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Exposition - Page 75

  • Toulon expose

    Sur le même boulevard à Toulon, on peut visiter l’Hôtel des Arts, voué à l’art contemporain, et sur le trottoir d’en face, un peu plus loin, le Musée d’art, musée-bibliothèque de la ville. L’entrée est libre aussi bien à l’exposition Baselitz du premier qu’au second, récemment rénové, qui propose un aperçu de ses collections.

     

    « Drapeau au vent sur la ligne de front », c’est le titre donné à l’exposition d’œuvres de Georg Baselitz des dix dernières années, « celles d’un jeune peintre de 71 ans à l’esprit farceur, parmi lesquelles figurent plusieurs Remix. » (Gilles Altieri, directeur de l’Hôtel des Arts) Avec Zéro pour le peintre (l’affiche), on entre d’emblée dans son univers de motifs renversés, ici un portrait d’homme en rouge et blanc, où « Zéro » s’inscrit en miroir sur la casquette. L’entretien vidéo accordé par le peintre le 13 juin 2009 éclaire ses intentions : faire le contraire de ce qu’on lui dit ou ne pas le faire du tout. Par volonté de rupture, l’artiste a opté pour une peinture grossière, agressive, brutale. Son origine – même s’il n’a que sept ans à la fin de la guerre, il est catalogué « allemand » –, son expérience du nazisme puis du communisme, tout lui donne envie de tirer la langue ou de baisser son pantalon – mais pas question de s’excuser d’être celui qu’il est. 

    L'entrée de l'Hôtel des Arts.JPG

     

    Jambes bottées de noir, souliers lacés, Baselitz garde les pieds sur terre ou les tourne vers le ciel, il s’amuse à peindre une étoile à cinq jambes (La direction est juste vers l’étoile d’or). Le Remix d’Un peintre moderne cerne la figure d’un noir de cambouis, alors que Peintre moderne montre dans sa moitié supérieure un buste en couleurs sur fond blanc, dans sa moitié inférieure un entrelacs de racines qui prolonge le corps, en blanc sur fond noir. Baselitz aime diviser la toile entre haut et bas, ne fût-ce que d’un trait horizontal. Il n’a pas oublié la remarque du professeur qui regardait son dessin d’une tulipe ou d’un arbre et lui demandait ce qu’il y avait en dessous, qui manquait : des racines ? un vase ? un oignon ? Deux œuvres à l’étage font place à la forêt : Le chien Canalettos III, chien noir sur le dos, pattes en l’air sous les arbres, et Retour au temps de l’école, un paysage de neige, un sentier forestier renversé, où frappe l’irruption du rose vif dans un univers blanc et noir. Baselitz explique l’importance pour lui de la vitesse : ce qu’il veut, c’est mettre à plat l’image, l’idée
    qu’il a en tête, sans rien « chercher » sur la toile.
     

    Musée d'art à Toulon.JPG

     

    Après un déjeuner place de la Liberté (juste à côté), cap sur les collections du Musée d’art, surtout du contemporain et du moderne, un peu d’ancien. Un étonnant Monstre de Niki de Saint Phalle, figurines en plastique assemblées sur un dragon couleur bronze, loin de ses Nanas. Un Portrait-relief de Martial Raysse par Yves Klein, sculpture bleu Klein sur fond or, à côté de Pot et fleur en néon de son modèle. Un Etal de moules de Broodthaers près d’un grand Monochrome gris de Richter. A côté des 98 sucres taillés sous vitrine de Boltanski (Sans titre), Le bois dormant du suisse Markus Raetz : 96 pièces de bois, dont de nombreuses fourches de branches, composent un paysage poétique à même le mur. L’espagnol Miralda a disposé en rangs serrés de minuscules figurines blanches dans le tiroir ouvert de sa Solitude urbaine, une table blanche. Hantaï, Fontana, Sol Lewitt, cinq toiles rayées de Buren,
    il y a des choses à voir.

     

    Chez les anciens, j’ai remarqué un beau Saint Paul plongé dans un livre (anonyme, XVIIe), des portraits d’enfants par Jean-Baptiste Paulin Guérin (né à Toulon en 1783), en particulier celui d’Isabelle écrivant. Des vues de Toulon : le port par Willy Eisenschitz (1928-1930), La Patache dans le port de Toulon par Louis Nattero (1902-1905), et une radieuse Calanque d’en Vau par Jean Baptiste Olive. Un David, un Fragonard aérien – L’amour embrasant l’univers – mais pas le buste de Paul Claudel par Camille Claudel que j’espérais voir là. Le musée-bibliothèque de la ville de Toulon porte bien son nom : à droite du bâtiment qui ne manque pas d’allure, un mur intérieur porte gravés les noms de « littérateurs » illustres. Une grande salle ancienne propose des livres jusque sur deux étages de coursive où mène un escalier hélicoïdal. Du monde dans la salle de lecture – silence.

  • Stevens le Parisien

    « Un Flamand qui est plus parisien que tous les Parisiens », pouvait-on lire dans Gil Blas en 1893 à propos d’Alfred Stevens (1823-1906), né à Bruxelles mais installé à Paris dès 1849. La rétrospective des Musées Royaux des Beaux-Arts rassemble des peintures venues du monde entier – Paris, Londres, Budapest, Munich, Etats-Unis, entre autres. Un festival de dames élégantes dans des intérieurs qui ne le sont pas moins, mais pas seulement cela.

     

    Les premiers tableaux – une mendiante, de pauvres gens emmenés pour vagabondage – révèlent un Stevens observateur de la misère matérielle ou morale – L’orpheline, un profil pur de jeune femme en deuil, une perle sombre à l’oreille. Dans In memoriam, une femme en grand deuil allume un cierge, une autre, enveloppée dans un châle des Indes, retient d’un ruban bleu vif la voilette qui couvre ses cheveux. Stevens excelle à détailler vêtements et parures, parfois en contraste comme cette jeune fille en robe blanche, dans Consolation, qui se tient sur un canapé près d’une femme qui pleure, tout en noir. 

    Stevens, Remember (détail) d'après le prospectus des MRBAB.JPG

     

    « Il peint encore des mains tendues, mais ce sont de jolies mains blanches, et elles s’ouvrent, non à l’aumône, mais au baiser », commente Paul Mantz en 1867. Le bain (Musée d’Orsay) ouvre le bal des Parisiennes : une femme en chemise dans sa baignoire, les cheveux relevés, deux roses à la main. Un robinet en col de cygne, un porte-savon sont aussi présents que le livre ouvert posé sur du linge. « Aucun n’a un rendu matériel aussi adorable que le sien » dit Rops en 1881. Stevens s’intéresse à tous les accessoires de la féminité qu’il met en scène. Ses dames ont souvent une lettre à la main (Souvenirs et regrets) ou un éventail (Rêverie). Le pinceau précise finement froufrous et bijoux de ces élégantes représentées en pied, souvent des filles « débarbouillées » à qui il a fait prendre la pose.

     

    Quand Stevens peint Sarah Bernhardt, il s’agit vraiment d’un portrait et non d’une « scène d’intérieur ». A côté, Le sphinx parisien montre une femme en robe légère, au regard intéressant, une belle lumière sur les épaules. Dans beaucoup de toiles reviennent les éléments décoratifs d’époque : éventail, bouquet, paravent japonais... Deux musiciennes très différentes : une harpiste habillée de sombre assise près de son instrument, une violoniste en robe rouge qui joue sous un bel éclairage. Deux « ateliers » : celui de 1855, statique, où le modèle observe avec le peintre la toile posée sur le chevalet ; sur celui de 1869, beaucoup plus vivant, l’artiste, sur un canapé, regarde le modèle penché vers la traîne de sa robe somptueuse dans la lumière d’une fenêtre ouverte. 

    Stevens Marie-Madeleine.jpg

     

     

    En opposition aux figures bourgeoises qui semblent souvent s’ennuyer – Stevens le « chroniqueur de la vie mondaine » voulait-il montrer la richesse ou la vacuité des salons ? –, quatre femmes aux longs cheveux relâchés (toutes les autres les ont attachés) et plus charnelles : Salomé, Marie-Madeleine, Lady Macbeth, et une rousse caressant un chat noir (L’électricité), devant un ciel nocturne où l’on devine
    les tours de Notre-Dame et des chauves-souris. Femmes fatales, qui tranchent avec le visage sans caractère des poupées de salon.

     

    L’exposition comporte quelques scènes de bonheur familial, l’épouse de Stevens et ses enfants, près d’une Liseuse paisible en longue robe blanche. Des tableaux illustrent le goût fin de siècle pour l’exotisme : une superbe Parisienne en kimono, L’Inde à Paris ou le bibelot exotique – un éléphant en bois et porcelaine présenté en vitrine, près d’un vase chinois au dragon que l’on peut voir aussi sur quelques toiles. Beaucoup de scènes « charmantes », trop sans doute quand on les découvre ainsi en enfilade. Mais la patte de l’artiste est incontestable. « On n’a pas assez loué chez Stevens l’harmonie distinguée et bizarre des tons », écrit Baudelaire en 1864.

     

    Dans la dernière partie de l’exposition (sans compter la section du Panorama de l’histoire du Siècle, présentée à l’étage, que je n’ai pas vue), je me suis arrêtée longuement devant deux marines. D’abord il y a un petit Nocturne sur la mer (collection privée) qui fait penser à Turner ou Jongkind : un dégradé bleu nuit, avec quelques étoiles dans le ciel, un horizon imperceptible, le bleu plus sombre de la mer où l’on distingue quelques falots, le panache d’un bateau, le vague ourlet des vagues. Superbe. J’ai aussi aimé Marine, Le Havre (Reims), une délicate harmonie de gris, de beige et de rose – très mal éclairée, comme presque tous ces paysages, le cadre supérieur leur faisant de l’ombre !

    Une seule carte postale est disponible – La dame en rose des MRBA – en dehors du catalogue et du livre de Christiane Lefebvre (2006) qui situe « le flambeur magnifique » par rapport à ses frères Joseph, peintre animalier, et Arthur, critique d'art et marchand de tableaux. Rares sont les occasions de découvrir l’œuvre d’Alfred Stevens, visible à Bruxelles jusqu’au 23 août 2009 (ensuite au Musée Van Gogh à Amsterdam).

  • Au soleil de Claus

    En manque de soleil ? Rendez-vous à Gand, où le Musée des Beaux-Arts propose jusqu’au 21 juin Emile Claus et la vie rurale. Des œuvres de la maturité, présentées par thèmes, où le plein air domine largement. Sous l’influence des impressionnistes, Claus (1849-1924) a créé son propre courant : le luminisme. L’exposition confronte son univers pictural à celui de ses élèves et des contemporains qui, comme lui, ont peint les paysans et les paysages de cette région de la Lys – où il habitait la Villa Zonneschijn (Rayon de soleil).

     

    Une petite toile m’a attirée dans la première salle consacrée à « Emile Claus et son milieu » : une Vue sur l’ancien pont du Pas à Gand, très animée (un arbre au centre, trois axes où passent des voitures, des piétons, des bateaux sur le canal) – rares sont les paysages urbains dans son oeuvre, excepté ses vues de la Tamise à Londres. De l’autre côté, une eau-forte de Jenny Montigny montre Claus sur le vif. Le sculpteur Constantin Meunier, bien présent tout au long du parcours, a donné au buste du peintre l’élégance mondaine de l’artiste. Près de photos d’atelier ou d’extérieur, ce sont surtout les portraits qui attirent l’attention : l’épouse de Claus assise à table, de profil – une harmonie de bleu et de vert exquise ; ses élèves, Jenny Montigny et Anna de Weert, la première en robe rose et chapeau à fleurs, la seconde, plus imposante, en barque, avec dans l’eau qui couvre la plus grande partie de la toile les reflets des arbres, d’une voile – elle tient un carnet de croquis. Un étonnant Camille Lemonnier parmi les blés, l’écrivain naturaliste était son ami. 

    Claus, Fillettes au champ.jpg

     

    Place ensuite aux types sociaux dans la peinture de la fin du XIXe siècle et du début du XXe. Quand Claus peint La blanchisseuse près de la rivière, elle travaille, tandis que les bourgeois d’une Soirée d’été jouissent du beau temps. Pour composer Le pique-nique, le peintre s’est placé derrière un groupe de villageois qui se détendent en famille sur la rive ; certains observent, sur l’autre berge, la « belle société » attablée à l’ombre. Mais quand Eugène Laermans montre des paysans, la dénonciation de la misère prend plus nettement le dessus sur le décor. Le vieux jardinier de Claus est tout de même d'une présence très forte.

     

    De grandes toiles sont consacrées à la moisson : La récolte du lin, des Faneuses au soleil couchant, ou ce Repas de midi qu’une jeune paysanne, de dos, apporte à ses compagnes, un panier à la main. Sur les chemins ou dans les champs, des enfants se promènent, leurs sabots à la main. Le musée de Gand a eu la bonne idée de présenter en parallèle des photographies contemporaines de la vie rurale, notamment celles de Léonard Misonne, au rendu impressionniste – En passant en est un superbe exemple.

     

    La rivière occupe une place primordiale dans l’œuvre de Claus, elle structure le paysage et renvoie la lumière. La Lys, il la peint par toutes les saisons, d’un bleu presque turquoise sous des arbres orangés, en hiver, ou encore un jour d’Inondation. Bleu et orange, on retrouve ces tons dans un petit pastel, Nuit de Noël, où des fidèles se pressent dans la neige vers une église aux fenêtres éclairées. Partout, dans les paysages de Claus, ces allées d’arbres typiques de la Flandre orientale. Heureux collectionneur qui possède une merveilleuse Matinée de septembre, avec ses silhouettes à contre-jour – des femmes occupées à étendre le linge.

     

    Un tableau extraordinaire, chef-d’œuvre du musée gantois, inscrit Claus dans la
    grande tradition flamande des paysages hivernaux, ce sont Les Patineurs : sur la Lys gelée, un gamin joue avec une luge, ses camarades sont déjà remontés sur la berge.
    La ligne d’horizon, placée très haut, réduit à peu de chose les maisons et les arbres du lointain. La neige et la glace, rosées par le couchant, couvrent toute la toile de leurs nuances nacrées. Lumière divine.

     

    Quant au Châtaignier, celui de son jardin au printemps, il est le personnage principal d’une autre féerie de couleurs. Claus a choisi le moment où son nouveau feuillage voile à peine la charpente de l’arbre et l’auréole de brume végétale. Si des branches à l’avant-plan poussent leurs feuilles vert tendre dans une lumière encore froide, le peintre ose plus loin, de l’autre côté de la Lys envahie par les reflets, des roses et des mauves étonnants, presque fauves.

    Amoureux de la nature et des campagnes paisibles, amoureux des couleurs et de la lumière, allez vous réchauffer au soleil de Claus, qui irradie depuis plus d’un siècle.

  • Bruit blanc, à voir

    Au hasard d’une flânerie dans les Galeries Royales Saint-Hubert, en sortant de la librairie Tropismes (à deux pas de la Grand-Place), j’ai poussé pour la première fois la porte de Photo Gallery, intriguée par un bel oxymore, Bruit blanc, près de la photo d’un tigre au bord de l’eau. Roland Lebrun, un jeune photographe, présente au 10, Galerie de la Reine, sa première exposition personnelle, jusqu’au 24 mai.

     

    C’est aussi par curiosité, je le reconnais, que je suis entrée là, mue par le désir de découvrir l’intérieur d’une des maisons de ce passage, le plus beau de Bruxelles, qui me fait toujours rêver. Dans l’escalier qui mène aux étages, je me réjouissais déjà de découvrir sous un angle inédit la verrière, les façades, les vitrines, et le va-et-vient permanent dans ces galeries. A mi-hauteur, les fenêtres offraient bien la vue espérée, mais très vite, les photographies de Roland Lebrun ont capté mon attention, dans leur format carré de taille moyenne qui invite à s’approcher.  

    Roland Lebrun Bruit blanc Image-1.jpg

     

    « Ces images sont tirées de ce qu’on appellerait un journal intime. Pourtant, à chaque photo, je sors du moment que je vis. Je me retourne et je le cadre. J’exclus, j’inclus. » Bruit blanc nous laisse entrevoir des paysages entre l’ici et l’ailleurs. Les plus spectaculaires : ce tigre du Bengale au zoo d’Anvers, avec son reflet, et cette forêt plongeant dans un lac, qu’on croirait d’Asie, photographiée en France, deux clichés superbes.

     

    Les autres sont plus intimes, comme la dentelle du givre sur la vitre d’une porte entrouverte ou bien ce coin d’un étang à l’ombre d’un bois. Le photographe semble fasciné par les angles qui dessinent l’espace. Plus loin, il a rapproché trois variations sur le triangle : la niche d’une Vierge au-dessus d’un buisson, le pignon gris d’une maison, une statue encore bâchée de blanc sur son socle. 

    Roland Lebrun Bruit blanc Image-2.jpg

     

    Notre regard suit le mur qui longe une voie de chemin de fer désaffectée dans une forêt. Roland Lebrun semble l’homme des « sylves évanescentes » (Valéry) et des sous-bois qu’architecturent troncs et branches. Mais il y a aussi la mer, son rectangle de houle grise sous un ciel blanc, presque abstraite, ou encore sous les nuages flous d’une lumière changeante. Entre ces scènes naturelles, quelques intérieurs, une lampe près d’un lit, le désordre d’un bureau sous un mur animé de cartes postales, des scènes familières.

     

    Bruit blanc invite à regarder la texture du quotidien. Dans l’avant-propos de son travail sur La mort de Paule, visible sur son site, Roland Lebrun écrit : « Quand je
    ne suis pas dans un paysage familier, je me perds, je ne sais plus quoi voir. (…) La lumière, la texture, l’ordre des choses, tout me rappelait que je n’étais pas chez moi. Je n’ai trouvé que du vide, des silences. »
    Les quelques portraits, dans cette exposition, m’ont paru aussi secrets que les paysages. Le dehors couvre le dedans, le bruit des êtres ne s’entend pas. Les visages sur les photographies ne sourient pas, comme dans la série des Faux-Semblants découverte en ligne, qui mêle figures de chair et de plâtre.

    « L’image ne me renvoie plus au moment, elle devient une phrase. Elle me permet de recréer une histoire. C’est mon journal public. » (Roland Lebrun)
    Dans le silence d’une pièce claire, au-dessus d’une galerie du dix-neuvième siècle où circulent les passants du jour, des carrés de vie, sans tapage, suspendent le temps.

    Phographies : par courtoisie de Roland Lebrun & Photo Gallery.

    http://www.rolandlebrun.be/      http://www.pgav.be/fr_home.php

  • A la maison Autrique

    J’y allais pour Ghelderode, j’en suis revenue surtout avec des atmosphères. La Maison Autrique, construite par l’architecte phare de l’art nouveau en Belgique, Victor Horta, vaut assurément la visite. Ne la manquez pas, si par exemple il vous reste du temps après un repas de midi dans l’un des agréables restaurants de l’avenue Louis Bertrand à Schaerbeek. Remontez-la jusqu’à la chaussée de Haecht, au 266. Sonnez, on vous ouvrira.

     

    Derrière sa façade élégante et sobre, c’est une demeure bourgeoise typique de la Belle Epoque à Bruxelles. Du sous-sol jusqu’aux combles, elle est meublée dans l’esprit du temps, éclairée comme un théâtre, avec des surprises qui guettent les visiteurs dans ses recoins. L’hôtel de Ville de Schaerbeek n’est pas loin, où Adhémar Martens a travaillé en tant que commis d’administration communale tout en écrivant, caché derrière un mur d’archives. De son nom de plume Michel de Ghelderode, ce Schaerbeekois qui ne se reconnaissait qu’une seule patrie, la Flandre, habitait rue Lefrancq. 

    Maison Autrique, un lustre.JPG

     

    A l’accueil, on m’avait gentiment prévenue : c’est l’homme qui fait ici l’objet d’une exposition – Le mystère Ghelderode, jusqu’à la fin du mois d’avril  – et non son œuvre. Dans la pièce qui donne sur le jardin à l’arrière, clos par une grille au « A » gracieux, une fantastique chauve-souris sculptée par un artiste serbe (Prédan, si j’ai bien entendu) donne le ton, près d’un piano noir. Il fait office de "Grand Macabre", en quelque sorte.

     

    Dès le hall d’entrée, l’association entre Ghelderode et Jean-Jacques Gailliard, son ami, saute aux yeux. Affiches, correspondance, portraits, tout indique entre eux une grande complicité. « Cher grand artiste… », « Cher Ami… », « Cher et Illustre, universellement… » : Gailliard y met beaucoup de majuscules et ses lettres sont comme ses peintures, un étonnant fouillis baroque et animé. Ses missives ostendaises sont surmontées d’un dessin de paquebot, d’un voilier ou d’un fiacre découpé en silhouette. Sur un palier, un sonnet intitulé Miroir : Ghelderode l’a écrit en rouge sur un dessin de Gaillard à l’encre de Chine. 

    Maison Autrique, Cage d'escalier.JPG

    Dans le salon-bibliothèque, à l’étage, un film de Luc de Heusch et Jean Raine, en noir et blanc, passe en boucle. On y voit Ghelderode allumant sa pipe au long tuyau, marchant dans les rues de Bruxelles. On l’entend parler du « secret du grand art, la cruauté ». Bruges est sa ville fétiche, l’ancien port dont la mer s’est retirée et où l’on comprend sans peine, dit-il, que la mort est « le comparse obligé du poète dramatique ». L’écrivain est filmé chez Toone, le fameux marionnettiste bruxellois, qui anime ses figures de bois rien que pour lui. On peut lire par ailleurs une belle lettre d’hommage de Ghelderode à Toone, « le seul directeur de théâtre de Bruxelles à qui j’ose serrer la main ; le seul à qui j’ose confier mes pièces ; ses artistes sont parfaits. »

    C’est dans les chambres du haut que la vie personnelle de Ghelderode est surtout illustrée. Quelques portraits de lui sont présentés sur un chevalet. Un bureau couvert d’objets (main, crâne, machine à écrire, chandelier, buste de femme en bronze affublé d’un masque d’âne…) évoque le décor chargé dans lequel l’écrivain évoluait, lui, l’amoureux des objets « inactuels » pour qui les choses ont une âme, ne vous abandonnent jamais, « remèdes contre le vide, le néant, la solitude ». Un cheval de bois, des marionnettes, assurent cette présence. 

     Maison Autrique, Marionnettes.jpg

    Des documents administratifs, près de quelques éditions anciennes et de coquillages, rappellent sa naissance à Schaerbeek, le 3 avril 1898, son engagement à la maison communale en 1923, des avertissements pour retards répétés en 1939, sa révocation en 1945. Plus étonnants, des extraits de délibérations sur les remous provoqués par Martens-Ghelderode : il avait répondu « Merde » à des collègues qui l’accusaient de faire jouer ses pièces par la Jeune Garde libérale, on l’avait traité de « calotin » dans les couloirs, etc.

    Plus que d’une véritable exposition, il s’agit donc bien, comme stipulé sur le document donné à l’accueil, d’un Itinéraire pour une visite de la Maison Autrique. Le visiteur qui connaît déjà l’œuvre ghelderodienne y verra davantage que le non initié. Pour ceux qui n’ont jamais franchi le seuil de la maison Autrique, ce parcours original dans l’univers du grand écrivain belge (dont il faut lire, au moins, les somptueuses nouvelles du recueil Sortilèges) constitue en tout cas une excellente occasion de la découvrir.