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ma vie

  • Mon art

    Chagall Ma vie couverture.jpg« Mais mon art, pensais-je, est peut-être un art insensé, un mercure flamboyant, une âme bleue, jaillissant sur mes toiles.

    Et je songeais : « A bas le naturalisme, l’impressionnisme et le cubisme réaliste ! »

    Ils me rendent triste et contraint.

    Toutes les questions – volume, perspective, Cézanne, la plastique nègre – sont ramenées sur le tapis.

    Où allons-nous ? Qu’est-ce que cette époque, qui chante des hymnes à l’art technique, qui divinise le formalisme ?

    Que notre folie soit la bienvenue !

    Un bain expiatoire. Une révolution du fond, non seulement de la surface.

    Ne m’appelez pas fantasque ! Au contraire, je suis réaliste. J’aime la terre. »

     

    Marc Chagall, Ma vie

  • Sa vie par Chagall

    Je vous ai déjà parlé de Chagall cette année, de la rétrospective bruxelloise qui vient de fermer ses portes, de son catalogue, du musée de Nice. En 1922, à Moscou, le peintre achevait d’écrire Ma vie, l’autobiographie de ses années russes. Bella, sa femme, a traduit en français ce texte qu’accompagnent une trentaine de dessins. 

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    Pages de l'édition 1931 de "Ma Vie"

    Marc Chagall est né en 1887 à Vitebsk, « ville triste et joyeuse ! », le jour d’un grand incendie dans le quartier des pauvres juifs : « Je n’ai pas voulu vivre. Imaginez une bulle blanche qui ne veut pas vivre. Comme si elle s’était bourrée de tableaux de Chagall. On l’a piqué avec des épingles, on l’a plongé dans un seau d’eau. Enfin, il rend un faible piaulement. Pour l’essentiel, je suis mort-né. » 

     

    Son père a travaillé comme ouvrier pendant trente-deux ans dans un dépôt de harengs. « Le soir entrait avec lui. » La mère de Chagall n’a pas eu la vie facile, il la revoit frappant la toile cirée de la table, sans « personne avec qui causer. » Elle aimait tant parler – « Mon fils, cause avec moi. »

     

    Chagall se souvient du grand-père barbu, « précepteur religieux », et de l’autre, boucher, et de l’indifférence des siens pour son art. Un oncle a peur de lui tendre la main – « Si je me mettais à le dessiner ? Dieu ne le permet pas. Péché. » Un autre, excellent coiffeur, le seul à être fier de son neveu dans tout le voisinage, refuse pourtant son portrait.

     

    « Au-dessus de la ville » (ci-dessous) montre ce que Chagall voyait du grenier, d’où il aimait observer les allées et venues des habitants, les oiseaux, le ciel, l’agitation quand survenait un incendie. Un temps, il prend des leçons de chant chez un chantre qu’il assiste à la synagogue. Il rêve d’entrer au Conservatoire, d’apprendre le violon ou de devenir danseur, poète…

     

    « Cependant les années s’avançaient. Il fallait commencer à imiter les autres, leur ressembler. » Sa mère l’envoie étudier la Bible chez un rabi, dont le vieux chien roux l’effraye. Un jour, l’animal le mord au bras et à la jambe, avant d’être abattu – il avait la rage. Le médecin ne laisse au garçon que quelques jours à vivre, on l’envoie à Pétersbourg. Lui se sent un héros, l’hôpital lui plaît – « coucher seul dans un lit blanc », du bouillon et un œuf pour déjeuner.  

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    Marc Chagall, Au-dessus de la ville

    Guéri, il rentre à la maison. A treize ans, Marc Chagall est triste, il craint l’âge adulte. A l’école, il se sent devenir « encore plus bête », se met à bégayer. Un camarade regarde ses dessins au mur de la chambre : « Ecoute, tu es donc un vrai artiste ? » Le mot entre en lui, il ne sera jamais commis, comptable ou photographe, comme l’a imaginé sa mère. Elle finit par accepter de l’inscrire à l’Ecole de peinture de M. Pènne, qui lui trouve « des dispositions ».

     

    La vie ordinaire charrie ses malheurs : sa petite sœur Rachel meurt, puis un voisin, veillées, cimetière... Un élève de Pènne, fils d’un gros marchand, devient son ami, et lui laisse « espérer valoir plus que l’humble gosse de la rue de Pokrawskaja ». Ils projettent de poursuivre leurs études artistiques à Pétersbourg. Son père lui jette alors vingt-sept roubles sous la table (« Je lui pardonne, c’était sa manière de donner »), les seuls jamais reçus de lui. 

     

    « L’essentiel, c’est l’art, la peinture, une peinture différente de celle que tout le monde fait. » Où trouver de l’argent et surtout, comment obtenir l’autorisation ? « Je suis israélite. Or, le tzar a fixé une certaine zone de résidence dont les Juifs n’ont pas le droit de sortir. » En 1907, à vingt ans, il s’en va « vers une vie nouvelle, dans une ville nouvelle ».

     

    Tourmenté par les filles – Nina, Aniouta, Olga, Théa –, il finit par oser les approcher, les embrasser. Puis Chagall rencontre Bella : « Je sentis que c’était elle, ma femme. » Il cherche une chambre où elle puisse venir le voir, poser pour lui. Subventionné quelques mois par un ami des arts, il travaille ensuite comme domestique chez un avocat, puis, après avoir été arrêté, s’engage chez un peintre d’enseignes pour pouvoir habiter la capitale.

     

    L’Ecole d’art lui semble du temps perdu, son maître trop négatif. Chagall entre alors à l’Ecole de Bakst chez qui passe « un souffle européen ». Mais de là aussi, il s’en va frustré – est-il incapable de s’instruire ? Trois mois plus tard, Bakst apprécie enfin une toile de lui et l’accroche au mur. Espoir. Le jeune peintre voudrait suivre Bakst à Paris, ses parents refusent de l’accompagner : il doit partir pourtant, écrit-il, même pour vivre seul dans une cage. 

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    Winawer, un député de la Douma, « presque un père », lui achète deux toiles (son premier acheteur !) et subventionne son séjour à Paris. Le Louvre l’éblouit, il lui semble tout découvrir, « surtout l’art du métier ». A la Ruche, il peint sur tout ce qu’il trouve, nappes, chemises, seul devant sa lampe à pétrole, affamé. Bakst qu’il revoit aux Ballets russes accepte de venir voir son travail : « Maintenant, vos couleurs chantent. » 

     

    Chagall raconte ses débuts parisiens, les rencontres avec des artistes, des poètes. La vie est difficile, mais il s’écrie : « Paris, tu es mon second Vitebsk ! » Rentré en Russie pour le mariage de sa sœur, le jeune peintre y est retenu par la guerre : où aller ? Il épouse en 1915 Bella Rosenfeld, fille de bijoutiers. Elle préfère les grandes villes, lui la campagne. Son beau-frère lui trouve un emploi dans un bureau militaire, qu’il abandonne juste avant la révolution de février.

     

    Son nom est proposé au Ministère des Arts, et malgré la méfiance de sa femme, Chagall accepte de diriger l’Ecole des Beaux-Arts à Vitebsk où il se démène pour obtenir des crédits, des professeurs, des élèves – « J’engendrais des dizaines de peintres. » Mais le costume de fonctionnaire soviétique ne lui va pas. Trahi par ses amis, il est expulsé de son école, repart à Moscou où on viendra pourtant le rechercher plus tard.

     

    Sa belle-famille est ruinée – après les pogroms antijuifs viennent les pillages antibourgeois – et Chagall se rend compte que sa peinture n’a plus de place dans l’art prolétarien. Malgré la misère, il veut garder son âme. « Exaspéré, je me suis jeté avec acharnement sur le plafond et les murs du Théâtre de Moscou. » Il réclamera en vain d’être payé. Désespéré, Chagall décide de laisser tout ça pour Paris, les Russes n’ont pas besoin de lui. « Et peut-être l’Europe m’aimera et, avec elle, ma Russie. »

  • Vie de Sofia Tolstoï

    Ma vie de Sofia Tolstoï, suite & fin

     

    La seule consolation de Sofia, désespérée sans leur petit Vanetchka, vient de l’arrivée du musicien Taneïev à Iasnaïa Poliana, où il loue un pavillon pour soigner son enfant malade au calme. Il joue du piano, fait des parties d’échecs avec Tolstoï. Le fils aîné, Serioja, se marie alors avec une jeune femme qui ne fait pas bonne impression à ses parents. L’écrivain se met à Résurrection mais refuse que Sofia recopie, confie cette tâche à d’autres. Taneïev joue du piano pour sa fête : « La musique était la seule chose qui me sauvait du désespoir. »

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    Le désaccord entre les époux Tolstoï s’amplifie quand Sofia, en nettoyant le bureau, fait tomber la clé d’un tiroir où son mari enferme son Journal intime. Elle y découvre tant de reproches à son propos qu’elle lui demande, par lettre, de supprimer ces paroles méchantes qui nuiront un jour à sa réputation. Comme l'a dit leur ami le poète Fet, Tolstoï reconnaît que « chaque mari a la femme dont il a besoin » et accepte de le faire.

     

    Dès l’année 1896, Sofia Tolstoï avertit ses lecteurs du manque de matériaux dont elle dispose pour raconter une vie « globalement heureuse ». Sa chronique des petites et grandes choses continue : patinoire dans le jardin, mariage décevant de Macha avec Kolia Obolenski qu’ils avaient recueilli mais qu'ils jugent paresseux. Dans l'ensemble, Sofia déteste les tolstoïens oisifs, des parasites, mais intervient en faveur d’une femme médecin emprisonnée pour avoir des œuvres interdites de Tolstoï en sa possession. Et voilà, à sa grande surprise, qu’elle découvre la jalousie de son mari pour Taneïev, le musicien qui leur rend si souvent visite, un homme débonnaire qui n’en soupçonne rien. Tolstoï travaille alors à Hadji Mourat.

     

    La femme de Serioja, enceinte, le quitte. Tolstoï se réfugie de plus en plus souvent chez leurs amis Olsoufiev. Sofia finit par comprendre que, sans elle, il peut vivre plus pleinement, « sans être responsable des pensées et principes de vie qu’il prêchait. » Là-bas, il prend part aux activités joyeuses, en toute simplicité. Rentré chez lui, il brise la serrure du bureau de sa femme à la recherche d’écrits intimes, sans en trouver, elle a abandonné son Journal personnel depuis des années.

     

    Le 8 juillet 1897,  il lui écrit une terrible lettre pour annoncer qu’il veut partir ; ainsi leur mode de vie ne le tourmentera plus, il vivra dans la tranquillité, en vieil ermite, lui qui n’est plus nécessaire à la maison. Il lui exprime aussi amour et reconnaissance. Cette lettre, sa femme ne la lira qu’après sa mort, Tolstoï l’avait confiée à Obolenski. En fait, ils ont encore vécu ensemble treize ans.

     

    Tolstoï souffre beaucoup de voir ses filles chéries s’en aller. Désormais, il confie ses Journaux intimes à Tchertkov. A Moscou, Sofia prend des cours de piano, va au concert. En lisant la vie de Beethoven, elle comprend mieux les tourments de son mari, la solitude nécessaire au génie. Mais qu’il refuse de rentrer à Moscou avec elle la met chaque fois au désespoir.

     

    Il s’y rend tout de même pour publier Qu’est-ce que l’art ? Le voilà jaloux, à présent, du comte Olsoufiev qui passe pour le « chevalier servant » de son épouse ! « Il lui fallait une femme, mais passive, bien portante, privée de parole et de volonté. » Sofia Tolstoï va plus loin : « Personne ne comprendra et peut-être ne croira que quand je suis vivante, c’est-à-dire quand je fais de la musique, lis, peins ou m’intéresse aux gens qui le méritent, mon mari est malheureux, inquiet et en colère. Mais quand je lui couds des blouses, recopie ses textes, accomplis toute une série de corvées et me fane doucement et tristement, mon mari est tranquille, heureux et même gai. Et voilà ce qui me brise le cœur ! »

     

    Pour les 70 ans de Tolstoï, tous les enfants sont présents, et de très nombreux visiteurs. Taneïev, « l’expression ultime, suprême de la musique », aux dires de Tolstoï lui-même, leur offre un magnifique concert. La musique est pour Sofia l’art supérieur : « Il reste toujours en elle une part de rêve, elle ne mène pas son idée à son terme, tandis que dans un tableau ou dans une œuvre littéraire, tout est clair et énoncé jusqu’au bout. »

     

    La chronique familiale continue, les joies et les peines. Sofia n’aime pas Résurrection parce que son héroïne est une prostituée et que cela lui rappelle le passé de son époux. Elle constate l’incompréhension de ses enfants pour sa vie intérieure et cela la consterne, mais seul importe, leur écrit-elle, son amour pour leur père et pour eux – « tout le reste est peu important et éphémère. »

     

    Leur santé chancelle, Sofia doit garder le lit à cause de problèmes cardiaques. Quand elle va mieux, elle se passionne aussi pour la photographie – elle laissera plus de huit cents négatifs de la vie des siens. Tania doit se faire opérer des sinus, à plusieurs reprises. Tolstoï souffre de l’estomac et du foie, il a des crises fréquentes. Régulièrement, Sofia aime plante des arbres, à Iasnaïa Poliana ou à Moscou, dont le jardin accueille des arbustes ramenés de la campagne.

     

    Le mariage de Tania à trente-cinq ans « en simple robe grise » les fait beaucoup pleurer tous les deux. En 1900, le jeune Chaliapine vient chanter pour Tolstoï. Sofia s’occupe de son côté d’un asile pour enfants abandonnés. Le grand-duc Constantin la tient en grande estime, elle qui fut « l’étoile et la rose » du poète Fet, comme il l’a deviné. Nouveaux tourments maternels : les fausses couches de ses filles Tania et Macha. Celle-ci en mourra même et Tania aura sept bébés mort-nés mais une petite Tania qui survivra.

     

    Parmi les visiteurs de Tolstoï, dont certains viennent de très loin uniquement pour le rencontrer, il y a d'autres écrivains russes : Gorki, Pasternak. Tchekhov lui rendra visite en Crimée, pendant leur long séjour au bord de la mer pour la santé de Tolstoï lui aussi souffrant du cœur.

     

    Ne disposant pas d’assez de matériaux sur les dernières années de la vie de Tolstoï – les écrits intimes de l’écrivain appartenant à sa fille Sacha – la comtesse Tolstoï interrompt Ma vie à la fin de 1901. Frustration. Les Editions des Syrtes fournissent à la fin de ce gros livre publié en collaboration avec le musée d'Etat Lev Tolstoï de Moscou, traduit du russe par Luba Jurgenson et Maria-Luisa Bonaque, un Index des noms propres d'une quarantaine de pages.

     

    A sa fille Tania, Sofia Tolstoï avait écrit : « j’ai désiré avoir ma propre vie, chose que je n’avais pas eue auparavant, et j’y ai réussi. »