un masque de lumière. Le mal apparaissait sous la forme des divinités sanguinaires, des morts voraces, des bêtes, mais il n’allait jamais seul, il était toujours accompagné dans sa courbe déclive et fuyante. Son mystère se mêlait à l’herbe mouillée, à une traînée de feu, aux singes qui crient, à la colère, au sexe qui s’élève, à l’orage. Mais le petit Satan qui allait venir n’aurait besoin ni des hyènes, ni des singes, ni des marécages, et il introduirait de l’homme à l’homme une sorte de méfiance. »

    Eric Vuillard, Congo

    Photo de couverture : Sir Henry Morton Stanley ; Kalulu (Ndugu M'hali),
    National Portrait Gallery, Londres

  • Congo de Vuillard

    Une réunion, une date clé : pour raconter la colonisation africaine dans Congo (2012), Eric Vuillard a choisi la conférence de Berlin en 1884 (il retournera à Berlin en 1933, dans L’ordre du jour). Une initiative de Bismarck, « le chancelier d’un empire tout à fait débutant en la matière », pour partager l’Afrique entre Etats européens.

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    La conférence de Berlin (https://www.herodote.net/_images/berlin-1885.jpg)

    Après un préambule lyrique, l’auteur commence son premier chapitre par cette phrase qui donne le ton et le point de vue du récit : « Les Français s’emmerdaient, les Anglais s’emmerdaient, les Belges, les Allemands, les Portugais et bien d’autres gouvernements d’Europe s’emmerdaient ferme, et puisque le divertissement, à ce qu’on dit, est une nécessité humaine et qu’on avait développé une addiction de plus en plus féroce à ce besoin de se divertir, on organisa, pour le divertissement de toute l’Europe, la plus grande chasse au trésor de tous les temps. »

    Remonter le temps, rappeler les progrès techniques, puis camper le décor : le palais Radziwill rénové, la table au milieu du grand salon, le 15 novembre 1884 à Berlin – une armée de domestiques en coulisses. Tout y était « raffiné, fantaisiste », il n’en reste rien : « La légèreté a été pulvérisée par les bombes ». Un des protagonistes entre en scène : Alphonse Chodron de Courcel, « un peu châtelain, un peu poète ou jardinier, un peu homme d’affaires, président du conseil d’administration de telle ou telle compagnie, prince de la chaussure, négus du charbon, énorme grenouille. » Mandaté à Berlin parce qu’il était « tout entier diplomate ».

    Sir Edward Malet, l’Anglais, mêle le bien-être des indigènes aux avantages du libre-échange, « favorable à la liberté du commerce dans le bassin du Congo » – « C’est que là-bas, au Congo, l’Angleterre n’a rien, pas un pet de terre, il lui serait donc avantageux de pouvoir y commercer librement ; on est rarement protectionniste chez les autres. » Vuillard raconte une autre histoire du commerce, plus concrète, avec des cargaisons d’hommes captifs, des règles pour les négriers, l’expansion des compagnies maritimes.

    « Un jour, dans très longtemps, on fera sans doute le feuilleton – aujourd’hui encore approximatif et médiocre –, oui, on fera un jour le portrait des conseils d’administration et des gros actionnaires de notre époque, lorsqu’on disposera de tous les renseignements inutiles ; et on y trouvera à coup sûr nos Courcel et nos Malet ; mais il y aura mieux, il y aura parfois, comme les langues des caméléons se prolongent, ces familles tout étirées dans le temps. Ainsi, on sait bien, déjà, que la femme d’un de nos vieux cornacs, je veux parler d’un de nos présidents de la République, est une vraie Chodron de Courcel ; mais l’on sait moins que Georges Chodron de Courcel, notre contemporain et son parent, sans doute un brave monsieur, (…) ». Et d’énumérer ses fonctions au sein de nombreux conseils en France, Belgique, Suisse…

    Bientôt « la conférence ne tourne plus qu’autour de ça, le Congo. L’affaire du roi des Belges. » Des hommes en costumes marchandent, échangent, impatients d’entendre Henry Morton Stanley « définir le bassin du Congo » – « savoir où ça s’arrête, le paradis ». C’est l’homme du roi des Belges, Léopold II, qui l’y a envoyé « creuser à travers la brousse », ce monarque constitutionnel qui « voulait le Congo pour lui tout seul ». La conférence dura des mois, conclue par « un acte de notaire » le 26 février 1885.

    Comment cela se passe concrètement, sur le terrain, c’est ce qui est raconté dans la suite de Congo, un rapport accablant. D’autres noms apparaissent, des serviteurs zélés de Léopold II, « pharaon du caoutchouc ». Des patronymes belges connus portent une part de responsabilité, alors et même jusqu’à aujourd’hui. Vuillard traque le mal dans l’histoire – « Le mal, c’est ce qui dévore » : « Voilà les vrais paludes, le masque : la conférence de Berlin et la richesse des nations. »

    La lecture de Congo, une centaine de pages chez Vuillard, en complément des 720 pages de Congo, une histoire, l’essai de référence signé David Van Reybrouck (2010), est certainement utile avant d’aller découvrir les salles rénovées de l’Africa Museum, ex-Musée royal de l’Afrique centrale à Tervuren, qui devrait rouvrir ses portes en décembre prochain.

  • Suis-je le seul

    carême,maurice,nonante-neuf poèmes,poésie,littérature français,belgique,écrivain belge,cultureSuis-je le seul au monde
    A vouloir renverser
    Le temps comme on renverse,
    A table, un sablier ?
    Sans fin, je vais de l’ombre
    Au midi le plus franc
    Et, des branchages noirs,
    Entassés dans mon cœur,
    Montent de toutes parts
    Des oiseaux et des fleurs.

    Maurice Carême, Suis-je le seul au monde (Le Sablier, 1969) in Nonante-neuf poèmes

  • Poèmes de Carême

    Nonante-neuf poèmes, c’est le titre de l’anthologie consacrée à Maurice Carême (1899-1978) publiée l’an dernier dans la collection Espace Nord. Le poète belge « de l’enfance », sa grande source d’inspiration, n’est pas réservé aux enfants, comme on l’a parfois cru. Simplicité n’est pas simplisme, rappellent dans la postface Rony Demaeseneer, Christian Libens et Rossano Rosi, qui ont choisi les textes de ce recueil.

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    Maurice Carême au bord de la Dyle à Ottignies
    photo de Jeannine Burny © Fondation Maurice Carême 

    De l’instituteur-poète né à Wavre (dans le Brabant wallon, il y est enterré) et décédé à Anderlecht (commune bruxelloise) où il a enseigné pendant vingt-cinq ans, avant de vivre de sa plume, l’anthologie permet de découvrir ou redécouvrir une poésie de « clarté profonde », suivant l’intitulé d’un colloque organisé à Bruxelles en 1985. La fondation Maurice Carême assure sa promotion depuis 1975, je vous recommande son site.

    En lisant le premier poème, « A Ispahan », un sonnet, – « Où, qui, comment, pour qui, pourquoi ? » –, je me souviens de ce qui m’avait frappée, enfant, quand j’ai lu ou appris par cœur des vers de Maurice Carême : on pouvait donc jouer avec les mots et ça faisait de la poésie ! On pouvait aussi, à sa suite, associer des mots commençant par la même lettre, comme dans « Alphabet », pour s’amuser ou pour inventer le monde ; il était moins simple de trouver rimes et bon rythme, la musique. Pour un certain K, maître du jeu poétique, j’en cite juste une strophe :

    « I   c’est l’ibis berçant son île,
    J   le jardin sans jardinier,
    K   le képi du chef kabyle,
    L   le lièvre fou à lier. »

    Des fleurs et des animaux, des ciels et des soleils, des nuages, la nature entre sans frapper dans la poésie de ce contemplatif :

    « Le bois est tout bleu de jacinthes.
    On croit respirer en plein ciel.
    Les bouleaux sont comme des saintes
    Qui se penchent sur un missel. »
    (Jacinthes)

    Pas de lumière sans ombre, pas de vie sans inquiétude : le temps passe, on vieillit. Poignant « Cimetière militaire ». Impeccable « D’où venons-nous ? »

    « Qu’a-t-on perdu, qu’a-t-on gagné
    A l’étrange jeu de la vie ? 
    Ne perd-on, avec les années,
    Jusques à l’envie de gagner ? »
    (Le ciel s’est tu…)

    « Pendant que je vis, des gens meurent.
    Des gens vivront quand je mourrai.
    C’est tellement simple, mon cœur,
    Que tu ne le crois qu’à moitié. » (Ma rue)

    Un être reste, du début à la fin, l’axe premier de l’existence : la mère, « bénie entre toutes les femmes ». Lisez « La main de ma mère », c’est si juste, si beau. Maurice Carême ne craint pas de dire les émotions, il est de ceux qui osent écrire avec le cœur, parler d’amour, nommer la mort. Il nous emmène aussi dans le rêve et l’imaginaire – « La porte en feuilles mortes ».

    Le poète jongleur de mots, qui sait n’être « ni Villon ni Verlaine », sans « art poétique », aime citer ses poètes préférés :

    « Laissons rêver Apollinaire
    D’aller aux îles Samoa
    Avec les quatre dromadaires
    De Pedro d’Alfaroubeira
    Et regardons fuir les nuées
    Et danser les fleurs de lilas
    Qui meurent comme des fumées
    Dans les yeux verts de notre chat. »
    (Laissons rêver Apollinaire)

    Enfin, je ne voudrais pas taire le grand rire de Maurice Carême : « Savez-vous ce qui est comique ? », « Le crayon bizarre », « Les canards », « L’heure du crime », « Ponctuation »… Ce ne sont pas poèmes de carême.

    « Rien à dire ?
    Si pardi !
    Qu’il faut rire,
    Rire ici,
    Rire au chien,
    Au hibou,
    Rire à rien,
    Rire à tout,
    Aux nuages,
    Aux vieux houx,
    Rire en sage,
    Rire en fou. (…) »
    (Rire)

    Je n’ai jamais visité la « maison blanche » du poète à Anderlecht, maison-musée de la Fondation Maurice Carême : ce serait pourtant une jolie façon de prolonger la lecture de ces Nonante-neuf poèmes, un jour ou l’autre.

  • Accessible

    « Il est maigre et blond. Trop grand. Trop pâle. Trop fragSpaak couverture.jpgile. Pas du tout mon genre. J’aime les regards sournois, les teints basanés, les sourcils épais, les esprits torturés, les muscles saillants, les êtres sans foi, ni parole.
    Chez lui, au premier abord, tout semble accessible. Pas d’ombre, pas de drame. Le genre d’homme à voyager avec une valise à roulettes. Un bagage réglementaire permettant d’emporter son petit monde avec soi en cabine sans crainte de le perdre. » 

    Isabelle Spaak, Pas du tout mon genre