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Peinture - Page 74

  • Balades picturales dans Bruxelles

    La ville est une succession de tableaux pour les promeneurs qui aiment la regarder : façades, portes, décors de fenêtres, jardinets, jeunes et vieux arbres, passants, marchés, roses trémières et grimpantes de trottoir, carrefours animés, commerces, parcs… Sous un angle très original, Fabien De Roose propose des « promenades au cœur de la ville » dans Bruxelles vue par les peintres, dont je viens de découvrir le deuxième tome. Fondateur et animateur de l’asbl Dédale, guide à la Fondation Monet à Giverny, il organise des « promenades picturales » en France et en Belgique.

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    Auderghem, Saint-Josse-ten-Noode, Schaerbeek, Watermael-Boitsfort, Woluwe-Saint-Lambert et Woluwe-Saint-Pierrre, ce sont ces six communes de l’est de Bruxelles qu’il donne à voir ici sous l’œil d’une cinquantaine de peintres, « reconnus ou méconnus ». Sept balades dans l’espace et dans le temps. Chacune s’ouvre sur un rappel historique pour présenter les quartiers traversés et un plan numéroté (avec l’indication précise des transports en commun). Chaque numéro correspond à un tableau. Une double page raconte l’histoire du lieu et met à notre disposition texte, illustration et photographie. Le temps de lire et de regarder.

    La première, « Du Botanique à la place Saint-Josse », comporte sept arrêts sur image. « Victor Hugo avait affirmé : « Bruxelles possède deux merveilles uniques au monde : la Grand-Place et le panorama du Jardin Botanique. » Pierre-François Gineste (Paris, 1769 – Evere, 1850) a peint le Jardin Botanique à Bruxelles vers 1840. Sous l’illustration, une photo de l’endroit tel qu’il se présente aujourd’hui, sous le même angle de vue, permet la comparaison, dans ce cas-ci, peu flatteuse. Le magnifique panorama montré par Gineste à l’époque où se construisait la Gare du Nord n’a pas résisté aux pressions immobilières et au développement urbain. Le beau bâtiment néo-classique a été sauvé, mais les jardins, « désertés suite au transfert des collections botaniques à Bouchout en 1939, commencent leur descente aux enfers. » Puis viendront les tours de bureaux. Reste un patrimoine architectural préservé, et Le Bota, très vivant centre culturel de la Fédération Wallonie-Bruxelles, avec son Orangerie.

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    Carte postale, vers 1910

    C’est très gai de se promener ainsi, qu’on connaisse bien le quartier ou qu’on n’y ait jamais mis les pieds. Le familier des lieux découvre qu’il est loin d’y avoir tout vu, il les redécouvre à travers le texte et l’œil du peintre. Les nouveaux venus font connaissance avec un coin de Bruxelles d’une manière originale. Les amateurs de peinture iront de l’image au paysage en de multiples et excitants allers-retours.

    La ville aux quatre saisons, ses fêtes – Kermesse Saint-Corneille, le soir, place de la Reine (Liévin Herremans), ses événements – Matinée d’élection (Clément Brems), L’Hôtel communal en ruines (Paul Leduc). Ses monuments et ses avenues pittoresques. Mais c’est surtout la ville au quotidien, animée ou non. Bruxelles la secrète aussi avec ses beautés qui ne sont pas forcément visibles de la rue – il faut franchir une porte cochère pour accéder à La maison des Arts (Agnès Bogaert) – et ses légendes. Bruxelles la verte inspire les peintres de paysages – Le potager du Rouge-Cloître (Adolphe Keller) – et d’atmosphères, parfois surréalistes – Le peintre ou image de la brièveté de la vie (André Poffé).

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    Auguste Oleffe, En août (1909) - Terrasse de la maison du peintre, chaussée de Wavre

    Certains seront peut-être étonnés de découvrir dans la capitale de l’Europe des fermes et des moulins. Je leur en laisse la surprise, la couverture donne le ton avec Le moulin de Lindekemale à Woluwé-Saint-Pierre (aujourd’hui un bon restaurant). Fabien De Roose fournit à la fin de l’ouvrage un plan des transports en commun – le tram bruxellois figure évidemment sur les toiles contemporaines, comme Le tram vert, place Keym (Anne-Pierre-de-Kat) –, ainsi qu’une table des illustrations et une liste des peintres représentés.

    J’espère que vous vous laisserez tenter par ces balades particulièrement inspirées. Pour ma part, je compte bien emporter ce livre et emboîter le pas au guide in situ, à la première occasion. Au plaisir de marcher dans Bruxelles.

  • Coeur d'un jardin

    « C’est le cœur d’un jardin qu’il nous donne à voir et non le jardin lui-même. Il le montre avec le vocabulaire et la syntaxe du plasticien qui maîtrise sa rhétorique et qui peut l’exploiter en toute liberté. »


    Auguste de Decker à propos de Gérard Edsme, « Extrait ».

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    Génome © G. Edsme

     

     

  • Gérard Edsme Extrait

    Son « Jardin d’essai » a été mon coup de cœur de l’année dernière. Une nouvelle exposition du peintre français Gérard Edsme vient de s’ouvrir à Bruxelles, à la DCA Gallery (335, avenue Louise). Un peintre-poète, comme le décrit justement Auguste de Decker : « Parfois il y a « des fleurs, des feuilles et des branches », parfois il n’y a rien d’identifiable, mais toujours, il y a le rythme, la couleur et la lumière. »

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    Vue d’ensemble à la DCA Gallery

    Extraites de son travail d’artiste à Alger, où le peintre a vécu quelque temps, les toiles rondes exposées ici comme des bulles en plein vol sur un mur bleu foncé sont autant de planètes à explorer (Une goutte d’eau, Génome). Captation totale du regard face à ces tondi ou tondos jubilatoires.

    Les peintures de Gérard Edsme se parlent l’une à l’autre mais chacune est un univers. Trois Variations en vert et bleu ponctuées de jaune, traversées de blancheur pure : des feuillages avancent leurs lignes, leurs courbes, bougent dans la lumière. Le peintre s’exprime merveilleusement dans le format carré  – « Rien qui pèse ou qui pose » – espace et liberté.

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    Variation © G. Edsme

    Comment s’y prend-il pour atteindre ce naturel ? « Ma méthode est très simple. Tout d’abord, il y a la photo (documentaire) lors de promenades sur le terrain, pas d’esquisse dans le sens traditionnel mais une intervention directe ; puis vient le recadrage de l’image par découpage à l’aide de Photoshop ou de ciseaux. Cette étape est équivalente au croquis. Ensuite, directement sur la toile, au pinceau je pose ce postulat. Le plaisir sensuel de l’application des couleurs est primordial. » (Gérard Edsme)

    Pour cette peinture ni figurative, ni abstraite, immergée dans le paysage, le titre intrigue : « Extraits (Abstraits) » ? « Encore une fois, ce n’est pas un portrait, c’est un extrait, c’est l’essentiel : haïku visuel qui, en quatre horizons, montre l’invisible constitutif de chaque réalité. Poétique, syncrétique, c’est l’art extrait » commente Auguste de Decker, qui a sélectionné les œuvres montrées à la DCA Gallery, et en effet ce choix illustre bien « ce qui constitue l'esprit, le plus significatif d'une œuvre. » (TLF)

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    Improvisation © G. Edsme

    Dans la seconde salle, voici des jeux d’eau, des fleurs, des reflets. Des roses presque nacrées, de l’eau qui tourbillonne. Dans le grand format (120 x 120) de cette série d’Improvisations, des pétales d’agapanthes déclinent des nuances subtiles du bleu au violet – c’est de toute beauté. A découvrir plus loin, deux petites toiles carrées où domine un jaune pâle, celui de « l’or paille solaire » (Gérard Edsme).

    Rendons la parole au peintre : « J’organise une forme d’ordre sans rangement, un ordre des choses du registre de l’évidence, comme un arbre place ses branches là où il y a de la lumière. Je place mes traits, couleurs et formes là où ils peuvent respirer. » Vous avez jusqu’au 9 juin pour visiter la nouvelle exposition de Gérard Edsme (du mercredi au samedi, voici l’horaire) et vous baigner dans sa lumière. Bien sûr, après votre visite, ne manquez pas de revenir ici noter vos impressions, ce sera un plaisir partagé.

     

    Photos Gérard Edsme (par courtoisie de l'artiste, présent à l’exposition le vendredi ou sur rendez-vous).

     

     

     

  • D'elles-mêmes

    « Je ne vais pas vous ennuyer plus longtemps avec des bavardages féminins. Mes œuvres parleront d’elles-mêmes ! Sur ces paroles, je vous tire humblement ma révérence. »

     

    Lettre d’Artemisia Gentileschi à Don Antonio Ruffo (13 mars 1649)

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    Artemisia Gentileschi ou entourage
    Allégorie de la rhétorique

     

     

  • Artemisia hors série

    Trop longtemps oubliée, redécouverte au XXe siècle, Artemisia Gentileschi (1593-1654) est une artiste hors du commun à plus d’un titre. Publié à l’occasion de l’exposition qui lui est consacrée au musée Maillol à Paris (jusqu’au 15 juillet 2012), un petit livre d’une conception originale permet de faire connaissance avec cette artiste italienne, fille d’un peintre renommé qui l’a initiée aux techniques de la peinture.  

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    Autoportrait en allégorie de la peinture

    Signé Alexandra Lapierre, auteur par ailleurs d’une biographie romancée chez Laffont, Artemisia Gentileschi « Ce qu’une femme sait faire ! » est un hors-série de la collection Découvertes Gallimard axé surtout sur l’image : les pages se déplient de manière à ouvrir les illustrations en long et en large, une manière d’offrir de grands formats réductibles au format de poche.

    Son père, Orazio Gentileschi, est un proche du Caravage et passe pour l’un des dix meilleurs peintres de Rome. On se souvient de sa magnifique Annonciation, exposée à Bruxelles en 2009. Artemisia lui sert souvent de modèle, c’est elle qui joue de l’éventail dans une fresque en trompe-l’œil réalisée avec Agostino Tassi, Concert avec Apollon et la muse. A seize ans, elle est la seule femme apprentie dans le quartier des artistes, reconnue et pour son talent et pour sa beauté. Son père la peint en Sainte Cécile, en Jeune fille au violon… Fier de sa fille, il écrit à la grande-duchesse de Toscane, en 1612 : « En trois ans, elle est devenue un si grand peintre que j’ose dire aujourd’hui qu’aucun maître n’arrive à son niveau, que personne désormais ne peut se comparer à elle… »

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    Suzanne et les vieillards

    Il lui a donné pour maître de dessin Agostino Tassi, et c’est le drame : Artemisia est violée par le collaborateur de son père, le déshonneur la frappe, ainsi que sa famille, mais ils dénoncent le violeur à la justice pontificale. Neuf mois de procès éprouvants, dont le père et la fille sortent heureusement vainqueurs. Artemisia trouve ensuite son salut en Toscane, où un médiocre peintre florentin accepte de l’épouser, avec une dot assez substantielle. Elle peut enfin voler de ses propres ailes.

    Artemisia Gentileschi ose alors se démarquer de son père. Avec audace, elle se représente nue dans une Allégorie de l’inclination pour une commande du petit-neveu de Michel-Ange, Buonarroti le Jeune. (Plus tard, un héritier « pudique » la fera recouvrir de voiles opaques.) C’est un autre commanditaire, le jeune grand-duc Cosimo de Médicis, qui commande à Artemisia plusieurs versions de Judith et Holopherne, un thème où elle pourra représenter la violence de son propre drame en la retournant vers Holopherne dont Judith tranche la gorge, avec l’aide d’une servante.

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    Judith et sa servante

    « Vous trouverez en moi l’âme de César dans un corps de femme », écrit un jour cette artiste reçue à l’Accademia del Disegno de Florence, ce qui lui confère des privilèges et une liberté d’action normalement « interdits au sexe faible ». A vingt-trois ans, elle est « la première académicienne dans toute l’histoire de Florence ». Sa gloire lui apporte la liberté, elle peut rentrer à Rome et voyager. Plus de frontières ni pour elle, ni pour ses tableaux.

    Artemisia Gentileschi travaille pour les grands mécènes italiens et pour les grands collectionneurs européens « qui disposent de fonds sans limite ». Elle peint dans tous les genres : portraits, natures mortes, scènes historiques, allégories, autoportraits. Elle dirigera finalement « un gigantesque atelier qui emploie des dizaines d’aides ». Son imagination réinvente les thèmes classiques, sa technique est parfaite, sa puissance dramatique confère vie et humanité vibrantes à ses toiles.

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    Portrait d’une dame assise

    La redécouverte de cette artiste accomplie – qui n’est pas la seule femme peintre de l’époque, diverses études féministes l’ont rappelé –  donne aussi l’occasion d’attirer l’attention sur sa correspondance. On a découvert récemment de nouvelles lettres d’Artemisia Gentileschi, une femme passionnée et amoureuse de la liberté.