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art - Page 45

  • L'oeil du désir

    Rubens Venus Frigida.jpg« Avez-vous déchiffré le titre de notre récit mythologique, Venus frigida. Frigide, la déesse de l’amour, non pas. Venus frigida, c’est la Vénus venue des rives de la mer Méditerranée et qui frissonne et prend froid dans les plaines du Nord. Le vent décoiffe les branches des arbres, noie le ciel de pluie. La belle Vénus ployée, surprise par l’arrivée d’un être mi-homme, mi-bête, médite, la bouche songeuse appuyée sur la main, le regard détourné, fuyant, elle échafaude quelque ruse pour échapper au piège qui lui est tendu.

     

    Songez, notre scène ne vous est-elle pas familière, mille fois vue, partout, au musée, au cinéma, sur les affiches de publicité ? Une femme à la nudité savamment dévoilée se retrouve passivement saisie sous l’œil désirant d’un homme. « Suzanne et les vieillards », « Femme à sa toilette », « Pan et le Syrinx », des générations de peintres ont repris ce thème… Le cadrage demeure identique depuis des siècles, depuis des millénaires. C’est l’homme qui regarde, c’est la femme qui est vue. L’œil du désir est un privilège masculin. »

     

    Lydia Flem, L’œil du désir (Prose pour P. P. Rubens / Guide du visiteur)

     

    « Sensation et sensualité, Rubens et son héritage », Palais des Beaux-Arts, Bruxelles, 25.09.2014 > 04.01.2015

     

    Peter Paul Rubens, Venus Frigida, 1614 © Lukas - Art in Flanders VZW / Royal Museum of Fine Arts Antwerp

    photo Hugo Maertens.

     

     

     

     

     

  • Inspiré par Rubens

    « Sensation et sensualité, Rubens et son héritage » : il y a foule au Palais des Beaux-Arts pour cette exposition riche d’œuvres en provenance du monde entier, organisée avec le Musée des Beaux-Arts d’Anvers et la Royal Academy Of Arts de Londres. Pas de présentation chronologique, mais autour d’une belle sélection d’œuvres de Rubens, son héritage artistique, en six thèmes : violence, pouvoir, luxure (ci-dessous un détail de Pan et Syrinx en couverture du catalogue), compassion, élégance et poésie. 

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    Pourquoi, comment Rubens (1577-1640) a-t-il influencé tant de peintres ? Voilà le sujet. De nombreux artistes français, allemands, espagnols, anglais, se sont inspirés de son art. Les œuvres exposées permettent d’observer comment ils reprennent et interprètent ce qui les a séduits chez le grand maître flamand. Pour découvrir ce parcours thématique, je vous renvoie au dossier de presse et au guide du visiteur (GV) sur le site de Bozar. Devant la surabondance, je renonce à toute synthèse.

     

    Pour ma part, j’ai envie de vous parler d’un tableau qui m’a particulièrement plu parmi les « héritiers » de Rubens, dans la dernière section : La pêche de Manet (1862-63), un prêt du Metropolitan Museum de New York. C’est un paysage « animé » comme on dit pour signifier qu’il s’y trouve des personnages. Des pêcheurs, forcément : un gamin assis sur la rive, attend que le poisson morde à l’hameçon ; dans une barque, un homme tire ses filets à l’avant ; son passager au chapeau de paille, accoudé à l’arrière, observe la manœuvre d’un jeune homme armé d’une gaffe.

     

    Inattendu, à l’avant-plan, un couple aux vêtements anciens et raffinés, éclairés d’élégants cols blancs, elle en bleu, lui en rouge. Leur chien, un chien de chasse « qui semble sorti tout droit du XVIIe siècle » (GV) observe ce qui se passe sur l’eau, au milieu de la toile. Le couple, lui, tourne le dos à cette scène aquatique et fait face au spectateur, mais en regardant de côté vers le chien, l’homme pointe le doigt dans sa direction.  

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    Edouard Manet, La pêche, 1862-63, New York, The Metropolitan Museum of Art

    La datation du tableau est incertaine. Le catalogue Manet de la fondation Pierre Gianadda (1996) cite en premier Antonin Proust selon qui « La promenade » (titre de l’étude correspondante) aurait été peinte entre 1858 et 1860 ; puis Léon Leenhoff (modèle du jeune garçon), qui y a reconnu un paysage de l’île Saint-Ouen (où la famille du peintre avait une propriété) et propose 1861, date de l’installation de Manet dans l’atelier de la rue Guyot où il a peint d’après des croquis de l’île.

     

    L’arc-en-ciel à l’horizon, un village au loin, la flèche d’une église, des baigneuses près d’un bosquet, la signature oblique sur une barque, il y a une foule de choses à découvrir dans cette toile, « image composite, encombrée, mouvementée, diffuse, un mélange de genres, de plaisirs, de loisirs » (catalogue Gianadda), « un étrange mirage de toute  beauté » (GV, qui ajoute « même si le tableau manque de vie » – vraiment ?)

     

    Delacroix avait donné au jeune Manet ce conseil : « Il fallait voir Rubens, s’inspirer de Rubens, copier Rubens, Rubens était le dieu. » Et Rubens est bien au centre de cette peinture : l’arc-en-ciel, le chien, les jeunes arbres sont empruntés à son Paysage à l’arc-en-ciel (Louvre). Et le couple ? Ces costumes du dix-septième siècle ? Eh bien, il s’agit d’Edouard Manet et de sa future femme, Suzanne Leenhoff, représentés dans la même pose que Rubens et Hélène Fourment dans Parc du Château de Steen (Kunsthistorisches Museum, Vienne).

     

    La notice du MET rapporte que Manet, ayant caché à son père sa relation avec Suzanne, a sans doute peint cette « variation sur un portrait de noces » entre la mort de son père en septembre 1862 et leur mariage en octobre 1863, ce qui correspond à la datation actuelle. Ce tableau riche d’emprunts à Rubens (et à Carracci) et à sa propre vie (c’est peut-être Léon, fils de Suzanne, né de père inconnu, que Manet montre du doigt, « comme pour « accepter » le garçon dans sa famille », suggère le catalogue Gianadda), était très cher au peintre. La pêche n’a jamais été exposée du vivant de Manet (1832-1883), c’était un « tableau de famille », accroché dans leur appartement.

  • Se divertir

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    « Il se sentait tantôt exilé, tantôt chez lui. Tout était si tranquille, ici. Naples continuait d’être belle comme une image. La principale activité des riches est de se divertir. De tous, le plus extravagant était le Roi, le plus éclectique le Cavaliere. »

     

    Susan Sontag, L’amant du volcan

  • L'amant du volcan

    Dans son prologue à L’amant du volcan (1992, traduit de l’anglais par Sophie Bastide-Foltz), Susan Sontag campe le sujet en trois temps : un marché aux puces à Manhattan, en 1992 – « Pourquoi entrer ? As-tu tellement de temps à perdre ? Tu vas regarder. T’égarer. Tu vas oublier l’heure. » ; une vente aux enchères à Londres, en 1772, où une « Vénus désarmant Cupidon » ne trouve pas preneur ; une éruption du Vésuve, spectacle sans pareil. 

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    Il Cavaliere, comme on nomme l’ambassadeur anglais à Naples, quitte l’Angleterre après un congé qui a « rendu à son visage osseux une couleur laiteuse de bon aloi ». Il y laisse sa Vénus invendue – heureusement le British Museum a acheté tous ses vases étrusques et bien d’autres choses. Des malles, des caisses, des coffres sont déjà partis sur un cargo ; sa femme Catherine, « ses gens » et lui embarquent sur un trois-mâts jusqu’à Boulogne avant de regagner Naples « par voie de terre ».

     

    Marié depuis seize ans à la « fille unique d’un riche hobereau », sans enfant, le Cavaliere a pu grâce à sa fortune asseoir sa carrière et nourrir sa passion de collectionneur, de tableaux surtout, dans un confort permanent. Diplomate hyperactif, il s’intéresse à tout et cultive une autre passion : fou du Vésuve, il y grimpe souvent, en ramène des morceaux de lave et lit tout ce qu’il peut sur le volcan.

     

    Ami du jeune roi de Naples, qui l’oblige à lui tenir compagnie même à la chaise percée, il a appris à connaître ce « royaume de l’outrance, de l’excès, des débordements ». Catherine, qui souffre d’asthme, se tient autant que possible loin de la cour, c’est une musicienne remarquable au clavecin et une épouse irréprochable.

     

    Quand arrive un lointain cousin du Cavaliere, l’entente est immédiate entre Catherine et le jeune homosexuel, sensible comme elle à la musique. Mais l’hiver venu, il repart. Le Cavaliere, déjà attristé par la mort de son singe Jack, perd alors son épouse de 44 ans, qui s’est endormie dans son fauteuil favori face aux myrtes. En deuil, il découvre l’indifférence à tout, la mélancolie.

     

    Quatre ans plus tard, Charles, son neveu, qui administre les terres de Catherine au pays de Galles, lui envoie sa belle maîtresse de 21 ans, qui aime tant « admirer ». Le Cavaliere, de 36 ans plus âgé, résiste d’abord à « Mme Hart », puis prend goût à la regarder, à l’instruire, à lui montrer ce qui l’intéresse – c’est-à-dire tout : elle le questionne, l’écoute, s’enthousiasme inlassablement. Par lettres, elle a imploré Charles de la rapatrier, mais lui la pousse dans les bras de son oncle et elle en prend son parti. Une belle voix de chanteuse et l’art de poser sont d’autres de ses atouts – jadis modèle d’un peintre, elle incarne à présent, pour le Cavaliere d’abord, puis en public, les grandes figures féminines de l’antiquité.

     

    En plus des progrès de ce couple surprenant – la maîtresse de Charles a un passé douteux, des manières « vulgaires », mais le Cavaliere va l’épouser –, Susan Sontag raconte des visites prestigieuses (Goethe, Elisabeth Vigée-Lebrun…), l’observation du volcan, la vie de cour, et les échos à Naples de la Révolution française puis de la Terreur, à laquelle répond l’éruption du Vésuve en 1794.

     

    Arrive alors « le héros le plus valeureux que l’Angleterre ait jamais produit »,  un capitaine de 35 ans venu apporter au Cavaliere des dépêches urgentes, après que la France a déclaré la guerre à l’Angleterre. L’épouse du Cavaliere l’aide à obtenir du Roi le renfort de troupes napolitaines. Cinq ans de combats valeureux, un bras perdu, un rang d’amiral gagné, et puis « le héros fondit sur leurs vies ».

     

    Ils se sont écrit entre-temps, tous les trois – l’épouse du Cavaliere « aimait admirer et voilà quelqu’un qui valait vraiment la peine d’être admiré. » Quand l’amiral revient à Naples, il est la coqueluche du roi et de la reine, du Cavaliere et de sa femme. A l’approche des républicains français, il embarque tout ce beau monde en fuite sur les navires anglais. Le Cavaliere loue alors un palais à Palerme et l’y accueille à bras ouverts.

     

    L’ambassadeur devine que « le héros » s’est entiché de son épouse, quoique la sienne l’attende au pays. Mais il apprécie leur discrétion et songe à ses collections perdues dans un naufrage. L’amant du volcan conte ces amours diverses et une époque tumultueuse. Au récit se greffent d’intéressants apartés sur le bonheur, la passion de collectionner, l’art, la musique, la lecture, la beauté… 

     

    En observant le passé d’un œil contemporain, Sontag offre un point de vue singulier et un ton piquant à ce long roman. Eleonora de Fonseca Pimentel, poète napolitaine, « pure flamme » dans la Révolution, attendant d’être exécutée, y ajoute un contrepoint qui surprend, la mise en perspective finale.

  • L'art de l'assiette

    A la Villa Noailles, la présentation des collections permanentes se renouvelle aussi, et j’y ai découvert avec plaisir ces dix-huit assiettes décorées par des artistes. La maison Christofle, durant la seconde guerre mondiale et peu après celle-ci, avait demandé à « des personnalités parisiennes du monde de l’art, de la musique et de la littérature » d’imaginer un décor pour des assiettes en porcelaine. 

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    Signatures : Henri Sauguet / Marie-Laure de Noailles / André Masson / Jean Cocteau / Man Ray / Felix Labisse

    Georges Hugnet (7 à 12) / Paul Eluard / Jean Hugo / Lucien Coutaud / Georges Auric / M.-L. de Noailles / Jean Hugo

    Parmi les participants, beaucoup étaient des amis de Marie-Laure de Noailles, qui en a proposé elle-même une suite de douze, « des variations sur les possibilités de l’encre noire ». J’espère que vous apprécierez autant que moi le décor et la légende de celle-ci. 

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