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Vie de Sofia Tolstoï

Ma vie de Sofia Tolstoï, suite & fin

 

La seule consolation de Sofia, désespérée sans leur petit Vanetchka, vient de l’arrivée du musicien Taneïev à Iasnaïa Poliana, où il loue un pavillon pour soigner son enfant malade au calme. Il joue du piano, fait des parties d’échecs avec Tolstoï. Le fils aîné, Serioja, se marie alors avec une jeune femme qui ne fait pas bonne impression à ses parents. L’écrivain se met à Résurrection mais refuse que Sofia recopie, confie cette tâche à d’autres. Taneïev joue du piano pour sa fête : « La musique était la seule chose qui me sauvait du désespoir. »

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Le désaccord entre les époux Tolstoï s’amplifie quand Sofia, en nettoyant le bureau, fait tomber la clé d’un tiroir où son mari enferme son Journal intime. Elle y découvre tant de reproches à son propos qu’elle lui demande, par lettre, de supprimer ces paroles méchantes qui nuiront un jour à sa réputation. Comme l'a dit leur ami le poète Fet, Tolstoï reconnaît que « chaque mari a la femme dont il a besoin » et accepte de le faire.

 

Dès l’année 1896, Sofia Tolstoï avertit ses lecteurs du manque de matériaux dont elle dispose pour raconter une vie « globalement heureuse ». Sa chronique des petites et grandes choses continue : patinoire dans le jardin, mariage décevant de Macha avec Kolia Obolenski qu’ils avaient recueilli mais qu'ils jugent paresseux. Dans l'ensemble, Sofia déteste les tolstoïens oisifs, des parasites, mais intervient en faveur d’une femme médecin emprisonnée pour avoir des œuvres interdites de Tolstoï en sa possession. Et voilà, à sa grande surprise, qu’elle découvre la jalousie de son mari pour Taneïev, le musicien qui leur rend si souvent visite, un homme débonnaire qui n’en soupçonne rien. Tolstoï travaille alors à Hadji Mourat.

 

La femme de Serioja, enceinte, le quitte. Tolstoï se réfugie de plus en plus souvent chez leurs amis Olsoufiev. Sofia finit par comprendre que, sans elle, il peut vivre plus pleinement, « sans être responsable des pensées et principes de vie qu’il prêchait. » Là-bas, il prend part aux activités joyeuses, en toute simplicité. Rentré chez lui, il brise la serrure du bureau de sa femme à la recherche d’écrits intimes, sans en trouver, elle a abandonné son Journal personnel depuis des années.

 

Le 8 juillet 1897,  il lui écrit une terrible lettre pour annoncer qu’il veut partir ; ainsi leur mode de vie ne le tourmentera plus, il vivra dans la tranquillité, en vieil ermite, lui qui n’est plus nécessaire à la maison. Il lui exprime aussi amour et reconnaissance. Cette lettre, sa femme ne la lira qu’après sa mort, Tolstoï l’avait confiée à Obolenski. En fait, ils ont encore vécu ensemble treize ans.

 

Tolstoï souffre beaucoup de voir ses filles chéries s’en aller. Désormais, il confie ses Journaux intimes à Tchertkov. A Moscou, Sofia prend des cours de piano, va au concert. En lisant la vie de Beethoven, elle comprend mieux les tourments de son mari, la solitude nécessaire au génie. Mais qu’il refuse de rentrer à Moscou avec elle la met chaque fois au désespoir.

 

Il s’y rend tout de même pour publier Qu’est-ce que l’art ? Le voilà jaloux, à présent, du comte Olsoufiev qui passe pour le « chevalier servant » de son épouse ! « Il lui fallait une femme, mais passive, bien portante, privée de parole et de volonté. » Sofia Tolstoï va plus loin : « Personne ne comprendra et peut-être ne croira que quand je suis vivante, c’est-à-dire quand je fais de la musique, lis, peins ou m’intéresse aux gens qui le méritent, mon mari est malheureux, inquiet et en colère. Mais quand je lui couds des blouses, recopie ses textes, accomplis toute une série de corvées et me fane doucement et tristement, mon mari est tranquille, heureux et même gai. Et voilà ce qui me brise le cœur ! »

 

Pour les 70 ans de Tolstoï, tous les enfants sont présents, et de très nombreux visiteurs. Taneïev, « l’expression ultime, suprême de la musique », aux dires de Tolstoï lui-même, leur offre un magnifique concert. La musique est pour Sofia l’art supérieur : « Il reste toujours en elle une part de rêve, elle ne mène pas son idée à son terme, tandis que dans un tableau ou dans une œuvre littéraire, tout est clair et énoncé jusqu’au bout. »

 

La chronique familiale continue, les joies et les peines. Sofia n’aime pas Résurrection parce que son héroïne est une prostituée et que cela lui rappelle le passé de son époux. Elle constate l’incompréhension de ses enfants pour sa vie intérieure et cela la consterne, mais seul importe, leur écrit-elle, son amour pour leur père et pour eux – « tout le reste est peu important et éphémère. »

 

Leur santé chancelle, Sofia doit garder le lit à cause de problèmes cardiaques. Quand elle va mieux, elle se passionne aussi pour la photographie – elle laissera plus de huit cents négatifs de la vie des siens. Tania doit se faire opérer des sinus, à plusieurs reprises. Tolstoï souffre de l’estomac et du foie, il a des crises fréquentes. Régulièrement, Sofia aime plante des arbres, à Iasnaïa Poliana ou à Moscou, dont le jardin accueille des arbustes ramenés de la campagne.

 

Le mariage de Tania à trente-cinq ans « en simple robe grise » les fait beaucoup pleurer tous les deux. En 1900, le jeune Chaliapine vient chanter pour Tolstoï. Sofia s’occupe de son côté d’un asile pour enfants abandonnés. Le grand-duc Constantin la tient en grande estime, elle qui fut « l’étoile et la rose » du poète Fet, comme il l’a deviné. Nouveaux tourments maternels : les fausses couches de ses filles Tania et Macha. Celle-ci en mourra même et Tania aura sept bébés mort-nés mais une petite Tania qui survivra.

 

Parmi les visiteurs de Tolstoï, dont certains viennent de très loin uniquement pour le rencontrer, il y a d'autres écrivains russes : Gorki, Pasternak. Tchekhov lui rendra visite en Crimée, pendant leur long séjour au bord de la mer pour la santé de Tolstoï lui aussi souffrant du cœur.

 

Ne disposant pas d’assez de matériaux sur les dernières années de la vie de Tolstoï – les écrits intimes de l’écrivain appartenant à sa fille Sacha – la comtesse Tolstoï interrompt Ma vie à la fin de 1901. Frustration. Les Editions des Syrtes fournissent à la fin de ce gros livre publié en collaboration avec le musée d'Etat Lev Tolstoï de Moscou, traduit du russe par Luba Jurgenson et Maria-Luisa Bonaque, un Index des noms propres d'une quarantaine de pages.

 

A sa fille Tania, Sofia Tolstoï avait écrit : « j’ai désiré avoir ma propre vie, chose que je n’avais pas eue auparavant, et j’y ai réussi. »

Commentaires

  • Une vie réussie au delà des difficultés, des tourments, porté par l'amour finalement indéfectible même si parfois il fut violent et douloureux

  • @ Dominique : Tu as raison de le souligner, que d'amour ! Un récit de vie exceptionnel - merci, Dominique.

  • Merci de mentionner l'impressionnant index en fin de volume.
    Pour de sinistres raisons mêlant les économies radines
    et la paresse intellectuelle
    trop de maisons suppriment l'ajout d'un index
    qui complétait par exemple des études historiques...
    Ma foi, ils élèvent des livres en batteries, ces gens-là...
    (Merci aussi de ne pas m'infliger l'affront
    de me désigner à la vindicte féminine
    en tant que "révisionniste mensonger"...)

  • Je fais un prélèvement sur votre texte que je restituerai prochainement. Votre compte-rendu m'aura vraiment intéressée à la figure de Sofia, mais également à cette tranche d'histoire littéraire majeure.
    @JEA, vous avez été blessé par Hypathie. Les féministes sont parfois injustes, peut-être ne vous connaît-elle pas, ou mal, elle aurait sinon évité d'utiliser un tel vocabulaire

  • Merci d'avoir passé autant de temps à nous détailler aussi finement un tel livre. Dominique m'avait déjà donné envie de le lire, me voilà pleinement convaincue que c'est un indispensable.

  • A lire d'autres présentations du couple Tolstoï, exemple:
    http://www.lepoint.fr/culture/leon-et-sofia-tolstoi-un-couple-dechirant-09-10-2010-1247010_3.php... on découvre une version nettement moins délicate que la vôtre !!
    Grand merci Tania pour cet aperçu passionnant, tout en nuances, en images et en liens, dommage que ce soit fini.

  • @ Zoé

    qu'elle me connaisse ou pas, ce vocabulaire en l'espèce est insupportable
    "révisionniste" est une diffamation - forcément sans preuve - qui relève de l’article 38 de la loi « informatique et libertés » du 6 janvier 1978 modifiée
    cette publication sur internet porte atteinte à ma réputation professionnelle d'historien de la Shoah
    de plus, cette diffamation risque d'être référencée par les moteurs de recherche
    NB : mes excuses auprès de Tania pour ce hors-sujet, je ne récidiverai pas

  • @ JEA : A la suite de cet Index, un tableau généalogique des familles Tolstoï et Bers, très utile également, ne fût-ce que pour s'y retrouver dans cette famille très nombreuse et dans les prénoms des enfants désignés par leurs diminutifs dans le récit. (A votre parenthèse, je répondrai chez Euterpe, cher JEA.)

    @ Zoë Lucider : Vous vous en doutez, sur l'histoire russe, le régime tsariste, le sort des paysans, les querelles religieuses (les doukhobors, par exemple), le mode de vie, le récit de Sofia Tolstoï est une véritable mine d'informations dont, même en "feuilleton", je n'ai pu tout signaler. J'ai pris pour fil conducteur l'histoire du couple et de la famille. (Pour le "prélèvement", j'espère que les analyses seront bonnes, Zoë ;-)

    @ Aifelle : Oui, c'est une publication majeure, tu as raison. Je t'en souhaite une bonne lecture, quand tu auras le temps pour t'y plonger.

    @ MH : Merci pour le lien vers http://www.lepoint.fr/culture/leon-et-sofia-tolstoi-un-couple-dechirant-09-10-2010-1247010_3.php
    Je n'ai pas voulu édulcorer les déchirements de ce couple, MH, et il y a dans "Ma vie" des cris de rage et des scènes terribles. Mais ce n'est pas non plus le règlement de comptes continuel et ils ont tous les deux choisi de continuer ensemble leur route, malgré tout.
    C'est frustrant de voir le récit s'interrompre avant la mort de Tolstoï, mais les références de l'article du Point donnent d'autres pistes de lecture dont je prends note.

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