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belgique - Page 2

  • Au-delà des nuages

    Achter de wolken ou Au-delà des nuages, tel est le titre d’un beau film intimiste vu en août à la télévision. Ce premier long métrage de la réalisatrice Cecilia Verheyden date de 2016. Les rôles principaux sont magnifiquement interprétés par deux acteurs flamands renommés, Chris Lomme et Jo De Meyere.

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    Bande annonce à voir ici

    Après la mort du mari d’Emma, malade, leur fille et leur petite-fille viennent la soutenir, puis l’accompagnent à la cérémonie funéraire. Parmi les nombreux amis présents, il y a Gerard qui fut le meilleur ami du défunt dans sa jeunesse. Tandis que la fille d’Emma cherche à la faire sortir de la maison et à rencontrer des gens, celle-ci n’aspire qu’à être seule et tranquille.

    Puis elle reçoit un message de Gerard sur son téléphone : « wil je zien » (je veux te voir) auquel elle répond « waarom ? » (pourquoi ?) avant de raccourcir le mot en « waar ? » (où ?) Gerard et Emma s’aimaient avant qu’elle ne fasse le choix de se marier avec l’autre des deux amis il y a plus de cinquante ans. Il en reste quelque chose que le film va dévoiler peu à peu, pas à pas. Emma ne se rend pas au premier rendez-vous qu’elle a accepté, Mais Gerard n’a pas l’intention de s’en tenir là – après tant d’années où cette femme lui a manqué, il est décidé à persévérer.

    L’intrigue principale est bien sûr liée à l’évolution de la relation entre eux deux, à leurs rencontres, à leurs souvenirs qui reviennent à la surface. La personnalité d’Emma, son désir de continuer à mener sa vie de manière autonome, apparaît bien dans ses rapports tendus avec sa fille Jacky (Katelijne Verbeke), elle-même mal à l’aise dans une liaison amoureuse avec un homme marié. La mère supporte mal les visites et les conseils de sa fille qui lui semble vouloir prendre le contrôle sur son mode de vie. Elle refuse de lui raconter tout ce qu’elle fait.

    En revanche, les rencontres entre Emma et sa petite-fille Evelien (Charlotte De Bruyne) sont pleines de complicité et de franchise. Quand Emma lui parle d’un rendez-vous avec un homme qu’elle a aimé avant de se marier, Evelien est choquée – si vite après l’enterrement de son grand-père ?! – puis de plus en plus curieuse de la liberté avec laquelle Emma se conduit.

    Peut-on retomber amoureux après cinquante ans d’éloignement et où cela peut-il mener ? C’est la grande question explorée dans le scénario de Michael de Cock d’après sa propre pièce de théâtre, écrit en étroite collaboration avec Jo De Meyere et Chris Lomme. Après de nombreuses conversations intenses, ils ont abouti à cette histoire dont l’amour et la vie sont l’enjeu, à tous les âges de la vie. Les dialogues sont excellents. Il y a des moments très drôles aussi, comme la séquence du dancing (une idée de la fille d’Emma, désireuse que sa mère continue à voir du monde).

    J’ai trouvé les images et les ambiances de Cecilia Verheyden très belles, que ce soit dans la maison, le jardin d’Emma ou dans les scènes d’extérieur, sous la pluie ou sur une plage. J'ai aimé la musique (Steve Willaert) qui accompagne à merveille les scènes d’atmosphère, les moments de solitude, les retrouvailles. Bref, un premier film très réussi, notamment grâce au superbe jeu plein de sensibilité de ses deux grands acteurs. Achter de wolken / Au-delà des nuages a remporté le prix du Jury au Washington DC International Film Festival.

  • Besoin d'exister

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    Nathalie Skowronek, Karen et moi

    © Jan Goedhart, Portrait de femme écrivant, 1930

  • Honte

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    Stefan Hertmans, L’ascension

    * en français dans le texte original

  • Une maison au passé

    « La première année du nouveau millénaire, j’eus entre les mains un livre qui me fit comprendre que j’avais vécu pendant vingt ans dans la maison d’un ancien SS. » Cette phrase ouvre Une ascension de Stefan Hertmans (De opgang, 2020, traduit du néerlandais pas Isabelle Rosselin, 2022), l’auteur de Guerre et térébenthine et du Cœur converti.

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    Stefan Hertmans dans l'escalier de la maison (Drongenhof), source YouTube

    L’écrivain gantois, à la fin de l’été 1979, avait remarqué le jardin à l’abandon derrière une grande maison bourgeoise à vendre, dans le vieux quartier du Patershol. Deux jours plus tard, il l’avait visitée avec le notaire, « de la cave au grenier, une ascension qui dura plus de deux heures ». La propriété était en piteux état, humide, mais il avait remarqué une belle cheminée de marbre, une haute cage d’escalier, un plancher à larges lattes : « la force d’attraction d’une vie inconnue. » Un achat coup de cœur.

    « Le livre s’appelait Zoon van een » foute « Vlaming, Fils d’un Flamand fautif, un adjectif aussi employé en néerlandais au sens de collabo. » Stefan Hertmans avait suivi les cours de son auteur, Adriaan Verhulst, professeur d’histoire à l’université. Celui-ci « évoquait dans un passage la maison de son enfance et [le] citait comme le résident actuel. » Hertmans venait de la revendre et envisageait de rencontrer le professeur, quand celui-ci mourut en 2002.

    Dans ce roman-enquête, Hertmans ne se donne pas pour objectif de raconter la vie d’un SS, mais plutôt « celle d’une maison et de ses habitants ». Le père d’Adriaan, Willem Verhulst (1898-1975), était le petit dernier d’une fratrie de neuf enfants. A la suite de convulsions, il avait perdu un œil à l’âge de quatre ans. Craintif et espiègle, il se bagarrait à l’école qui comportait au début du XXe siècle un département francophone et un autre bilingue – les « fils de bourgeois » ne se privaient pas d’humilier les « fils du peuple ».

    Son père buvait, mais sa mère, entreprenante, avait acquis de petits terrains puis fait construire une maison avec un atelier et un local pour l’école de danse de sa sœur ; elle mourut quand il avait treize ans. Willem étudiait à l’école agricole près de Gand. Pendant la première guerre mondiale, l’université de Gand fut « néerlandisée » par l’occupant allemand, une « Flamenpolitik » menée en contradiction avec les lois belges, à la grande satisfaction des flamingants qui réclamaient un enseignement dans leur propre langue. Willem entra dans un mouvement activiste – « Dehors, tous les fransquillons ! » – et se mit à détester l’Etat belge.

    Son père, mécontent de le voir traîner, l’inscrit à l’école horticole de Vilvorde, au nord de Bruxelles. Il trouve une chambre d’étudiant chez un boulanger et séduit sa femme, Elsa, une juive allemande de trente ans. Sa sympathie « pangermanique » pour l’occupant l’oblige à fuir aux Pays-Bas après la capitulation, Elsa l’accompagne à La Haye. Il commence à donner des conférences là-bas sur la nécessité de libérer la Flandre, puis s’installe avec Elsa à Arnhem chez un pasteur qui l’emploie comme jardinier. Malade, Elsa est soignée par une jeune voisine, fille d’un riche fermier, Harmina, dite Mientje, que Willem épousera une fois veuf.

    Quand Mientje est enceinte, ils s’installent à Gand où naît leur fils Adriaan, suivi par Aletta et Suzanne. Mientje, protestante, fréquente le Temple et rend service comme bénévole. Elle ne partage pas la fièvre nationaliste de Willem, l’exaltation militaire la met mal à l’aise. Lorsque les Allemands occupent Gand en 1940, elle s’inquiète de voir son mari en si bons termes avec eux, puis gratifié d’un gros salaire, et ne cesse de prier.

    Stefan Hertmans revient alors sur la maison qu’il avait achetée, cette même demeure dont les Allemands avaient expulsé dans le passé un vieux locataire pour y installer la famille Verhulst, malgré le loyer élevé. Willem fut nommé directeur de la Radiodiffusion gantoise, un réseau câblé pour mélomanes qui allait devenir un instrument de propagande, Radio-Flandre. Mientje interdisait à Willem de porter l’uniforme SS en famille, mais il recevait des nazis dans le salon. C’est grâce au journal de Mientje que l’auteur a pu suivre leur vie dans ces pièces où il a vécu bien plus tard, en plus du livre de leur fils Adriaan et des souvenirs de ses sœurs qu’Hertmans a rencontrées.

    Une ascension n’est pas un roman historique, mais la reconstitution documentée d’une histoire vécue. Une seule fois, vers la fin, il s’adresse à son anti-héros qu’il aurait voulu connaître « pour un peu mieux comprendre ». Dans sa chronique à la radio, Sophie Creuz a dit très justement ceci sur ce roman qui montre les racines du flamingantisme : « Avec la résurgence de l’extrême-droite, c’est un livre qui arrive à point nommé, d’autant plus que son auteur excelle à montrer que la médiocrité peut être assassine. »

  • Patience

    Meganck editionsfdeville-le-jour-ou-mon-pere-na-plus-eu-le-dernier-mot.jpg« Je ne lui connaissais pas cette patience. A dire vrai, je ne connais pas grand-chose de Kasper Braecke, si ce n’est sa passion pour les courses cyclistes et les documentaires sur la Seconde Guerre mondiale, si ce n’est son racisme, son goût de l’Allemagne, et plus récemment celui des îles subarctiques et des voyages immobiles.
    Il continue :
    – Loti se retournerait sans doute dans sa tombe. Mais bon, je crois que j’approche une certaine idée d’un vieux morutier. Je dois encore achever les peintures…
    Il pose la maquette sur la table. On trinque. Je cogne mon verre contre le sien, un peu de vin rouge tombe sur la maquette. Le pont est maculé d’une petite mare couleur sang qui se met à couler vers la cabine.
    – Désolé.
    – Ce n’est rien, William. Le voilà baptisé ! »

    Marc Meganck, Le jour où mon père n’a plus eu le dernier mot