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Exposition - Page 74

  • R. G. dit Hergé

    A  J. V. (Charlotte, Caroline du Nord)  

    Au centre de Louvain-la-Neuve, Hergé a son musée depuis l’été 2009, un paquebot clair entre les arbres, auquel on accède du centre par une passerelle en bois. En ce début du mois de mars, à ses pieds, un de ces grands chantiers incessants dans la ville universitaire. Mais une fois à l’intérieur, on l’oublie, on s’abandonne au calme des volumes aux lignes obliques et aux couleurs pastel, reliés par de légères passerelles métalliques, des espaces très originaux et agréables à parcourir.

     

    Plan du centre de Louvain-la-Neuve (musée en haut à droite du cercle jaune).jpg

    Ceci n’est pas une photo du musée Hergé (en haut, à droite).

     

    Le ticket d’entrée, audioguide et badge « Tintin » compris dans le prix, vous ouvre la porte d’un ascenseur : on visite de haut en bas. La première salle présente Georges Remi dit Hergé par les grandes dates de sa vie, assorties de planches significatives.
    Il y a peu à lire pour les visiteurs allergiques aux écouteurs : une brève présentation du thème, pour chaque espace, et quelques citations. « A croire mes parents, je n’étais vraiment sage que lorsque j’avais un crayon à la main et un bout de papier », confie le dessinateur dans un entretien pour la revue Libelle-Rosita en 1978. Des vitrines basses offrent un contenu plus personnel : des albums de photos d’Hergé boy-scout – « C’est avec le scoutisme que le monde a commencé à s’ouvrir à moi » ; Hergé l’homme qui aimait les chats, photos et croquis à l’appui, dont une belle feuille où il a dessiné Thaïke, un siamois, sur le vif ou sagement installé sur un coussin bleu.

     

    Ensuite on découvre les différentes facettes de son talent. Le créateur de « Quick & Flupke, gamins de Bruxelles », a produit des dessins publicitaires très réussis, pour le rayon des jouets à l’Innovation, par exemple, ou pour des cigarettes turques Moldavan, que fume un homme en smoking coiffé d’un fez. Déjà la sobriété
    légendaire d’Hergé : le dessin doit être avant tout « efficace ». De grandes photos montrent l’Atelier Hergé Publicité au travail. Nous ne sommes donc pas dans un 
    « musée Tintin », c’est clair, l’objectif, ici, est avant tout de faire connaître son créateur. Mais le célèbre reporter est tout de même omniprésent, avec toute sa famille de papier dont les noms traduits surprennent parfois : « Bobbie » ou « Snowie » pour Milou, les « Jansen & Janssen » ou « Thomson & Thompson » – l’audioguide précise que le frère jumeau du père d’Hergé a inspiré leur fameux « je dirais même plus » et propose une astuce pour les distinguer l’un de l’autre. Haddock reste Haddock dans presque toutes les langues. Pourquoi si peu de femmes, à part La Castafiore ? Pas par misogynie, dit Hergé, mais parce qu’il est plus délicat de tourner une femme en ridicule, à ses yeux.

     

    Des rideaux en beau velours rouge d’autrefois s’ouvrent sur une salle de cinéma ; on y projette un documentaire sur la vie d’Hergé dans son époque puis une sélection de dessins, esquisses, traits, significatifs de son génie. On suit les différentes étapes du travail, on observe des variantes graphiques avant la forme définitive à donner même à un simple chiffre. Le grand écran met les détails en valeur, ce que ne permettent pas certaines planches présentées en vitrines trop basses.

     

    Au musée Hergé, on découvre de belles photos de lui dans Bruxelles, par exemple avec Tchang au Cinquantenaire sous la neige ; on apprend les circonstances de leur rencontre, l’influence qu’elle a eue sur Hergé. Une exposition temporaire, au rez-de-chaussée, y est consacrée, dans le cadre d’Europalia Chine (prévue jusqu’au 28 février, elle était encore visible le 4 mars). On y découvre des sculptures de l’ami chinois, des citations de Lao-Tseu, la traduction des idéogrammes calligraphiés par Chang pour assurer la vraisemblance du décor dans Le Lotus bleu.

     

    La huitième et dernière salle du musée illustre la gloire d’Hergé par les témoignages de différentes célébrités. Michel Serres, le grand philosophe tintinologue et ami d’Hergé, « un homme délicieux », lui rend hommage avec passion. Il raconte dans un document vidéo comment L’oreille cassée illustre à merveille son cours sur le fétichisme ; il place Hergé parmi les tout grands créateurs du XXe siècle, avec un enthousiasme communicatif. Il ne reste plus qu’à entrer dans la tour des couvertures
    de Tintin dans toutes les langues : Tinéjo, Tinni, Tim, Tintim, Tantana et autres Kuifje, Kuifie, Kuifstje voire Keefke - ah well merci !

     

    Au lendemain de la visite du musée Hergé, où l’on ne s’ennuie pas, moins passionnant que je ne l’espérais (pardon à mon amie tintinophile), que reste-t-il ? La belle architecture de Christian de Portzamparc, récemment primée, en parfaite adéquation avec l’univers d’Hergé et très bien intégré dans son cadre. La muséographie, un peu lisse, laisse parfois sur sa faim. Mais on sort de là avec l’envie de relire les bandes dessinées abandonnées depuis longtemps sur un rayonnage et de les regarder d’un autre œil, et de plus près. Avant une nouvelle visite, qui sait ?

  • Peindre la forêt

    Rendez-vous amoureux, promenades, jeux, pique-niques, bien des Bruxellois peuvent les associer avec le « Jardin de Bruxelles », son poumon principal, sa cathédrale de hêtres : la forêt de Soignes. Le musée d’Ixelles propose jusqu’au 10 janvier une exposition pour les amoureux de peinture et de nature, « Les peintres de la forêt de Soignes » de 1850 à 1950. Pour fêter le centenaire de leur association, les Amis de la Forêt de Soignes (aujourd’hui en péril) proposent aussi aux Halles Saint-Géry une exposition sur ce « patrimoine unique porteur d’avenir ». Comme la forêt de Fontainebleau a inspiré les peintres de Barbizon, cette magnifique forêt a attiré les pleinairistes. Leurs paysages sont regroupés autour de quatre artères qui la traversent : l’avenue de Tervueren avec l’école artistique du même nom, la chaussée de Wavre et le pittoresque Rouge-Cloître, la chaussée de la Hulpe et Boitsfort, les chaussées de Waterloo et d’Alsemberg à Uccle et Linkebeek. 

    Affiche de l'expo.JPG


    Si Avril à Tervueren de Lucien Frank offre une lumière printanière, les toiles du dix-neuvième siècle sont généralement plus sombres, comme Les cueilleurs de baies aux étangs de Robiano à Tervueren ou les élégantes d’Emile Jacques (Repos au parc
    de Tervueren
    ). Un grand triptyque mélancolique de François Halkett, Dans la sapinière, montre deux femmes installées sur des chaises sous les arbres : l’une d’elles paraît souffrante, on lui ajuste un châle sur l’épaule.
    Plus gaie, une étonnante Fête de nuit de Degouve de Nuncques, où des lampions japonais et des guirlandes électriques se reflètent dans un étang bordé de saules pleureurs au vert phosphorescent.
     

    Halkett François, Dans la sapinière.JPG

     

    Contraste de lumière – cette belle lumière de la forêt de Soignes attirait Rodin pendant son séjour en Belgique – mais aussi de matière picturale entre La mare aux grenouilles d’un Delvaux encore réaliste et Au jardin de Jan Brusselmans qui fragmente la touche. Bastien, « le peintre du Rouge-Cloître » (un ancien prieuré à l’orée de la forêt de Soignes devenu centre d’art), y a peint sa maison sous la pluie ;
    sa matière rend bien l’atmosphère des lieux, comme dans La bergerie de Troisfontaines où les nuages se parent de couleurs orangées. Chaque peintre a son regard. Oleffe donne plus d’importance aux personnages qu’au décor (En août). Degreef, lui, s’immerge complètement dans le Sous-bois de Blankedelle ou peint une Paysagiste à son chevalet. Léon Houyoux peint à la manière impressionniste (La Woluwe à Val-Duchesse). Paul-Jean Martel, découvert ici, choisit des tons si clairs qu’il faut deviner les formes, par exemple, dans sa Terrasse au Rouge-Cloître.
     

    Degreef, La paysagiste.JPG

     

    Toutes les saisons attirent les peintres. Pour son Braconnier, Isidore Verheyden rend des tons d’automne, sous un ciel cuivré en écho aux feuilles mortes qui jonchent le sous-bois. Anne-Pierre de Kat, dans Le ravin, le tableau le plus rythmé de cette exposition, que j'ai eu plaisir à détailler, représente des patineurs sur un étang gelé, on y aperçoit aussi des cavaliers. Une petite toile de Vogels montre le peintre Pantazis peignant dans la neige, sa silhouette noire tranchant sur le blanc. Du côté de La Hulpe vivait un couple d’artistes réputés, Rodolphe et Juliette Wytsman. De celle-ci, j’ai aimé un paysage printanier tout en fleurs jaunes et ombres bleues (Verger à Linkebeek). Médard Verburgh rend à l’été tout son éclat dans Les toits rouges à Boitsfort, réjouissants, mais il ne peut cependant rivaliser avec Rik Wouters, le fauve brabançon, et sa grande Fenêtre ouverte sur Boitsfort. 

    VOGELS Guillaume, Pantazis peignant dans la neige, c. 1881.JPG

     

    Dernière salle, consacrée à Uccle et Linkebeek, avec une lumineuse Grande ferme rose d’Adrien-Jean Le Mayeur, près de laquelle on a accroché un Intérieur de Louis Thévenet. De jolies vues de Linkebeek sont signées Roidot ou Charles Dehoy Le Langeveld de Jos Albert, en comparaison, est presque abstrait, fermement structuré par un tronc d’arbre à l’avant-plan. La plupart de ces noms parlent aux amateurs de peinture belge et aux habitués des salles de ventes bruxelloises, les œuvres présentées ici viennent de musées mais aussi de collections particulières.

    Degouve de Nuncques, Etang de Boitsfort.JPG

     

    Samedi matin, il n’y avait pas encore grand-monde à cette exposition qui n'ouvre ses portes qu'à onze heures trente, c’était très agréable pour y déambuler à l’aise. J’y ai flâné trop longtemps pour pouvoir regarder attentivement l’exposition principale du musée d’Ixelles en ce moment : les photos de la collection du diamantaire et bijoutier anversois Sylvio Perlstein sous le titre « La photographie n’est pas l’art », plus de deux cents tirages de 1920 à nos jours. C’est Man Ray qui affirmait cela avec humour. Il est présent avec bien d’autres noms célèbres dans ce parcours à travers l’histoire de la photographie au vingtième siècle.

      

    Mais j’avais encore l’odeur des feuilles et de l’humus dans les narines, l’œil imprégné des feuillages et des écorces, des eaux dormantes sous la lune (Abatucci) ou des lumières d’un soir bleuté de Degouve de Nuncques, magique.

     

     
  • Collectionneurs

    « On a beaucoup écrit sur le « mystère » de Chtchoukine et de Morozov.
    La clé de leur énigme se trouve dans leur époque, le tournant des XIXe – XXe siècles en Russie, le temps des changements majeurs dans l’art et la société, dont les deux collectionneurs savent saisir le rythme. La recherche de phénomènes artistiques répondant à cette atmosphère, un sentiment aiguisé du nouveau, de l’authentique, du talentueux les conduit à Paris la magnifique, foyer des idées artistiques des années 1870-1910. Les contemporains regardent souvent avec suspicion ces riches extravagants qui paient des sommes considérables pour des œuvres d’artistes novateurs français « insupportables par leur insolence » ou « intolérablement vulgaires » (selon l’expression du prince Sergueï Chtcherbatov). Les descendants sont toujours stupéfaits par la justesse de « l’œil » des collectionneurs du siècle dernier et doivent reconnaître que les Monet, Gauguin ou Matisse « russes », ayant passé l’épreuve du goût personnel de ces collectionneurs, sont une référence parmi les œuvres des mêmes artistes conservées dans de nombreux musées et collections particulières du monde. »

    Anna V. Poznanskaïa et Alexeï V. Pétoukhov, L’histoire de la collection de la nouvelle peinture française au Musée d’Etat des Beaux-Arts Pouchkine (Catalogue De Courbet à Picasso, Fondation Pierre Gianadda, Martigny, Suisse, 2009).

     
     
  • Pouchkine à Martigny

    De Courbet à Picasso, c’est la belle exposition d’été de la Fondation Gianadda à Martigny, un rendez-vous à ne pas manquer. Les œuvres prêtées par le Musée des Beaux-Arts Pouchkine, des peintures françaises des XIXe et XXe siècles – autour de l’impressionnisme – ne sont à nouveau visibles à Moscou que depuis 2006. La galerie d’art moderne occidental y a rouvert ses portes quelque soixante ans après la condamnation de cet art « bourgeois » acquis principalement par deux collectionneurs russes, Ivan Morozov (ingénieur) et Serguei Chtchoukine (magnat du textile, mécène pour qui Matisse a peint La Danse et La Musique).

     

    Picasso Arlequin et sa compagne (les deux saltimbanques).jpg
      

    L’exposition s’ouvre sur trois Corot, dont un merveilleux Char à foin : près d’un arbre au croisement d’une route de campagne, un cheval tire la charrette où deux personnes sont juchées sur le foin, un cavalier les accompagne. Des paysages de Courbet, un Bal à l’Opéra de Paris signé Forain, précèdent une grande toile de Dagnan-Bouveret, La bénédiction des jeunes époux. La lumière blonde et les blancs de cette composition réaliste fascinent : le vieux couple des parents tend un cierge aux mariés, agenouillés devant eux. Sur le sol jonché de pétales de roses, la mariée a posé son missel. Dans le fond, une grande table de fête couverte de nappes blanches, au bout de laquelle est posé un bouquet champêtre. On aperçoit des serviteurs dans un angle, près de la vaisselle blanche, et face à nous, la famille regroupée et attentive.
    Aux fenêtres, des rideaux immaculés ajoutent encore de la clarté à la scène qu’un trait blanc, sur la nappe, souligne en oblique.

     

    Degas Danseuse chez le photographe.jpg
     Edgar Degas, Dancer posing for a Photographer Danseuse chez le photographe, 1875, 65 x 50,
    Musée d'Etat des Beaux-Arts Pouchkine, Moscou, © The State Pushkin Museum of Fine Art, Moscow

     

    C’est le seul artiste peu connu dans le parcours. Renoir est là avec Au jardin, Sous la tonnelle au Moulin de la Galette – de dos, une jeune femme en robe blanche rayée de bleu rappelle le célèbre Moulin. Puis vient une Danseuse chez le photographe, le Degas qui a été choisi pour l’affiche : elle prend la pose devant un miroir, à travers de grandes vitres d’atelier on reconnaît des façades parisiennes. Dans Matin d’automne à Eragny, de Pissarro, on voit d’abord les arbres dorés du paysage, puis on devine une ferme, un cavalier qui tient son cheval par la bride. Deux Monet lui succèdent : des Nymphéas blancs, sous le pont japonais, puis Meules de foin à Giverny, devant une allée de jeunes peupliers qui vibrent sous le soleil. Et puis Cézanne, très bien représenté aussi, la fameuse Ronde des prisonniers de Van Gogh, les couleurs somptueuses des Gauguin (Matamoé (la mort), Paysage aux paons et Vaïraumati Tei Oa – Son nom est Vaïraumati). 

    Gauguin Matamoé (la mort).jpg

    Paul Gauguin, "Death. Landscape with PeacocksPaysage aux paons", Paysage aux paons, 1892, 115 x 86,
    Musée d'Etat des Beaux-Arts Pouchkine, Moscou, © The State Pushkin Museum of Fine Art, Moscow

    Comment rendre tant de beauté par l’énumération ? Une Femme à la fenêtre de Toulouse-Lautrec (carton, essence, céruse). Un Intérieur de Vuillard plein de charme. De grands Matisse, dont les Capucines devant La Danse. Le Vésuve par Marquet, un paysage d’or pâle où les coques des bateaux brillent d’un noir d’encre. Un Picasso à couper le souffle, Arlequin et sa compagne (les saltimbanques) : ils sont accoudés devant un verre, les yeux dans le vague, lui dans son costume bleu à losanges, de profil, elle de face, en jaune orange. Contraste du froid et du chaud sur le fond aussi, rouge de la banquette, bleu du mur. Un coup de cœur.
     
    Le coq de Brancusi dans le parc de la Fondation Pierre Gianadda à Martigny.JPG

     

    Et ce n’est pas tout : voici Apollinaire et Marie Laurencin peints par Rousseau, et aussi son étonnant Cheval attaqué par un jaguar. Des courbes graphiques sur fond noir d’Ozenfant. Il faudrait revenir pour mieux regarder les photographies en annexe et flâner à l’aise dans le parc de sculptures. Avec les années, les arbres de plus en plus beaux y jouent aussi des formes et des volumes, des couleurs et de la lumière.

     

     

     
  • A rebours

    « Dans l’histoire de l’art pour se faire remarquer il ne faut pas tenter de faire quelque chose de plus beau, cela ne sert à rien, il n’y a aucun exemple ; il faut « danser à rebours », contredire ce qui a cours. »

     

    Georg Baselitz 

    Baselitz La direction est juste vers l'étoile dorée.JPG