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art - Page 43

  • Bouquets

    chagall,catalogue,exposition,bruxelles,2015,autobiographie,mémoires,peinture,art,vie,fleurs,culture« Quand j’arrivai à Nice pour la première fois, je me sentis au royaume des fleurs. Pour moi, c’était une nature nouvelle, qui m’enchantait. L’abondance et la variété des fleurs m’émerveillait et me fascinait. Un tel contraste par rapport à Vitebsk, où la pauvre Bella, pour trouver une petite fleur à m’offrir, devait courir hors de la ville chez quelque jardinier. A Nice, on pouvait composer des centaines de bouquets de mariée et les présenter à mes épouses imaginaires dans le monde entier. N’était-ce pas la raison pour laquelle je les représentais si souvent dans mes peintures ? »

    Marc Chagall, Mémoires in Catalogue Marc Chagall, rétrospective 1908-1985, Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique, Bruxelles, 2015.

     

    Marc Chagall, La mariée à double face, 1927, collection privée.

  • Chagall texto

    Le catalogue de la rétrospective Chagall à Bruxelles permet de la revisiter à travers de très belles illustrations, la part des textes y est aussi essentielle. Michel Draguet, commissaire de l’exposition, qui écrit dans la préface que « Chagall n’a, sans doute, jamais été autant d’actualité », y signe une belle analyse : « Chagall et la modernité : entre fable et utopie ».

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    Photo de Chagall © Studio Lipnitzki / Roger-Viollet

    Pourquoi Chagall « texto » ? Parce que si on connaît son autobiographie Ma vie, écrite en 1921-1922, on découvre ici pour la première fois la traduction française de ses notes ultérieures en russe, retrouvées dans les archives de Marc et Ida Chagall. « Mémoires » de Marc Chagall, un texte d’une trentaine de pages, fournit une splendide entrée à ce catalogue.

     

    « Les années passent, les mois et les jours s’envolent. Tant de pluie est tombée, tant de neige ! On se réveille un beau matin et il semble qu’un an vient de passer, mais ce n’est qu’un nouveau jour, et çà et là une nouvelle ride a surgi : dans le dos, au plafond, sur la joue. Que de tristesse, de sourires, d’attentes, de rencontres et d’espoirs ! Quand vais-je laisser mes pinceaux et prendre la plume pour écrire encore quelques lignes sur ma vie ? Il y a près de cinquante ans, à Moscou, j’ai écrit en hâte ce petit livre sur neuf ou dix cahiers d’école, et voici la question : qui suis-je ? Je ne suis ni Michel-Ange, ni Mozart, ni Haydn, ni Goya, mais simplement un certain Chagall de Vitebsk, et je n’ai aucune envie d’imposer ma biographie aux autres. »

     

    C’est le début de ce texte émouvant, où l’artiste qui a tant aspiré à la paix cherche à guérir de la guerre, des larmes, des souffrances. Après la seconde guerre mondiale, il veut récupérer à Berlin les tableaux laissés chez Walden, à la galerie Der Sturm. Le galeriste lui demande de nouveaux tableaux, maintenant qu’il est célèbre – « Mais vos vieux tableaux, je ne les ai plus. » Au procès contre Walden, le juge lit à voix haute une lettre où Robert Delaunay a écrit que « Chagall ne connaît pas son métier. » Déception, amertume des amitiés trahies. De retour à Paris – « Quel air, quel mirage, quelle ivresse ! » –, Chagall constate qu’à La Ruche aussi, toutes ses affaires ont disparu : tableaux, lettres, livres, photographies, son chevalet même.  

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    Marc Chagall, rétrospective 1908-1985, Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique, Fonds Mercator/MRBAB, Bruxelles, 2015.

    « Tout art est le résultat du travail : du travail en atelier, de l’observation de la nature. C’est ainsi. Mais depuis longtemps je considère que tout ce qui nous traverse l’esprit – même si ce n’est pas toujours logique – est aussi important que le reflet du monde extérieur. C’est peut-être justement l’expression de notre monde intérieur mais aussi du monde extérieur lui-même. Pour moi, dans l’art, les soupirs ont de l’importance. »

     

    La Bible, les voyages, l’exil, la musique, Kafka (« Non seulement je le connais, mais je le porte en moi, ou bien c’est moi qui suis en lui, depuis l’enfance »), les couleurs, le plafond de l’Opéra de Paris…, Chagall écrit sur tout ce qui compose sa vie d’homme, sa vie d’artiste. Il ne faudrait pas que ses merveilleuses couleurs et sa fantaisie fassent oublier les difficultés et les malheurs qu’il a rencontrés.

     

    Draguet le rappelle : « l’œuvre de Chagall s’ouvre sur une fuite éperdue du village juif prisonnier de la Russie impériale de la fin de siècle. » Antisémitisme d’Etat, racisme ordinaire ont fait de lui un exilé habité par l’héritage hassidique de sa vie en Russie ; « le blasphème que constitue le simple acte de dessiner » l’a isolé de son milieu familial. Le voilà « nomade », voué à peindre et figurer sans cesse son « pays de nulle part », un monde imaginaire ancré dans l’existence terrestre.

     

    « Dieu, toi qui te dissimules dans les nuages,
    Ou derrière la maison du cordonnier,
    Fais que se révèle mon âme,
    Ame douloureuse de gamin balbutiant.
    Montre-moi mon chemin.
    Je ne voudrais pas être pareil à tous les autres :
    Je veux voir un monde nouveau (…) »

     

    « Seul est mien
    Le pays qui habite mon âme
    J’y entre sans passeport
    Comme chez moi
    Il voit ma tristesse et ma solitude
    Il m’endort
    Et me couvre d’une pierre parfumée »

    Jean-Claude Marcadé examine le terreau russe dans l’oeuvre de Chagall, il souligne sa « très grande affinité » avec le monde poétique d’Essénine. Marcello Massenzio met en garde contre les lieux communs réduisant son art « à la seule dimension onirico-fantastique ». A côté des toiles « idylliques », d’autres expriment les drames de son époque. Dès 1933, sa peinture devient l’une des cibles principales de la propagande nazie antisémite – Le rabbin jaune est transporté dans les rues de Mannheim puis exposé pour faire savoir au contribuable « comment on gaspille (son) argent », c’est la campagne contre « l’art dégénéré ». Cette année-là, Chagall peint La chute de l’ange et Solitude. L’Apocalypse en lilas. Cappricio (gouache de 1945-1947, ci-dessous), montrée à l’exposition, projet d’une œuvre jamais réalisée, est une puissante vision de l’Holocauste. 

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    Marc Chagall, Apocalypse en lilas. Capriccio, 1945 © The London Jewish Museum of Art

    L’analyse des tableaux de Chagall par Ugo Volli non comme un espace fictif ou narratif, mais comme un discours où la présence simultanée de figures ou de « nuages de figures » est avant tout « relation de sens », aide à comprendre comment les motifs récurrents y fonctionnent, surtout comme des symboles ou des attributs (« Une peinture hiéroglyphique ? »). Enfin pour tous ceux qui aiment les petits commentaires éclairants, le catalogue offre une très utile « lecture critique » d’une cinquantaine d’œuvres de Chagall. Un beau livre à acquérir ou à emprunter en bibliothèque, je vous le recommande.

     

     

     

     

  • Le poète allongé

    « Quel beau, charmant et singulier tableau que Le poète allongé de 1915 (peint donc en Russie, tout de suite après le départ de Paris) ! Le cheval et le porc, devant l’isba, évoquent Rousseau (que Chagall aime beaucoup), oui, mais le poète aux mains réunies comme celles des gisants des anciens sépulcres, sa tête sur son veston posé dans l’herbe, près de son chapeau, ses pieds en de fastueux souliers, tout cela, d’où est-ce venu, comment ?  

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    Marc Chagall Le poète allongé Huile sur toile © Collection particulière

    Chagall s’est-il peint là en « poète » comme il fut dit ? Je ne sais. Mais le visage, où il n’y a rien qui me propose une ressemblance, et la silhouette, me font songer à des photographies de Paul Eluard, …, que Chagall ne devait rencontrer que dix ans plus tard, et qui, bien plus tard encore, allait trouver dans sa peinture une inspiration radieuse. »

    André Pieyre de Mandiargues, Chagall, Maeght éditeur, Paris, 1974.


     

     

  • Chagall issime

    Très attendue, la grande exposition Chagall des Musées Royaux des Beaux-Arts de Bruxelles tient ses promesses : une superbe rétrospective, de nombreuses toiles de musées étrangers et de collections particulières, de quoi découvrir, même si on se souvient d’autres expositions. 

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    Marc Chagall L'anniversaire 1915 Huile sur carton © Museum of Modern Art, New York

    Je ne me rappelle pas avoir admiré ce Nu avec des fleurs, par exemple, aquarelle et gouache ; cette Tentation, belle comme un vitrail, avec de petits animaux autour d’Adam et Eve ; ce Portrait du poète Mazin, son voisin russe à La Ruche ; un splendide Nu rouge... Bientôt c’est Vitebsk, sa ville natale, et les éléments qui reviendront si souvent dans sa peinture, sans que l’artiste donne pourtant l’impression de se répéter : une fenêtre, un bouquet, un cheval…  

    L’anniversaire, toile prêtée par le Moma (ci-dessus), est une merveille : dans une atmosphère chaude (sol rouge, tissus à ramages) qui contraste avec leurs vêtements sombres, Bella, épousée en 1915, tient un bouquet de fleurs et semble décoller du sol pour recevoir le baiser de Chagall en flottaison dans l’air, la tête renversée pour l’embrasser. C’est la première peinture où il représente un personnage « en lévitation ».  

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    Marc Chagall La naissance 1911 Huile sur toile originale collée sur bois contreplaqué Collection privée

    Une petite salle rassemble des tableaux familiaux : David jouant de la mandoline (deux beaux portraits très différents de son frère mort jeune à la guerre), sa mère, son père et sa grand-mère (avec un chat), ses sœurs, des amoureux... La naissance (ci-dessus) montre une jeune mère allongée, un bébé nu dans les bras de son père ; plein de détails comme la lampe en haut, un chat bleu en bas, animent cette scène structurée franchement par des lignes et une grande diagonale, ce qui est assez rare chez Chagall (1887-1985).   

    Chacune de ses peintures raconte une histoire. On expose aussi dans cette salle de beaux intérieurs, animés par un bouquet, éclairés par une baie vitrée – on aperçoit la petite Ida, sa fille née en 1916, en robe rouge dans un fauteuil, et la tête de Bella, dehors, à la fenêtre. Une toile m’a fait penser à Bonnard : Les fraises ou Bella et Ida à table, avec le joyeux contraste des fruits rouges sur la nappe blanche. 

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    Marc Chagall La promenade 1917-1918 Huile sur toile © Musée russe, Saint-Pétersbourg

    La promenade, grande toile choisie pour l’affiche, vous la connaissez certainement : le couple se tient par la main, lui les pieds à terre, elle en robe mauve volant dans un ciel blanc à la Malévitch au-dessus de la ville tout en vert, à l’exception de la cathédrale. Dans l’angle inférieur gauche, leur pique-nique en rouge, sous un peu de feuillage bleu – Chagall associe les couleurs comme personne. 

    La religion tient une place constante dans son œuvre : on peut voir côte à côte une esquisse sur papier et l’huile sur toile du Rabbin au citron vert (ci-dessous) – un cédrat dans une main, une branche de palmier dans l’autre, deux des quatre végétaux associés à la fête de Souccot. Pourquoi ce petit rabbin inversé sur sa tête ? D’après l’audioguide (compris dans le prix d’entrée), ce serait une manière d’évoquer la succession, la chaîne des rabbins. Plus loin, on verra Chagall traiter des thèmes bibliques et peindre de nombreuses crucifixions pour symboliser la tristesse, la souffrance, le malheur – le peintre ira jusqu’à se peindre lui- même en croix. 

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    Marc Chagall Le Rabbin au citron 1924 Huile sur Toile © Collection Particulière

    La figure du juif errant, avec son baluchon sur le dos et sa canne, est un autre motif récurrent, même si la toile intitulée En route ou le juif errant, à la pâte épaisse, s’appelait au départ « Chemin faisant », allusion au voyage du peintre vers Paris. Ce n’est que des années plus tard que Chagall ajoutera le second titre. 

    Rentré en Russie, Chagall a beaucoup travaillé pour le Théâtre juif de Moscou. On présente ici des maquettes de costumes, de décors, et en projections, les grandes fresques réalisées pour ce théâtre (montrées à la Fondation Gianadda en 2007). En revanche, je ne connaissais pas toutes ces illustrations pour les fables de La Fontaine, une idée de Vollard : Le renard et les raisins, La grenouille voulant se faire aussi grosse que le bœuf (collection des MRBAB), Deux pigeons, entre autres. 

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    Marc Chagall Le renard et les raisins 1926-27 Aquarelle et gouache © Collection Particulière

    On retrouve des autoportraits et des portraits de couple tout au long du parcours, comme le magnifique Double portrait (Nagoya) datant de 1924 où le peintre vêtu de noir, debout à son chevalet, tient contre lui Bella en robe blanche, leurs deux profils tournés vers la toile. Ou encore Le gant noir (ci-dessous).  

    Des animaux, des anges, des amoureux, des fleurs, des violons... La peinture de Chagall célèbre la vie. Elle s’assombrit pendant la guerre, à la mort de Bella, retrouve des couleurs enchantées quand il se remarie avec Vava. Mais Bella reviendra encore souvent sous ses pinceaux. A Saint-Paul de Vence, il peint sur un énorme bouquet au milieu de son atelier, une grande toile verticale, très claire, aérée, qui tranche avec l’effervescence habituelle. 

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    Marc Chagall Le gant noir 1923-48 Huile sur toile © Collection Particulière

    La dernière salle montre des études pour le Metropolitan Opéra – Le triomphe de la musique – et pour l’Opéra Garnier, et aussi des costumes pour Stravinsky. Impossible de vous parler de tout, plus de deux cents œuvres, aussi je vous renvoie au site de l’exposition. Vous avez quatre mois pour vous y rendre, jusqu’au 28 juin. 

    Cette rétrospective bruxelloise, d’abord montrée à Milan, montre très bien que Chagall, tout en restant fidèle à son univers original, évolue constamment dans sa manière de peindre. J’ai aimé son Don Quichotte, peint à 86 ans, entouré de gens qui dansent, d’autres qui font la guerre, avec Chagall au chevalet entouré des siens, et dans le bas, de petits arbres. « On ne sait jamais avec Chagall, lorsqu’il peint, s’il dort ou s’il est réveillé. Quelque part, dans sa tête sans doute, il doit y avoir un ange. » (Picasso) Tantôt joyeux, tantôt inquiet, l’art de Chagall touche au cœur.

  • Enigme

    Faces Then Van Cleve Autoportrait.jpg 

    « L’Autre reste une énigme. Son visage est à la fois comment il se présente à nos sens, mais c’est aussi un masque cachant un être à jamais inaccessible et irréductible à son portrait. »

    Guy Duplat et Jean-Marc Bodson, « L’Autre ou l’énigme du portrait » (La Libre Belgique, 9/2/2015)

    Faces then, Bozar, Bruxelles, jusqu'au 17/5/2015

    Joos van Cleve, Autoportrait, c.1519, Musée Thyssen-Bornemisza, Madrid